« Le manège des erreurs – Une enquête du commissaire Montalbano » – Andrea Camilleri – Fleuve noir , traduit par Serge Quadruppani

« À cinq heures et demie du matin, pas pile mais pas loin alentour, ‘ne mouche, qui semblait depuis longtemps canée, collée à la vitre de la fenêtre, ouvrit tout à coup les ailes, se les nettoya soigneusement en les frottant bien bien puis prit son envol et un peu après vira pour s’en aller se poser sur la table de nuit.

Là, elle resta un moment immobile à bader la situation, puis elle fonça dans la narine gauche de Montalbano qui dormait de bon cœur. »

Retrouver Montalbano, sa Sicile riche en couleurs et son langage tout aussi coloré, c’est tellement bon en ce moment ! Et puis, j’ai trouvé cet opus particulièrement drôle – en commençant avec cette scène de guerre contre la mouche –  et bien rythmé.

« Et comme il n’y a pas de trois sans quatre, règle inventée dans l’instant, il eut la certitude absolue que lui, au tout début de la matinée, il avait tué par erreur une mouche innocente qu’il avait prise pour la coupable.

Avant de sortir, selon son habitude, il se jeta un coup d’œil dans le miroir. Il avait un œil cerclé de bleu, qu’on aurait dit celui d’un clown de cirque, et une oreille enflée.

Tant pis, de toute manière, il ne devait pas participer à un concours de beauté. »

Notre Montalbano est vieillissant, toujours aussi gourmand, fumeur et buveur de whisky mais aussi pris d’accès de mélancolie dont il s’ébroue grâce à la vie trépidante du commissariat de Vigata.

« Voilà, s’arépétait-il: c’tes doutes, c’tes peurs, ils te viennent passque t’es plus tout jeune et que les tracas de l’âge t’ôtent l’assurance et les certitudes de la jeunesse. »

Ce n’est pas tant que les meurtres se multiplient, mais l’équipe est bien bien aux taquets, vive et prompte à se lancer dans une enquête !

Ici, il y a des meurtres, des enlèvements et des mensonges, de fausses pistes et de vraies intuitions, de jolies femmes et des banquiers, des amoureux éconduits et des vengeances. Les portraits sont parfois railleurs et sans indulgence:

« Alessandro Lo Curzio avait la quarantaine à peine passée. Grand, élégant, sportif, parfumé, bronzé, sourire que pour le supporter il fallait des lunettes de soleil.

On le devinait destiné à la brillante carrière de tant de dirigeants d’aujourd’hui: rapide ascension fût-ce en vendant sa mère au plus offrant, arrivée au sommet, très rapide chute en Bourse de la société ou de la banque ou Dieu sait quoi, disparition des dirigeants, réapparition un an plus tard à un poste plus ‘mportant. »

Vigata prend vie avec ces personnages, ici donc banquiers ou employées de banque, commerçants, avocats… et bien sûr nos policiers préférés. Dans cet épisode de belles employées de banque (je précise « belles », parce que c’est ainsi )  sont enlevées puis retrouvées très vite, plus ou moins blessées mais jamais trop, et un vendeur de matériel électronique disparaît. Les deux faits ne semblent pas être en lien et Montalbano va un peu patauger mais grâce à sa ténacité, sa finesse aussi, ainsi qu’à un collectif qui carbure à fond, l’affaire va s’éclaircir. ( chapitre douze, brainstorming d’enfer et grosse avancée dans l’enquête ) . La relation de Montalbano avec le Questeur est toujours aussi tendue, et ici elle sera drôle aussi, mais en attendant, rendez-vous:

« En entrant dans l’antichambre du questeur, il mata sa montre. Neuf heures moins cinq.

-J’ai un rendez-vous avec Mr le Questeur, annonça-t-il à un agent assis derrière une table.

Le type regarda une feuille qu’il avait devant lui.

-Oui, je sais, dottor Montalbano, mais Mr le Questeur est occupé. Si vous voulez bien patienter…

Montalbano s’assit sur un petit canapé qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à celui de son dentiste.

C’te pinsée, d’un coup et sans raison apparente, lui fit ‘mmédiatement sentir une certaine douleur à la dernière dent de la mâchoire supérieure gauche.

Il la toucha prudemment du bout de la langue. Ça faisait mal, pas à discuter. Il fut pris d’un brusque énervement et commença à s’agiter sur le sofa.

Rin au monde ne l’effrayait comme de devoir s’asseoir sur le fauteuil du dentiste. Seuls les condamnés à mort, quand on les mettait sur la chaise électrique, éprouvaient semblable terreur. »

Ce qui fait tout le charme et ce qui accroche, c’est réellement l’ambiance de ce commissariat et les personnages hauts en couleur, Montalbano mais aussi Fazio, Mimí

« -Mimí, tu ne peux pas imaginer les efforts que me coûtent les paroles que je vais te dire: tu as été vraiment bon et…

-Arrête-toi là, passqu’avec l’effort terrible que tu es en train de faire, tu risques de te choper une hernie. »

et l’inénarrable Catarella –  celui-ci c’est quand même le clou du spectacle ! – , les dialogues épatants, le langage fleuri et imagé, et saluons une fois encore – même s’il m’a fallu plusieurs livres pour en savourer le sel – saluons donc l’épatante traduction de Serge Quadruppani ( il la présente en début de livre, et c’est bien ! Ici, on pinse et on besogne  ! ).

« Catarè, je vais rester ici jusqu’à 3 heures de la nuit. J’attends des coups de fil ‘mportants. Toi, à quelle heure tu débauches?

-À 10 heures, dottori.

-Et qui est-ce qui vient à ta place?

-Intelisano, dottori.

-Quand il arrive, dis-lui qu’avant de prendre son service, il doit me parler.

-Dottori, j’ademande compression et pardonnement, mais moi, Intelisano, j’y dis rin.

Montalbano s’étonna. La fin du monde était proche? Catarella s’arefusait d’exécuter les ordres.

-Catarè, qu’est-ce qui te prend?

-Il me prend qui si vosseigneurie reste ici jusqu’à 3 heures, moi je reste ici jusqu’à 3 heures et si vosseigneurie reste jusqu’à 4 heures, moi je reste ici jusqu’à 4 heures et si vossei…

-C’est bon, c’est bon, l’interrompit le commissaire. »

Montalbano marchant sur la jetée et songeant à sa Livia, tous deux prenant de l’âge, Montalbano se consolant, verre d’alcool, cigarette et petit plat savoureux d’Adelina,

« Vu le fait qu’il n’avait plus rin à faire et qu’il était tard, Montalbano s’en retourna à Marinella.

Pour commencer, il voulut voir ce que lui avait préparé Adelina. Apparemment, la bonne avait lâché la bride à son imagination.

Un plateau de hors-d’œuvre de la mer suffisant pour trois pirsonnes et un grand plat de bouquets géants bouillis, pur concentré de mer, à assaisonner à l’huile, sel et citron.

La soirée était paisible. Il disposa les couverts dans la véranda et se régala. Le tiléphone eut la courtoisie d’attendre, pour sonner, qu’il ait englouti le dernier morceau de crevette.

À cette heure, c’était sûrement Livia.

-Bonsoir, ma chérie, dit-il en se collant le combiné à l’oreille.

-C’est Bonetti-Alderighi.

Putain, Môssieur le Questeur qu’il avait tendrement appelé « chérie »! Il en resta coi. »

ce léger voile de mélancolie chez le commissaire donne au livre une nuance douce, presque tendre, mais la vigueur de l’équipe qui enquête évite que ça aille plus loin. Et tout ça est plein de tonus.

Magnifique opus ! J’en veux encore ! Je termine avec cette belle valse sicilienne.

« Le livre du roi », Arnaldur Indridason – éd.Métailié, traduit par Patrick Guelpa

ob_bd3b62926dd75a93c7daf29a624c2dfe_le-livre-du-roiJe viens de fermer ce « Livre du roi », lu avec plaisir, comme tout ce qu’a écrit Indridason jusqu’à présent. J’ai parcouru un peu ce matin les avis des lecteurs. Alors c’est sûr que ceux qui n’attendent qu’Erlendur et ses enquêtes seront désappointés, voire déçus. Ceux qui savent qu’Indridason est un écrivain au plein sens du terme seront comme moi assez bluffés par la capacité de l’homme à écrire dans des genres si différents, mais toujours avec le même sens des mots bien ajustés, et son intelligence aigüe qui crée sous sa plume des caractères humains d’une grande finesse. 

Quand j’ai lu les premiers articles sur ce livre, j’ai pensé à un Indiana Jones islandais ! L’aventure du vieux professeur alcoolique et de son jeune étudiant en recherche du père, cette quête, dans une course poursuite très réaliste de ce Livre du Roi ( Codex Regius, pièce majeure de l’Edda poétique ) dénotent aussi un auteur en phase avec la culture et l’histoire de son pays, avec la connaissance du patrimoine de l’Islande.

Skírnismál-748-2vMêlant des personnages réels à cette aventure, Indridason nous la rend plus crédible ; par exemple  Halldór Laxness, poète islandais, Nobel de littérature en 1955 , arrive en Islande à la fin du roman pour être honoré . Au récit de pure aventure, rendant tout ça ainsi plus profond, Indridason mêle l’histoire de la seconde guerre mondiale et la relation des nazis avec la culture nordique, la récupération et les interprétations que leurs idéologues ont pu en faire. Ce vieux prof alcoolo, qui arrête de boire tant  ce livre et sa quête l’obsèdent et l’occupent est très attachant, bien qu’extrêmement agaçant !

Quant à moi, j’ai aimé ce livre, même s’il n’est pas mon préféré, parce qu’il m’a donné envie d’en savoir plus sur ces manuscrits, sur ce pays et son histoire. Retournez sur  http://www.toutelislande.fr/  , vous y trouverez plein d’explications simples et compréhensibles par tous.

443px-EddaJe ne manquerai pas non plus de vous parler à nouveau de Patrick Guelpa, le traducteur, dont j’avais déjà parlé pour « Bettý », roman sans conteste parmi mes livres préférés. Il avait réalisé là  un tour de force tant la traduction avait dû être compliquée, et tant elle est réussie !

Two_V_C3_B6lusp_C3_A1_Dwarves_by_Fr_C3_B8lich_mVous pouvez lire sur ce blog ce que Mr Guelpa a gentiment accepté de me dire de la traduction de « Bettý »…en ne dévoilant rien de l’histoire, autre prouesse ! Eric Boury s’occupe d’Erlendur, et Patrick Guelpa a  donc traduit ces deux livres « hors série », et bien évidemment, « Le livre du roi » a dû lui convenir parfaitement parce que…c’est tout à fait son domaine : 

« Patrick Guelpa est Maître de Conférences habilité à diriger des recherches à l’Unité de Formation et de Recherches de l’Université Charles de Gaulle – LILLE III à Villeneuve d’Ascq (Nord)

Agrégé d’Allemand, Docteur en Études Scandinaves anciennes et modernes (Islandais), il enseigne la grammaire et la linguistique allemandes ainsi que l’islandais (langue, littérature et civilisation). Il effectue des recherches dans les domaines de la linguistique, de la littérature et de la civilisation comparées, spécialement dans le domaine de la mythologie nordique, des Vikings et des sagas islandaises en lien avec les autres mythologies indo-européennes (je suis membre du centre de recherche HALMA = Histoire, Archéologie et Littératures des Mondes Anciens). » ( bio Babelio )

M_C3_B6_C3_B0ruvallab_C3_B3k_f13r_mAlors pour finir, bon moment de lecture, même si certaines personnes seront déçues, forcément ça ne plaira pas à tout le monde, mais… ça existe, un livre qui plaît à tout le monde ?