« Une cathédrale à soi » – James Lee Burke – Rivages/Noir, traduit par Christophe Mercier

9782743653071« Vous savez comment c’est quand on a bourlingué trop longtemps et qu’on s’est trop souvent donné du cran à l’aide de quatre doigts de Jack accompagnés d’une bière pour faire passer, ou avec n’importe quelle sorte de cachetons à portée de main. Et si ça ne suffisait pas, peut-être en doublant la mise le matin venu avec une demi-douzaine de grands verres de vodka agrémentée de glace pilée, de cerises et de tranches d’orange, pour bien renvoyer à la cave araignées et serpents.

Waouh !  Quel pied ! Qui aurait cru que nous allions mourir un jour? »

Oublié, « New Iberia Blues ». Voici un roman d’une intense beauté, d’une intense profondeur dans le regard porté sur l’humanité. Et puis voilà, il y a tout le bonheur et l’émotion à retrouver Dave Robicheaux et Clete Purcell en très grande forme. L’amitié, la fraternité, la solidarité de ces deux-là sont ici extrêmement émouvantes, on sent l’affection forte que porte l’auteur à ces deux compères, et on les aime de la même manière. Je ne sais pas si c’est mon état du moment, mais ils m’ont bouleversée du début à la fin. Mangrove_Swamp_Wikstrom_1902Plus que jamais, James Lee Burke infiltre les tréfonds de l’âme humaine, dans ce qu’elle a de plus laid comme dans ce qu’elle a de plus beau, les deux se confondant, se heurtant dans un combat constant. Un des personnages importants, Marcel LaForchette détenu à la prison de Huntsville:

« Je suis sorti du lycée, diplômé, à dix-sept ans. Au même âge, la même année, Marcel entamait une peine de trois à cinq ans dans une prison pour adultes pour vol de voiture. Il n’était encore qu’un petit poisson quand il fut dévoré et servit de jouet à une demi-douzaine de dégénérés. Vous savez ce qu’il y avait de plus bizarre, chez Marcel? Il ne se fit jamais tatouer, et ceci dans un environnement où les hommes portaient des manches longues, des épaules aux poignets, ce qui en disait long sur leur carrière de prisonniers. »

Clete et sa photo dans la poche, triste mémoire de la crasse que peut être un homme, un groupe d’hommes, une communauté entière, la photo de cette femme et de ses enfants marchant vers la mort dans une chambre à gaz que Clete brandit, Clete le vengeur et ses répliques percutantes prend ici je trouve une dimension de géant.

cadillac-1439944_640« Il y a des années, il avait arraché une photo en noir et blanc d’une histoire illustrée de la Deuxième Guerre Mondiale, et il la gardait dans son portefeuille, protégée par une pochette en celluloïd. La photo montrait une femme voûtée montant un chemin de terre avec ses trois petites filles. La femme et les enfants portaient des chiffons sur la tête, et avaient le dos couvert de manteaux bon marché. La plus jeune des fillettes était tout juste en âge de marcher. On ne pouvait voir ce qu’il y avait au bout du chemin. À l’arrière-plan, il n’y avait ni arbres, ni herbe.

Ce grand écrivain qu’est Burke est au plus juste dans cette confusion des sentiments qui par révolte contre des actes ignobles engendre une autre violence vengeresse. Rien n’est  simple dans cette histoire qui oppose les Balangie et les Shondell, Shakespeare fait son apparition, car Johnny et Isolde, jeunes et beaux, s’aiment, font de la musique ensemble et vont être les victimes des rivalités mafieuses de leur famille, prêts qu’ils sont à mourir si l’un d’eux disparait.

swamp-4544970_640« Nous roulâmes jusqu’au Vieux Carré, Clete gara sa Caddy à son bureau, puis nous prîmes un dîner tardif au Acme Oyster House, sur Iberville. Après avoir quitté le domaine des Balangie, nous avions peu parlé, en partie parce que nous étions en colère et honteux, que nous soyons ou non prêts à l’admettre. Des gens dont la fortune provenait des narcotiques, de la prostitution, de la pornographie, de prêts avec usure, du racket et du meurtre nous avaient virés comme si nous avions été de modestes flics en patrouille ignorants et indignes de se trouver dans leur maison. »

Dante aussi est de l’histoire, avec les descentes aux enfers, les revenants, les apparitions, les brumes et les flammes. J.L. Burke et Dave sont, comme « Dans la brume électrique », hantés par l’histoire. Celle des soldats confédérés, mais aussi celle des guerres du XXème siècle, mais aussi la leur propre avec tout ce qui les hante, les obsède et qui tout en les faisant avancer les abat parfois.

« Je me rappelle encore les étincelles dans le ciel du soir, la lueur des paillotes, les hurlements des enfants. Je me dis que je n’avais pas le choix. Est-ce que je dis la vérité? Encore aujourd’hui, je déteste ceux qui assurent que je n’ai  rien fait de mal. Je les déteste avant tout pour leur sophisme et pour la main qu’ils me posent sur l’épaule tandis qu’ils parlent de choses qu’ils ne comprennent pas. Et pour finir, je me déteste moi-même. »

raccoons-3854734_640Tout ceci donne lieu à des pages sublimes, et je pèse le qualificatif. Tant dans les scènes d’action que dans les contemplations mélancoliques, aussi bien dans les dialogues, en particulier les conversations des deux amis rehaussées d’humour, que dans les moments songeurs de Robo – joli surnom – , on atteint là un niveau impressionnant de talent pour parler de ce que sont les hommes et de la consolation que peut apporter la nature. Comme cette introspection de Dave, un soir.

« Ce soir- là je m’assis à la table de jardin, et nourris mes chats, deux ratons-laveurs et une opossum qui portait ses bébés sur son dos et s’invitait à un repas gratuit à chaque fois qu’elle en avait l’occasion. Si l’on est enclin à la dépression, le déclin du jour peut s’infiltrer dans votre âme, vous serrer le cœur et éteindre la lumière dans vos yeux. Lors de ces moments où je suis tenté de laisser dériver mes pensées dans l’ombre finale, je recherche la compagnie des animaux et essaie de prendre plaisir à voir la transfiguration de la terre au moment où le dernier éclat du soleil est absorbé par les racines et les troncs des arbres, les bouquets de belles-de-nuit et le Teche lui-même à marée haute, alors que la lumière est scellée sous l’eau et brille dans le courant comme des pièces d’or ondulantes. »

Les deux familles abritent en leur sein des horreurs, des perversions et commettent des actes immondes; ici surgit le Moyen Age, celui de l’Inquisition, et plus tard la légende arthurienne où là encore les apparitions surviennent au-dessus des eaux. Dave et Clete sont ici chevaliers en mission en un duo impeccable et implacable, dans les brumes du bayou Teche et de ses revenants; ces deux hommes imparfaits mais qu’on aime tant ( peut-être pour leurs « imperfections » ), mènent l’enquête avec leurs tripes, leur cœur et leur cerveau. Je les aime.

cajun-5354597_640 Histoire, poésie, la grande culture de l’auteur qui pour autant ne renonce pas à l’humour… un roman impressionnant.

Les dernières phrases un rien apocalyptiques avant l’épilogue:

« De petits grêlons commencèrent à cliqueter sur le toit du pont, puis grossirent en taille, en volume et en rapidité jusqu’au moment où ils rebondirent comme des balles de ping-pong sur tout le bateau, la fraîcheur de leur blanche pureté nous coupant du monde, faisant cesser le vent, dentelant les vagues gonflées, créant un opéra métallique de glace et de métal que n’aurai pu atteindre la Cinquième Symphonie de Beethoven.

Mais ce n’est pas terminé. Je vais essayer de vous expliquer. Vous voyez, tout ça est la faute de Clete Purcel. Comme l’aurais dit Clete, j’te raconte l’essentiel, Marcel. J’te raconte pas d’craques, Jack. »

Un très grand James Lee Burke.

« L’arc-en-ciel de verre » – James Lee Burke – Rivages/Noir, traduit par Christophe Mercier

L ARC EN CIEL EN VERRE.indd« Je ne pense pas avoir appris grand-chose de la vie. Je n’ai certainement compris aucun des grands mystères: pourquoi les innocents souffrent, pourquoi les guerres et la pestilence semblent être notre lot, pourquoi les méchants prospèrent, impunis, tandis que les pauvres et les malheureux sont opprimés. […]…de même que nous n’avons aucun contrôle sur notre conception et sur notre délivrance par la naissance, de même ni l’heure de notre mort ni les circonstances qui l’entourent ne dépendent de nous. Admettre notre impuissance n’est pas un choix. C’est comme ça, c’est tout. »

Bel exemple, en fin du livre, de l’état d’esprit de Dave Robicheaux dans ce  très très grand Burke . J’aime cet auteur, mais je dois dire que cet opus dans la vie du shérif, hormis la difficile enquête qui y est menée, est d’une puissance émotionnelle rare.

Dave et Clete enquêtent sur des meurtres sordides de jeunes filles. Mêlant les milieux de la pègre, maquereaux, trafiquants, et ceux de personnalités ayant pignon sur rue, corrompus et toxiques, Clete Purcel, toujours impulsif et ainsi imprudent, va se trouver soupçonné et ça, Dave Robicheaux ne peut le tolérer. Aussi va-t-il se lancer dans cet imbroglio de vices, de perversions, de meurtres odieux, de trafics de tout, y compris d’influence .

L’auteur creuse ici avec une grande intelligence et la sensibilité qui le caractérise de nombreux sujets; l’âge qui avance, l’amour et l’amitié, les addictions et le combat mené contre elles, contre soi-même, contre l’environnement. Les notions de bien et de mal sont totalement désarticulées, s’effaçant au profit de l’émotion et des sentiments, tous, les meilleurs et les pires. Et puis, les fantômes qui sans cesse reviennent à la vue de notre shérif, les revenants de toutes les guerres, et ici cet étrange bateau à aube, émergeant des brumes du bayou…Comment dire la poésie de l’écriture de Burke, sa finesse, la qualité de l’image ?

« …les véritables anges qui sont parmi nous ont toujours des ailes rouillées… »

« Comme chez la plupart des Irlandais, le païen en lui était bien vivant, mais il conservait dans une cathédrale médiévale un banc sur lequel le chevalier errant s’agenouillait dans un cône de lumière mouchetée,même si sa cape était trempée de sang. »

bayou-soirSans parler des descriptions du bayou Teche et de l’atmosphère onirique qui explose les notions de temps:

« Mais malgré le sol imprégné de sang sur lequel notre ville est bâtie et dans lequel poussent les chênes, les bambous et les parterres de fleurs le long du bayou, l’endroit, dans ces heures d’avant l’aube, restait pour moi un endroit merveilleux, un  endroit que l’âge industriel n’a touché qu’en surface, le pont mobile cliquetant en se relevant dans la brume, ses grandes roues dentelées saignant de rouille, un bateau de deux étages avec une plage arrière qui ressemblait à un bateau à aubes du XIXème siècle poussé vers le golfe, la brume faisant autour de lui comme des tourbillons d’écume blanche, l’air poudré de l’odeur des jasmins confédérés. »

J’ai aimé cette amitié extraordinaire qui lie Dave et Clete, la force incroyable déployée pour l’évoquer. Les scènes entre eux sont bouleversantes, tant on sent que l’un sans l’autre, ce n’est pas possible. Ils sont comme une seule personne scindée entre le diablotin et l’ange qu’on a sur chaque épaule. On comprend le grand attachement de l’auteur à ses créatures, et le personnage de Clete est ici très approfondi, tout ce qu’il écrit  m’a profondément touchée et j’ai même du mal à l’expliquer. Qui retrouvons-nous dans ces portraits si bien écrits ? Nos faces cachées, nos faces niées, nos interrogations aussi. Burke tend un miroir au lecteur, et ce n’est pas facile de s’y voir, de près ou de loin. On scrute ici aussi le visage de la Louisiane d’après la crise, d’après les ouragans, ceux qui en ont tiré bénéfice, et les autres, les éternels perdants.

 » Herman Stanga était au-delà des conventions. Herman Stanga était l’iconoclaste enrichi par son irrévérence tandis que les biens de ses voisins s’étaient écoulés à travers un trou d’évier appelé la crise de 2009. »

Tout m’a plu dans ce roman, et quand je dis que ça m’a plu, non, j’ai été totalement emportée, captivée, remuée profondément. Je crois qu’une page sur deux est cornée ( oui, c’est mon livre, je fais ce que je veux avec…), je l’ai repris pour relire des passages, et me suis laissée aller à lire la suite de la phrase, et la page et le chapitre…J’aime Dave et Clete, j’ai ressenti pour eux amitié, compassion, ils m’ont fait rire et amené des larmes, mais le plus souvent ils m’ont fait réfléchir. Et c’est à cela qu’on reconnait l’immense talent d’un écrivain, un vrai; ce talent qui consiste à travers une histoire annoncée sous le terme de « polar », à amener une pensée, une philosophie de la vie sans fard. De la belle littérature.

ÉNORME COUP DE CŒUR !!!

« Texas forever » de James Lee Burke – Payot-Rivages/Noir, traduit par Olivier Deparis

texas forever.inddToujours le même plaisir à lire James Lee Burke, ici avec un roman que je qualifierais de « pur western ». Deux évadés d’un pénitencier, Son Holland et Hugh Allison, poursuivis par un gardien, s’enfuient vers le Texas où ils retrouvent les rangers de Sam Houston, à la veille de la bataille de Fort Alamo. L’auteur nous mène dans les traces de ces deux hommes si différents et qui pourtant se lieront d’une véritable amitié, avec des obstacles, des rencontres, des affrontements…

Les  Indiens vus par Hugh  : « C’est chez les Comanches, là-haut, et ils ne sont pas tendres avec ceux qu’ils surprennent sur leur territoire. Quand je chassais le bison, ils ont capturé un de mes collègues et ils l’ont fait rôtir au-dessus du feu. Avant qu’il meure ils lui ont coupé les bras et les jambes et ils l’ont laissé dans les braises. J’ai abandonné la chasse au bison après ça, et je suis pas prêt de refoutre les pieds chez eux. » .

Terrys D’une aventure à l’autre, la plume de Burke, souvent avec humour – « Parle-moi comme ça encore une fois et je te fais un trou dans le bide assez grand pour y passer un plat à tarte. » –  mais surtout avec un formidable don pour les descriptions des paysages, entraîne le lecteur sans temps mort jusqu’à la bataille. Car c’est aussi un roman historique qui retrace la révolution texane et la bataille de Fort Alamo, et la guerre est au cœur de cette histoire. Mais à la manière de Burke, c’est à dire loin du cinéma hollywoodien et de ses clichés; il dépeint des hommes loin de l’héroïsme, des hommes marqués par leur propre passé; parfois courageux et d’autres fois lâches, tendres ou impitoyables, des hommes…Le duo de Son le sage et Hugh le malin fait merveille pour la légèreté de ce court roman, et vraiment, James Lee Burke écrit de façon remarquable et avec une grande puissance d’évocation : « Ils étaient de garde à la lisière du bois. Le jour se levait et le brouillard recouvrait le pré d’un épais nuage blanc. Ils entendirent le cavalier avant de le voir. Alors que Son et Hugh prenaient leurs fusils en main, il jaillit du brouillard, son cheval et ses vêtements trempés de rosée, son chapeau, retenu à son cou par un cordon de cuir, flottant au vent derrière lui.[…] Le cavalier ne ralentit même pas. Penché sur l’encolure de son cheval, il s’engouffra sous les arbres au galop, faisant voler les cendres des feux de camp éteints et rouler les gamelles. »

FalloftheAlamo

Un bon petit bouquin d’aventure, plein d’intelligence et de vie, comme toujours avec Burke, écrivain que j’aime, voilà !

A lire aussi, ce bel article, ICI

 

 

« Swan Peak » de James Lee Burke – Rivages/Noir, traduit par Christophe Mercier

  SWAN PEAK      Petit retour vers le roman policier, avec un auteur de choix, James Lee Burke, que j’aime énormément. Le voici ici au mieux de sa forme, dans une histoire complexe – qu’il complique à souhait – et qui me semble-t-il est surtout prétexte à dessiner une galerie de portraits plus torturés les uns que les autres et à creuser encore un peu plus dans les tréfonds des hommes.

Dave Robicheaux et son épouse Molly, accompagnés de l’ami Clete Purcel –  » Clete Purcel était un homme aux appétits physiques énormes, et doté d’une propension à la violence et au chaos quand la situation l’exigeait. Il avait aussi une propension à la violence et au chaos quand la situation ne l’exigeait pas. » – , encore marqués par le traumatisme qu’a subi la Nouvelle Orléans avec les ouragans Rita et Katrina , viennent retrouver un peu de calme dans le Montana.

 » Le vent effleurait la canopée, le ciel était d’un bleu immaculé, translucide, aussi lumineux et lisse que de la soie. Je ne voulais plus penser aux tueurs en série, aux hommes violents, à la cupidité, à la manipulation à des fins politiques de gens pauvres et sans éducation dépossédés d’une religion utilisée pour leur nuire. Tout ce que je voulais, c’était me déconnecter du monde tel qu’il est ou, du moins, tel que j’avais appris à le connaître. »

MissoulaIls sont hébergés par Albert Hollister, ami de Dave, écrivain et professeur d’anglais à la retraite. 

 » C’était un excentrique, un casse-pieds et, de bien des façons, une belle âme. […]. J’avais toujours admiré Albert pour son courage et son talent d’artiste. Mais j’essayais de ne pas laisser mon admiration pour lui m’impliquer dans ses batailles donquichottesques contre des moulins à vent. Son armure rouillée était toujours prête, même si ses lances brisées parsemaient le paysage. »

Deux jeunes étudiants sont retrouvés assassinés dans des conditions atroces. Bien involontairement, alors qu’il n’aspire qu’à aller pêcher , Dave va se retrouver embarqué dans une enquête où il n’a pas sa place, si ce n’est qu’elle semble impliquer des fantômes revenus taquiner Clete depuis une sombre histoire du passé…Et Clete est son ami…

Comme je l’ai dit auparavant, la trame de l’intrigue est complexe. Ce que j’ai le plus aimé dans ce roman, c’est l’écriture, comme d’habitude chez Burke. Il ne cesse de questionner ce qu’est l’humanité, à travers des vies tordues qui rêvent de se redresser, des stigmates de guerres ( Viet- Nam, Koweit, Afghanistan, Irak…) qui marquent les générations les unes après les autres, des chocs de toutes sortes, comme celui qui frappa toute la population de la Nouvelle-Orléans:

hurricane-katrina-180538_1280« – Ils ne reconstruiront pas la ville où j’ai grandi. Ils ne savent pas comment faire. Ils n’étaient pas là. À cette époque, chaque jour était une fête.[…].Ça tenait à la façon dont on se réveillait le matin. Tout était vert et doré et les chênes étaient remplis d’oiseaux. Tous les après-midi, à trois heures, il pleuvait et le ciel devenait entièrement violet et rose. On sentait une odeur de sel dans le vent. Où qu’on aille, on entendait de la musique, des radios, des cafés, des orchestres sur les toits, dans le centre. »

Alors le grand Burke, avec une infinie délicatesse parfois, d’autres fois avec humour, dérision, lucidité, parle de ces hommes et de ces femmes cassés. Pour certains, mieux vaut la mort que la prison, comme Jimmy Dale, qui n’est qu’un jeune homme malchanceux et amoureux de la mauvaise personne.

 » Les premières étoiles scintillaient dans le ciel. S’il mourait demain, il mourait demain, et au diable les prisons des hommes. Être mort n’était peut-être rien de plus que dériver comme des cendres parmi les étoiles, ou vivre dans la pluie et le vent, ou faire partie d’un être céleste qu’on ne pouvait enfermer dans une cage. »

Alors il ne faut pas chercher ici un suspense haletant qui fait tourner les pages très vite, non. Mais si on aime les plumes qui grattent là où ça fait mal, puis qui se transforment tout à coup en pinceaux délicats pour décrire une montagne, l’eau d’un torrent, une aube naissante ou un visage, tout en étant capables d’enchaîner avec une bonne vieille fusillade au Mac -10 – « J’avais déjà vu un Mac-10 lors d’une exposition d’armes, et j’en avais même tenu un entre les mains. mais je n’en avais jamais  vu un faire feu. On m’avait dit qu’un Mac-10 est capable de décharger de mille à mille six cents balles de 45 à la minute. » – si on aime une écriture subtile en toutes circonstances, alors on ne peut qu’aimer ce livre, et James Lee Burke en règle générale.

Comme le personnage d’Albert, James Lee Burke et Dave Robicheaux n’ont pas fini d’explorer la misère du monde, qu’elle soit celle de l’idiotie, de la haine ( c’est parfois la même chose), de l’abandon, du défaut d’amour, de la cupidité…Mais Burke, qui est croyant ( comme son personnage ) , croit en la vie, même s’il n’a plus beaucoup foi en l’espèce humaine. La dernière phrase de ce roman :

montana-113685_1280« Quand j’enfonce la main dans un bassin d’eau fraîche et qu’un jeune saumon frétille autour de mes doigts, je sais que le bassin va geler et que le jeune saumon vivra sous la glace jusqu’au mois de mai, quand la glace fondra et que le saumon adulte nagera jusqu’au cours principal de la rivière et finira par arriver à la mer. Toutes ces choses vont se produire de leur propre fait, sans que j’y sois pour rien. Et, pour une raison étrange, je trouve dans cette idée un grand réconfort. »