« Bobby Mars forever » – Alan Parks – Rivages Noir, traduit par Olivier Deparis (Ecosse)

51oocfQeMaL._SX195_« C’est Billy, le sergent de l’accueil, qui décroche. À l’autre bout de la ligne, une femme essoufflée, terrifiée, elle pleure à moitié. Elle dit: « Je voudrais signaler la disparition d’une petite fille. »

Et d’un coup, tout change.

Quand un appel comme celui-là arrive, tout le monde se redresse sur sa chaise, cesse de remplir sa grille de loto, pose son sandwich entamé. Ceux qui ont des enfants ouvrent leur portefeuille sous leur bureau, regardent la photo de Coli, d’Anne ou de la petite Jane et remercient le ciel que ce ne soit pas le ou la leur qui ait disparu. Les plus jeunes, l’air grave, essaient de ne pas s’imaginer sortant une gamine sanglotante d’une cave ou de dessous un lit, félicités par le chef, remerciés par une mère en larmes. »

Été 1973, Glasgow, retrouvailles avec Harry McCoy. Bobby Mars, natif de la ville et musicien flamboyant a été retrouvé mort d’une overdose dans un hôtel. Parallèlement, une jeune fille de 13 ans, Alice Kelly a disparu, tout comme  Laura, la nièce de Murray, le boss de Harry, une adolescente aux mauvaises fréquentations. Murray n’a pas grande estime pour son frère:

« Murray soupira.

-John est le directeur adjoint du conseil de Glasgow. Voir sa fille en fugue à la une de l’Evening Times, ce serait dramatique pour lui. Et entre nous, il va se présenter comme député l’année prochaine. Il va être candidat pour la circonscription Ouest. Tout est organisé. Il ne veut pas que les frasques de Laura sapent ses chances.

-Très élégant de sa part.

Murray eut l’air résigné.

-C’est un con, il l’a toujours été. Si ce n’était pas mon frère, il pourrait brûler vif que je ne traverserais pas la rue pour lui pisser dessus.

Il cracha un nouveau nuage de fumée, puis, agitant la main pour le dissiper:

-J’ai failli lui dire de se démerder tout seul, mais j’aime beaucoup Laura. Je ne voudrais pas qu’il lui arrive quelque chose. »

Autant dire que McCoy a du pain sur la planche. Les deux gamines disparues lui semblent relever de la même affaire, à traiter de manière urgente.

« Alice était sans doute morte quelques heures après avoir disparu, assassinée par une connaissance. Il faudrait qu’il demande à Wattie s’il avait interrogé la mère à propos d’un amant éventuel. L’idée terrifiait la population et permettait aux journaux de vendre du papier, mais en réalité il était très rare que des inconnus enlèvent des enfants. En général le ravisseur était un parent, un voisin, un commerçant chez qui l’enfant venait acheter des bonbons tous les jours. Quelqu’un en qui il avait confiance. Quelqu’un qu’il connaissait. »

Ainsi Alan Parks construit son roman à un rythme trépidant, dans Glasgow étouffant dans une chaleur d’enfer, Glasgow toujours aussi inquiétante et dangereuse, noire à souhait.

Si les enquêtes tortueuses, dans lesquelles se percutent de nombreux personnages, pleines de rebondissements, m’ont tenue en haleine, ce sont pourtant les personnages, les caractères, qui m’ont captivée. Car ce pourrait être un roman policier « ordinaire », mais c’est cet aspect qui apporte la profondeur au roman; les relations humaines tellement troubles et complexes, du début à la fin. McCoy, tout flic qu’il est, fréquente sans complexes des milieux et lieux plus interlopes, il navigue à l’aise ainsi, et je crois que dans ses enquêtes, il arrive à frôler la ligne rouge; mais ce flou entre les bons et les mauvais devient peu à peu moins flou. Entre collègues, l’ambiance est déjà extrêmement tendue. J’ai aimé Wattie, beaucoup, il est jeune, tout neuf, et aime bosser avec McCoy. Quant à McCoy, toujours teigneux, mais homme bon, il est formidable de se mettre dans ses pas et dans sa tête. Avec ou sans alcool. On lit avec un vague sourire aux lèvres les conversations de Murray avec Wattie, ou bien avec les dames de son entourage; il va se prendre des coups, il va en éviter, il va naviguer en eaux troubles, on s’accroche à ses basques, et ça part sur les chapeaux de roue. Et puis, il aime sa ville:

« Il s’appuya contre la vitre du taxi et tenta de réfléchir en regardant passer la ville. Il avait toujours aimé Glasgow la nuit, même au temps où il était patrouilleur. Il aimait les rues vides où ne circulaient plus que les derniers fêtards avinés rentrant chez eux. Seul dans la ville déserte, il voyait des choses que peu de gens voyaient. Sauchiehall Street envahie d’étourneaux, des hommes couverts de farine derrière les vitres des boulangeries, de jeunes ouvrières assises sur un muret et partageant des cigarettes et une petite bouteille de whisky. Il aimait rentrer quand tout le monde dormait encore. Il aimait se glisser sous les couvertures à côté du corps chaud d’Angela, en s’efforçant de ne pas la réveiller. »

Angela, personnage très important dans cette histoire, à plusieurs raisons. Un des personnages les plus troubles, riche en facettes plus ou moins lumineuses.

Et puis il y a l’ombre de Bobby Mars dont on partage les derniers moments, ceux où la musique le transporte, l’illumine – avec une dose dans les veines -, Bobby Mars et les Stones, sa triste fin en courts chapitres insérés au récit.

« Le gamin acquiesça et fit lentement descendre le piston.

L’effet fut pratiquement immédiat. Il sourit, c’était de la bonne. Meilleure qu’on aurait pu s’y attendre à Glasgow. Il entendit le gamin dire: » Ça va? ». Il tenta d’opiner mais sa tête était trop lourde. Il s’allongea sur le canapé tandis que la chaleur envahissait son corps. Il repensa à ce fameux soir chez Sunset Sound, pour l’enregistrement de « Sunday Morning Symphony », la pris magique qu’il avait faite. C’était le bon temps, le temps où il avait l’impression que tout allait lui réussir. Que ce serait touj… »

Comme il fait chaud à Glasgow…Ventilator Blues

C’est par ce talent du portrait, par la place laissée aux personnages « secondaires » – donc ici ils ne le sont plus – , la capacité à décrire Glasgow, fascinante par tant de noirceur et de recoins plus ou moins sordides, par les scènes de pub, de beuverie, avec la mère maquerelle Iris et son entourage, c’est ainsi qu’Alan Parks a la capacité à nous rendre visibles tous ces lieux et toutes ces personnes, c’est ainsi que ce livre prend chair et force. C’est un vrai grand plaisir de tourner les pages, parce qu’on veut la suite. On va de surprise en surprise, rien n’est jamais comme on l’imaginait, haletant, nerveux et remarquablement écrit, voici un roman que je n’ai pas lâché. Bonne lecture !

Je ne peux pas m’empêcher de finir avec cet extrait – un peu long mais ça le vaut bien-  qui m’a beaucoup fait rire, un poil moqueur, j’aime bien l’esprit vache d’Alan Parks…sans oublier que le roman se déroule en 1973.

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« Quoi que McCoy ait pu attendre de sa soirée avec Mila, ce n’était pas ce qu’il était entrain de vivre. Qu’était-il en train de vivre d’ailleurs? Ils se trouvaient dans une grande salle avec des fenêtres donnant sur Blythswood Square et regardaient un gros homme, assis par terre, en salopette, jouer de l’harmonium et chanter des chansons qu’il semblait improviser sur le moment. Assis de chaque côté, deux guitaristes tentaient de l’accompagner, l’air aussi perdu l’un que l’autre.

En voyant le public réuni dans cet immeuble du Scottish Arts Council – pour moitié des jeunes hippies, pour moitié des couples de quinquagénaires aisés -; il avait compris que ce serait un spectacle intello, mais là, ça allait un peu loin.

L’homme qu’ils regardaient  s’appelait Allen Ginsberg. Apparemment, c’était un poète célèbre, et ils étaient censés être honorés par sa présence. McCoy n’avait jamais entendu parler de lui, contrairement à ce qu’il avait laissé entendre lorsque Mila lui avait annoncé où ils allaient. À présent, au grand dam de McCoy, les musiciens avaient été congédiés et il récitait l’un de ses poèmes.

Mila se tourna vers lui et sourit. Il sourit à son tour, s’efforça d’avoir l’air intéressé.

Elle se pencha vers son oreille.

-Vous pouvez y aller, je crois , dit-elle. »

« Note de l’auteur, drôle jusqu’au bout sur ce sujet : Pour être tout à fait honnête, j’ai déplacé la performance d’Allen Ginsberg de quelques jours. Toute autre inexactitude est non intentionnelle. Et imputable à moi seul. »

 

« Janvier noir » – Alan Parks – Rivages/Noir, traduit par Olivier Deparis

« L’affaire devint l’un des points de repère dont parlent les flics pour situer leur carrière. Comme il y eut Peter Manuel et Bible John, il y eut Janvier noir. Personne ne savait vraiment d’où était sorti ce nom, sans doute une remarque au détour d’une conversation à Pitt Street ou dans un pub proche du central. La presse n’avait pas tardé à s’en emparer pour en faire ses gros titres. La une la plus célèbre était encore visible, encadrée sur les murs des commissariats de la ville.

JANVIER NOIR:  OÙ S’ARRÊTERA LA LISTE ? »

Eh bien ce livre m’a terriblement plu. Je me suis plongée dans sa noirceur absolue, sa violence extrême, l’ambiance crasseuse, miteuse, misérable de Glasgow en 1973. Ce livre ne tient pas qu’à ce fil ou filon- là, pas juste là pour les amateurs, mais ce roman est aussi comme un reportage – en noir et blanc pour moi – sur Glasgow à cette époque, les quartiers abandonnés tout comme les gens qui y vivent, qui s’y cachent, qui y trafiquent et qui souvent y meurent de manière violente. McCoy, qu’on pourrait croire un de ces flics héros fatigués au bord de la retraite est en fait un jeune flic, trentaine dépassée, pas plus. McCoy navigue entre deux eaux, troubles toutes les deux, l’une plus sale que l’autre…quoi que, l’histoire nous démontrera que non, pas vraiment. Parce que c’est un livre noir dans son intégrité. McCoy et son « bleu », Wattie ( formidable personnage ):

« Le nouveau était pourtant là, cheveux blonds mouillés et bien coiffés, large visage ouvert, costume sombre et chaussures cirées. il avait vingt-six ans et en paraissait quinze. Le bleu dans toute sa splendeur.

-Huit heures et demie, en principe, répondit McCoy en bâillant largement.

-Je peux revoir la photo? demanda Wattie.

McCoy la lui donna. Lorsqu’il regardait Wattie, il se revoyait cinq ans plus tôt. cet éclat d’enthousiasme avait disparu de son regard depuis longtemps, et ça faisait belle lurette qu’il ne venait plus travailler chaussures cirées et chemise repassée. Il regarda son reflet dans la vitre: ce n’était pas jojo. il avait besoin d’aller chez le coiffeur et de se procurer un costume avec lequel il n’ait pas l’air d’avoir dormi. »

Alan Parks nous plonge – je dirais même nous enfonce la tête –  dans un univers sordide où règnent tout les vices et toutes les misères; alcool, drogues, prostitution et bien pire que ça. Tout se déroule au moins de janvier 1973. Après quelques chapitres servant de rencontre avec McCoy et son univers, la mise en place des lieux, le commissariat, la prison de Barlinnie, la chambre où Janey et McCoy s’ébattent, défoncés…vient le 2 janvier et la gare routière où un jeune garçon de 20 ans abat une jeune femme et se tire une balle ensuite. Voilà, les faits de l’enquête sont posés, et va s’en suivre une véritable immersion dans les rues, les pubs, les chambres et les recoins les plus sinistres et misérables de la ville.

« Le Springburn dont il se souvenait, ses grandes usines de locomotives, ses immeubles surpeuplés, avaient disparu depuis longtemps. Les usines avaient toutes été fermées et la population déplacée vers les nouvelles cités de banlieue. Cités déjà gorgées d’humidité, à en croire leurs habitants.

Aujourd’hui, Springburn n’était plus que des autoroutes, des immeubles à moitié démolis, leurs pièces tapissées de papier peint à ciel ouvert, et un pub ici ou là, perdu au milieu de nulle part. Tout ce qu’il y avait autour: envolé. La municipalité aurait mieux fait de balancer des bombes incendiaires sur le quartier, au moins ç’aurait été plus rapide. »

On fait des rencontres avec des gars patibulaires, clochards, tueurs, hommes de main, trafiquants de toutes marchandises trouvant preneur. On va des bordels à des lieux beaucoup plus chics, chez des gens bien plus difficiles à aborder que les mères maquerelles comme Iris ou Baby Strange, bien plus difficiles à coincer aussi.            Iris :

Le bordel était installé dans l’un de ces immenses appartements victoriens qu’on trouvait à Glasgow, chaque pièce aménagée en chambre à l’exception de la cuisine. Ça, c’était le domaine d’Iris. Elle trônait, assise sur une vieille chaise à l’entrée de la pièce, derrière elle se dressant les piles de caisses de bouteilles et Big Chas, le videur. Elle avait confié à McCoy que les boissons lui rapportaient deux fois plus que les filles. Ça en disait long sur Glasgow. Iris ne se compliquait pas la vie. Elle ne vendait que du whisky et de la bière. C’était à prendre ou à laisser. Tennent’s ou Red Hackle.

Elle réalisait l’essentiel de ses bénéfices tard le soir et le dimanche. À partir de minuit le vendredi ou de trois heures le dimanche après-midi, quand les vrais buveurs commençaient à avoir la tremblote, elle pouvait plus ou moins pratiquer les prix qu’elle voulait. Il avait croisé suffisamment de femmes à la mine honteuse et d’hommes aux yeux chassieux dans l’escalier pour savoir à quel point les affaires marchaient bien. Les buveurs trouvaient toujours de l’argent quelque part. Quitte à ce que les mêmes ne mangent pas le lendemain. »

Un des nombreux intérêts de ce livre, c’est la quasi absence de frontière entre les différents mondes, différents milieux et univers, l’extrême porosité entre les truands et l’autorité; c’est en particulier le lien si fort qui soude McCoy et Cooper en toutes circonstances. Un lien, mais aussi une sorte de prison pour McCoy, prison affective faite de loyauté, de reconnaissance, mais c’est en tous cas un lien qui jamais ne sera rompu. C’est une histoire tragique, douloureuse et forte entre ces deux hommes partis sur des chemins opposés.

« McCoy ne put terminer sa phrase. Cooper s’était jeté sur lui. Il le tint par le cou, lui plaqua la tête contre le mur de la ruelle. Le visage collé au sien, il postillonna, les dents serrées:

-Trois ans, que t’as passés à chialer et à pisser au lit, les autres faisaient la queue pour te balancer des coups de latte. Et moi, je me suis occupé de tout le monde. Je t’ai protégé des sœurs et des séances de chatouilles de cet enfoiré de père Brendan. C’est moi qui m’en suis pris plein la gueule par les frères; c’est moi qui me suis retrouvé enfermé dans ce putain de cachot pendant des jours d’affilée. Pas toi. C’était pas assez? Et pour ta gouverne, Janey n’allait avec toi que pour l’herbe que t’apportais. »

J’ai adoré ce pan de l’histoire. L’auteur ne se satisfait pas de survoler sa ville, il y pénètre avec nous sans broncher. C’est extrêmement bien écrit et malgré la violence omniprésente, sous toutes ses formes, il y a de l’amour entravé par les difficultés sociales et psychiques, par les addictions, en particulier cette drogue qui ravage les personnages croisés dans cette déambulation hallucinée dans Glasgow. Il est bien sûr question de corruption, partout, tout le temps. C’est un horizon sombre, bouché, l’amour et la mort s’imbriquent, les enfances et les jeunesses naissent en foyer et finissent en prison ou à la morgue. Mais, malgré tout, des amours naissent, même éphémère, cette pulsion vitale s’accroche. Bref, un vrai bon roman, gros coup de cœur.

Qualifié de hard-boiled en 4ème de couverture – traduit en son sens propre, cela s’utilise pour les œufs durs –  un livre de »durs à cuire ». Un des premiers auteurs du genre fut Dashiel Hammett. Plus ICI

« La tête renversée en arrière, la femme chantait à gorge déployée. Sa voix avait dû être très belle autrefois. Ce qu’il en restait résonnait sous les voûtes, rauque, privé d’aigus, mais l’émotion était toujours là. Tout le monde se tut à leur approche. Elle termina sur « Oh Danny Boy, I love you so ! », s’inclina en saluant de la main et tomba. L’homme l’aida à se relever, lui fourra dans la main sa bouteille de vin rouge arrangé. »

J’ai choisi cette version qui me semble la plus proche de l’âme du livre, même si c’est un homme qui chante.

 

« Le Quaker » – Liam McIlvanney – Métailié Noir, traduit par David Fauquemberg

« Prologue

Cet hiver-là, la photo d’un jeune homme blond au sourire narquois envahit tous les arrêts de bus et les vitrines de marchands de journaux de la ville. Ce même visage était punaisé aux panneaux de liège des salles d’attente des médecins, ou exposé sous verre dans les bibliothèques municipales. Chacun avait sa petite idée sur le propriétaire de ce visage. Les rumeurs bruissaient dans l’air comme de l’électricité statique. Le Quaker travaillait comme magasinier à la boulangerie Bisland’s. Il était installateur pour la compagnie de gaz écossaise, soudeur au chantier naval Fairfield’s. Le Quaker bossait comme serveur au vieux pub du Bay Horse. »

Très contente de retrouver les éditions Métailié avec ce très bon roman policier écossais. Roman policier, mais aussi un regard sur le Glasgow des années 60/70 plein de réalisme, avec une ambiance vraiment réussie. L’intrigue est inspirée d’un fait divers, et l’enquête va jusqu’à un aboutissement qui au final n’en est pas totalement un – et ça, j’aime bien -.

« Une deuxième grosse tempête frappa la ville le 25 janvier, ce jour où l’on célèbre le poète Robert Burns. C’est le lendemain de la tempête, au petit matin, que l’on retrouva Numéro Trois gisant dans  une arrière-cour de Scotstoun, le corps massacré, tel un objet saccagé par le vent. Le sourire involontaire de Marion Mercer alla rejoindre ceux de Jacquilyn Keevins et Ann Ogilvie sur les unes à scandale du Record, du Tribune et du Daily Express. »

Trois femmes ont été assassinées, violées et mutilées selon ce qui ressemble au rituel d’un serial killer. Mais les enquêteurs de la Quaker Squad, cellule dédiée à cette affaire, pataugent, malgré des mois et des mois de travail. Alors bien sûr, il n’est pas possible de s’en tenir à un échec, même si les meurtres ont semble-t-il pris fin, même si la population a semble-t-il tourné la page de la peur, malgré tout ça, la hiérarchie envoie Duncan McCormack pour faire un audit et tenter de relancer de nouvelles pistes, de nouvelles façons d’aborder les faits ou  – et de préférence – de boucler le dossier sans trop de bruit même sans résultat.

« -Bref. Vous prévoyez quoi pour la suite ?

McCormack jeta son mégot par la fenêtre ouverte.

-Je prévois de garder les yeux grand ouverts. Je prévois de passer en revue tous les éléments dont nous disposons. D’écrire un rapport honnête.

-Je vois. De nous retirer l’affaire, vous voulez dire. D’abréger nos souffrances.

-La décision ne m’appartient pas, inspecteur.

-Regardez-nous dans les yeux quand vous nous baiserez, hein ? On mérite au moins ça. »

Parmi les points forts de ce roman, les relations complexes qui vont prendre forme au sein de la Quaker Squad; McCormack regardé avec suspicion et en face de lui, l’esprit de corps peu enclin à intégrer un enquêteur externe, jugé par l’équipe comme un simple moyen de mettre le doigt sur leur incapacité à résoudre le dossier. Donc, une forte animosité dans l’équipe, et une belle étude sans concession d’un corps professionnel et de sa hiérarchie ( les chefs Flett, Levein, Cochrane ne sont pas très attachants, au minimum…). Sauf que McCormack, l’enfant de Ballachullish, n’a pas été élevé comme ça, ne voit pas les choses comme ça et n’entend pas se laisser pervertir, quoi qu’il lui en coûte.L’auteur m’a enchantée par son ton assez amer sans être cynique et son regard sur ce que devient Glasgow.  Et sur ce que lui devient.

« Chez lui, ce soir-là, McCormack contemplait les longs cous des grues de l’autre côté de la ville, dans l’éclat bleuissant du soir. La fenêtre de son séjour lui renvoyait son fantôme, l’image d’un homme qui aurait pu être quelqu’un d’autre. L’inspecteur principal Duncan McCormack, patron de la brigade volante. Il se représenta la chose. « 

Le nouvel arrivé va reprendre tout le dossier et saura résister et trouvera même en Goldie un allié inattendu, au vu des difficultés entre eux au début. En marge de cette enquête, la police va devoir retrouver un gang qui s’empare d’un trésor de bijoux dans une salle des ventes en moins d’une heure. La tête pensante est un nommé Paton, un free lance venu de Londres mais né à Glasgow, fameux perceur de coffres-forts.

« Il découpa en dés sa pièce de jambon et regarda les joyaux défiler. Il s’agissait du butin d’un cambriolage perpétré dans une maison de vente aux enchères. Les voleurs étaient entrés par effraction dans les locaux de la société Glendinnings, sur Bath Street, ce mardi matin à l’aube. Si vous reconnaissez l’un de ces bijoux, merci de contacter le numéro inscrit au bas de votre écran. »

Des liens vont surgir, hasardeux et incompréhensibles le plus souvent, entre les deux affaires, laissant perplexe McCormack  qui va avancer ainsi de retournements de situation en hésitations, de sermons du chef en petits pas en avant qui l’incitent à continuer. Un des fils tirés au cours de l’enquête est lié à une chanson populaire, » Mary Hamilton »:

Grâce à la ténacité de cet inspecteur viendra le dénouement. McIlvanney, avec une plume assurée, raconte cette longue et difficile enquête sans un temps mort, dans un Glasgow qui mute et dont les chantiers mettent à jour le sordide, dans une ville tenue par la mafia locale. Les passages dans lesquels les victimes racontent leur mort sont vraiment bons, mettant à point nommé les derniers instants de ces femmes comme une ponctuation, et une sorte d’appel ou de rappel :  » N’oubliez pas qu’elles étaient des personnes vivantes parmi nous, écoutez leur dernier souffle, leur dernière pensée. »

« Ann Ogilvie – […] Je suis restée allongée là tout le jour d’après, toute la nuit suivante, à cent mètres de mes enfants, de ma sœur Deirdre. C’est Deirdre qui a fini par me trouver.

J’ai entendu ses talons sur le bois brut du plancher, ses pas qui s’approchaient par à-coups, comme si elle n’arrivait pas à se décider, tac…tac-tac-tac…tac tac. Puis son souffle coupé quand elle a vu mes jambes, la manière dont elle a franchi les derniers mètres sur la pointe des pieds, et son visage terrifié penché sur mes yeux morts comme si elle regardait au fond d’un puits. 

Trente-six heures auparavant, je me préparais pour sortir. »

L’auteur donne tour à tour « la parole aux victimes et aux enquêteurs », mais surtout, avec un grand sens du portrait, nous fait aimer quelques personnages de façon inattendue. Si bien sûr McCormack avec ses zones sensées être des zones d’ombre à cette époque, m’a été tout de suite très sympathique, c’est je crois Alex Paton, le perceur de coffre que j’ai préféré, parce qu’il est intelligent, parce que peu à peu son histoire nous est dévoilée, parce que je le trouve très doué dans son job…Bref, j’aime bien ce brigand-là…Un extrait qui dit d’où vient Paton

« Il avait passé pas mal de temps au Trou.

Le Trou, c’était la cellule disciplinaire. En bas d’un escalier étroit, dans un sous-sol aveugle, humide et noir. Le secret de Paton, c’est que le Trou ne lui avait jamais fait grand-chose. L’obscurité avait quelque chose de bienveillant. Elle pouvait vous envelopper, vous absorber, jusqu’à ce que vous fassiez partie d’elle. Ce qui inquiétait les autres jeunes – l’absence de fenêtres, les ténèbres épaisses – ne le dérangeait pas. À travers la fenêtre noire du Trou, on pouvait s’échapper vers un riche néant obscur. on pouvait disparaître. »

Ajouter à ces personnages les décors, logements, bars, pubs, ruelles sombres, cimetière, lieux de crimes, immeubles en démolition où subsistent des résidus de pauvres vies, petit jour ou ciel changeant, un peu de l’air vif des Highlands quand Paton part faire du camping ( …! ) , ajouter encore les effluves de bière et de whisky et le regard inquiet de Duncan McCormack, et vous avez ce très bon livre dans lequel les réponses ne viennent qu’à la toute fin et, même si on est suspicieux tout au long des pages, la fin est une apothéose de révélations, une fin qui, comme je le dis au début de ma parlotte, n’en est pas totalement une. Une suite peut-être avec ce Duncan McCormack attachant ? Je ne dirais pas non !

McCormack et Goldie vont manger, boire et réfléchir au Blue Bird Café, et entendent Donovan

Excellent moment de lecture, un bon vrai polar, plus violent dans ce que sont les personnages que dans les actes, et Glasgow versant sombre.

« La route de Lafayette » – James Kelman – Métailié/ Bibliothèque écossaise, traduit par Céline Schwaller

« Il était cinq heures et demie du matin quand son père le réveilla. Murdo resta au lit cinq minutes de plus. Il devait réfléchir à beaucoup de choses. Mais c’était tout, réfléchir; il avait bouclé ses bagages la veille. Il ne tarda pas à se lever pour descendre prendre son petit-déjeuner. Papa avait terminé le sien et procédait aux dernières vérifications des interrupteurs électriques, robinets de gaz, robinets d’eau et poignées de fenêtres. Dans deux heures les gens iraient à l’école. Murdo et son père allaient en Amérique. »

Voici un livre que j’ai aimé de plus en plus au fil des pages. C’est un livre au rythme lent et qui se déroule en fait dans la tête et par la voix du jeune personnage Murdo, adolescent de 16 ans qui vient de perdre sa mère à la suite d’un cancer. Il a aussi perdu sa grande sœur Eilidh de la même maladie, quelques années plus tôt. Et dans le cœur de Murdo, dans son esprit, il y a un chagrin incommensurable que seule la musique console. Car Murdo est musicien, accordéoniste assez doué. C’est là sa seule joie, sa seule consolation. Car s’il a son père, celui ci est assez mutique, il passe son temps plongé dans des livres et sur lui aussi pèsent la perte et la solitude.

Le livre commence au départ d’Écosse vers l’Amérique du père et du fils. Un oncle et une tante vivent en Alabama et les reçoivent chez eux pour deux semaines de vacances. C’est donc Murdo qui relate ce long chemin, ces embûches pour ces deux âmes en peine peu habitués à quitter leur coin isolé d’Écosse.  Arrivé aux USA non sans peine, Murdo en se promenant en ville rencontrera un groupe de musiciens qui jouent du zydeco et ils l’inviteront à un grand festival qui se déroule en Louisiane. C’est alors que ce séjour un peu morne prendra des airs d’aventure pour le jeune garçon.

La rencontre musicale de Murdo avec Sarah Edna et Queen Monzee-ay:

« Montre-moi montre-moi. Elle aurait aussi bien pu le crier. mais c’était chouette et il se lança, utilisant un truc sur lequel il avait travaillé quelque temps plus tôt. Il le connaissait sur le bout des doigts et pouvait en faire ce qu’il voulait, ajoutant quelques fioritures à cette nouvelle façon de jouer. C’était bien, il le savait. Queen Monzee-ay était concentrée sur la façon dont il jouait, ne lui adressant que de brefs sourires. Elle s’approcha de lui et rit, C’est toi les croûtons mon garçon![…]

Lorsqu’ils s’arrêtèrent pour faire une pause Sarah et elles lui firent des révérences amusantes et lui-même s’inclina de manière ridicule. Queen Monzee-ay demanda, Depuis combien de temps est-ce-que tu joues de l’accordéon, Murdo ? »

Sur scène, Queen Monzee-ay chante un titre de Clifton Chenier qui fut le premier à utiliser l’accordéon pour jouer du blues.

Je veux dire à quel point l’auteur parvient à nous rendre vivant, authentique, touchant ce jeune Murdo qui sans cesse gamberge -l’écriture réussit à la perfection à rendre ses ruminations, ses pensées obsessionnelles -, et c’est un garçon foncièrement gentil (non, ce n’est pas un gros mot ), sans violence mais avec en lui un sentiment profond d’injustice pour la mort si jeune de sa sœur qu’il adorait et pour celle de sa mère qui manifestement faisait le lien entre lui et son père. La relation avec le père est faite de non-dits, parfois on a le sentiment d’une tension très forte, mais ça retombe toujours, pas un mot plus haut que l’autre, pas d’éclat, mais alors reste quelque chose , une incompréhension, une crainte de Murdo du jugement de son père. 

Murdo parle de sa sœur à tante Maureen, totalement bouleversant:

« C’est pas des souvenirs, elle est là, c’est tout. Murdo jeta un coup d’œil aux autres femmes. Elles écoutaient.T’entends ça dans les chansons. Je serai toujours avec toi, et c’est vrai. Eilidh est toujours avec moi. C’était ma grande sœur et c’est toujours ma grande sœur et ça me fait pleurer quand j’y pense. Je le sais. Murdo haussa les épaules. C’est plus fort que moi. J’arrive pas à m’en empêcher et je m’en fiche. Si elle avait pas été là quand maman est morte je sais pas ce qui se serait passé. C’est Eilidh qui m’a aidé à tenir le coup. Murdo secoua la tête et garda les yeux fixés sur le tapis. Je me fiche de Dieu et de  Jésus et de tous ces trucs-là, je suis désolé, les gens disent qu’elle est partie et qu’elle est avec Jésus, je suis désolé mais c’est pas vrai, elle est avec moi. Elle a vécu sa vie. C’est la seule qu’elle a eue. Ma grande sœur, c’était une fille super et une vraie personne. C’est ma grande sœur, voilà qui c’est. »

Je veux louer le style, l’écriture très particulière de James Kelman, le mode narratif choisi pour cette histoire triste mais qui rayonne pourtant de la personnalité si attachante de Murdo. On l’aime ce garçon, on a envie en fait de le consoler. Il ne juge jamais, il observe et a des idées parfois bien arrêtées, mais reste curieux en particulier en regardant, écoutant la petite communauté pieuse autour de l’oncle et de la tante – ce qui donne à l’auteur l’occasion d’une « étude » de cette société semi-rurale ou plutôt  semi-urbaine. La tante Maureen, qu’il va adorer, saura lui prodiguer les gestes tendres et consolateurs, les signes d’affection dont il est privé. Vraiment Murdo m’a beaucoup émue. Tout va s’éclairer dans sa vie quand il suivra la route de Lafayette en douce et retrouvera ses amis, quand il montera sur scène avec la reine du zydeco Queen Monzee-ay et ses musiciens. Quand il sera discrètement amoureux de la jolie Sarah.

Queen Ida, la première femme accordéoniste à diriger un groupe de zydeco, le Bon Temps Zydeco Band

Murdo découvre le festival de Lafayette

« Les gens engloutissaient des plats à emporter et buvaient de la bière. Partout où tu regardais. Des hamburgers et d’autres trucs. Il avait besoin de manger. […] Les gens dansaient dans la rue, vivement éclairée dans le noir. Il y avait de tout. Les types portaient des chapeaux de cow-boys, des gilets et des jeans. Les femmes portaient n’importe quoi, shorts et jupes courtes; sandales, bottes de cow-boy de couleurs vives, talons hauts, jupes longues, jeans, n’importe quoi. Plein de jeunes partout. »

 

La fin est belle pour ce roman si particulier dans son écriture, dans la façon lancinante de faire s’exprimer Murdo – c’est ce qui en fait vraiment sa personnalité, son originalité – et Murdo est inoubliable. La joie de Murdo passe par son accordéon, par la musique qui lui permet mieux que tout autre moyen d’exprimer tout ce qu’il retient en lui. Quand il reçoit en cadeau l’accordéon turquoise :

« Murdo s’assit sur la chaise avec l’étui sur les genoux et 

l’ouvrit.

Le turquoise se trouvait à l’intérieur. C’était le turquoise. Murdo le regarda en fronçant les sourcils, le turquoise. Ils avaient oublié de le changer. […] C’est pas le bon accordéon, dit Murdo.

Quoi ?

C’est pas le bon. Murdo secoua la tête et s’apprêta à le sortir, mais le laissa à l’intérieur. Joel avait dû voir celui qu’il avait acheté chez le prêteur sur gages en ouvrant l’étui. C’était son étui, alors quand Joel l’avait ouvert il avait forcément vu l’accordéon. Il avait dû le sortir pour mettre le turquoise à la place. Il l’avait donc sorti, puis il avait mis l’autre, le turquoise. Murdo le regardait fixement. Il regarda papa. Papa, dit-il, ils me l’ont donné. Papa…

Quoi ?

Papa. Murdo se mit à pleurer.

Papa se pencha sur lui.

Murdo ferma résolument les yeux pour tenter d’arrêter les larmes mais il n’y arrivait pas, n’arrivait pas à arrêter de chialer. Je suis en train de chialer, dit-il. Je suis en train de chialer papa je chiale tout le temps. »

Et je vous laisse le plaisir de lire la suite de cet extrait en lisant ce très beau roman.

Un livre puissamment émouvant.

« Manuel de survie à l’usage des jeunes filles » – Mick Kitson – Métailié/Bibliothèque écossaise, traduit par Céline Schwaller

« 1

Pièges

Peppa a dit « Froid » et puis plus rien pendant un moment. Et après elle a dit « Froid Sal. J’ai froid ». Sa voix était basse et sourde et feutrée. Pas comme d’habitude. J’ai commencé à avoir peur qu’elle soit en hypothermie. J’ai vu quelque part que ça vous rend tout mou et tout endormi. Alors je l’ai touchée mais son dos était chaud et son ventre était chaud. Après elle a dit « Arrête de m’peloter – ‘spèce de pédo ». Et là j’ai su qu’elle n’était pas en hypothermie. »

Ainsi commence le récit de Sal, 13 ans, en fuite à travers les Highlands avec sa petite sœur Peppa, 10 ans, et qui n’a pas sa langue dans sa poche, comme on le constate dès ces premières lignes. Peppa sera dans cette histoire la petite flamme rousse pétillante de vie, farceuse, moqueuse, volontiers très grossière bien que si jeune; Peppa court comme une gazelle, lit autant qu’elle peut, raffole des histoires et des gros mots.

« Peppa court plus vite que n’importe qui au monde je pense. Elle a des jambes très longues et quand elle court on dirait le vent. […] En fait elle fait tout très vite. Soit elle reste immobile comme une pierre soit elle va vraiment vite. Elle mange vite et elle parle vite. »

Et c’est Peppa qui apporte dans cette histoire de survie la note gaie, drôle…

Elle a bien du mérite, car si  Sal et elle sont en fuite c’est pour échapper à un destin dont elles ne veulent plus, fait de violences multiples. Sal a décidé de sauver sa petite sœur qu’elle adore pour la préserver tant qu’il est encore temps.

Après de multiples apprentissages sur des sites de survie sur Internet qu’elle fréquente assidûment, Sal va organiser leur fuite patiemment. Le roman débute ainsi, deux fillettes au milieu de la forêt des Highlands au début de l’hiver et c’est donc Sal qui raconte tout au long du livre comment leur existence aventureuse s’organise, ce qui les a fait fuir. S’ajoute à ça la force de la nature très sauvage, mais protectrice quand on sait s’y installer. Et à cela Sal, la petite Sal s’est préparée intensivement. Elle sait faire des pièges, tirer à la carabine, pêcher, reconnaître des traces, construire une hutte – et avec quoi il faut le faire – faire un feu, chauffer des pierres pour avoir chaud dans son lit,  faire un bol d’une écorce de bouleau et plein d’autres choses qu’elle améliore en les pratiquant. Elle a regardé Ray Mears et Ed Stafford ou encore Bear Grylls sur Youtube, et sa lecture intensive c’est : « Guide de survie des forces Spéciales »…

« -On peut pas installer des pièges à côté du terrier, ils vont faire le tour. Bear Grylls dit qu’il faut s’éloigner du terrier en suivant une piste et poser les pièges à cet endroit.-Je l’ai vue celle-ci Sal et il en a même pas attrapé un ! Il a été obligé d’acheter un lapin pour le faire cuire. Branleur, elle a dit.Elle avait raison mais il sait quand même de quoi il parle vu qu’il était dans les Forces Spéciales et qu’il a fait de la survie partout […]. Ça reste un branleur mais c’est sans doute parce que c’est un gros bourge anglais. La plupart des gens qui font des émissions de survie à la télé sont des gros bourges anglais comme Ray Mears et Ed Stafford, et la plupart des gros bourges anglais sont des branleurs. »

Nos deux fillettes sont en fait tellement endurcies par leur vie précédente que ce retour au monde sauvage leur semble plaisant, plus doux, toutes deux s’aimant et se protégeant et c’est bien entendu ce lien si fort entre les gamines qui m’a vraiment émue. Sal porte un poids trop lourd pour une fille de son âge et elle sourit peu. 

Une rencontre insolite va venir à leur secours alors que Peppa a été mordue par un énorme brochet au sortir de l’eau, alors qu’elle est brûlante de fièvre, le bras enflé et Sal en plein désarroi devant sa petite sœur. Ingrid, une vieille femme à l’aspect de sorcière mais qui va s’avérer être une véritable bonne fée pour les deux fillettes va venir à leur secours. Ingrid vit depuis longtemps dans la forêt et elle raconte sa vie le soir au coin du feu , l’histoire de la RDA, des mouvements hippies et beaucoup d’autres choses, celles qui ont amené cette femme à s’isoler du reste du monde.

J’ai été très sensible à ces deux gosses, à Sal, 13 ans seulement et tant de violences subies. Sal déjà chargée d’une lourde responsabilité et qui sera soulagée et réchauffée par la tendresse d’Ingrid.

Et puis bien sûr il y a dans ce roman la nature, les Highlands aux premières neiges, aux premières gelées, les ruisseaux clairs et glacés, les animaux observés et chassés pour se nourrir, parfois à regrets.

« La grouse était douce et chaude et elle m’a parue petite et légère quand je l’ai ramassée avec sa tête qui pendait. Peppa l’a caressée et a dit « Elle est belle, hein?  » et j’ai dit « Ouais ». Elle avait des grosses pattes avec des petites griffes au bout et il y avait des écailles dessus comme les reptiles parce que les oiseaux descendent des reptiles.

Peppa a demandé « Tu t’en veux d’avoir fait ça? « 

Et j’ai dit « Ouais », et c’était vrai, même si on allait la manger. Elle était petite et douce dans ma main, son bec était petit et elle avait de l’orange au-dessus des yeux qui ressemblait à du fard à paupières et c’était joli. On a mis la grouse dans le sac de randonnée et on a continué à gravir la lande. »

Triste destin que celui de Sal, voici une petite qu’on a tout au long de l’histoire envie de serrer sur son cœur pour la consoler. Sal qui aime tant sa sœur – « Elle sautait dans tous les sens avec les yeux tout brillants et ses jolies dents blanches »

Un très beau premier roman très touchant pour deux fillettes très attachantes.

« De toute façon je ne savais pas ce que je ressentais et je ne sais toujours pas ce que je ressens jusqu’à ce que je sente des coups et une douleur dans ma poitrine ou dans ma tête ou que je disparaisse et que je regarde tout depuis un espace noir. Je ne lui ai rien dit de tout ça. je ne sait pas pourquoi tout le monde s’inquiète autant de ce qu’il ressent. Ce qu’on ressent n’est pas vraiment important. Ce qui compte c’est de savoir des trucs et de faire des choses. »

Pour survivre.