« Les morts d’avril » – Alan Parks, Rivages/Noir, traduit par Olivier Deparis ( Ecosse )

« 12 avril 1974

-Qui voudrait faire exploser une bombe à Woodlands? s’étonna McCoy. C’est le trou du cul de Glasgow.

-L’IRA ? proposa Wattie.

-Pourquoi pas? C’est vrai qu’on est le Vendredi saint. Mais je ne suis pas sûr que faire sauter une loc merdique à Glasgow soit le meilleur moyen de frapper l’establishment britannique. C’est pas les Chambres du Parlement, quoi.

Plantés au milieu de West Princes Street, ils contemplaient les vitres soufflées et le grès noirci de la façade du numéro 43, là où se trouvait l’appartement en question. »

Ainsi commence ce 4ème mois des aventures de Harry McCoy, et de son adjoint Wattie. Et quelle réussite ! On commence dans le vif du sujet, des bombes sont posées, une explose dans une église, la seconde dans un appartement miteux, réduisant en charpie celui qui la bricolait. Bien sûr, l’IRA arrive à l’esprit de tous. Mais laisse sceptique notre flic préféré. Il souffre terriblement de l’estomac, et ne craint rien plus que la vue du sang. Ce qui n’est pas anodin dans sa fonction.

Cet épisode le mettra d’ailleurs à rude épreuve, L’enquête est ouverte, sous les ordres de Murray, plus coriace que jamais. Sans compter la sortie de prison de Cooper, compagnon d’enfance de McCoy dans les « foyers » pour enfants à l’abandon et en perdition. Ce lien entre les deux hommes, le flic et le truand, est un élément important dans ce roman, tant Cooper sait jouer de cette connivence de l’adolescence, comme il sait  jouer sur la corde sensible de Harry McCoy, et tant McCoy reste attaché malgré tout à ce bandit. Qui sort de prison:

 » -Alors, c’était comment? s’enquit McCoy. T’as pas fait tomber ta savonnette dans les douches?

Cooper haussa les épaules. Ne rit pas.

-C’est tout? Tu as fait près de six mois de taule. Il a bien dû se passer quelque chose.

-Tu veux vraiment le savoir? demanda Cooper.

McCoy acquiesça, soudain un peu hésitant.

-Eh bien, va me chercher une autre pinte et je te raconterai.

McCoy alla au comptoir et se demanda ce qui lui semblait différent chez Cooper. Rien, en fait, il retrouvait le Cooper des débuts, avant qu’il ne devienne un gros bonnet de la pègre protégé par ses troupes et son argent. Le Cooper qui n’avait rien à perdre et ignorait la peur. Le Cooper dangereux. McCoy avait d’autant moins de chances d’obtenir ce pour quoi il était venu à Aberdeen. Mais bon, il fallait essayer. »

Les maux d’estomac et la phobie du sang sont importants aussi dans le portrait de McCoy. Ils dénotent quelque chose de profondément ancré en lui, un point faible peut-être contre lequel il lutte souvent. Même s’il n’est pas un « fier à bras », cet homme, un homme avant tout, n’est pas dépourvu d’empathie quand il le faut. Ni de saine colère, ni de rigueur. 

Quand il va rencontrer Andrew Stewart, qui cherche son fils Donnie, engagé dans la marine, notre McCoy va commencer une enquête pour retrouver ce jeune homme et découvrir pas à pas quelque chose de sidérant, par sa violence, par son cynisme aussi.

« -Où est Donny Stewart? C’est l’un d’eux? C’est l’un de tes soldats?

Lindsay rit.

-Non, Donny était appelé à de plus grandes choses. Il devait faire partie des Morts d’avril…

-Il devait quoi?

Lindsay le regarda, il réussit à fixer ses yeux sur lui pendant quelques secondes.

-Midi.

-Quoi? Qu’est-ce qui se passe à midi?

Les yeux de Lindsay se fermèrent, sa voix ne fut guère plus qu’un murmure:

-Boum!

-Quoi? Où? Où ça? Dis-moi!

Pas de réponse. McCoy le secoua mais c’était peine perdue, il était évanoui.

Il le reposa sur les oreillers, s’assit sur le bord du lit et prit sa tête dans ses mains. Il avait affreusement mal à l’estomac. Un nouvel attentat, peut-être plusieurs. Il savait ce qui allait arriver de grave. Le chaos. Et apparemment, il avait contribué à le déclencher. »

Quant à Wattie, il est de plus en plus attachant, y compris pour McCoy. C’est ce que j’aime dans cette série et en particulier dans ce 4ème volume. Les sentiments d’amitié sont mis en avant, importants, difficiles – dans la relation entre McCoy et Cooper en particulier – mais irrépressibles. Le duo fonctionne de mieux en mieux au fil des enquêtes. Et puis ce père américain qui cherche son fils est touchant, sans que jamais on ne tombe dans la mièvrerie – évidemment, me direz-vous, on parle ici d’Alan Parks et de sa plume acérée ! – 

Voilà pour moi un grand bouquin, un grand plaisir à le lire. Et notons la couverture, cette série « empruntant » les photos de Raymond Depardon, sa collection sur Glasgow ( que j’ai pu voir à Lyon )..

Remarquable en tous points, on commence et on ne s’arrête pas jusqu’à l’arrivée sur une fin ouverte et si bien ficelée qu’on attend le mois de mai de Glasgow avec impatience !

« Transformer l’Écosse ne l’intéressait plus, ça ne l’avait jamais passionné, mais c’était ce que voulait Lindsay et ça lui avait suffi. Ce qui l’intéressait à présent, c’était l’homme qui l’en avait empêché. L’inspecteur Harry McCoy. Mais rien ne pressait. McCoy n’allait pas s’envoler, et il avait besoin de temps pour fignoler son plan. Il n’échouerait pas, cette fois. »

Court chapitre de l’auteur en fin de roman sur ses sources d’inspiration, très intéressant. J’aurais pu choisir « Brown Sugar » ou « Purple Haze », mais non, on entend ça aussi au Paul Jones, à Dunoon, dans ce pub plein de jeunes gens.

« Le tueur au caillou » – Alessandro Robecchi, – L’aube Noire, traduit par Paolo Bellomo avec le concours d’Agathe Lauriot dit Prévost

« NOVEMBRE 2016

Peut-être qu’il aurait dû pleuvoir.

Le tueur au caillou par RobecchiFrancesco s’est dit en s’habillant, qu’un jour comme celui-là méritait une lumière plus appropriée, quelque chose qu’un bon réalisateur aurait longuement étudié puis élaboré avec soin dans l’attente de la bonne journée: le ciel gris, les gouttes fines, l’humidité flottante qu’il y a à Milan quand tu ne sais pas si l’eau vient d’au-dessus de ta tête ou d’en dessous de tes pieds. À la place, il y a un soleil pâle, de ceux qui ne réchauffent pas,, un soleil qui fait le minimum syndical, la sensation de ces ampoules écologiques qui peinent à donner de la puissance quand tu appuies sur l’interrupteur, et font la lumière des morts. »

Second roman de cet italien dont je retrouve avec grand plaisir la verve rageuse, dans une histoire finalement extrêmement triste comme le sont les conditions de vie des milanais des classes populaires, des immigrés, des secondes zones, quoi. 

Trois cadavres vont être retrouvés en quelques jours, un caillou posé sur chacun d’eux. Trois hommes riches et importants dans leur domaine. C’est ainsi que l’équipe de Carlo Monterossi va se réunir, pour le plus grand plaisir de ces hommes dans le salon d’un d’entre eux, où l’épouse va leur créer un QG aux petits oignons, avec de quoi boire et manger, tout ça pour réfléchir mieux et regrouper leurs investigations. Regard de Carella sur son collègue Ghezzi:

« On se voit dans une demi-heure en haut chez Gregori », mais d’un coup d’œil il dit à Ghezzi de rester, et donc maintenant il n’y a qu’eux deux.

C’est bien, pense Ghezzi. Il aime travailler seul, et Carella le sait. Carella aussi, il a ses méthodes, et Ghezzi le sait. Donc, le problème à présent c’est d’avoir deux mouflons dans la même bergerie, et tous les deux savent que ça ne doit pas finir en coups de cornes.

« Vas-y, dis- moi », dit Carella.

Ghezzi lui a filé un sacré coup de main dernièrement et on peut dire qu’ensemble, ils ont chopé un vrai méchant, voire deux. Mais ce n’est pas le genre de service qu’on doit retourner, donc pas de cadeaux: si Ghezzi travaille dans l’équipe, il faut qu’il sache clairement qui commande. Mais il sait que Ghezzi est indiscipliné et irrégulier, comme certains footballeurs de génie, et surtout il sait qu’il n’aime pas que des connards se baladent pour tirer sur les gens. Les artistes du ballon, il faut les laisser libres pour qu’ils donnent le meilleur. »

C’est un livre brillant pour son ton acerbe, souvent drôle, un livre politique qui explore cette ville de Milan, connue désormais, autant que pour la Scala, pour ses relents fascistes puissants. C’est triste mais vrai. Et Alessandro Robecchi, chez qui on sent constamment la sympathie pour les gens modestes, même s’ils sont un peu tricheurs, un peu menteurs, un peu voleurs, même, il les défend en en parlant d’abord, et en en faisant des héros malgré tout. Ces héros du quotidiens, comme Francesco qui aide la vieille dame invalide, en lui faisant ses courses, Mme Antonia.

« Il est descendu dans la cour, a traversé les plates-bandes fatiguées, il a longé les murs écaillés et s’est glissé par la petite porte du bâtiment C, il a monté les quatre étages d’escaliers et il est entré chez madame Antonia, la porte était ouverte.

Elle était réveillée, allongée sur son lit. Francesco a pris dans un tiroir une petite boîte en plastique avec des compartiments, il a compté les pilules, les a posées sur la table.

« Ces deux-là, juste après le déjeuner et après le dîner, comme d’habitude, te plante pas, l’autre avant de te coucher », a-t-il dit. Puis, aussi: « Tu as déjà pris ton lait? »

Madame Antonia a fait oui de la tête.

-Quand est-ce que tu dois faire ta prise de sang?

-Jeudi? À dix heures et demie.

-Bien, je viens avec quelqu’un pour t’amener en bas et je t’accompagne » a dit Francesco.

Elle a tenté un sourire.

Ces derniers mois, les escaliers sont devenus un cauchemar. Elle, pratiquement incapable de bouger, pas d’ascenseur, cage d’escalier étroite, HLM.

HLM, pense Francesco, Habitation pour Locataire Miséreux. »

Attention, aucun misérabilisme geignard, aucunement, mais la réalité du monde dur des pauvres. C’est, même si en lisant il y a bien une enquête prenante et tortueuse, avec cette équipe d’enquêteurs atypique, c’est donc le cœur du sujet. La pauvreté et le monde de l’argent. Les pauvres qui ont toutes les peines du monde, et les riches qui en ont tous les bénéfices. Oui mais voilà, trois sont tués avec ce curieux petit caillou posé sur leur corps…

Vous entrerez dans de beaux salons de beaux et vénérables immeubles classieux de Milan, et vous traînerez les pieds dans une cour de HLM, et vous essayerez de choisir où vous vous sentez mieux… J’ai adoré ce bouquin.

Je change un peu ma façon de parler des livres, avec un post plus court, pour un vrai coup de cœur pour cet auteur qui flingue sans en avoir vraiment l’air, qui flingue la laideur du monde milanais et de son argent, je vous donne encore un ou deux extraits caractéristiques et je vous conseille vivement ce livre qui recèle de vraies pépites de dialogues, un regard acéré, moqueur et tendre pour quelques uns, et carrément assassin pour d’autres. 

Pour Il Venerdi della Repubblica, « le meilleur polar italien qui circule en ce moment »

Enfin, savez-vous que notre Monterossi est fan absolu de Bob Dylan?

Musique de fin:

« Carlo monte dans la voiture, démarre, le char d’assaut fait un bruissement gentil dans les flaques d’eau et s’en va, doux comme un chat qui ronronne.

La radio de la voiture s’allume toute seule, c’est le téléphone qui lui a dit, ces deux-là sont vraiment copains. »

 » Mange tes morts » – Jack Heath, Super 8 éditions, traduit par Charles Bonnot ( Australie )

Amazon.fr - Mange tes morts - Heath, Jack, Bonnot, Charles - Livres« Le sang aigre et visqueux me colle aux dents.

« Vous ne pouvez pas rester là, monsieur, me lance l’agente du FBI chargée de bloquer la porte. Circulez. »

Je mâchonne le bout de mon doigt et arrache un nouveau morceau d’ongle.  » Je travaille pour vous, dis-je. Je suis consultant civil. »

Elle observe mes baskets de chez Walmart, mon jean taché et mon sweat-shirt en loques.

« Vous avez vos papiers? »

Ma parole, ça faisait longtemps que je n’avais pas lu un truc aussi addictif…et génial. Et trash, mais finalement pas tant que ça. Pourquoi? Parce que rencontrer Timothy Blake est une véritable expérience, le plus fort étant qu’on s’attache à lui immanquablement et que ça rend tout le côté comment dire, difficile, beaucoup plus acceptable, enfin presque acceptable. Car la vie de Timothy est terrible. Mais je ne vous dirai pas pourquoi. Je vous demande expressément, si vous décidez de lire ce roman – je précise, d’un noir absolu – je vous demande de ne rien lire à son propos, vous vous gâcheriez la lecture, sérieusement, ne faites pas ça !!!!  Je ne m’attendais à rien de spécial, mais là, je suis restée soufflée. Et le plus difficile, c’est de savoir qu’il y a deux opus après celui-ci, mais pas encore traduits et je ne lis pas assez bien l’anglais. C’est une horrible frustration tant j’aime Timothy, tant je veux savoir ce qu’il va lui arriver…Il semblerait qu’une adaptation série ou cinéma soit en cours… Je n’ose même pas imaginer ce que ça donnera, il ne faut pas laisser une telle histoire à n’importe qui, c’est sûr. Voilà, je n’ai rien d’autre à dire… Même pas d’extrait, niet, nib, que dalle, jetez vous sur ce livre, et savourez.  Juste pour finir : chaque titre de chapitre est une devinette…Il y a une très bonne raison à ça, ce n’est pas du tout le hasard… Je vous en livre une seule et je n’ai pas choisi celle-ci pour rien :

« Un calot tout de viande rempli

Au moindre souffle gigote et frémit

Regardez dessous si ça vous dit

Sans rien manger, car la viande vit!

Qu’est-ce donc? »

Même si vous me le demandez, je ne vous donnerai pas la réponse, vous n’avez qu’à vous presser de vous procurer ce livre addictif. Pire que ça, une drogue infernale ! J’attends la suite fiévreusement.

Bonne lecture !

« Dernier meurtre avant la fin du monde » – Ben H. Winters, 10/18, traduit par Valérie Le Plouhinec (USA)

Dernier meurtre avant la fin du monde par Winters« J’observe fixement l’agent d’assurances qui me regarde de même, deux yeux froids et gris derrière des montures en écaille à l’ancienne, et il me vient cette sensation horrible et grisante à la fois, celle qui dit: nom de Dieu, c’est bien réel tout ça, et je ne suis pas sûr d’être prêt, vraiment pas. « 

Attention, addiction assurée !  Lisant le titre et éventuellement la 4ème de couverture, on peut être méfiant et craindre un de ces livres apocalyptiques de bas niveau, surfant sur le bruit, la terreur, etc etc, une mauvaise série B. Eh bien non, et bien au contraire, moi qui ne suis pas friande des histoires de fin du monde, j’ai été totalement happée par cette trilogie impossible à lâcher. Pour une raison majeure, le personnage Hank Palace, un jeune policier extrêmement doué et très intelligent dans un monde qui l’est nettement moins. Un caractère qui peut sembler rigide – parce que c’est un homme qui travaille avec la loi – mais dont le cerveau et le cœur sont plutôt élastiques. Moi, je le dis franco, Hank Palace, je l’aime. Comme je vais l’aimer tout au long de ces 3 livres impossibles à lâcher, parce que surprenants. En effet, l’argument de départ (allez vous renseigner, je ne dis rien) fait craindre un truc pas génial – je veux dire côté lecture – un peu « bateau »…et puis non, l’auteur donne à son histoire une bien autre tournure, une autre ampleur en mettant en scène des gens, ordinaires la plupart du temps, des villes et des villages avec leurs communautés et le tout qui se fractionne, éclate en éjectant des individus qui ne se montrent pas toujours sous leur meilleur jour. Il y a aussi dans cette fascinante histoire Palace et sa sœur, une histoire difficile, et une mise sous le microscope d’êtres humains aux abois, la fameuse « struggle for life »…Quant à la fin, moi, je n’ai pas honte de le dire, j’ai chialé – j’ai chialé souvent en lisant cette histoire , oui, je suis une lectrice qui s’immerge à fond ! – Et sincèrement, j’ai adoré entrer dans ce roman, riche sur beaucoup de sujets, et ne tombant jamais dans la facilité. 

Phrase finale:

« Je tiens la main de Ruthie et elle tient la mienne, et nous restons ainsi, à nous donner la force, comme des inconnus dans un avion qui tombe. »

Une chanson, Tom Waits

« Bain de sang » – Jean-Jacques Pelletier, éditions Le Mot et Le Reste

« Un bain, du sang…

Ça n’existe pas, un bel enterrement. Sauf dans le besoin de consolation de ceux qui restent.

Je le sais.

Mais parfois, la chaleur des vivants qui assistent à la cérémonie suffit presque à faire illusion.

Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de la mort de Louis. Il me suffit de fermer les yeux pour me retrouver dans la maison où il habitait. Elle lui appartient encore. Enfin, pas exactement à lui. À sa succession.

C’est là qu’on s’est retrouvés après la cérémonie. Toute l’équipe. pour se souvenir. Et pour essayer d’apprendre à vivre avec sa mort. »

20180921_205553

Un gros pavé qui aurait peut-être gagné à être un peu resserré, mais qui cependant apporte une part très intéressante à la littérature policière québécoise du moment. Un beau nombre de personnages, un beau préambule sur « une journée ordinaire », j’ai beaucoup aimé ce texte qui pointe avec humour et dérision nos sociétés.  Extrait:

« Des pauvres ont faim et dénoncent les riches qui les exploitent.

Des riches essaient de se mettre au régime et dénoncent les pauvres qui vivent aux crochets de la société…La classe moyenne applaudit.

Un ixième ministre annonce des énièmes coupures.

Des chercheurs colloquent.

Des postdocs soliloquent.

Des indignés s’indignent qu’on ne s’indigne pas davantage.

Loin, très loin, des migrants se noient, imperméables aux discussions qui parlent de les sauver…un jour…peut-être…si ça adonne…ça dépend lesquels…

Le tirage d’un journal explose grâce à un scandale.

Des politiciens déclarent qu’ils n’ont pas déclaré ce qu’ils ont pourtant déclaré.

D’autres expliquent, longuement, qu’ils n’ont rien à dire.

Des manifestants manifestent pour le droit de manifester.

D’autres, pour l’arrêt des manifestations.

En conférence de presse, le gouvernement annonce qu’il va gouverner… »

file631343064736Puis on démarre avec un bain et du sang, au sens le plus strict du terme, puisqu’une baignoire pleine de sang se retrouve exposée en vitrine, en plein Montréal. L’inspecteur Dufaux, en fin de carrière, va nous emmener dans les bas-fonds montréalais, accompagné par son équipe de choc – qui est à mon avis le plus bel argument de cette lecture – son équipe 2.0 – pour une de ses dernières enquêtes, qui ne sera pas la moindre. Impossible à résumer, mais ce sera une immersion dans les bas-fonds mafieux de cette ville, en bonne compagnie. Dufaux est en effet un chouette personnage. Veuf, il dialogue avec sa femme disparue, il l’écoute, persuadé qu’elle est toujours à ses côtés. Il louvoie avec ses supérieurs dont certains ne lui sont guère favorables, et puis surtout, il a son équipe de jeunes geeks, des surdoués qui utilisent à merveille les nouvelles technologies et leur propre intelligence, parfois à la toute limite des lignes légales. Il y a donc là tous les ingrédients d’un bon polar, ce qu’il faut d’action, d’humour cynique, d’émotion – très bien dosée – et de noir. L’équipe de choc, Paddle, Kodack, Parano et les Sarah ( trois Sarah, oui…), va se retrouver prise dans une enquête interne, mais ça ne l’empêchera pas de continuer le boulot jusqu’à la résolution. Petite présentation de l’équipe de choc de Dufaux:

« Il y a cinq femmes à la criminelle. Trois d’entre elles s’appellent Sarah. Les trois sont dans mon unité. Elles sont du même âge, à trois ou quatre ans près. Quand on les  regarde, on pourrait croire qu’elles sortent de la même fabrique d’athlètes professionnelles: grandes, minces, raisonnablement musclées.

Sarah la blonde, Sarah la rousse et Sarah la noire…Ce sont les kids qui ont commencé à les appeler comme ça pour les distinguer.

Les kids, ce sont les quatre hommes qui constituent le reste de l’unité. Les Sarah leur ont attribué ce surnom collectif. Une manière de riposte. Et quand l’un d’eux a objecté qu’ils n’étaient pas des kids, qu’ils avaient le même âge qu’elles, une des Sarah a répliqué qu’avec les hommes, il fallait toujours soustraire cinq à dix ans pour avoir leur âge psychologique.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, tout ce beau monde s’entend à merveille. Le seul problème, c’est Sarah la noire. Sa couleur de cheveux varie au gré des semaines. On passe de Sarah la verte à Sarah la blanche, Sarah la rose, Sarah la bleue…

Mais bon, tout ne peut pas être parfait. »

20180922_213012J’ai aimé ce roman, parce qu’il offre un autre regard sur Montréal, je l’ai aimé parce qu’il y a  de l’humour et des personnages bien ficelés, mais j’avoue m’être parfois égarée dans l’enquête et son réseau conséquent qui part dans tous les sens. Ce qui en soi n’a pas été bien grave. L’écriture est bonne, il y a aussi de la poésie dans le caractère de Dufaux, cet homme las qui ne se remet pas vraiment de la disparition de son épouse, qui n’entend plus se faire ennuyer par des supérieurs peu sympathiques pour beaucoup. 

J’ai aimé le côté cynique, l’humour de ce genre:

« Le sang lui arrive au nombril. Les jambes, allongées au fond de la baignoire, sont complètement recouvertes par le liquide. Le dos bien appuyé, les yeux clos, un coussin derrière le cou, il semble confortable. On pourrait croire qu’il s’est endormi. Son bras gauche, qui pend sur le côté de la baignoire, confirme cette apparente sensation de bien-être chaud et humide qui pousse à la somnolence…Personnellement, j’ai toujours préféré la baignoire à la douche. »

20180922_163416Les mafias montréalaises sont au cœur du sujet, ce qui n’est évidemment pas anodin non plus, dans cette ville aux multiples facettes. Mais ce sont les geeks de Dufaux que j’ai préférés, toujours un peu limite, ils seront pourtant, avec leur boss, les clés de la réussite de cette enquête très tortueuse. Ce n’est d’ailleurs pas ce qui fait le charme de ce roman, ce sont les personnages qui apportent tout le sel de cette histoire. En tous cas pour moi.

J’ai bien aimé, même si ce n’est pas un coup de cœur, et donc je l’ai lu jusqu’au bout avec des moments où je revenais un peu en arrière. En y réfléchissant, finalement ce n’est pas vain de paumer un peu le lecteur, comme Dufaux est parfois paumé et patauge lui aussi…Il y a finalement de l’exigence dans ce livre, ce qui n’est pas pour me déplaire. Il faut être immergé, sinon comme le corps dans la baignoire de sang, au moins comme Dufaux, ses kids et ses Sarah, dans les crimes et recoins sombres de Montréal avec ses bandits et ses fonctionnaires corrompus. Immergé aussi dans le mode de pensée de Dufaux, un homme las:

« Je pense à mes années universitaires. À ces penseurs que l’on étudiait, ceux de l’époque des Lumières. Ils disaient vouloir affranchir l’humanité de l’esclavage de la religion…Ce qu’ils n’ont pas vu, c’est que la plupart des êtres humains n’ont pas, semble-t-il, la maturité suffisante pour vivre sans l’encadrement d’une religion bien organisée. Au mieux, ils deviennent des prédateurs consuméristes soft, doucement immoraux, le genre hashtag – I- me- mine – fuck – le – reste, comme dirait Paddle; au pire ils s’inventent un substitut de Dieu qui leur permet de justifier leurs pires pulsions. »

Un petit effort à fournir pour finalement un roman qui retient, qui va plus loin que ce qu’il semble de prime abord, sur les portraits des gens et de la ville. Dufaux est fort attachant, comme son équipe.

montreal-324578_640J’ai corné plein de pages, mais je m’en tiens juste à ces quelques extraits. Le livre se termine en un dialogue qui parle du travail de la police, des crimes  auxquels elle est confrontée, et de la déstabilisation même des plus durs. Un regard pessimiste sur la société dans son ensemble, en laissant, et c’est bien, une place à une jeunesse pas si abêtie qu’on veut parfois nous le faire croire.

« Le vrai danger, beaucoup plus grave, c’est que les gens perdent foi en la justice. Comme ils achèvent déjà de perdre la foi en la politique. À ce moment-là, tout le monde va vouloir prendre la justice dans ses mains, mais sans avoir les moyens de s’assurer que les victimes sont vraiment coupables.[…]

-Notre travail va devenir un enfer. »

Assez envie d’en lire d’autres.