« Finissons-en.
Mon père ou ma mère, un jour de valse, serra un peu plus fort qu’il n’était permis le corps dansant de l’autre. Cela suffit. Au temps où la province ne rêvait que de mariage, un rien était prétexte.
C’est dans cette étreinte de bal que commence l’idée de mon existence. »
Ce court roman se lit d’une traite, dans un état de malaise difficile à décrire. Il est peut-être lu différemment selon l’histoire de chacun. Être lu, perçu différemment. Ou bien, comme ce fut mon cas, lu en retenant mon souffle, partagée entre une sorte de peur confuse, de la compassion et aussi, avouons-le, une sorte de répulsion. Je ne sais pas si c’est ici la volonté de l’auteur, de faire un peu souffrir le lecteur comme souffre son personnage.
Voici une histoire avant tout d’une grande cruauté. Celle qui règne au sein d’un couple sous les yeux terrifiés d’un petit garçon, celle qui règne ensuite chez le grand-père, homme bon qui prend sous son aile le garçon en question, qui, lui, se livre a des actes de cruauté sur les animaux, poules, cochon, chat…puis ce sera sur un camarade de classe, et ainsi tente-t-il d’exorciser sa propre douleur, celle de la violence familiale, celle de l’abandon, cette dernière n’étant pas la pire car le grand-père comble d’affection ce gamin qui semble n’en avoir pas eu beaucoup.
« Mathieu, réveille-toi mon grand
j’ouvrais les yeux sur sa moustache brune, ses pupilles joueuses, son visage qui se penchait et m’embrassait deux fois, pendant que sa main me secouait tendrement l’épaule
C’est l’heure
il sentait la mousse à raser et le tabac brun des Gauloises.
Le jour d’été devant moi est comme un puits. Qu’est-ce que je peux faire d’autre à présent que les fourmis sont mortes? Tant que je m’occupe, j’oublie ce que je suis. »
J’ai trouvé ce texte parfait dans son rythme et son écriture, comme si l’auteur se gardait une distance de sécurité avec les personnages, le petit garçon qui s’appelle Mathieu lui aussi. On peut imaginer que…ou bien non. En tous cas, c’est magnifique y compris dans les scènes cruelles. Oui, c’est vrai. La nature est plus qu’un décor, elle est un fond qui parle et agit sur les personnages aussi.
Bref, je m’arrête là avec la vive envie de lire les autres textes de Mathieu Belezi.
Bravo pour la beauté aussi de l’objet, la couverture -« Night Flower » de Martin Zanollo, et la mise en page très agréable, un bel écrin pour un texte cependant moins doux quand on s’y immerge.
« Instinctivement mes mains se font tendres, et je ne peux éviter les larmes qu’en basculant dans la cruauté. »