« Cela devait faire vingt bonnes minutes que le chien hurlait quand Hal grimpa sur la clôture arrière pour voir d’où ça venait. Il était debout sur la barrière à scruter les enclos en direction des collines depuis environ onze minutes et quarante secondes à présent. Pour l’avoir chronométré la veille avec l’ancienne montre de Papa, il savait que c’était le fallait à ses jambes pour se mettre à trembler. une minute de plus et elles commenceraient vraiment à le faire souffrir. »
Un premier roman australien situé dans les années 60 et plutôt réussi, facile à lire et qui accroche bien. Un joli point de vue sur l’affaire, celui de Hal. C’est un jeune garçon dégourdi et sensible dont la famille est fraîchement arrivée de Sydney pour le travail du père. En parallèle, Mick Goodenough, flic rétrogradé, est parachuté à Moorabool, au milieu du bush et dans une équipe qui laisse à désirer (enfin je trouve !). Mick est un très sympathique personnage, au-dessus du lot de l’équipe dans laquelle il atterrit. Tout commence avec Hal, grand lecteur de Sir Arthur Conan Doyle et son petit frère Evan qui découvrent, en jouant les aventuriers dans la cambrousse, un chien mort, une griffe arrachée.
Un inconnu tue des animaux avec toujours le même processus et Mick Goodenough av faire le lien avec des meurtres non élucidés des années précédentes. La montée « en gamme », de petits animaux à de plus gros, laisse craindre le passage aux humains. Hal et Allie rôdent souvent autour d’une vieille caravane, lieu plein de fantômes pour elle, mystère attirant pour Hal. Allie résiste à l’idée d’y entrer car elle en connait en partie la sinistre histoire..
« La caravane était recouverte d’une peinture jaune et brune qui s’écaillait et, au-dessus de la porte, un panneau défraîchi indiquait Highway Palace. Le palace était en ruine, ses fenêtres ovales fêlées ou cassées, luisantes comme des dents ébréchées, laissaient apparaître derrière elles des lambeaux de rideaux en dentelle. Rien de grandiose ni d’imposant dans ce lieu, autrefois pas plus qu’aujourd’hui sans doute. Pourtant, derrière les rideaux, un mystère semblait se tapir dans la poussière. »
Enfin c’est ce que pense Goodenough, et c’est d’ailleurs un de ses chiens qui a été tué.
« Un charmant individu, parti à la pêche, avait ferré son chien. Avait utilisé un bas de ligne comme s’il s’était agi d’un maquereau. Il ne s’était pas contenté de le tuer lentement, il l’avait également mutilé. Charlie, le plus gentil des petits bergers allemands qui soit.
« Charlie, murmura-t-il à l’oreille encroûtée de sang, mais qu’est ce qu’on t’a fait? »
Les relations pénibles, difficiles avec ses supérieurs ne vont pas lui faciliter la tâche, il sent même une résistance à pousser l’enquête et suppose des choses pas très honnêtes bien cachées. C’est avec le jeune Hal qu’il fera « équipe ». Mick est pratiquement le seul à faire avec sérieux son travail dans cette équipe nonchalante. La mort de son chien va le mener sur une piste qu’il ne lâchera pas malgré la résistance sérieuse de ses supérieurs.
Le roman est marqué aussi par des conflits de couples et des adultères, et évidemment, les relations entre les familles aborigènes et les familles blanches.
La mère de Hal, dont le mari est souvent absent, est amie avec Doug, sous l’œil du gamin:
« Hal observe Doug et sa mère qui se frayaient un passage sur la piste, se déplaçant avec grâce, les bras levés, ondulant les hanches, les autres couples leur laissant le passage. il les regarda s’entraîner mutuellement en rythme, elle les yeux mi-clos, lui esquissant un sourire, tous deux perdus dans la musique. »
Ils dansent sur « Runaway », l’ambiance des années 60 instille dans le récit une ambiance particulière comme avec cette chanson, avec le racisme, encore et toujours, et les conventions sociales qui peinent encore à s’assouplir.
Un des personnages les plus sympathiques est la petite Allie – Allison – qui sera la copine de Hal, non sans disputes d’ailleurs car la gosse a un caractère bien trempé. Elle est nourrie de croyances, tout en étant parfaitement de son temps. L’amitié entre les deux enfants est justement décrite, et on pense un peu parfois à Tom Sawyer et à son goût de l’aventure en suivant Hal.
« Quelqu’un, un homme, respirait profondément. Puis il se mit à siffler. Une chanson d’Elvis, « Are You Lonesome Tonight ».
Mais qui est le siffleur du titre? Eh bien c’est cette ombre qui rôde autour de la maison de Hal et sa famille, ces appels au téléphone qui angoissent la mère de Hal alors que son mari est absent. C’est ce siffleur qui rôde autour de leur maison. Mais il ne sera pas facile pour Mick de comprendre, de suivre la piste et enfin de trouver qui est cet homme . En déterrant une vieille affaire non résolue et qui le sera enfin, un monstre sera démasqué.
C’est un roman assez classique, bien écrit, plaisant grâce à des personnages bien dessinés. Je ne me suis pas ennuyée une seconde et ce livre a été un bon moment de détente, non négligeable. L’idée d’un jeune garçon curieux, épaulé par une fillette pleine d’insolence et de courage est intéressante et pas si commune. Lecture très agréable, sans difficulté et de bonne facture. Une suite?
« Un aigle d’Australie , s’pèce d’âne. Même un aveugle le verrait! »
Alors il le vit, en effet: il sortait de la fumée en planant, le contour de ses immenses ailes de deux mètres d’envergure, comme deux bras massifs aux doigts écartés; et cette grande queue en diamant. Pas une plume ne bougeait tandis qu’il planait au-dessus d’eux, épinglé au ciel, tournoyant très lentement dans sa danse aérienne.
À ce moment-là, ils croyaient tous deux aux esprits. »
Une départementale en lacet qui traverse les vignes et les champs paisibles de l’Ain, puis grimpe à l’assaut d’une colline, entre les murets de rocaille et les premiers arbres de la forêt. Lyon est loin, à l’ouest, derrière les montagnes. Et Chambéry, de l’autre côté. Mais là, il n’y a rien. Quelques fermes de grosses pierres mal taillées, calfeutrées au pied des premiers contreforts rocheux du Jura.
Je me suis assis sur un talus. J’ai eu du mal à sortir mon stylo. Je n’avais rien à faire ici. J’ai ouvert mon carnet sans quitter la route des yeux.
« C’était là », il y a quarante- trois ans moins un jour.
Cette même route au loin, sous la lumière froide d’un même printemps. »
Ainsi commence ce roman autobiographique qui fait suite à « Profession du père ». Sorj Chalandon boucle ici l’enquête, en quelque sorte, qu’il a menée sur son père. Cet écrivain dont j’aime et l’écriture, et les propos m’avait bouleversée avec « Profession du père » et une histoire d’enfance si tordue, si triste qu’on a même du mal à croire qu’une personne, un père en l’occurrence, de cette sorte puisse exister et qu’un enfant puisse en sortir comme l’a fait Sorj Chalandon. Et pourtant. J’imagine la souffrance qu’il a pu ressentir en écrivant ces deux récits. Comme l’extraction d’une mauvaise dent qui fait souffrir, taraude, harcèle et prend toute la place, parce qu’elle fait partie de nous, l’écrivain a voulu faire place nette et tenter d’extirper un peu de vrai de tout ce qu’il savait faux des dires de ce père, sinistre et pitoyable personnage. Et néanmoins : son père. Quand il lui dit « Papa », ça me fait mal pour lui, le fils, l’enfant de salaud..
Sorj Chalandon écrit bel et bien un roman, car il fait coïncider sa découverte du dossier de son père avec le procès de Klaus Barbie à Lyon, en 1987, alors qu’il a obtenu ce dossier, son père déjà mort. Sorj Chalandon couvre le procès avec un reportage pour le journal Libération, ce qui lui vaudra le prix Albert Londres ( pour ce reportage et ses reportages sur l’Irlande du Nord ). Dans ce roman, donc toujours tenu par le désir et l’impérieux besoin de comprendre qui est son père, il se décide à chercher, une seconde enquête en marge du procès mais en fait en lien total. L’auteur qui au début du livre se trouve à Izieu, bouleversé par cet endroit et l’histoire sinistre qui s’y déroula, est ramené à son père qui l’a abreuvé de mensonges, qui l’a maltraité et qui sans relâche poursuit sa mythomanie fantasque et cruelle.
« Non. Le salaud, c’est l’homme qui a jeté son fils dans la vie comme dans la boue. Sans trace, sans repère, sans lumière, sans la moindre vérité. Qui a traversé la guerre en refermant chaque porte derrière lui. Qui s’est fourvoyé dans tous les pièges en se croyant plus fort que tous: les nazis qui l’ont interrogé, les partisans qui l’ont soupçonné, les Américains, les policiers français, les juges professionnels, les jurés populaires. Qui les a étourdis de mots, de dates, de faits, en brouillant chaque piste. Qui a passé sa guerre puis sa paix, puis sa vie entière à tricher et à éviter les questions des autres. Puis les miennes.
Le salaud, c’est le père qui m’a trahi. »
La quatrième de couverture donne un des meilleurs extraits du livre de « cet enfant de salaud », qui résume à lui seul d’une part les actes du père, d’autre part la colère et surtout la souffrance du fils, privé de tout ce qui est le père, un père. Et on a le sentiment en lisant ce livre que jamais il ne s’en remettra, et c’est bouleversant. Pour moi presque traumatisant.
Ainsi, suivant le parcours d’un père fou à travers les rapports de police, divers papiers qu’il arrive à exhumer, il suit une piste tortueuse et surtout inepte, incompréhensible tant va se révéler grand l’écart entre les dires et les faits. Et tant le père ressort de cette enquête veule, lâche, et finalement complètement fou.
Dans cette vidéo, Sorj Chalandon explique comment s’est construit ce roman.
Quant au procès, le fils en profite pour observer son père venu y assister, voir ses réactions, les expressions de son visage. Ce salaud de père semble aimer particulièrement les interventions de Me Vergès et être bien peu atteint par les témoignages des rescapés des camps, des interrogatoires et des tortures de la Gestapo. Extrait particulièrement abominable:
« À propos d’un témoin, femme violée par un chien dans le bureau de Barbie:
« -La torture est liée dans l’imaginaire, à la sexualité. Pour qu’un chien puisse violer une femme, il faut que celle-ci l’y incite, au moins par une posture indécente. »
Dans la salle ce fut la consternation. Deux avocates se sont levées.
« -Un chien ne peut pas posséder une femme, mais seulement une chienne, à quatre pattes. »
Le témoin qui avait rapporté la scène s’est levé en criant.
« -Ce que je dis est vrai! »
Simone Lagrange, jeune fille torturée devant ses parents, s’est dressée à son tour, hors d’elle, avant de se rasseoir, de se tasser sur sa chaise et pleurer. Vergès, lui, a continué, sans un regard pour ces détresses.
« -L’évolution des fantasmes de certains témoignages pourrait intéresser les psychiatres, pas la justice ! »
Silence dans le public. Les journalistes notaient, tête baissée. »
Sorj Chalandon relate le témoignage de Geneviève De Gaulle-Anthonioz, alors que ce jour-ci son père est absent.
« Jeune étudiante en histoire, Résistante, arrêtée, battue, déportée à Ravensbrück, elle a évoqué l’acharnement des nazis à fabriquer des « sous-êtres ». Pas un mot brisé lors de son témoignage, pas une phrase en larmes, pas une plainte, pas un sanglot. Elle a partagé avec nous l’image des nourrissons noyés dans un seau à la naissance. La stérilisation forcée des gamines tsiganes de 8 ans. La nièce du Général nous a raconté à quoi s’amusaient les bandes d’enfants abandonnés qui survivaient derrière les barbelés.
-Ils jouaient au camp, monsieur le Président.
Sa voix douce.
-L’un tenait le rôle du SS, les autres des déportés. »
J’aurais tellement aimé que tu apprennes cela.
Et que tu voies cette grande petite dame s’écrouler d’un malaise cardiaque sur les marches du palais de justice en sortant de l’audience, terrassée par ce qu’elle venait de revivre, et mourir à nouveau pour nous tous. »
On va les entendre, ces témoins, et ça donne des pages terrifiantes, qui désespèrent de ce que peut être parfois un être humain. L’auteur, écoutant cela et mettant en parallèle les mensonges multiples de son père est totalement effondré et entre alors dans une colère froide, allant enfin au bout et parvenant à mettre son père au pied du mur.
Ce livre m’a touchée profondément. Outre la sympathie et une sorte de solidarité ressentie pour l’auteur – le mot « empathie » commence à m’agacer, mis à toutes les sauces…-, il est toujours utile de revivre ce genre de procès, et de se souvenir de ce qu’est réellement une dictature, de se souvenir de ce que sont capables d’infliger à des êtres humains d’autres êtres humains à partir de théories nauséabondes. Il est utile et urgent de s’en souvenir.
Pour moi, Sorj Chalandon est vraiment ce qu’on appelle « un grand bonhomme » qui chaque fois qu’il écrit m’atteint émotionnellement. Je dois le dire, et je le salue : respect, Monsieur.
« Klaus Barbie est mort à Lyon le 25 septembre 1991, incarcéré à la prison Saint-Paul.
Il avait 77 ans.
Mon père est mort à Lyon le 21 mars 2014, interné à l’hôpital psychiatrique de Vinatier.
Il avait 92 ans.
Le dossier de la Cour de Justice de Lille, qui lui était consacré, était conservé aux Archives départementales du Nord sous la cote 9W56. J’ai pu l’ouvrir le 18 mai 2020, six ans après sa disparition. Grâce au travail, à l’attention et à la délicatesse de Mireille Jean, directrice des Archives, et de son équipe. »
« La lame s’enfonce dans la chair de l’abdomen comme un sexe d’homme dans un sexe de femme, c’est doux, ça glisse beurré dans les plis de l’autre, une caresse lente qui perce l’envers jusqu’à l’abîme offert où la colère tombe et implose.
La lame creuse en vrille lisse. Sa mèche fore un trou d’où la révolte de tout temps, du premier jour, celle éteinte avec son noyau noir qui lui roulait au ventre depuis l’obscurité originelle, souffletait dans tout son corps, fulminait et tapait de son pied de taureau aux narines dilatées;[…] »
J’ai lu d’une traite ce court roman – 124 pages – qui se déroule au nord du cercle polaire arctique – c’est dire si c’est rude – un huis clos entre quatre hommes et un environnement dans lequel le genre humain n’est pas le roi.
La mission des ces hommes est de garder un drapeau sur un bloc de glace, deux sont des militaires au passé pas très net, un est un scientifique, et le 4ème, un très jeune homme parachuté là à la suite du décès d’Igor, mort quasi fou du froid et de l’isolement.
« Immense, Igor se tenait sur le seuil de sa baraque. Avec le vent, la pénombre, le blizzard, on distinguait mal son fusil calé debout entre ses genoux, canon orienté vers le menton. «
Car même à 4, la vie ici est en conditions extrêmes. Le narrateur, Piotr, est celui qui au point fragile d’équilibre maintient un modus vivendi juste tolérable. Il est « le chef » sans doute parce qu’il est plus sain d’esprit que son collègue Roq, et plus solide que Grizzly, un chercheur peut-être trop bon, trop pacifique pour ce groupe, Grizzly qui lit et tient à garder en bon état son fonctionnement cérébral.
Arrive donc un tout jeune homme en hélico, muet au regard d’acier; il écrit tout le temps dans ses carnets et deviendra plus proche de Grizzly que des autres. Piotr initie le jeune soldat:
« Ici, il y a qu’un seul mot-roi je lui disais. S’adapter. S’adapter ou mourir, y a pas d’entre-deux. Il y a le jour et la nuit, faut pas chercher à exister dans les interstices. Je disais ça comme s’il allait me répondre. Son silence était une approbation. Je continuais. C’est pas trèscompliqué de s’adapter, c’est l’avantage du tout ou rien, de la vie dos à la mort, ça permet un duel sans fioritures ni distractions. les bêtes l’ont compris depuis longtemps, y a qu’à voir la malignité de leur corps. À côté, on est de vrais babouins parachutés. Quand je pense que même une poule des neiges, une petit perdrix qui roule bêtement de l’œil comme celles qu’on croise depuis tout à l’heure, est capable de perdre sa collerette noire en hiver pour se rendre invisible aux prédateurs, je me dis qu’on peut y arriver aussi. À s’adapter. T’es pas plus con qu’une poule, si? »
Quant à Roq, il n’attire pas vraiment la sympathie. Il est un bourreau, il tue, chasse, éventre des animaux avec une évidente complaisance. Certes le ravitaillement est pauvre, alors la viande, salée et congelée est aussi pour survivre. Sauf que clairement Roq aime tuer, aime jusqu’à l’odeur du sang, enfoncer ses mains dans les entrailles des renards, phoques, oursons même. Il boit de la vodka comme un trou quand il y en a et est toujours mauvais, narquois, étroit d’esprit, c’est lui qui toujours génère les conflits.
Mais Piotr, parfois, s’emporte aussi, ici contre Grizzly:
« Sa pureté, c’était une belle arnaque. Tous les clampins qui débarquaient ici, pas souvent c’est vrai, mais depuis vingt ans j’en ai connu quelques- uns quand même, finissaient toujours, cette bande de guignols, à un moment ou à un autre c’est inévitable, par s’émouvoir devant la banquise et éructer une bonne grosse connerie sur la pureté. À quel point c’est beau, impressionnant, désirable même, tout ce blanc merveilleux qui nous remet bien à notre petite place de virgule sale, ce genre de bavasseries que les poètes à la Grizzly enfilent comme des perles sur leur collier de naïveté à la con. Mais la pureté c’est rien qu’une saloperie d’idée qu’il faudrait exterminer, […] »
Avec la recrue, ce jeune soldat muet au regard perturbant, la tension sera immédiate, et on sait que quelque chose arrivera, on le sait et lentement la tension monte. En même temps, les mois défilent, d’Août à Mars et ce qui est la Grande Nuit sera le point de « test » pour ces hommes. Piotr et ses deux anciens compagnons sont là depuis longtemps, ils savent, ils connaissent ces heures interminables de nuit continue, la glace même dans leur souffle. Mais le jeune homme, non et c’est lui qui sera finalement l’élément central du livre.
Rien à dire de plus, sinon que l’écriture est viscérale, brute et néanmoins poétique, qu’elle rend à merveille l’hypertension entre ces hommes, qu’elle insuffle avec force, voire avec violence, le froid, la glace, la nuit mais aussi la beauté de quelques instants.
Les derniers mots qui évitent soigneusement le dénouement:
« Un dernier coup d’œil derrière moi, même si mon cou veut plus se tordre.
Aucune trace dans l’aube naissante. Seuls mes crampons au bord de la cicatrice noire. Je serre mes collages, le drapeau. »
Grand plaisir de lecture, un vrai voyage, j’ai beaucoup aimé.
» Elle avance à peine dans ce vent, sur le sable mou, et le cuir de ses bottes est mouillé depuis longtemps. Il n’y a personne sur la plage en dehors de Marta. Des centaines de carapaces abandonnées, de fines pattes cassées et de pinces rejetées par les flots sont éparpillées sur le sol; un champ de bataille de crabes morts. Le vent frappe Marta au visage, le froid est mordant. Les vagues heurtent violemment les brise-lames en pierre et s’écrasent. Le lourd ciel anthracite enfonce l’horizon dans l’eau. Prélude à une tempête enragée.
Environ à mi-hauteur entre la digue et la mer, quelqu’un a disposé un cercle de pierres dans le sable. Il est presque entièrement recouvert. Ça devait être là, à cet endroit, se dit Marta en s’arrêtant. Elle sort un sac en plastique plié de la poche de son manteau. Puis elle s’accroupit et commence à le remplir de sable. »
Le roman débute avec la mort d’Arthur. Intéressant choix de narration que ce va-et-vient entre la fin et l’histoire de ce couple. Lecture faite avec un recul viscéral que j’ai ressenti face à ces personnages, Marta et Arthur. Cela donne une lecture à distance face à ce couple franchement pas sympathique. Mais je m’attache pourtant à la lecture et très vite m’obsède une question: Mais pourquoi ?
L’auteure je crois s’applique particulièrement à décrire froidement tout le parcours de ces deux personnes. Marta est lycéenne quand elle rencontre Arthur, un professeur – et un grand écart d’âge. Dès le début, je me suis dit oh mais noooon ce n’est pas possible, elle ne va pas avoir une histoire avec ce type, extrêmement antipathique ! ( et moche comme je me l’imagine ) Et si, elle l’a.
« L’encre se brouilla. Il laissa ainsi son empreinte digitale sur le cahier de Marta. À la maison, Marta recopia son empreinte au format A3. Elle passa des heures penchée sur ce labyrinthe, avec le sentiment de s’approcher de cet homme à chaque ligne.
Mais en fait. En fait, Mr Baldauf ne lui plaisait pas du tout. Quand elle le regardait en cachette, elle trouvait toujours quelque chose de nouveau qui la dérangeait. Ses dents, jaunies par le tabac. Son col, beaucoup trop strict. Son nez, déformé. Sa moustache, vieillotte. Et pourtant, Marta ne pouvait pas s’empêcher de penser continuellement à cet homme. Elle savourait le sentiment de lui plaire et était toujours fébrile à l’idée de le revoir. »
Mais est-ce une histoire d’amour? Qu’est-ce qui fait que Marta va poursuivre cette relation, si jeune ? Son histoire familiale? Une recherche insoupçonnée d’affection, d’amour, de stabilité? Oui, mais pourquoi avec ce type? Voilà, ça commence comme ça, l’auteure m’a hameçonnée et c’est parti pour tout lire, en état parfois de sidération, tenue à distance par autant de stupidité – en apparence car il y a sûrement un traumatisme chez Marta pour s’enferrer là dedans, non ?
C’est bien là une relation sado-masochiste, avec Baldauf odieux, dur, railleur, méprisant ( je le hais !!! ) et une Marta qui endure au début avec un sentiment d’être aimée, elle est jeune. Et bête je trouve. Quand Arthur va récupérer les affaires de Marta chez sa mère.
« Arthur rentra à la maison et parut très content. Dorénavant – et bien qu’elle doive ménager son pied – , elle s’occupa du ménage d’Arthur avec beaucoup de zèle; heureusement, sa grand-mère lui avait appris tout ce qui était important. »
et peu regardante sur le respect
« Une fois, Marta le chatouilla sous son aisselle béante en disant: « Guili-guili. »
Arthur sursauta. Puis il lui cracha au visage. Marta fit mine de rire tandis que la salive au dentifrice d’Arthur lui coulait sur le nez, mousseuse. »
J’ai aussi bien du mal à aimer Marta, sans en penser grand chose, mais elle génère en moi une totale incompréhension. C’est ça qui fait tout l’intérêt de ce roman, c’est que ces deux ne sont en aucun cas attachants. Car Marta a un travail, de quoi se débrouiller seule…Ce qui la taraude, c’est sans doute l’idée d’être aimée…Mais alors, pourquoi ne choisit-elle pas le gentil et charmant Georg, son collègue de travail? Mais pourquoi ??? Je saisis le côté pervers, malsain d’Arthur, un vrai de vrai sale type…Oui, mais…En fait il faut aller jusqu’au bout pour saisir le choix de Marta et qui est Marta. Entre l’histoire du couple, les funérailles d’Arthur ponctuent le récit. Bien étranges funérailles, l’application de Marta à ce sinistre spectacle, rituel, adieu ? Où l’on comprend que tout n’est pas si simple, ou si tranché.
« En entrant dans la chambre, elle est accueillie par un mur d’air vicié. La pièce est surchauffée. Comme jamais. « Bonjour », murmure Marta en tenant le sac en hauteur, comme si Arthur pouvait mieux le voir ainsi, malgré le torchon qui couvre son visage. Elle ouvre le rideau et s’approche d’Arthur. Elle commence à lui retirer ses chaussettes. Puis elle se baisse pour dénouer le sac poubelle. Les poissons frétillent et bruissent toujours. Marta retire la mousse des marais du sac et la met sur la tête d’Arthur, l’arrange pour en faire une coiffure d’algues. Puis elle rabat précautionneusement le torchon vers le bas de façon à dégager son front ridé; les yeux restent couverts. Elle laisse une tige de mousse des marais dépasser sur son front comme un fougueux accroche- cœur. »
Et puis il y aura Michael, le fils, qui bébé pleure beaucoup, qui dort bien peu et Marta en mère; là, on commence à s’interroger. On a pitié de Marta, et elle fait un peu peur et elle devient inquiète, quand Michaël grandit.
« Michaël leva la tête. Un regard que Marta n’avait jamais vu entre eux glissa d’Arthur à Michaël, du père au fils, et il y avait dans ce regard quelque chose de tellement intime, une si profonde compréhension mutuelle que Marta prit aussitôt peur. L’adolescent pouffa de rire, Arthur l’accompagna de son rire sonore, et Michaël se tenait déjà les côtes avant que ça puisse lui faire mal. Ils riaient de Marta.
Dans le miroir: son visage à elle, ses taches de rousseur. En arrière-plan: la moquerie. »
Le seul que j’aie aimé franchement est Georg – Michael est peu présent dans l’histoire sauf tout petit et ado mais éclaire la fin -. Le seul être normal est Georg. Georg aime Marta, lui; Georg sourit, est respectueux, gentil et intelligent…Mais Marta a choisi Arthur…et je vous le dis: c’est incompréhensible !
« Georg rit et prit congé en faisant son fameux salut temporal.
Marta sentit son cœur battre la chamade. Elle lâcha Neptune et suivit Georg.
-Georg!
-Oui, dit-il en se retournant.
-Est-ce que tu as tenu ta résolution?
-Ma résolution de toujours dire ce que je pense?
-Oui.
-Non, répondit-il. Mais tu fais bien de me le rappeler: je reprendrai la même l’an prochain.
-Tu veux que je te dise ce que je pense maintenant?
Georg réfléchit avant de répondre, en regardant le ventre de Marta:
-Il ne vaut mieux pas. C’est trop tard? Ça ne me sert plus à rien si tu commences à être franche maintenant. »
Ce livre parle donc des actes manqués, des décisions fatales, des choix dont on ne sait d’où ils viennent, c’est un roman noir, oui, je ne pouvais pas le lâcher, tenue par une colère sourde. Comment un choix va diriger une vie, comment deux personnalités si peu faites pour s’assortir vont entrer en guerre avec effets collatéraux. Beaucoup de choses s’éclairent dans la seconde moitié de ce roman si bien construit.
Moi je dis: « Chapeau ! » à Katja Schönherr d’arriver à ce résultat, à savoir un coup de cœur pour l’histoire de ces deux personnages repoussants, chacun à sa manière, et pour une écriture glacée, glaçante et parfaite.
Cette citation de dernière page, attribuée à l’ancien directeur de l’Office fédéral de police criminelle allemande, Horst Herold.
« Si on allumait des bougies, la nuit, sur les tombes de tous ceux qui en réalité ont été assassinés, nos cimetières seraient bien éclairés. »
Vous avez trouvé le cadavre. Vous devez disposer de toutes les preuves circonstancielles et médico-légales dont vous aurez besoin.L’affaire est classée, vous avez déjà tiré vos conclusions.
Mais on ne peut arriver à sa conclusion avant deconnaître l’histoire.
Voici ma version. Je me livre à cœur ouvert. Ça ne changera rien, peut-être. Peut-être tout, aussi. Si ça n’excuse pas mon geste, ça peut l’expliquer. L’essentiel est dans ce document. Vous y trouverez des circonstances atténuantes ou aggravantes. Je prends le risque.
Vous pourrez croire que c’est romancé ou que je me donne le beau rôle. dans mes souvenirs, dans ma tête, c’est ce qui est arrivé. C’est ma vérité et c’est la seule qui compte…Je vous laisse en juger.
Je vous jugerai aussi, en temps et lieu.
Je demande que ce document soit déposé comme preuve et remis aux jurés. Je suis prêt à corroborer chaque paragraphe sous serment. »
Ce livre, cette série de livres, c’ est une grosse claque dans la gueule. C’est l’expression la plus adaptée quand on en ressort sonné et … empli de doutes sur cette histoire. Cette histoire qui commence ainsi:
« La résilience
Ma mère se suicidait souvent. Elle a commencé toute jeune, en amatrice. Très vite, maman a su obtenir la reconnaissance des psychiatres et les égards réservés aux grands malades. Électrochocs, doses massives d’antidépresseurs, antipsychotiques, anxiolytiques et autres stabilisateurs de l’humeur ont rythmé les saisons qu’elle traversait avec peine. Pendant que je collectionnais des cartes de hockey, elle accumulait les diagnostics. Ma mère a contribué à l’avancement de la science psychiatrique tant elle s’est investie dans ses crises. Si ce n’était du souci de confidentialité, je crois que certains centres universitaires porteraient son nom. »
Le ton est donné. Grinçant, et noir. Et j’ai ri beaucoup, vraiment ri, alors que cette histoire est absolument atroce, violente tous azimuts, et parfois, même si c’est assez rare, il y a un flot d’émotion qui monte dans la gorge, saisissant et relativement bref, désamorcé par un trait d’humour noir .
Je ne vous ferai qu’un aperçu parce que tout ça est impossible à raconter. Le personnage, le narrateur, n’a pas de nom. On sait qu’il est « la bête » à sa mère; sa mère, son idole, l’amour de sa vie, son obsession, cette obsession qui va l’emmener, et nous avec, dans un tourbillon déjanté et sans temps mort. Il nous raconte ainsi que
« Donc, j’ai grandi dans des familles d’accueil. Au pluriel. J’enfilais les familles comme les anniversaires. Les intervenants aussi. Déménagements, changements de garde, transferts scolaires, refontes des plans d’intervention.
Je n’ai jamais aimé les familles d’accueil. Tout le monde disait croire en moi, mais personne ne croyait ce que je disais. Un paradoxe parmi tant d’autres. »
C’est une longue cavale, ce roman, une longue course poursuite emplie de démence, de violence, de misère, de mensonge et d’espoir… ! Car il espère la retrouver, sa mère ! Il est mythomane, notre conteur, il a une vie intérieure intense, une résistance qu’on pourrait lui envier s’il n’en faisait pas une camisole aussi redoutable. Le tome un , c’est la fin des familles d’accueil, il doit avoir 16 ou 17 ans et est déjà, encore ? toujours ? très perturbé comme on dit pour faire modéré. Mais ici, rien n’est modéré, rien. En vrille, complètement dérangé notre héros. A sa décharge, au vu de son histoire d’enfance il a des circonstances atténuantes; et pourtant on n’arrive pas à l’aimer tout à fait, on n’arrive pas à être totalement en phase avec lui tant ses actes sont atroces et parfois gratuits, incompréhensibles – comme avec les chats. -. Avec les chats, avec les gens. Roublard, menteur…et grand lecteur, il lit beaucoup et interprète ce qu’il lit de façon judicieuse mais selon ses critères. Il ponctue ses réflexions sur à peu près tous les sujets par un « C’est documenté » qui m’a beaucoup fait rire ( vu ce qu’il dit avant cette conclusion récurrente…). Il tient tout au long du livre les pires propos, racistes, sexistes, et tout ce qu’on veut, et s’absout de tous ses méfaits avec une facilité désarmante.
« Ce qui était pratique avec la bibliothèque municipale, en plus des livres à lire, de l’accès à Internet et des filles en jupe, c’est qu’elle était à deux pas d’un bazar. Un bazar qui rachetait les livres à faible prix, mais en quantité. Je bourrais mon sac à la bibliothèque et le déchargeait cinq bâtisses plus loin. Il n’y a pas que l’économie qui doit rouler, la littérature aussi. »
Et en devient si touchant par moments, mais oui…car il saute d’un avis à un autre par une gymnastique mentale extrêmement périlleuse.
« L’argent est la mère de tous les vices, c’est une sagesse millénaire. Les hypocrites qui affirment que ce n’est pas la chose la plus importante pour eux en ont juste assez pour faire semblant. Ce sont des résignés, des gagne-petit. peu importe la devise, peu importe l’endroit sur la planète, on se vend, on se tue, on se prostitue et on accepte d’abandonner son corps, sa force et son temps pour de l’argent. Je ne suis peut-être pas meilleur que les autres, mais je suis plus conscient et ne me laisse pas noyer dans l’hypocrisie générale. Le temps, les amis et les amours passent, l’argent reste. J’ne avais plein les poches et je voulais en profiter. »
Après avoir cru trouver sa mère qu’il recherche activement, vivant de combines, déjà bourré d’addictions, entretenant des relations avec des femmes plus vieilles que lui, pas très belles – ah il faut l’entendre parler de ses amours ! – , il trouve un vrai travail à la SPA, tout un poème, il chantonne du rap. Ici, Manu Militari
et le voici attrapé et on entre dans le second tome, La bête et sa cage, la prison.
Comme le livre est long, je vous propose le prologue intégral:
« J’ai encore tué quelqu’un. Je suis un tueur en série. D’accord, deux cadavres, c’est une petite série, mais c’est une série quand même. Et je suis jeune. Qui sait jusqu’où les opportunités me mèneront? L’occasion fait le larron, le meurtrier ou la pâtissière.C’est documenté.
Depuis quatre jours déjà, mon univers est réduit à une cellule d’isolement. Mon avocat vient tout juste de m’apporter papier etcrayons. Il prétend que ça m’aidera à tuer le temps et que ça pourrait nous être utile au procès. Mes écrits intéressent les légistes et les spécialistes de tout acabit. J’ignore ce qu’ils en tireront, mais mon juriste endimanché me garantit que ce sera du vrai bonbon pour les psychiatres.
La dernière fois que j’ai commis un meurtre, j’avais tout noté. Les experts s’en sont inspirés pour la rédaction de leurs rapports psychologiques. Rapports ayant contribué à déterminer ma peine. La peine, ça ne se calcule pas.
Ils ont affirmé que mon récit était d’une transparence, d’une candeur désarmantes. Ça aurait joué en ma faveur. Paraîtrait que j’ai une capacité d’introspection minimale bien que je m’exprime à foison. C’est grâce à mes études en rien du tout. Autodidacte de la tête aux pieds. Je bombais le torse au tribunal, pas peu fier.
Puis ils ont égrené le chapelet de diagnostics : dysphasique, troubles d’adaptation impliquant des symptômes du spectre de l’autisme, troubles de la personnalité antisociale et narcissique. Malgré mon jeune âge, les spécialistes s’entendaient pour brosser le portait d’une psychopathie complexe. C’était moins flatteur.
J’ai pris seize ans dans la gueule. Paf ! On m’assure que ça aurait pu être pire. Ce sera pire d’ailleurs , cette fois, avec la récidive. Je pourrais ne jamais être remis en liberté. La liberté, c’est dans la tête. Et j’ai le crâne vaste.
En attendant qu’ils finissent l’enquête et déterminent à quel degré d’homicide ils vont me cuisiner, je marine en isolement. Autant écrire.
Je dirai la vérité, toute la vérité, rien que ma vérité. Ce manuscrit peut être remis au juge, aux jurés, aux experts-psychiatres et à un éditeur. Je parie que ce sera un long procès et un bon livre. »
J’ai encore plus ri dans cet épisode. Notre narrateur, il faut le comprendre, est un très très grand mythomane, il a une vie intérieure si intense et une imagination si fertile que ce séjour en prison devient une fantastique aventure dans laquelle son ego va aller de bouffées d’orgueil délirantes en claques dans la figure. Mais en tous cas, la vie de la prison est sordide et ce garçon si violent subit avec un calme olympien ou presque les pires atrocités. Des scènes hilarantes en tous cas et on est pas très fier de se marrer. C’est néanmoins forcément la volonté de l’auteur. Parce que bon, tout le monde y va de son coup de poing, de couteau, de fourchette et autre…C’est la jungle, ça saigne, ça pue. Et notre personnage délire considérablement. Tout à son avantage.
À la suite de cette conséquente épopée pénitentiaire, il est expédié en hôpital psychiatrique – Pinel – et voici le tome 3, Abattre sa mère.
« Prologue
À la fin de ce récit, je vais me tuer. Et puis mourir. C’est ainsi. Toute bonne chose a une fin, mais moi aussi.
Vous ne devriez même pas tenir ces pages. Que vous puissiez me lire relève de la providence, du miracle ésotérique. Vous êtes incapable de concevoir la chance qui est la vôtre. À moins d’avoir la foi. Dieu est partout, et je suis là; je vous laisse en tirer vos propres conclusions.
En toute humilité, je ne suis qu’un homme, mortel. Mord déjà. Mais de grands destins foulent le sol de cette terre, une race d’hommes qui marque l’histoire et écrit la sienne. Je suis de cette espèce trop grandiose pour s’effondrer, s’écrouler dan sla vase de l’insignifiance commune. Comme un conquérant, un génie littéraire ou un graffiti célébrant l’amour d’André et Nicole sur la pierre dynamitée d’une autoroute de l’Outaouais, je laisserai ma trace.
D’autres viendront après moi, qui m’imiteront pour les plus misérables, qui s’inspireront de mon œuvre pour les plus nobles. Mais moi, je n’y serai plus. Voici mes derniers écrits, lisez-les en mémoire de moi.
Tout est fini, l’histoire commence. »
De là il sortira, et comme il sème les agressions sous ses pas, on va le suivre dans Montréal, en compagnie d’une punkette shootée, Bebette, et d’une vieille putain qui crache ses poumons, Maple. Drôle de périple souvent nocturne, sous alcool ou cachets, ou tout ce qu’il trouve. Pourvu que ça « gèle ».
Je m’en tiens là, la fin est assez éclairante, et sincèrement je ne crois pas avoir déjà rencontré une plume française de cette sorte. Il y a du rythme, de la poésie, de l’humanité dans tous ses états, y compris les pires. Une œuvre inclassable, qui fait découvrir la jeune littérature québecoise que je vais continuer à explorer. Après Anaïs Barbeau Lavalette et son bouleversant « Je voudrais qu’on m’efface« , mon enthousiasme ne faiblit pas.
Je précise aussi que le parler québecois est présent, mais compréhensible sans dictionnaire et si drôle, si imagé, un parler qui met du relief à l’écriture déjà si brillante. J’ai adoré ce livre totalement unique par son ton, son sujet et la façon de le traiter. Quand je dis LE sujet, il y en a plusieurs, un vrai réquisitoire sur nos sociétés qui laissent des tas de gens à la marge et qui s’étonnent de cette marge ensuite. Un regard sur Montréal et le Québec impitoyable, bien loin des clichés touristiques et angéliques liés à ces endroits. Ceci dit, j’ai adoré cette ville, mais comme toutes les villes, elle n’est pas exempte de laissés pour compte, de misère, etc…J’y ai aussi beaucoup marché ( et pas encore assez à mon goût, va falloir que j’y retourne …), et j’ai aimé ça.
Enfin, ne sautez pas les préfaces exceptionnelles, elles font partie intégrante de la qualité de l’ensemble, signées : Kim Thuy, Manu Militari et Fred Pellerin
Je vous invite vraiment à vous procurer ce livre étonnant, explosif, hilarant, jouissif et extrêmement virulent ! Tout y est au cordeau, Titres des romans, titres des chapitres, préfaces, et bien sûr l’écriture et le propos, un sans faute.
Je crois que le tome 1 a été édité aux éditions Philippe Rey et en 10/8 , avec une chouette couverture signée comme celle de la trilogie Axel Pérez de León ; je mets celles des autres tomes, je les trouve vraiment belles et très évocatrices. Je ne sais pas si les libraires peuvent l’avoir dans l’édition originale comme le mien tout en un, probablement. Sinon, la librairie du Québec à Paris est très sympa et envoie par correspondance.
Un petit bout de l’épilogue
« Only God can judge me, et au jugement dernier, il ne me jugera même pas! Dieu n’est qu’amour et pardon, c’est pratique. Mon expérience d’homme revenu d’entre les morts a labouré ma spiritualité en jachère. J’ai décidé de croire en Jésus, les saints, les archanges, et leurs diverses déclinaisons. C’est un choix réfléchi, stratégique, qui deviendra peut-être une forme de foi en cours de route. L’appétit vient en mangeant et ça compte aussi pour les hosties. »
J’ai corné une page sur 2…si j’ouvre n’importe où le livre, je tombe sur un truc incroyable et je me remets à lire…mais je dois rester raisonnable et ne pas trop en dire et que je vous garantis un grand moment de lecture. NOIR et JUBILATOIRE !!!