« L’orangeraie » – Larry Tremblay, éditions ALTO/Coda

« AMED

L'orangeraie - Éditions Alto - Éditeur d'étonnant« Si Amed pleurait, Aziz pleurait aussi. Si Aziz riait, Amed riait aussi. Les gens disaient pour se moquer d’eux: « Plus tard ils vont se marier. »

Leur grand-mère s’appelait Shahina. Avec ses mauvais yeux, elle les confondait tout le temps. Elle les appelait ses deux gouttes d’eau dans le désert. Elle disait: » Cessez de vous tenir par la main, j’ai l’impression de voir double. » Elle disait aussi: » Un jour, il n’y aura plus de gouttes, il y aura de l’eau, c’est tout. » Elle aurait pu dire: « Un jour, il y aura du sang, c’est tout. »

Amed et Aziz ont trouvé leurs grands-parents dans les décombres de leur maison. Leur grand-mère avait le crâne défoncé par une poutre. Leur grand-père gisait dans son lit, déchiqueté par la bombe venue du versant de la montagne, où le soleil, chaque soir, disparaissait. »

Ce bouleversant petit roman m’a été offert, au Canada. Il se lit d’une seule traite, court, fluide, terrible. En 145 pages vibrantes, fluides et lumineuses, l’auteur nous livre pourtant une histoire affreuse, de ces histoires de guerre, de sacrifice incompréhensible à tout esprit rationnel, l’histoire d’une famille, père, mère et Amed et Aziz, jumeaux. De leur vie dans une orangeraie, leur ressource, leur lieu de vie. On entre dans le livre avec cette bombe qui détruit un pan de l’histoire familiale, les grands-parents, la merveilleuse Shahina dont la vie paisible s’achève dans la violence. 

640px-Orange_1271Des personnages de cette famille, unie, la mère Tamara est admirable, dénuée au fond d’elle de toute violence, avec pour seul objectif de vivre dans cette orangeraie, au jardin, avec ses fils qu’elle aime plus que tout. La voir souffrir a été un des moments sensibles de ma lecture, je l’ai aimée. Tamara, la clairvoyante, emmène Amed au jardin, pour lui parler:

« -Écoute-moi, Amed. Bientôt ton père entrera dans ta chambre sans faire de bruit pour ne pas réveiller ton frère, s’approchera de toi et posera sa main sur ta tête comme je l’ai fait moi-même tout à l’heure. Et toi, tu sortiras lentement du sommeil et tu comprendras, en voyant son visage penché sur le tien, qu’il t’a choisi. Ou il te prendra par la main, t’emmènera dans l’orangeraie et te fera asseoir au pied d’un arbre pour te parler. Je ne sais pas en fait comment ton père va te l’annoncer, mais tu le sauras avant même qu’il n’ait ouvert la bouche. Tu sais ce que ça signifie? Tu ne reviendras pas de la montagne. je ne suis pas au courant de tout ce que Soulayed vous a raconté, à ton frère et à toi, mais je le devine. Ton père dit que c’est un homme important qui nous protège de nos ennemis. Tous le respectent, personne n’oserait lui désobéir. Ton père le craint. Moi, dès que je l’ai vu, je l’ai trouvé arrogant. Ton père n’aurait pas dû accepter qu’il passe le seuil de notre maison. Qui lui a donné le droit d’entrer chez les gens et de leur enlever leurs enfants? »

L’histoire repose sur le sacrifice, l’idée de vengeance; on ne sait pas bien où se situe cette histoire, on le suppose, mais ça n’a aucune véritable importance, c’est le propos qui est universel. Et puis, au cœur de cette épouvantable action, voici Soulayed, la main vengeresse qui armera le corps d’un des jumeaux qui doit s’offrir en sacrifice pour venger la bombe sur la maison des grands-parents. Voilà, le nœud de l’histoire, c’est ça. Fanatisme guerrier et vengeur, déni d’humanité, il faut mourir en martyr. Et pire que tout il faut choisir qui le sera.

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Ce pourrait n’être qu’un livre sur la guerre, etc etc…Non. L’auteur, au-delà de ça, parle d’identité, d’amour, de lien, de famille. Et de chagrin. La fin est absolument bouleversante, magnifique. Qui dit que cette résilience qu’on met un peu partout n’est pas une évidence, ni toujours la clé du mieux être, et que parfois, garder un peu de cette colère nichée en soi, ça peut servir. Qui dit qu’aimer, perdre ceux qu’on aime, continuer à vivre sans, nous affaiblit mais nous consolide aussi, ainsi Amed/Aziz, devenu comédien, en conflit avec son metteur en scène. Aziz entre en scène:

« Aziz s’est avancé au centre de la scène. La lumière venant du plancher allongeait sa silhouette. Il ressemblait à une flamme très droite aspirée par le ciel. Il s’est adressé au public.

« Quel âge as-tu? Commet t’appelles-tu? Tu as le nom d’un père et l’âge d’un père. Mais tu possèdes bien d’autres noms et bien d’autres âges. Je pourrais te parler comme si tu étais mon frère. À la place de ta mitraillette que tes mains tiennent avec tant d’acharnement, tu pourrais porter autour de tes reins une lourde ceinture d’explosifs. Ta main serait sur le détonateur et ton cœur serait sur le mien. Et tu me demanderais de te raconter une histoire pour ne pas t’endormir afin que ta main, par inadvertance, n’appuie pas sur le détonateur. Et je te parlerais jusqu’à la fin des temps, cette fin qui est parfois si proche. »

Tragique, lyrique sans excès, mais surtout extrêmement touchant, voici un petit roman à découvrir absolument. Sur un sujet sensible, voici un texte qui frappe fort, à mon sens un réquisitoire contre la guerre d’une grande puissance de conviction. « L’orangeraie » a été couvert de prix à sa sortie en 2016, au Québec, en Grand Bretagne, en Allemagne, Belgique et Pays-Bas, en France avec le prix Folio des Lycéens et le prix Culture et bibliothèques pour tous.

Bref, un méchant coup de cœur.

Adaptation théâtrale, Théâtre du Trident ( ville de Québec )

« Les routes » – Damien Ribeiro-éditions du Rouergue/La brune

41i-4IvFqkL._SX195_« Sur les chantiers quand approche l’heure du repas, les hommes font taire les pelles dans de profondes bassines d’eau. Là, ils lavent leurs mains, rincent une tomate, une pomme, à grands éclats, puis l’un siphonne un peu d’essence dans la bétonnière, l’autre rassemble des sacs de ciment vides, des bouts de polystyrène, du bois de palette. La surface des bassines redevient lisse et se nimbe d’une pellicule calcaire tandis qu’on allume un feu. L’épaisse fumée fait croire à une tombée de nuit. »

Après ces phrases qui entament le roman, on assiste au repas de ces ouvriers du bâtiment, puis un court paragraphe parle des incendies qui chaque été embrasent le Portugal, parle des pompiers, de ce qu’ils sentent, ressentent et font. Et on accède ensuite à l’histoire qui se déroule de 1955 à 1995, trois générations d’hommes nés au Portugal, ceux qui y sont restés, ceux qui en sont partis, certains revenus, pas d’autres. Ce roman parle de l’exil de la génération de Salazar, ceux qui fuyaient. Puis ceux qui partaient plus tard, pour une vie « meilleure ». Hélène, l’épouse française de Fernando:

carnations-ge14b82236_640 » La révolution des Oeillets était vieille d’un an quand elle avait rencontré Fernando mais elle le considérait tout de même comme un réfugié politique. Pour principal acte de résistance, il déplaisait à ses parents; cela comblait ses aspirations de grand air, de révolte et d’horizon. Pour lui plaire déjà, elle avait appris les paroles de la chanson Grãndola, Villa Morena qui figuraient à l’intérieur de la pochette du disque de José Afonso. C’est la chanson de votre révolution, tu devrais la connaître. Vous avez mis fin à la dictature sans aucun coup de feu, tu te rends compte? Les Français ont coupé des milliers de têtes et vous, pas un mort, avec des militaires à la manœuvre en plus! » Un œillet rouge avait fleuri au Portugal et chacun projetait ses rêves sur le petit État. »

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Ainsi de 1955 à 1995, on suit des hommes, de la même famille, mais qui s’éloignent inexorablement les uns des autres. Par leurs choix, par leurs perspectives de vie, ceux qui restent, ceux qui partent et parfois reviennent, un peu, mais pas pour toujours.  Le dernier homme c’est Arthur, dont le prénom, choisi par sa mère française rompt définitivement les amarres avec la famille portugaise, sauf qu’Arthur ressemble, sous ses airs un peu inconsistants, à un nouveau prototype. Fernando, son père l’entrepreneur, celui qui « réussit » en bâtissant des maisons « contemporaines et design « , Fernando est l’axe de ce roman. Fernando et son fils qui ne réussit pas au football:

« Arthur n’avait rien du fils Guimarães. Et si sa pratique du français lui avait donné une impression idiote de sophistication? S’il avait voulu qu’Arthur fût le fils de Guimarães ou n’importe lequel des autres gamins de ses compatriotes doué avec un ballon, Fernando aurait peut-être dû lui apprendre la rudesse du portugais. Il y avait renoncé par orgueil, presque par superstition, pour faire cesser une espèce de malédiction révélée par Hélène: » C’est bizarre, tu es portugais, mais tu n’as aucun accent, ou alors un léger accent de Marseille. Tous les autres, quand ils parlent, on croirait des Lisboètes expliquant son trajet à un touriste français. Tes copains, ils vivent ici depuis  dix ans, on dirait qu’ils sont encore là-bas. » Même s’il partageait son avis, cette remarque l’avait blessé. »

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Je ne vois pas quoi vous dire de plus. Ce roman n’est pas un livre d’action, on le lit en observateur genre entomologiste, mais ce serait trop froid, il y a un déchirement dans les personnages, y compris chez Fernando. J’ai beaucoup aimé cette histoire, avec un peu d’affection pour ceux qui restent, et puis, et puis, une fin tragique et magnifique, qui se lit comme une allégorie, de la solitude, de l’incompréhension, de la destruction…Ce que dit Damien Ribeiro, clair et bien sûr juste:

En commençant cette lecture, je n’étais pas certaine d’y trouver beaucoup d’intérêt. Qu’est ce qui a fait que finalement je l’ai lu avec plaisir – un plaisir grandissant au fil des pages?. Grâce au ton, ironique et doux amer, tendre parfois et rude aussi, grâce à une écriture pleine de finesse. Bref, très bien écrit, on ne s’attache pas spécialement à un personnage ou à un autre, on les observe, s’éloignant les uns des autres, avec des envies différentes, des choix différents. Je trouve que c’est une réussite.

Finir avec la grande Amãlia Rodrigues, et ce pays qui inspire le respect et l’affection:

« Personne en avait rien à foutre de Carlotta » – James Hannaham, Globe, traduit par Cécile Deniard ( USA)

Personne en avait rien à foutre de Carlotta par Hannaham« Deux décennies et des pouces après sa condamnation, Carlotta Mercedes se préparait pour son cinquième passage devant la commission de libération conditionnelle de l’État de New York. Elle savait que ses nombreuses années de mitard ( H23 et 7 jours sur 7, sans télé, sans radio, sans livres, ni contact physique agréable) la planteraient sans doute de nouveau cette fois-ci. Avec tous ces séjours au trou, elle n’avait pu finir aucun de ces programmes de désintox qui plaisaient tant aux crânes d’œuf. Mais être restée trop longtemps à l’isolement n’était encore pas le pire de ses handicaps. Mauvais comportements, qu’y disent ces connards, mais pour eux mauvais comportement c’est si tu gueules quand un maton t’fouette comme un fudge cake Betty Crocker. Pourquoi est-ce qu’on n’arrêtait pas de la frapper? »

Eh bien voici un drôle de roman à savourer pour sa verve, son humour ravageur et rageur, pour Carlotta, évidemment, un superbe personnage tour à tour drôle, émouvant et très intéressant. Carlotta Mercedes, ce n’est pas n’importe qui, une sorte de prototype de personne courageuse, pleine d’une pulsion vitale incroyable, à la langue bien pendue. Mais pour moi, Carlotta est surtout bouleversante. Voici un livre pour lequel il faut saluer chapeau bas la traductrice. C’est je suppose un tour de force que de rendre en français le langage, la langue de Carlotta, son débit de parole, ses tournures de phrases improbables, et le contenu argotique, mais pas seulement, on se dit que la langue de Carlotta n’appartient qu’à elle; elle dit des choses qui font frémir, vibrer, pleurer ou rire, mais Carlotta sait parfaitement s’exprimer au sens strict du terme. Bref, bravo, vraiment, parce que l’ensemble se tient en un souffle haletant, et se lit de même. Les extraits seront un peu plus longs que d’habitude, car Carlotta n’est pas très laconique pour mon plus grand plaisir. Commission de libération conditionnelle:

american-flag-gca4c81e2f_640« Un petit sourire réussit tout de même à se frayer un chemin jusqu’à ses lèvres -si faux qu’il lui fit l’effet d’une couche de cire chaude sur son vrai visage. De nouveau, elle déglutit et de nouveau elle dit ce nom, si fort que c’en devenait presque une moquerie. Elle fit semblant de croire qu’on lui avait demandé le nom de son frère. Dustin Chambers.

-Parfait, monsieur Chambers, continua l’autre. Je vois ici que vous avez purgé vingt ans d’une peine de vingt-deux ans assortie d’une période de sûreté de douze ans et demi pour un braquage à main armée.

Carlotta confirma d’un signe de tête. Sans compter l’année de détention provisoire, mais on va pas chipoter et répondit: « C’est exact. » Comment j’ai pu tenir vingt et un ans et plus, c’est que j’suis une putain de bruja*. »

Carlotta est transgenre, Carlotta sort de prison, et elle va nous raconter ce qu’elle y a vécu – l’enfer – et ce qu’elle y a appris, elle va nous raconter sa sortie, la perte de tous ses repères dans sa ville, son quartier, et avec les siens, famille et connaissances. Retour au monde:

site-gc1d345e02_640« Quand elle arriva à la porte et découvrit la coulée de boue humaine qui déferlait dans la 42e, elle se fit l’effet d’un éléphant d’Afrique un peu simplet qui essaierait de s’incruster dans un jeu de corde à sauter. Les buildings vomissaient des Asiatiques et des Blancs, à fond dans le personnage du Cadre Sup pour qui n’existe rien d’autre que son portefeuille d’actions. Des chauffeurs de taxi du Moyen-Orient la klaxonnèrent – peut-être pour lui faire du gringue, peut-être pour l’insulter, peut-être simplement pour qu’elle libère le passage. Des Latinas et des Sud-Asiatiques traversaient en dehors des clous, et un jeune Black avec une monumentale coupe afro filait à toute vapeur sur le trottoir, fendant la foule furieuse. Le brother en a pas rien à foutre de rien, j’adore. Tout là-haut dans le ciel, des poutres IPN rouge vif suspendues à une grue d’une hauteur phénoménale tournoyaient, instables, dans la stratosphère. »

Seule Doodle, son amie, va être présente vraiment pour l’épauler. Et suivre ces deux nanas en goguette, ça n’est pas triste. Des scènes extrêmement drôles, beaucoup, et en fond sonore de la lectrice le cerveau de Carlotta qui discute avec lui-même, et puis en ce qui me concerne, le cœur serré souvent, beaucoup d’émotion et de compassion, mais pas juste ça, de l’affection pour cette personne qui sait très bien qui elle est, mais que les autres ne discernent que de manière floue, hésitante, indéfinie.

Rencontre avec Lou, la conseillère d’insertion:

« Elle hocha la tête. « Merci d’être arrivée jusqu’à nous, Carlotta.  Sincèrement, on est passés à deux doigts du viol. »

-À deux doigts de quoi? Du viol? » s’indigna Carlotta. Elle se tourna sur le côté, croisa les jambes et, par habitude, se prépara à se faire agresser. Au secours, est-ce que ça va être comme au bloc D, où ça viole à tout va, genre On est plus en sécurité nulle part, ma pauv’ dame, avec les surveillants qui participent et qui font mine qu’y s’est rien passé, même que tu vas voir ces connards pour porter plainte? Merde, ils l’écrivent carrément dans les rapports: Y A PAS PERSONNE QU’A VIOLÉ PERSONNE. C’est quoi, l’idée? Le système tout entier te viole et t’as juste qu’à fermer ta gueule?

Lou se prit le front entre le pouce et l’index et serra comme un étau.[…]. « Que je suis bête! J’ai trop l’habitude de notre jargon et personne ne m’a jamais reprise. Je voulais simplement dire qu’on était à deux doigts d’un viol caractérisé de vos clauses de remise en liberté. Mais vous avez raison, c’est un mot extrêmement malheureux. Je ne vais pas vous toucher, Carlotta. »

Carlotta Mercedes est bien une femme. Dire ça à son fils, à sa mère, à tout le monde…C’est le parcours chaotique de cette superbe Carlotta qui nous est conté. 

La prison d’Ithaca et les viols, 20 ans dans la violence, l’abomination des conditions du quotidien, il a fallu à cette chère Carlotta une résistance titanesque pour survivre à tout ça. Mais Carlotta, de nature, a de la joie en elle, de la sensibilité, elle est tellement attachante et émouvante. Pourquoi vous en dirais-je plus? Les scènes de la fête funéraire, le bazar à tous les étages, et Carlotta, au milieu de tout ça, qui cherche à trouver sa place, dans sa maison, mais dans les cœurs…elle a conquis le mien. Sur un sujet « casse-gueule », une œuvre vive, brute, sans afféterie  – c’est le moins qu’on puisse dire – et extrêmement touchante et tendre.

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Conversation entre Doodle et Carlotta, à propos du fils, Iceman, qui joue à Super Mario non stop enfermé dans sa chambre en compagnie de Dieu:

« Doodle prit sa voix la plus douce. « En même temps, on peut comprendre ce jeune homme, qui s’est cherché un père toute sa vie, dit-elle en désignant Iceman d’un geste plein de tact. Et là…

20180922_163408-Et là, quoi? Y se retrouve avec moi? Spère que vous savez faire la différence entre « un père » et moi, d’accord? C’est comme ces enfoirés qui disent « un Noir » pour Barak Obama, comme si c’tait le premier négro venu qui dort dans le métro et pas un individu qu’a réussi des trucs en veux-tu en voilà, qu’est couvert d’étoiles d’or et tout, qu’a fait des choses que même les Blancs sont pas capables de faire. Lors si ce que tu veux, c’est « un père », va falloir que tu révises ta conception de ce que ça veut dire ou que tu fasses avec ce que t’as devant toi. Y a pas tromperie sur la marchandise, comme disait Géraldine. » Telle une pin-up, Carlotta mit les mains à la taille et se déhancha. »

Donc, je mets quelques phrases, pour vous donner une idée du ton, mais surtout, je vous invite à découvrir ce roman incroyable, déjanté et admirable. Et la belle Carlotta aux chaussures dépareillées, face au monde. Coup de cœur évident.

Lou :

« -Pour tout vous dire, moi aussi je fais partie de la communauté de l’alphabet LGBTQIA+. La beauté de la chose, c’est qu’une fois qu’on a dit ça, les gens sont quand même obligés de deviner à quelle lettre on correspond. »

Et une chanson, choisie dans la bande-son conséquente de ce roman jubilatoire.  Dur de choisir entre toutes les versions, j’aime bien celle-ci, qui doit faire du bien à Carlotta, quand elle fait son échappée au bord de mer, vers la fin du roman

« Proies » – Andrée A. Michaud, Rivages/Noir

Proies par Michaud« La Brûlée »

Mardi 18 août

Le mardi 18 août d’une année dont on se souviendrait plus tard comme d’une année de deuil et de stupéfaction, trois adolescents de Rivière -Brûlée, un village perdu parmi les collines, avaient quitté la maison familiale sitôt après le déjeuner, aussi excités que s’ils partaient escalader l’Everest, pour aller camper près de la rivière qui avait donné son nom à leur localité, un cours d’eau ayant depuis longtemps oublié les feux qui avaient ravagé ses rives à l’époque où la région ne comptait que quelques âmes. »

Revoici Andrée A. Michaud au mieux de sa forme. Je n’ai pas lâché ce roman et me le suis engrangé en peu de temps. Comment dire à quel point j’aime cette plume? 

D’abord pour les raisons suivantes. Cette femme a un sacré tempérament, ça se sent vraiment dans sa façon d’écrire et ça ne se perçoit pas trop quand on la voit. Pour l’avoir « rencontrée » pour la seconde fois aux Quais du Polar, c’est une femme plutôt taiseuse, discrète, peut-être plus à l’aise dans l’écriture que dans la parole. Si c’est pour écrire comme elle le fait, aucun problème. Ce livre est pour moi une grande réussite, tant pour la qualité de l’écriture que pour celle du « scénario »  et du fond de cette histoire. Comme dans ces autres livres, elle situe ses personnages dans une zone de campagne, forêts, rivières, une communauté villageoise qui vit au rythme des saisons, ici enfin l’été, court, donc qui donne lieu à des fêtes où tout le monde se rassemble. Une vie de village, quoi. Tout le monde se connaît, et en apparence sous le soleil règne la paix. 

Ainsi, trois jeunes gens, Abigail- Aby Baby- Alex et Judith, Jude, ont décidé de camper trois jours au bord de la rivière, celle qui donne le nom du village, Rivière Brûlée. Dans une ambiance joyeuse, ces trois jeunes amis s’en vont, et doivent rentrer pour la fête annuelle du village. 

20180927_230126« Lorsque Jude, Abe et Alex avaient pris la route avec sur leur visage ce sourire espérant l’infini, rien ne laissait présager que la folie dont ils s’apprêtaient à croiser le chemin ferait entrer les loups des contes, avec leurs dents acérées et leurs gueules baveuses, dans une région n’ayant entendu leurs hurlements qu’aux premiers jours de la colonisation, quand des hommes aux mains noueuses abattaient des arbres qui, dans leur multitude, semblaient repousser au fur et à mesure, les empêchant de voir les ombres qui rôdaient. »

Non, en ce jour d’insouciance, seuls quelques nuages s’élevaient à l’horizon, qui amèneraient peut-être un peu de pluie aux campeurs le lendemain. »

Dans cet extrait, l’autrice nous avertit, on sait que ces jeunes gens vont au devant de moments pénibles, on ne sait pas encore à quel degré et comment. Mais ce procédé au lieu de tuer le suspense, nous met en tension, nous qui lisons et nous enfonçons dans la forêt avec ces trois adorables jeunes gens. Qui d’ailleurs aiment jouer à se faire peur. En quelques pages, le décor est campé, ainsi qu’une galerie de personnages, parmi lesquels quelques uns, on le comprend, sont un peu marginaux pour diverses raisons. Et puis il y a les amis, des villages voisins, la communauté est accueillante et tant que le calme règne, tout va bien.

Bref, la plume d’Andrée A. Michaud s’en donne à cœur joie avec ces portraits, ces scènes de vie aussi, dans lesquelles elle nous présente les familles, parents et enfants, les personnes qui comptent et celles qui se contentent d’être là à certains moments. Nos trois jeunes gens, avant de partir, ont décidé de se donner des frissons et ont regardé « Déliverance »:

popcorn-gb7663a3a6_640« Ils avaient  glissé le DVD dans le lecteur et, tout en plongeant les mains dans un énorme bol de pop-corn, ils avaient regardé les gars entrer dans le bois. Au bout de quelques minutes, le pop-corn passait de travers et ils s’étaient calés dans les coussins du sofa, faut que j’aille pisser, tu iras tantôt, devinant, bien avant la fin du film, que cette histoire se terminerait mal. »

Puis. Comme ce tableau idyllique n’est pas tenable, nous entrons dans la forêt derrière les trois jeunes gens, ils posent leurs tentes, rient, profitent de cette escapade. Ce ne serait pas de Mme Michaud si n’arrivait une menace presque silencieuse. Des yeux les regardent qu’eux ne voient pas mais sentent peser sur eux et soudain la forêt où on se sent libre se referme comme un étau, sous une menace invisible. Quelqu’un est là, c’est sûr, quelqu’un les regarde et la peur arrive. Je brûle de vous raconter, mais évidemment que je ne le ferai pas ! L’écriture est LE grand plus de cette histoire, comme des précédentes. C’est juste, toujours. On est immergé par cette plume précise, poétique et surtout qui sait manipuler et ses personnages, et les lecteurs pour les faire frémir et plus encore. Alors qu’une présence invisible mais palpable, flotte sur le campement:

« Mais on était pas dans « Deliverance ». On était au foutu royaume du bois de chauffage, où ce qui pouvait vous arriver de pire consistait à vous vomir les tripes au cours d’une partie de chasse bien arrosée ou à tomber nez à nez avec une moufette qui s’est levée du mauvais pied. Fini le niaisage, avait décrété Jude, elle était venue ici pour s’amuser et elle n’allait pas laisser un imbécile déguisé en courant d’air lui gâcher son plaisir. »

20180928_163122Il y a dans ce roman tout ce que j’aime et admire chez cette autrice. Un regard distancié, un œil d’entomologiste presque, un entomologiste qui donne un petit coup dans une fourmilière et regarde ce qui s’y passe. Ensuite, il y a l’intérêt qu’elle porte aux adolescents, avec toujours une grande tendresse, une grande justesse, beaucoup de respect et jamais cette forme de mépris qu’on leur voue parfois. Et envers et contre tout, un humour qui permet une pause respiratoire! Les trois jeunes, deux filles et un garçon, pris dans un traquenard, vont fuir, et je m’arrête là. Au village, la fête bat son plein et on découvre les parents, les gens qui comptent et ceux venus de l’extérieur. Gilbert Lavoie se remémore cette foire avec sa fille Jude alors âgée de onze ans:

« Jusqu’à ses onze ou douze ans, Jude devenait d’ailleurs intenable dès que la foire approchait. Eh, papa, tu vas m’amener voir les cochons, hein? Eh, papa, tu vas m’acheter un suçon cinq couleurs pis tu vas me gagner un ourson, hein, promis, ou une girafe, ça fait pareil. Du haut de sa petite taille, elle le suivait en tirant  les pans de sa chemise pour être bien certaine qu’elle prendrait un poussin dans  ses mains, un lapin dans ses bras, et qu’elle se gaverait de cochonneries. Avec l’âge, elle avait quelque peu déserté la foire. »

Tout cela dans une langue qui bien que québécoise n’en fait pas du « folklore » – l’autrice s’en est expliquée en conférence face à un modérateur qui n’était pas à la hauteur, vraiment pas. Et on comprend peu à peu, nous, extérieurs à l’histoire, ce qui remet en question l’apparente quiétude du village. Tout ce qui va se passer dans cette forêt si belle qui devient tout à coup si dangereuse et menaçante, je vous laisse le découvrir. Chez Shooter, avec Gerry, au village 

 » Empêtré dans son dernier rêve, Gerry avait râlé que le divan de Shooter était une ruine et qu’il avait une soif du diable. Shooter lui avait indiqué la cuisine, va te servir toi-même. Les yeux chassieux de Gerry et sa barbe d’une semaine, à laquelle adhérait un filet de salive, lui avaient donné envie de vomir. Comment avait-il pu devenir copain avec cette loque? Il voyait désormais Gerry tel qu’il était, un raté, un taré, et regrettait le jour où il était allé s’asseoir avec lui au bar du village, une dizaine d’années plus tôt, un peu fêlé mais drôle, et ç’avait été le début d’une virile camaraderie à laquelle l’alcool avait servi de liant. »

Je n’ai pas lâché ce roman, qui même s’il fait frémir, est aussi plein d’une grande et juste sensibilité. Juste, parce qu’Andrée Michaud ne force jamais le trait. Des vies ordinaires qui tout à coup se trouvent bouleversées. Très beaux personnages féminins aussi, et on s’attache fort aux trois jeunes gens. Bien sûr la police locale, aidée par des collègues américains ( le village, situé en Estrie, côtoie la frontière du Maine ) va se mettre au travail devant l’absence des jeunes gens au point de retour, quand les recherches des villageois échouent et que l’angoisse monte. Chouinard:

IMG_2769« Il aurait tout de même voulu ramener un cadavre avec un peu de chair dessus, pour les parents, pour qu’ils touchent cette chair de leur chair avec des gestes attendris, Alexandre, mon bébé. Un peu de peau sur les os, s’était-il répété, un peu de matière qui rendrait le gamin reconnaissable par-dessus la forme du visage ou des épaules, un peu de sang figé, des cheveux sur le crâne. » 

Croyez moi, si on commence, on ne s’arrête pas. En tous cas, moi j’ai adoré ce livre, avec parmi les personnages, autres que les jeunes gens, Laurette et Marie, et puis le chef Chouinard et Bennett et ces mères et pères effondrés et désespérés.  Depuis Bondrée, je lis cette plume originale, étonnante, qui dans un décor de ceux qu’on fantasme quand on pense au Canada installe des crimes affreux, des flics provinciaux et des gens « ben ordinaires ». Formidablement construit, écrit, j’en dit peu pour que vous puissiez vous délecter de cette lecture . J’aime et admire Andrée A. Michaud et ce livre entre parmi ceux que j’ai préférés. Tout au long du livre, cette chanson:

« Les gardiens de la maison » – Shirley Ann Grau – Belfond/ Vintage, traduit par Colette-Marie Huet ( USA)

Les gardiens de la maison par Grau« Abigail

Les soirs de novembre sont calmes, silencieux, secs. Les arbres dénudés par le gel et l’herbe décolorée  luisent dans le demi-jour. Dans les champs dépouillés par l’hiver, les affleurements de granit ressortent, tout blancs. Les ossements de la terre, comme les appellent les vieilles gens.  Au fond de la faille la plus profonde – au sud-ouest, du côté où le soleil, compact et rouge, s’est couché un peu plus tôt – , la Providence reflète un rien de lumière grise. La rivière est basse à cette époque de l’année où les pluies sont rares. Elle réfléchit le ciel, faiblement, tel un vieux miroir. »

Ainsi commence ce beau roman, avec le personnage d’Abigail qui est celle qui clôt le livre. Ce premier chapitre en introduction se situe temporellement au même temps que la fin. Ainsi, en une boucle, l’auteure relate l’histoire d’une famille riche de Louisiane, sur 150 ans, prenant à rebours une grande part de la littérature de l’époque. Et puis c’est une femme qui écrit, qui parle et en fait parler d’autres. Et c’était rare aussi. La rencontre de Margaret avec William, au grand nettoyage de  la maison flottante:

« Quand l’eau baissait, il retrouvait la maison à sa place. Aidé des hommes de sa famille, il bâtissait de nouvelles fondations sur lesquelles il la hissait. Les femmes en lavaient l’intérieur à grande eau pour la débarrasser de la boue et des animaux crevés qui y étaient restés pris au piège. et ensuite tous s’installaient pour les dix mois suivants.

-J’ai entendu parler de lui, dit William. Tu es sa fille?

-Sa petite – fille.

Il sourit de la promptitude avec laquelle elle avait corrigé.

-Bien sûr que tu n’es pas assez vieille pour être autre chose que sa petite-fille.

-J’ai dix-huit ans, dit-elle.

William se contenta de sourire en hochant la tête.

Elle ajouta:

-Je m’appelle Margaret.

Ce fut ainsi que cela commença. Ce fut ainsi qu’il découvrit Margaret lavant du linge dans un ruisseau qui n’avait pas de nom. »

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Ce roman subtil dans son propos ( ne pas oublier qu’il a été écrit en 1965 ) est d’une construction parfaite, dans une langue extrêmement belle et soignée ( dire ici merci à la traductrice ) m’a enchantée, épatée, parce que je pense que les femmes qui s’exprimaient à cette époque aux USA étaient rares, en tous cas sur ces sujets brûlants et il est temps de les découvrir. Cette collection des éditions Belfond m’a souvent offert des textes superbes . Car si cette époque est riche en très brillantes plumes, les hommes y sont nombreux. Alors proposer le regard d’une femme, celle qui écrit et celle qui vit dans ce roman, la narratrice principale, c’est un vrai cadeau. Abigail, celle qui va nous emmener jusqu’au bout de cette histoire:

« La mémoire est une chose curieuse. Il y a des périodes de ma vie- des mois et même des années – dont je ne me rappelle absolument rien. Ce sont simplement des blancs que rien ne vient jamais remplir. 

Et j’ai essayé de les remplir. Parce que, je ne sais trop comment, je m’étais mis dans la tête que si j’arrivais à me souvenir, à retrouver tous les morceaux, je comprendrais enfin. Et j’ai eu beau faire, je n’ai rien trouvé. Les morceaux se sont perdus je ne saurais dire où… »

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Voici l’histoire donc d’une riche famille blanche de Louisiane. Voici l’histoire d’un homme, William Howland qui sera à l’origine des ennuis futurs de sa descendance, à l’insu de cette descendance, jusqu’à Abigail. William qui n’en finira pas de surprendre.

Je ne vais bien sûr pas en dire trop, mais je veux parler de la beauté de l’écriture, qui ne manque pas de vivacité ni d’ironie, et qui dépeint avec douceur la nature de cette région et ses habitants avec, pour ceux-ci, beaucoup de causticité.

Par exemple, un de mes passages préférés est celui où William, encore jeune, décide de se promener en bateau sur le bayou. Et porté par la tranquillité du fil de l’eau, il va se perdre dans sa promenade. Ces pages sont absolument magnifiques, tant elles rendent hommage à ces paysages où l’homme n’est pas forcément le bienvenu, mais aussi pour le portrait de William, comme mis à nu, hors du regard des autres, dans un laisser-aller que je trouve romantique, paisible, un homme remis à sa place dans les éléments, jamais il ne s’inquiète, jamais il n’a vraiment peur, il se contente de se laisser porter et de redevenir presque animal, ou végétal sur son petit bateau sur l’eau, il se contente de se fondre au décor sauvage. Mais c’est aussi, sans doute, parce qu’il sait que sa route va lui réapparaître. Bref, c’est un de mes passages préférés.

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William, puis Margaret et Abigail. Margaret a droit au chapitre entre les deux dans lesquels  Abigail nous parle. Car Margaret est comme le grain de sable dans les rouages de cette famille riche. Car Margaret est noire, mais pas seulement. Et je n’en dis pas plus. Quant à Abigail, elle se marie avec un ambitieux, elle fait des enfants, des filles puis enfin un garçon. Elle réintègre la maison et ferme de son grand-père William avec son époux dans une bourgade bien comme il faut. Le mari ambitieux vise le poste de gouverneur; souvent absent, Abigail languit. William son grand-père est avec elle à chaque instant dans son esprit, elle l’a aimé. Il lui a laissé Margaret, cette digne femme noire d’ébène et secrète qui fut à leur service, et dont les enfants un à un la quitteront. Femme étrange Margaret, intelligente et avec un côté féroce aussi. Abigail épouse donc John Tolliver, du comté de Somerset – extrait long, pour une fois, car nécessaire –  :

« De tous les comtés de l’État, aucun n’avait un passé aussi sombre et aussi sanglant que ce comté de Somerset, situé à l’extrême nord. C’était là-haut que pendant toute la première partie du XVIIIè siècle on trouvait ces plantations réservées à l’élevage des esclaves. On y élevait les Noirs pour les vendre comme du bétail. Cela rapportait de l’argent, amis rien d’autre. Même à cette époque on ne faisait pas grand cas des trafiquants ou éleveurs d’esclaves. On se servait chez eux, mais – comme avec les commerçants juifs – une fois loin, on crachait par terre pour se débarrasser du goût. Le mécontentement et l’agitation régnaient en permanence dans ces stations d’élevage. C’était souvent de là  que partaient les révoltes d’esclaves. La plupart étaient étouffées avant d’avoir pu gagner les comptés voisins. Mais parfois elles se propageaient dans tout l’état. Vers 1840, il y en avait eu une très violente, qui avait laissé une belle traînée de maisons incendiées et de cadavres pendus aux arbres. Quant aux Blancs du comté de Somerset, ils étaient violents eux aussi. Les voyageurs de cette époque ne manquaient jamais de frissonner et de tenir prêt leur fusil quand ils s’engageaient sur ce tronçon de la piste du nord. Pendant la reconstruction, des querelles de famille avaient éclaté, et vingt ans durant les blancs s’étaient entretués. Une fois ces querelles réglées, il ne resta plus qu’une seule famille, du nom de Tolliver. »

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Oui, c’est une histoire de famille avec des secrets plus ou moins secrets, mais un qui sera le désastre pour les ambitions de John, le mari d’Abigail. Et pas des moindres à cette époque et dans ce lieu. On a aussi un autre regard sur le racisme et la ségrégation, sous l’œil de cette femme, sous la plume de Shirley Ann Grau, toute en nuances. La fin est une sorte d’apothéose et Abigail est absolument surprenante. J’ai aimé ce personnage, mais aussi William et sa dérive sur le bayou. Et puis Oliver et Margaret. Quant à la population environnante, on peut se dire que pas grand chose n’a changé depuis 1965…

Lire un prix Pulitzer de 1965 c’est suivre un véritable cours d’histoire passé au filtre d’une plume incisive et d’un regard de femme. Elle a fait preuve d’un grand courage, d’un grand culot, Shirley Ann Grau, pour écrire ce livre à cette époque. On y lit des mots choquants, elle y décrit des scènes et des mots infâmes sortent parfois de la bouche de ses personnages, mais le cœur du livre est d’un grand courage en ce temps.

Les éditions Belfond m’ont très souvent comblée avec ces livres « Vintage » ( par exemple une réédition de » La route au tabac » d’ Erskine Caldwell ou « Novembre » de Joséphine Johnson ), et une fois de plus, bravo.

La fin de ce livre est terrible, en voici juste les deux dernières phrases:

« Je continuai à pleurer pour finir par glisser au bas de ma chaise. Et je pleurai encore par terre, recroquevillée comme un fœtus sur le plancher froid. »

Une chanson, Nat King Cole, « Mona Lisa »