« Ils étaient assis sur la véranda, à parler de choses et d’autres, quand Livia, soudain, sortit une phrase qui surprit Montalbano .
-Quand tu seras vieux, tu te comporteras pire qu’un chat routinier, dit-elle.
-Pourquoi? demanda le commissaire, éberlué.
Et aussi un peu irrité, ça ne lui faisait pas plaisir de pinser à lui en vieux.
-Tu ne t’en rends pas compte, mais tu es extrêmement méthodique, ordonné. Un truc qui n’est pas à sa place, ça te met de mauvaise humeur.
-Allez!
-Tu ne t’en aperçois pas, mais t’es comme ça. Chez Calogero, tu t’assieds toujours à la même table. Et quand tu ne vas pas manger chez Calogero, tu choisis toujours un restaurant à l’ouest. »
Je crois que vous savez maintenant avec certitude que j’aime Andrea Camilleri et Salvo Montalbano, et puis aussi ce traducteur qui partage si bien ces textes, Serge Quadruppani. C’est une bien belle idée d’avoir regroupé des histoires courtes écrites en 1980. Courtes, et savoureuses, tendres, drôles et néanmoins contenant une belle et saine colère sur certains sujets. On sait à quel point Salvo Montalbano n’est pas « dans les clous », on connait ses colères, ses emportements, mais aussi sa profonde humanité. Même si Livia le trouve routinier ce côté organisé en fait un bon flic. Un bon flic qui pourtant n’hésite pas à faire ce qu’il veut comme il l’entend. Montalbano paradoxalement a quelque chose d’anarchique en quelque sorte. Bon vivant aussi:
« Il se prépara une assiette avec un peu de saucisson, du caciocavallo, du jambon et une dizaine d’olives, se prit une bouteille de vin et emporta le tout sur la véranda. Il fit passer ainsi une heure, puis rentra et alluma le tilévision. On diffusait le troisième épisode de La Pieuvre, une série sur la Mafia qui avait un énorme succès. Il en regarda un bout, on aurait dit que les Italiens venaient juste à l’instant de découvrir la Sicile, mais du pire côté, donc il changea de chaîne. Et là, il y avait Toto Cutugno qui chantait « Con la chitarra in mano », prisenté l’an dernier à San Remo. Il éteignit et revint sur la véranda pour fumer en se tourmentant la coucourde. »
J’ai donc pris un plaisir infini à cette lecture où l’on voit à l’œuvre Montalbano et son équipe, avec une efficacité qui marche grâce au collectif, additionnant les tempéraments, chacun apportant son savoir-faire. Ainsi l’inénarrable Catarella, avec son langage burlesque, parce qu’il est toujours dans les starting-blocks – d’où les portes qui claquent, les glissades, les cafouillages sur les noms – Catarella est indispensable. Fazio, lui, connait tout Vigata et en particulier les belles femmes et les cocus. Et il faut le dire, un grand nombre d’affaires à Vigata incluent des belles femmes et des cocus ! Bref, l’équipe en est bel et bien une vraie qui marche Il y a aussi des femmes comme Mme Rosalia Insalaco:.
« Restée veuve, et devant vivre avec une maigre pension, Mme Rosalia Insalaco, sexagénaire grosse comme un baril et couverte de colliers et de bracelets pire que la madone de Pompéi, avait eu la bonne idée de diviser en deux appartements la petite villa de faubourg dans laquelle elle habitait et d’en louer la moitié. »
Je ne vais pas résumer ici les 8 histoires, enquêtes dont il est question. Ce serait idiot, elles sont courtes, ça ne rimerait à rien. Je veux juste ici vous inviter à les lire, pour leur saveur, pour le bonheur que ça apporte de se retrouver à Vigata, chez Calogero au restaurant, en bord de mer – ne rêve-t-on pas tous un peu de ça en ce moment?-. Lire pour, ayant lu les romans d’Andrea Camilleri écrits, dictés à la fin de ses jours, se rendre compte que notre cher Salvo n’a pas tant changé, qu’il a gardé sa fougue, son fin bec et son amour pour Livia. Lire Andrea Camilleri parce que c’est bon, c’est drôle, mais c’est également percutant dans les constats politiques – au sens du regard sur les institutions et leurs représentants – et sociaux amenés avec un naturel qui enlève toute lourdeur au propos; c’est donc très intelligent, les personnages y sont plus vrais que nature, le langage me ravit, le vocabulaire est toujours fleuri de termes populaires qui me réjouissent, lire Andrea Camilleri parce qu’on y prend le soleil parmi des gens « ordinaires » ou presque.
« C’était un sexagénaire grassouillet, au visage ouvert et cordial, avec un petit air de bonhomie qui faisait naître chez ses vis-à-vis confiance et envie de se confier. Il était vêtu en paysan, veste et pantalon de futaine mais avait les manières de la bonne éducation. Il répondit au salut d’un homme qui venait d’entrer par un sourire qui lui donna une expression entre l’épiscopal et le paternel. Il était parfaitement tranquille, à son aise.
Non, ce n’était en rien l’attitude de quelqu’un qui venait de subir un attentat. »
Le lire, moi je le fais parce que ça me fait du bien. Je vous invite à y gouter si ce n’est pas déjà le cas, ces 8 histoires courtes sont le format idéal pour une belle rencontre avec cet écrivain . Bonne lecture!