L’an dernier, j’ai consacré beaucoup de temps à un projet de roman. Sur le moment, pas mal de scènes me semblaient prometteuses. Mais une fois passée la décharge de caféine, après deux ou trois pages, tout se dissipait comme on perd une trace dans la neige. J’avais beau reprendre, ça filait entre mes doigts. »
Voici un bon petit livre des éditons Zoé, que je m’apprête à chroniquer. J’ai vraiment bien aimé cette histoire d’amour sans suite, contrariée par des codes, mal vécue par un jeune homme de quinze ans. Devenu adulte et écrivain, il peine à trouver une trame pour sa prochaine production et va donc se décider à parler de son amour d’adolescent, Rosalba.
« Une grande partie de ma pensée était alors esclave de Rosalba.
Obsédante et affairée,triomphale et prosaïque, elle ne semblait pourtant pas être consciente de ses pouvoirs.
Je mêlais toutes sortes d’images à ce prénom rare qui la désignaitcomme le fleuron de notre communauté. J’en tournais et retournais chaque syllabe dans ma bouche comme une friandise. »
Le livre est court, cette chronique aussi. L’auteur, notre écrivain surnommé le Chinois dans son adolescence, va se remémorer son amour de jeunesse et l’intrigue qui y est rattachée comme sujet de son prochain livre, parce qu’il rame pour trouver quoi écrire. L’intrigue est celle liée à cette époque, à la disparition de Rosalba, l’élue de son jeune cœur, et à l’échec des gendarmes pour la retrouver.
« Personne n’avait la moindre idée de ce qui était arrivé, la gendarmerie diffusait un appel à témoins. Toutes sortes de rumeurs circulaient. S’y ajoutait que son beau-père, le patron, n’apparaissait plus à la casse depuis longtemps. Cela restait vague et incertain, la famille se refusait à tout commentaire, voulait étouffer les bruits. Il n’y avait selon elle rien à signaler. »
Il ne veut pas écrire un polar pourtant. Alors que moi, lisant ce texte, j’y ai bien vu ça, plus une histoire d’amour contrariée, plus la difficulté que peut rencontrer un auteur pour tenir un sujet, plus le portrait d’une communauté avec cette famille, celle de Rosalba qui vit dans une casse, et ceux du dehors, comprenant l’auteur à 15 ans. C’est donc un texte riche en points de vue, en façon d’aborder une histoire, sous tous ses angles.
« Les histoires forment des espèces de mosaïques qu’on peut contempler sous plusieurs angles. Une lumière inégale, les reflets et les ombres s’en mêlent, y découpent tant de motifs. »
C’est la quête de sujet d’un auteur qui se met lui-même en scène. Intéressant donc pour la construction, pour l’autodérision, pour l’imagination qui travaille sur les chapeaux de roues dans la tête du narrateur, décalé depuis ses 15 ans. Ce n’est pas non plus un texte sans surprises car le monde tel qu’il est contre le monde tel que le narrateur le pense, le conçoit, le fantasme, en est une belle et riche source. La déception que le Chinois en ressent quand la réalité l’aborde est d’autant plus importante et les sujets traités, nombreux, dans la vie de ce jeune homme dont la vie semble faite d’une suite de déceptions, désillusions, chagrins et colères. Ainsi parle-t-il de l’université:
« Étaient-ce les longues falaises des immeubles, si parfaitement taillées? Ou la raide façade du langage? Là où chacun avait en bouche égalité, fraternité, démocratie, j’avais surtout observé passe-droits et privilèges. Certes, on savait mettre les formes. Insidieux, le racisme d’autrefois avait migré vers l’estimation des intelligences, l’évaluation des biens. »
L’amour contrarié, qui à l’adolescence prend toujours des airs tragiques, une communauté étrange et un peu inquiétante qui vit dans cette casse. Beau décor pour un polar – je ne démords pas du fait qu’il y a de ça dans cette histoire et que ça l’enrichit considérablement- , le Chinois m’a touchée, agacée et amusée aussi. C’est court, mais riche ( je ne vous ai pas dit grand chose ici, en fait…par exemple pourquoi on ‘appelle le Chinois…) et intelligent.
Petit livre bien fichu, bien écrit, un sympathique moment de lecture. Avec une dernière phrase magnifique:
« Avant même que la porte ne se ferme, j’ai entendu mon cœur claquer. »
« Horace Hopper ouvrit les yeux et regarda son réveil: cinq heures du matin. Il pensa aussitôt à sa mère, qu’il n’avait pas vue depuis près de trois ans. Puis il se rappela que, dans un peu plus d’une semaine, il serait seul dans un car qui le conduirait à Tucson. À peine réveillé et déjà la boule au ventre.
Le jeune homme se leva, enfila un jean et une chemise écossaise à manches longues, mit ses bottes et tenta d’émerger. Il se servit un verre d’eau puis examina les photos de boxeurs qu’il avait collées sur le mur de son camping-car. Il les avait découpées dans le magazine The Ring, et elles représentaient toutes des combattants mexicains. »
Willy Vlautin récidive avec à nouveau un personnage jeune, plus un adolescent, mais âgé de 21 ans seulement. Comme dans « La route sauvage », il nous met en contact proche d’un jeune garçon qui souffre d’une perte ou d’une absence d’identité, avec une mère qui l’a délaissé et un père dont il ne sait rien sinon qu’il est métissé blanc et indien. Horace ne connait à peu près que la vie au ranch du couple Reese. De braves gens qui l’aiment comme leur fils. Les pages qui décrivent Eldon allant chercher Horace chez Doreen, sa grand-mère sont d’une grande tristesse. Tout comme celles un peu plus loin sur le départ d’Horace pour aller à Tucson chez sa tante Briana afin de commencer sa vie de boxeur .
« – Sa chambre est derrière la cuisine. » La voix de Doreen avait faibli et les larmes lui étaient montées aux yeux. « Dites- lui qu’il passe me voir de temps en temps. Dites-lui que je vais me sentir seule sans lui et que je l’aime. »
Eldon avait traversé la cuisine, poussé une petite porte et découvert une espèce de garde-manger où il y avait à peine la place de mettre un lit une place. La hauteur sous plafond devait être d’un mètre cinquante. «
Horace s’imagine Hector Hidalgo, boxeur mexicain, sa chambre est tapissée de ses héros du ring, jusqu’au moment où il se décidera à chercher un entraîneur, à partir et à tenter de « devenir quelqu’un » par la force de ses poings.
« Âgé de vingt et un ans, Horace mesurait un mètre soixante-dix et pesait cinquante-sept kilos. Il était moitié blanc, moitié indien païute, il avait des cheveux noirs qui lui arrivaient sous les épaules, des yeux marron foncé, un long nez fin, et malgré son âge il ne se rasait que rarement. Il s’était fait tatouer le biceps gauche avec, de haut en bas, « Slayer » ( Tueur ) écrit à l’encre rouge, « Hell awaits » ( L’Enfer attend ) à l’encre noire, et un crâne cornu couleur charbon aux yeux écarlates. »
Si vous connaissez cet auteur, vous savez comme ce genre d’histoire sous sa plume devient émouvante, et bien plus que ça. J’ai souvent eu une boule dans la gorge en lisant ce très très beau roman. Et ce n’est pas du tout de la « pleurnicherie à deux sous », non, c’est une véritable émotion qui saisit au détour d’une phrase, d’un geste ou comme ici, avec cette discussion entre Eldon et Louise.
« -Pourquoi veut-il à tout prix être boxeur?
-Je ne sais pas trop, murmura Eldon. J’y ai beaucoup réfléchi et je n’ai pas de réponse. Mais n’oublie pas qu’il est jeune et que beaucoup de jeunes gens veulent faire leurs preuves.
-Est-ce qu’il va se faire mal?
-C’est assez inévitable.
-Est-ce que tu crois qu’il reviendra ?
Louise se retourna et regarda son mari.
-« Oui.
-Tu en es convaincu ou tu dis ça pour me rassurer?
-Il reviendra, je te le promets.
Ils se turent et Eldon caressa la hanche de sa femme jusqu’à ce qu’elle se rendorme. »
Une chose caractérise Willy Vlautin, c’est qu’il ne truffe pas son livre d’une grande violence, exception faite, mais c’est inévitable, celle des combats de boxe, ou de vrais salauds, non. Il y a ici de pauvres types, certes, qui bricolent de la piteuse arnaque à la petite semaine. Ici, on a un entraîneur alcoolique, qui vole Hector sur ses gains quand il combat. Le monde de la boxe n’est pas le plus loyal, le plus droit et les arrangements entre les organisateurs, les entraîneurs, sont douteux. Mais peut-on dire que ce sont de grands mauvais? Ruiz est un pauvre type, mais au fond, il aime quand même bien Hector et l’entraîne avec ce qui lui reste d’énergie.
« Horace mit l’argent dans sa poche et s’éloigna. Il s’installa tout au fond de la salle pour assister au combat suivant et essaya, en vain, de chasser de son esprit l’image de Ruiz en train d’accepter l’enveloppe. Interprétait-il mal ce geste? Il ne le pensait pas. Ruiz avait touché de l’argent pour le match, sinon il ne lui aurait pas donné deux cents dollars aussi facilement. Son entraîneur l’avait arnaqué. Le combat commença mais plus Horace restait là, plus il déprimait, si bien qu’il décida de partir. »
Dans ce livre domine la présence des Reese, et en particulier celle de Eldon. Magnifique personnage, intelligent, attentif, bon et compréhensif. Jamais il ne se mettra en travers des envies d’Horace, contre ses aspirations, mais il veillera toujours, silencieusement mais attentivement à ce que le gamin ne s’échoue pas dans la rue. Le couple Reese n’est plus jeune, Louise a des soucis avec sa mémoire et Eldon souffre du dos. J’ai aimé ces gens si fins, si tendres. Et bien sûr Horace/Hector, en quête de lui-même dans un monde impitoyable. Les scènes de ring sont dures, violentes, il y a même des enfants qui combattent, allant vers un rêve dont la plupart ne sortiront pas indemnes, voire fracassés.
Mais l’impression que j’ai en sortant de cette lecture, c’est celle d’un amour inconditionnel des Reese pour ce garçon, et d’un jeune homme qui est allé au maximum de ses possibles pour trouver qui il est. Les paroles d’ Eldon restent en Horace dans les situations critiques, ils sont sa colonne vertébrale.
« Mr Reese lui avait expliqué que la vie, en elle-même, est un fardeau bien cruel car nous savons tous que nous venons au monde pour mourir. Nous naissons avec un regard innocent, mais ce regard finit inéluctablement par se poser sur la douleur, la mort, la fourberie, la violence, le chagrin. Avec un peu de chance, on vit suffisamment longtemps pour voir mourir tout ce que nous chérissons. Mais, avait ajouté le vieux rancher, on peut adoucir un peu les choses en faisant preuve de respectabilité et d’honnêteté, et la vie devient alors plus supportable. Pour lui, les menteurs et les lâches étaient de la pire espèce car ils vous brisent le cœur dans un monde qui est fait précisément pour cela. Ils jettent de l’huile sur un feu impitoyable qu’on a déjà bien du mal à maîtriser, tous autant que nous sommes. »
Acte douloureux, cruel, sauf que Willy Vlautin, bienveillant, a créé les Reese, juste pour aimer Horace. Devenir quelqu’un, c’est ce à quoi chaque jeune personne aspire, ici c’est avec des lacunes familiales, affectives, avec cette lacune identitaire des enfants abandonnés. Et Eldon et Louise Reese sauront tout combler, combler d’amour.
J’ai eu les larmes aux yeux souvent et je sais grâce à cet écrivain de m’avoir touchée à ce point. Comme le dit la 4ème de couverture sous la plume de William Boyle : »Un magnifique western et un grand livre sur la boxe, mais par-dessus tout un immense roman américain sur l’empathie, l’identité et l’espoir. Etourdissant et poignant. » J’ajoute « déchirant ».
A ne pas manquer.
Horace aime le metal et son baladeur ne le quitte pas. Il écoute entre autres « Show no mercy » de Slayer
« Au printemps de mes dix-sept ans, j’ai trouvé un job de pompiste et caissier au Pétro-Canada de Cap-Santé. Je faisais le plein et j’en mettais pour dix ou vingt piastres. On vendait aussi des cigarettes, de la bière, du chocolat, des boîtes de conserve, des pintes d’huile 5W30, 10W30,5W40,etc. Au début de l’année, on avait vu exploser la navette spatiale Columbia en direct avec à son bord une maîtresse d’école. Fin avril, la centrale nucléaire de Tchernobyl avait pété à son tour. »
Voici l’amorce de ce petit recueil de trois nouvelles, trois récits ( je ne crois pas que ce soit autobiographique ) du même narrateur, un jeune québécois du XXème siècle, à l’aube de son indépendance, à l’époque des grosses « fêtes » avec les amis, alors que les groupes vont se dissoudre pour les études supérieures, s’éparpiller ici et là sur le territoire. Notre jeune homme n’est pas en reste, en tous cas, dans les deux premières histoires qui ne sont à peu de choses près que beuveries dans des conditions météos extrêmes et dans un état d’ébriété avancé. Bal des Finissants:
« Le Bal des Finissants s’était officiellement terminé le lendemain midi chez Ti-Oui Snack Bar devant des grosses poutines barbecue, des guédilles au poulet, des pogos, des club-sandwichs pis des galvaudes. on avait mal aux cheveux. On se racontait tout ce qu’on avait vu et entendu. Paraît que Dompierre avait fini dans la chambre de Morrissette. La Langlois voulait se battre avec Martine Germain. Y a des profs qui étaient restés pas mal tard…As-tu vu le Jeep de Patate? Méchante bosse. Je voudrais pas être à sa place devant son père. Y va en manger une câlisse! On avait vraiment viré la brosse de l’année. Les examens du ministère étaient dans deux semaines. »
Les parents du narrateur sont divorcés, le père vit à Québec, la mère à Thetford Mines ( à la fin, chez son nouveau chum ), en bonne intelligence. Le premier texte se finit aux adieux du père et du fils, touchant instant:
« C’était la fin de quelque chose. Je me dirigeais tout droit vers les responsabilités, les histoires d’amour compliquées, les haines partagées, les collègues insignifiants, le mariage, le divorce, avoir un enfant, voir ses parents vieillir, changer d’idée, douter, chercher des réponses, sombrer, se relever, tenter, recommencer et, souvent, me souvenir de la fois où mon père m’avait dit: « On dirait que t’es allé aux fraises ». »
Quoi qu’il en soit, c’est le troisième texte qui m’a vraiment plu, énormément plu. Parce que tout y est si juste… Eric Plamondon laisse un peu de côté les grosses fêtes alcoolisées pour l’introversion du jeune homme qui cette fois a 18 ans. J’ai d’abord appris beaucoup de choses, sur l’amiante par exemple, quand le beau-père explique au garçon l’histoire de Thetford Mines, dans la région Chaudière-Appalachespuis notre narrateur fait des rencontres au cegep de gens différents de ceux qu’il côtoyait jusqu’alors, lui ouvrant l’esprit. Puis arrive cette fin superbe, sur la route en voiture, la neige tombant sans cesse par vagues énormes, et une apparition rendue magique par l’écriture si proche de la confidence de cet écrivain. J’ai beaucoup aimé, avec un +++ au dernier chapitre. Je n’avais lu que « Taqawan », formidable histoire, et je n’en ai sûrement pas fini avec Eric Plamondon. Deux dernières pages absolument superbes, je ne vous en livre que la fin pour ne pas vous gâcher le plaisir; sur la pente à 10% qu’il affectionne, sous un rideau de neige et après une rencontre qui l’a fait stopper
« Ça n’a duré que quelques secondes, mais ça m’a paru long. […] J’ai éteint la musique. J’ai respiré plusieurs fois. J’aurais aimé qu’Isa soit avec moi pour voir ça. J’ai pensé que c’était un signe, que ça voulait dire quelque chose, un cadeau du ciel, je ne sais pas.
Ce que je savais, c’est que je venais d’avoir dix-huit ans et que tout était possible. »
Faite de rites initiatiques, d’expérience et de l’insouciance qui prend fin peu à peu, c’est un regard très juste, sensible et touchant sur le passage à l’âge adulte, sans jamais oublier d’être drôle, car enfin ce n’est pas un drame de « grandir ». Bien sûr le parler québécois ajoute, pour nous français, une pointe comique ( eh ben oui, amis québécois, votre parler nous amuse et c’est bien ! )
Lecture courte à la fois réjouissante – parce qu’on peut s’y reconnaître aussi – , et très émouvante. Au son de Van Halen et d’Iron Maiden
« Bondrée est un territoire où les ombres résistent aux lumières les plus crues, une enclave dont l’abondante végétation conserve le souvenir des forêts intouchées qui couvraient le continent nord- américain il y a de cela trois ou quatre siècles. Son nom provient d’une déformation de « boundary », frontière. Aucune ligne de démarcation, pourtant, ne signale l’appartenance de ce lieu à un pays autre que celui des forêts tempérées s’étalant du Maine, aux États-Unis, jusqu’au sud -est de la Beauce, au Québec. Boundary est une terre apatride, un no man’s land englobant un lac, Boundary Pond, et une montagne que les chasseurs ont rebaptisée Moose Trap, le Piège de l’orignal, après avoir constaté que les orignaux s’aventurant sur la rive ouest du lac étaient vite piégés au flanc de cette masse de roc escarpée avalant avec la même indifférence les soleils couchants. «
J’ai acheté ce roman en 2017 aux Quais du Polar, et c’est Andrée Michaud qui me l’a tendu, une femme discrète, pas assaillie alors par la foule, et qui a échangé un peu avec moi, alors que ma fille venait juste de quitter Lyon pour Montréal.J’ai aussi pu l’écouter lors d’une conférence en compagnie de Ron Rash, David Vann, Caryl Ferey, sur le thème : « Not my president : Un Trump pour 4 ans mais plusieurs Amériques, depuis toujours et à jamais », passionnante, vous vous en doutez vu la « brochette » !
« Les enfants étaient depuis longtemps couchés quand Zaza Mulligan, le vendredi 21 juillet, s’était engagée dans l’allée menant au chalet de ses parents en fredonnant A Whiter Shade of Pale, propulsé par Procol Harum aux côtés de Lucy in the Sky with Diamonds dans les feux étincelants de l’été 67. Elle avait trop bu mais elle s’en fichait. Elle aimait voir les objets danser avec elle et les arbres onduler dans la nuit. Elle aimait la langueur de l’alcool, les étranges inclinaisons du sol instable, qui l’obligeaient à lever les bras comme un oiseau déploie ses ailes pour suivre les vents ascendants. Bird, bird, sweet bird, chantait-elle sur un air qui n’avait aucun sens, un air de jeune fille soûle, ses longs bras mimant l’albatros, les oiseaux d’autres cieux tanguant au-dessus des mers déferlantes. »
Ce livre a bénéficié du confinement, enfin il était temps. Mes premiers mots à propos de ce roman seront : quelle écriture remarquable, belle, très originale – et ce, même sans le parler québécois – pleine de vie, riche… Un régal pour qui comme moi attache beaucoup d’importance à l’écriture. Plein de détails donnent cette originalité, comme les mots anglais qui émaillent les discussions et les pensées dans cette Bondrée* entre deux régions, le québécois, avec pas mal de mots bien locaux ( les pitounes par exemple… qui sont des billes de bois ou…de belles filles ! ), agrémentantune narration dans un français impeccable, avec des structures de phrases drôlement travaillées, bref : Andrée Michaud sait ce qu’écrire veut dire.
« Maintenant que le vernis luisait sous la lampe, je ne pensais plus qu’à enlever cette cochonnerie, qu’à arracher la robe qui irait avec pour aller plonger les mains dans la boue qui se formait autour du chalet, là où les gouttières débordaient. Je n’étais pas Zaza Mulligan, je n’avais pas les mains fines des jeunes filles qui sentent le parfum. J’étais la puce, la punaise, le garçon manqué de la famille, et même si mes seins commençaient à me chatouiller, signe qu’ils poussaient, m’avait appris Emma, rien ne m’obligeait à me déguiser en poupée. Si ça continuait, je finirais par ressembler à la Barbie de Millie et par marcher sur des échasses. No way ! Tout à l’heure, j’emprunterais le remover de ma mère en prétextant que les ongles me chauffaient. Veut, veut pas, elle serait obligée de me croire, c’étaient mes ongles après tout, pour le moment, j’attendais qu’Emma me montre sa surprise. »
De fait, l’intrigue n’a rien de très original . Été 67. Le soleil brille sur Boundary Pond, un lac frontalier rebaptisé Bondrée par Pierre Landry* dont les pièges étrangement resurgissent de terre. Deux jeunes filles sont assassinées; la police convient qu’il s’agit de meurtres et l’enquête commence alors dans ce microcosme estival. C’est assez commun pour un roman policier, sauf que cette histoire bénéficie de cette qualité de plume, à laquelle se greffent l’idée d’une sorte de huis clos en pleine nature et une ambiance de vacances mise à mal. L’œil affûté de l’auteure sait à merveille décrire les familles, ces étés rayonnants où chacun s’active à tondre, tailler, retaper, bronzer au bord du lac et boire un verre sur la terrasse…Tout ça tant que tout va bien.
« Au sein de la forêt, il avait donc pensé à Marie en retenant son souffle, puis il s’était mis à rire aux éclats, à se moquer de lui, de sa bêtise, cherchant un mouchoir dans sa poche pour essuyer ses larmes et s’accroupissant, une crampe au ventre, maintenant, une bonne crampe de fou rire. Ce qu’il avait pris pour une chevelure n’était que la longue queue d’un renard roux, mort de faim, de maladie ou de vieillesse. Maudit Ménard, avait-il murmuré, maudit Ménard que tu m’énarves, des fois. Lorsqu’il avait relevé la tête, un éclair de chair blanche l’avait ébloui, quelques pouces de blancheur prolongeant la chevelure. Son rire avait cessé net, un tir de boulet l’avait frappé en plein cœur et il s’était approché de l’arbre au pied duquel gisait la chose inconnue. C’est un renard, Ménard, pogne pas les nerfs, c’est rien qu’un pauvre renard. Mais la chose était presque nue, plus longue qu’un renard, plus blanche aussi. La chose avait des jambes et des ongles vernis. »
Car cette tranquillité ensoleillée, égayée par les enfants dans leurs cabanes, ou au bord du lac, les rires, les jeux…tout ça va se trouver suspendu et vont surgir une angoisse et une méfiance collectives et surtout une longue et difficile enquête, dont Stan Michaud est le principal responsable. La petite Andrée – Aundrey – , la gamine « garçon manqué », douze ans et rien dans sa poche, ni ses yeux, ni sa langue, la puce, est une enfant dans une famille aimante et sûre, un grand frère, Bob et une petite sœur, Millie avec sa poupée Bobine. Des jours heureux, un petit paradis…Finis ou presque, sous l’œil de « la puce ».
« Ce n’est qu’au court de cet été, quand les événements se sont précipités et que mes repères ont commencé à vaciller, que j’ai compris que la fragilité des petits personnages confinés dans la boîte de chocolats Lowney’s avait survécu aux années, de même que ces peurs enfouies au cœur de toute enfance, qui refont instantanément surface lorsque vous constatez que la stabilité du monde repose sur des assises qu’un simple coup de vent mauvais peut emporter. »
Pour mener l’enquête, Andrée Michaud a campé des hommes pour certains en fin de course, d’autres encore jeunes et qui, confrontés à l’horreur des meurtres de Bondrée sont déjà près de sombrer et leur mariage avec, comme le jeune Cusack, dont le portrait est particulièrement réussi. Peu de descriptions physiques pour ces hommes, mais leurs pensées, leurs fatigues, leurs coups de sang les disent mieux que toute autre chose. À côté d’eux des épouses qui soit endurent, soit épaulent, et les enfants, essaim bourdonnant d’activités, sous le soleil d’août.
« Jim Cusack, plus que les autres, semblait atterré par la situation. Les coudes appuyés sur les genoux, il se tenait la tête à deux mains, contemplant lui aussi le plancher. Il ne voyait cependant pas que celui-ci avait été ciré la veille et que s’y reflétait cette lumière joyeuse de ciel sans nuages qui lui rappelait son enfance, les parquets aux odeurs d’encaustique annonçant l’arrivée de la fin de semaine. Il ne voyait que le visage de Laura, d’une beauté furieuse, qui avait quitté la maison en claquant la porte lorsqu’il était rentré le soir d’avant, lui reprochant de ne pas lui avoir téléphoné, de l’avoir laissée poireauter devant son fourneau éteint, à contempler un rôti qui avait fini aux ordures avec la tarte aux tomates dont elle s’était gavée à pleines mains, salissant sa robe blanche, le parquet fraîchement astiqué, ses chaussures de cuir verni. »
Pour moi, reste que la plus grande réussite de ce livre c’est le talent à dire l’enfance et ce passage si délicat à l’adolescence ou à l’âge adulte, par la voix d’Andrée, si attachante, si vive, intelligente et drôle. C’est justement ce qui fait le charme de ce livre qui pourrait n’être que noir c’est que c’est souvent très drôle et lumineux tout en étant émouvant et fin. Le dernier chapitre, « Frenchie » m’a enthousiasmée, touchée aussi, Andrée disant adieu à ses douze ans joyeux, quand l’insouciance s’enfuit, quand soudain, regardant sa mère, elle la voit sous un autre jour. La fin du livre est merveilleuse.
« Je vais parler à madame Lamar, avait-elle poursuivi en laissant glisser son foulard de soie sur le sable,puis elle m’avait pris la main et m’avait souri. Le soleil faisait étinceler le cercle jaune qui se diluait autour de ses iris, pareil à un anneau de minuscules pépites d’or en fusion. Il y avait un tel amour dans ces yeux que j’avais pensé que jamais, de toute ma vie, je n’en reverrais de si beaux. J’avais détourné le regard pour ne pas être pétrifiée et m’étais de nouveau attardée sur le bleu, plutôt un mauve, en fait, qui maculait sa cheville.
Je passe une robe par-dessus mon maillot et on y va, avait-elle déclaré en se levant. Je l’avais regardée monter vers le chalet, même pas fâchée que j’aie bousillé sa séance de bronzage, et j’avais ressenti un pincement au cœur, un pincement d’amour, en voyant sa jupette voleter sur ses hanches. Je vieillissais, il n’y avait pas d’autre explication, et prenais lentement conscience que ça pouvait être aussi douloureux que chiant. »
J’ai pris un intense plaisir à flâner dans ces pages, pour le lieu qui d’enchanteur devient menaçant, pour Andrée, Zaza, Sissy, Emma, pour Millie et Bobine, pour la mère vigilante, pour la forêt et le « fantôme » de Pierre Landry*, pour les renards et pour la chanson qu’on entend tout au long de ce coup de cœur. Très envie de lire encore Andrée Michaud.
*Boundary Pond, un lac frontalier rebaptisé Bondrée par Pierre Landry, un trappeur canadien-français dont le lointain souvenir ne sera bientôt qu’une légende.
« On était au début de l’été et la chaleur était assommante. Le raft reposait paisiblement sur un banc de galets plats et bien ronds. Les combinaisons néoprène et les gilets de sauvetage cuisaient au soleil sur ses boudins rouges. Goran avait choisi de s’arrêter dans cette anse après seulement deux petites heures de navigation. Après tout, c’étaient les vacances et personne n’avait rien trouvé à redire, d’autant que les jours précédents avaient été éprouvants. Trois jours passés dans notre maison sur essieux, surchauffée, animée par un moteur poussif qui peinait à prendre de la vitesse. Par les fenêtres béantes entrait un air sec et poussiéreux qui avait l’odeur âcre de goudron fondu. L’herbe était jaune et les ruisseaux que l’on croisait croupissaient dans le fond de leur lit. Les paysages tout entiers avaient soif. L’ombre de la nuit ne nous apportait aucun répit. »
Encore une belle découverte chez cet éditeur qui m’a réservé de bons moments de lecture. Ce livre-ci ne déroge pas. Voici un roman auquel on ne peut coller de qualificatif de genre, et ça d’emblée ça me plait.
Le lieu où se déroulel’histoire en majeure partie est un endroit que j’aime particulièrement, les grands Causses et les gorges du Tarn. Ensuite, le jeune narrateur est un personnage pour lequel j’ai nourri une grande tendresse et une compassion infinies. Ce roman qui va se révéler sombre et puis très noir, cette histoire qui passe brutalement de la chaude et belle lumière de l’été au tragique et au chagrin raconte comment un homme va voler la vie d’une famille pour se laver d’une sale, très sale histoire. En dire plus est en dire trop à mon sens, et il est donc difficile d’écrire à propos de ce roman, mais je tente quand même de vous en livrer les lignes principales. C’est un très beau livre dont le cœur est une cellule familiale emplie d’amour qui va se trouver amputée, éclatée, puis ravagée.
C’est l’été, les vacances en famille. Voici Tom, le narrateur et sa jumelle Luna
« J’étais pleinement heureux et Luna aussi, je peux l’affirmer. Sur son merveilleux visage androgyne, des rides étaient apparues aux coins externes de ses yeux bleu délavé en même temps que de fugaces fossettes. Elle était comme ça, Luna, un visage farouche, perché sur une quenouille, qui attire les regards, mais ne montre pas grand-chose de ses émotions. Moi j’étais un peu grassouillet, avec une tête que des cheveux blonds et courts rendaient exagérément ronde. Difficile de croire que nous étions de la même fratrie et pourtant nous étions comme les doigts de la main, plus inséparables qu’un couple de perroquets. »
En vacances au Monténégro en 2006, avec Goran pour guide, Mily, la mère, Alex le père, Luna et Tom, les jumeaux, font une descente en raft de la rivière Tara. Tom, 15 ans, raconte ce qui va découler de ces vacances. Tom va creuser cette histoire, tout en lisant « Délivrance », essayer de comprendre.
On s’attache immédiatement à ce garçon calme, pacifique, qui aime plus que tout sa jumelle, la brillante et intrépide Luna.
« La proviseure a affiché un air compatissant et a demandé à Luna comment nous vivions cette situation elle et moi.
-J’essaie de me convaincre que ça arrive. Pour tout un tas de raisons, ça arrive tous les jours. des choses auxquelles on ne peut pas s’attendre. On se dit que ce n’est pas juste, mais la vérité c’est que tout le monde est en droit de se dire ça. Dans le meilleur des cas, la vie est comme un cognassier, avec de beaux fruits jaunes qui sentent bon, mais sur lesquels on se casse les dents dès qu’on veut croquer dedans. On peut se battre, ce sera toujours ainsi.
-Tu as dit que tu avais quel âge, Luna?
-Quinze. »
C’est une famille qu’on qualifierait de marginale, mais en fait juste libre, avec un choix de vie qui lui convient, une famille qui vit et se déplace dans un camion rouge de cirque; les parents sont saisonniers, avec tout de même un « camp de base » sur un grand causse ( Méjean ou Sauveterre ? ), une vieille ferme sans grand confort mais où l’été est merveilleux à vivre. Le drame va se dérouler sur la Tara, la disparition d’Alex dont on ne retrouve pas le corps.
« Avant de nous allonger dans notre couchette avec Dobby, Luna m’a susurré:
-Demain il fera beau et on pourra commencer.
-Commencer quoi?
-Le reste de notre vie.
-Comment tu fais Luna?
-Comment je fais quoi?
-Pour ne pas avoir peur!
-J’aimerais que ça s’arrête. Que tout ce qui nous est arrivé ne soit jamais arrivé. Mais je sais aussi que papa ne voudrait pas nous voir baisser les bras. »
Ceci va provoquer le retour sur le causse du reste de la famille et de Goran, l’homme rassurant, secourable, bricoleur, plein d’une compassion solide – pour Mily surtout qui entre dans une profonde dépression.
« Nous sommes allés retrouver notre mère dans le cabanon. La chaleur y était étouffante. Elle était assise sur le sol terreux, au bout du rectangle de lumière dessiné par la porte basse, près de la caisse en bois dans laquelle notre père rangeait ses outils. Elle étreignait la ceinture porte-outils jaspée qu’il s’était bricolée. Dobby s’était calée entre ses jambes, la tête sur son épaule et la langue pendante. La chienne a juste tourné les yeux quand nous sommes entrés. Dobby était toujours disposée à donner des monceaux de tendresse à ceux qui en manquaient. »
Tom et Luna vont reprendre l’un le chemin vers un apprentissage de charpentier, l’autre celui du lycée puis sur un parcours plus surprenant.
« Ce jour était le dernier encore empreint des fragrances de notre adolescence. le lendemain allait être celui qui allait nous éloigner l’un de de l’autre. Luna allait retrouver son lycée et moi j’entrais en apprentissage chez un charpentier installé dans un village situé à une vingtaine de kilomètres au nord de la ferme. J’avais choisi la formation « Charpente et construction bois » parce qu’il me fallait choisir quelque chose. Ma dernière année de collège avait été catastrophique. »
Luna va partir vivre des aventures à risques, Luna sur le fil, laissant Tom très seul avec sa mère. Puis Mily part vivre à Lyon en compagnie de Goran .
Tom va faire la connaissance de Sule, un Bosniaque qui travaille avec lui, qui connaît Goran et recherche une cassette vidéo. Je m’en tiens là. À la suite de quoi la famille de Tom finira de se disloquer, avec un dernier acte profondément douloureux et pétrifiant.
Ce roman traite de l’histoire – avec un grand H comme on dit – qui parfois surgit au détour d’une rencontre et qui insidieusement imprime un virage dangereux ou fatal à des vies innocentes. J’ai aimé ici le ton, la voix de Tom que sans rien de péjoratif, j’appelle un gentil garçon, à l’intelligence intuitive. Il nous parle de son amour pour sa sœur, de son chagrin pour sa mère et de son incompréhension aussi. Le personnage de Joseph, son maître d’apprentissage est très beau, qui par ce qu’il transmet de ce travail manuel et élaboré de la charpente, transmet la valeur du geste et le bénéfice apaisant qu’en tire celui qui s’y absorbe. Il aidera Tom de plusieurs façons, au moment de son plus grand désarroi. Je n’oublie pas le chien Dobby, arraché aux barbelés et qui subira lui aussi la tragédie de la famille, et enfin la nature, le ciel, les étoiles, la sécurité réconfortante des choses immuables.
« Quand la nuit s’est avancée, je me suis assis contre une pierre levée. Il y en avait plusieurs dans le coin. J’ai regardé leurs ombres s’étendre sur le sol. À la lueur de la lune, je suis allé les voir. J’en ai trouvé des jumelles et je me suis allongé entre elles? Avant minuit je les ai entendues chuchoter. Elles disaient la terre, les étoiles, l’air. Au loin, des rondeurs maternelles se découpaient dans le ciel. La terre exhalait des senteurs que les hommes qui avaient disposé et taillé ces blocs avaient respirées avant moi. Un fourmillement sédatif a suivi l’arête crénelée de ma colonne vertébrale. J’ai posé mes mains sur la pierre rugueuse, cherché du regard la Grande Ourse et l’étoile polaire puis je me suis laissé glisser dans l’ombre de la nuit. »
Voici un très beau livre, avec une fin absolument terrible, une écriture remarquable qui distille patiemment l’inquiétude grandissante de Tom. L’appréhension croissant dans le dernier tiers du roman, cette histoire affreuse finit par nous éclater à la figure, comme à celle de Tom . À noter que la trame s’inspire d’un fait réel ( note de l’auteur en fin de livre )
J’ai aimé Tom le doux, le sensible, tout m’a plu en lui, et sa sœur Luna, tout feu tout flamme, son complément si précieux dans une vie de désordre où chacun cherche l’équilibre, Luna à sa manière forte et littérale du terme.
Saša Knežić
Excellent roman dont le suspense doucement – pas lentement, mais bien doucement – amené n’est pas là juste pour lui-même, pour le sel du récit, mais bien pour braquer soudain un projecteur brutal sur des vies « ordinaires » brisées par un fait qui les dépasse.
« Luna était une équilibriste. Elle acceptait le risque comme peu de gens peuvent le faire et je m’étais dit que regarder la réalité en face était en quelque sorte son quotidien. Alors je lui ai appris ce que m’avait révélé Sule. Comme ça, comme je l’avais reçu, sans précaution.[…] Le visage de Luna avait perdu sa lumière. »
Dommages collatéraux, disent les cyniques.
Une lecture très forte, belle et bouleversante et une fin comme il se doit dans un chapitre éblouissant, une écriture qui ne renonce pas à la poésie, remarquable :
« J’ai roulé sans me retourner jusqu’au croisement. J’ai arraché la boîte aux lettres, je l’ai écrasée. J’ai vu le brasier qui éclairait salement le causse. En montant sur la moto, j’ai entendu l’explosion de la bouteille de gaz. Un écho de nos vies. »
Coup de cœur.
« Où étaient passés les jours baignés d’un bonheur chaud et insouciant? Les longues heures dans le camion filant vers le sud, après les saisons d’hiver, à écouter Bashung chanter « Marcher sur l’eau, éviter les péages, jamais souffrir, juste faire hennir les chevaux du plaisir », refrain que nos parents fredonnaient en chœur pendant que Luna et moi mangions des cerises par poignées et crachions les noyaux par la fenêtre grande ouverte. Le temps glissait alors comme une averse d’été sur le feuillage des arbres. »