« La transparence du temps »- Leonardo Padura – Métaillié/Bibliothèque hispano-américaine, traduit par Elena Zayas

« 4 septembre 2014 à

La lumière crue de l’aube tropicale, filtrée par la fenêtre, tombait comme un éclairage de théâtre sur le mur où était accroché l’almanach avec ses douze cases parfaites, réparties en quatre colonnes de trois rectangles chacune. À l’origine, aux espaces du calendrier correspondaient différentes couleurs, du vert juvénile et printanier au gris vieilli et hivernal, une palette que seul un dessinateur très imaginatif pourrait associer à une chose aussi inexistante que les quatre saisons dans une île de la Caraïbe. Au fil des mois, quelques chiures de mouches étaient venues agrémenter le bristol de points de suspension erratiques;[…] Autant de marques du passage du temps et de mises en garde destinées à une mémoire en passe de se scléroser. »

Croyez-moi, c’est un sacré défi de parler des romans de Leonardo Padura. Celui-ci, comme « Hérétiques », car on a affaire à un grand bonhomme, vraiment un très grand écrivain. J’ai eu l’immense bonheur de l’écouter la semaine dernière à la librairie de Mâcon, Le cadran lunaire. Et j’ai eu les réponses aux questions que je me pose sur cet auteur depuis que je l’ai découvert ( je crois que je n’ai que 2 livres de retard, mais je les lirai, forcément ).

Avec simplement trois bonnes questions du libraire j’ai pu comprendre le père/le double de Mario Conde. Pourquoi il a toujours vécu à Cuba, à La Havane, comment il en est venu à l’écriture lui qui ne rêvait que de base-ball et d’être journaliste sur ce sport ! Et j’ai compris exactement je crois à quel point Conde est son double. Et puis quel homme drôle, clair dans son expression, capable de dire simplement une pensée pourtant complexe…

Bref, je suis repartie éblouie par cette intelligence sans pédanterie, réjouie d’avoir pu dire mon admiration et mon goût immodéré pour les repas de Mario avec ses amis de lycée, la cuisine de Josefina, le rhum et la verdeur persistante des émois de Mario face à Tamara !

« Josefina, avec son invincible vivacité octogénaire, interrompit la conversation en donnant l’ordre de se mettre à table, car il était déjà huit heures et demie et elle voulait regarder son feuilleton à la télé. Elle avait sorti sa meilleure nappe et ses assiettes les plus présentables. Manolo n’aurait qu’à se joindre à eux en arrivant. Cette femme savait encore très bien mener son troupeau rétif. […]

Les invités s’extasièrent devant le spectacle gastronomique offert par la soudaine prospérité financière de Conde: les poulets à la peau brillante, parfumés au feu de bois, les yuccas avec leurs intimités ouvertes et prometteuses et enfin le riz congrí bien détaché, odorant, attirant comme un puissant aimant. Durant trop d’années, ils avaient bien des fois mangé grâce aux arts occultes de Josefina mais ils n’avaient jamais tordu le cou à l’angoisse nutritive endémique qu’ils avaient enduré au cours de leurs vies, comme des millions de Cubains dont les estomacs avaient été surveillés pendant des décennies par le livret de ravitaillement – ou de rationnement ? – qui les empêchait de mourir de faim mais qui ne leur permettait pas de vivre sans souffrir de la faim. Aussi, une fois passé le moment esthétique, se lancèrent-ils à l’attaque. Pas de quartier ! »

Dans ce livre magistral, Mario Conde est sollicité par un vieil ami de lycée, qui n’est pourtant pas de sa bande. Avec Bobby, homosexuel, Padura aborde la condition homosexuelle à Cuba, et affirme son désir de ne pas victimiser systématiquement, dans une volonté de mettre chaque personne à égalité avec toute autre, des êtres parfois épatants et parfois pas du tout en passant par tout ce que peuvent être les gens. Bobby avait une vierge noire à la grande puissance qui lui a été dérobée, et il demande donc à Mario de l’aider à la retrouver.

On va partir ainsi explorer l’histoire de la Catalogne et de ses vierges noires, on partira en croisade, on traversera les Pyrénées en compagnie d’Antoni Barral et de sa vierge noire miraculeuse, et ce à rebours, en remontant le temps de 1989 à 1936, puis en remontant  les siècles pour arriver aux origines, 1291 et le siège de Saint- Jean d’Acre…avec le même Antoni Barral, et ses pieds.

« Il n’ira pas plus loin. Arrivé à cette échéance, il ouvre lentement les yeux et regarde ses pieds : c’est ce qu’il a de mieux à faire, peut-être est-ce la seule chose.À chaque fois qu’il s’est retrouvé dans une situation menaçant d’infléchir le cours de sa vie, il a regardé ses pieds, conscient ou non de ce qui l’incitait à le faire, poussé par un besoin impérieux et secret comme  s’il répondait à un appel supérieur.[…] Mais depuis son adolescence de montagnard, il a regardé ses pieds, dominé par une étrange attraction à laquelle se sont mêlées, à des degrés divers, les sensations d’appartenance et de dépossession, de proximité et d’éloignement. […] Ses pieds, ce sont les chemins parcourus : de l’innocence à la culpabilité, de l’ignorance à la connaissance, de la paix à la mort, de l’agréable promenade et du pénible charroi agreste à la fuite sans retour possible, talonné par l’angoisse et la peur, ce sont eux qui jadis l’avaient mis en marche et qui, finalement épuisés, le conduisent maintenant sur l’ultime sentier. »

Alors vous voyez bien que nous n’avons pas ici une lecture linéaire, facile, sans aspérités, bien sûr que non, l’écrivain nous fait travailler les neurones, nous accordant des pauses quand il nous ramène à La Havane, aux côtés de Mario Conde. Je vais partager quelques passages, mais tout le livre est absolument brillant, jamais ennuyeux, riche en surprises et en connaissances. Les thèmes de réflexion aussi abondent. On est sous le régime de Raul Castro, dans un certain – mais approximatif –  relâchement « libéral », Mario Conde regarde son pays muter, Mario continue à fumer, boire, baiser, et continue son chemin de perpétuelle nostalgie pour l’avant, sa jeunesse ( il fête ses 60 ans ) , il voit ses amis qui vont partir…

Padura avec son talent pour ne pas mettre grossièrement les pieds dans le plat, brode son texte autour de l’histoire de cette vierge noire magique, et c’est un régal de lire ça, et en avançant on comprend bien ce qu’il entend par ce titre si beau : La transparence du temps.

Ce que j’ai aimé, que j’ai toujours aimé chez cet auteur, ce qu’il répète sans cesse avec  force et sensibilité, c’est son amour de Cuba, de sa ville et de son quartier, son sens aigu de l’amitié et son attachement aux valeurs épicuriennes, vaille que vaille. On a chez Conde des accès de mélancolie, et ici plus fort que jamais une sorte de désenchantement auquel il résiste, désirant toujours croire que tout n’est pas foutu…Et d’ailleurs, avec malice il glisse dans la bouche de Bobby au détour d’une conversation le titre du recueil de nouvelles publié en 2016, « Ce qui désirait arriver »…si on réfléchit à ces 4 mots, ça peut mener loin.

Le morceau emblématique de Mario Conde – et de Leonardo Padura –  ( à égalité avec Yellow Submarine des Beatles )

Je n’aime jamais fermer un roman de Leonardo Padura, et dans sa rencontre avec les lecteurs, il nous a annoncé qu’il travaille sur « un roman qui le rend fou ! » , déclarant qu’il pourrait écrire des polars bien ficelés qui se vendraient comme des petits pains, mais qu’il est écrivain et qu’il se lance des défis, pour lui, mais aussi pour ses lecteurs des quatre coins du monde.

C’est tout à l’honneur de cet auteur d’exception de respecter ainsi l’intelligence de son public et de ne pas céder à la facilité.

Que dire de plus ? Ce livre ouvre les publications de 2019, anniversaire des 40 ans de cette maison d’édition de haute qualité. Un merveilleux roman une fois de plus, mi-roman policier, mi-roman historique, mais oublions le catalogage simplement un roman total. J’adore !

« Est-ce cela écrire ? Se transmuer en un autre ? Renoncer à soi au profit de la création ? Essayer de reconstruire ce qui ne peut être restauré ? Manipuler le mauvais spectacle de la vie, vécue sans possible plan préalable, pour en faire une création plus bienveillante et logique, d’une certaine façon moins humaine et pour cette raison plus satisfaisante ? Jouer à être libre ?  Et même être libre ? »

 

« Ce qui désirait arriver » – Leonardo Padura – Métailié, traduit par Elena Zayas

ce-qui-désirait-arriver-HDEmmené en vacances en Ardèche, j’ai lu ce recueil de nouvelles à un rythme assez lent. Mais finalement, c’était assez approprié pour s’imprégner de la langueur cubaine, et de la voix de l’auteur. C’est toujours avec bonheur que je lis Padura que j’ai découvert ici dans l’art difficile de la nouvelle. Même si je trouve qu’il a tout de même plus de puissance dans le long cours, il s’en sort plutôt bien, surtout dans certaines histoires dans lesquelles j’ai retrouvé la langue doucement ironique et mélancolique de cet écrivain hors normes, son Cuba de derrière les façades ensoleillées, reflété dans le rhum Carta Blanca et ses effets secondaires.

« Au commencement était la fascination. »

 Retour sur la très fantasmée Violeta Del Río  – « Neuf nuits avec Violeta Del Río » – rencontrée dans « Les brumes du passé » ( sans doute un de mes préférés dans la série des aventures de Mario Condé ), et le sucré bolero qui dans sa bouche, avec sa voix, devient un enchantement sensuel, érotique.

Certaines de ces histoires contiennent toute l’humanité de Padura, et j’ai adoré plus particulièrement « Adelaida et le poète »

« Du coin, le jeune poète la vit s’éloigner avec sa robe mauve des jours de fête et  son dossier contre sa poitrine et il crut découvrir la silhouette d’une jeune fille, d’environ dix-huit ans, qui traversait la rue pour aller à la rencontre de la vieille dame. » Elle mérite un poème, se dit Reinaldo. » »

 « La mort heureuse d’Alborada Almanza » dans laquelle une vieille dame à l’approche de la mort voit un ange la visiter, un beau mûlatre bien bâti qui exauce ses trois souhaits avant de quitter cette terre,

« Sous sa main, elle sentit alors la douceur de l’épaisse fourrure du chien qu’elle avait eu quand elle était petite et, au-delà du salon aux dalles de marbre disposées en échiquier, elle put voir la plénitude bleue de la mer tandis que résonnaient les premiers accords d’Almendra, son danzón préféré. »

 « Le mur  » , belle rencontre entre un homme mûr et un gamin qui joue au base-ball seul contre un mur, et « La mort pendulaire de Raimundo Manzanero », suicide conté et commenté par plusieurs voix…

« Comment va-t-on faire pour continuer? Nous ne sommes guère qu’un récipient plein de vie, mais cette vie s’est desséchée parce que nous ne savons plus pour quoi prendre des risques: on se résigne et c’est ainsi qu’on survit. J’ai toujours pensé que survivre était le propre des animaux: manger, dormir, procréer. Vivre ce n’est pas ça, c’est quelque chose de plus créatif, de vivant, justement. Mais il n’y a ni vitalité ni créativité dans ce que nous faisons et dans ce que nous sommes. […]. Et moi, finalement qu’est-ce que je veux, moi ? Je pense que je veux tout juste être moi-même et que je n’ose pas. J’ai passé toutes ces années à me trahir pour obtenir ce que j’ai, mais ce n’est pas ce que je devrais ni voulais avoir. Je crois qu’un jour… » ( Le manuscrit s’interrompt sur ces mots.) »

cuba-191994_1280Il y a les histoires de sexe, de retour de guerre, de beuveries désespérées, la noyade dans le rhum et la fatalité. L’ensemble est au final sombre, sans doute plus sombre que ce que j’ai lu dans les romans, et glauque parfois. Réaliste ? Sans doute, si on arrive à faire abstraction des belles images que l’on nous a données de Cuba, les charmantes vieilles bagnoles américaines, les superbes métisses, la musique si entraînante, les cigares et le bon rhum…Voici ici, plus que jamais je crois dans l’œuvre de Padura, l’envers du décor. Plus triste, plus violent, mais il ne renonce pas, vaille que vaille à son humour doux amer et à la poésie.

Ces nouvelles ont été écrites entre 1985 et 2009 et ne sont pas présentées par ordre chronologique. Pour conclure, une lecture qui peut mettre mal à l’aise par sa crudité parfois, mais qui enchante totalement – et intelligemment – par sa sincérité et son humanité. Je ne sais pas vous, mais je trouve la photo de couverture de ce livre extrêmement belle et bien choisie. Encore une fois, très beau choix éditorial pour Métailié.

« Hérétiques » de Leonardo Padura – Métailié, traduit par Elena Zayas

heretiques-padura Je termine à l’instant un grand livre, dense, exigeant et prenant…Leonardo Padura est parmi les auteurs que j’aime depuis le premier livre lu, sans déception depuis, et le voici de retour avec un véritable monument, dans lequel il déploie tout son talent de narrateur, d’architecte des mots et des histoires, avec une fascinante capacité à construire une intrigue complexe qu’on ne peut pas lâcher, et dont on sort quelque peu sonné. Ceci explique le temps dont j’ai eu besoin pour ces 600 pages. Étourdissant voyage entre les siècles et les lieux, de Cracovie à Cuba en 1939, à Cuba en 2009, puis à Amsterdam en 1643, avant de revenir à Cuba…Un triptyque magistral.

Tout au long de ce roman qui mêle l’histoire tragique du peuple juif à celle de Cuba ( de Batista à Castro via la Révolution jusqu’à aujourd’hui…), il n’est qu’un sujet, qu’un fil conducteur qui depuis toujours anime l’homme : la liberté, le désir et le besoin de liberté, la manière d’y accéder, et les drames qui découlent du manque de cette liberté.

« Car il est possible que même Dieu soit mort, en supposant qu’Il ait existé, et si on a aussi la certitude que tant de messies sont finalement devenus des manipulateurs, tout ce qui te reste, la seule chose qui en réalité t’appartient, c’est ta liberté de choix. Pour vendre un tableau ou le donner à un musée. Pour être du nombre ou ne plus en être. Pour croire ou ne pas croire. Et même pour vivre ou pour mourir. »

havana-222462_1280Cette phrase termine l’épilogue du roman, où j’ai retrouvé avec jubilation Mario Conde, l’ex-flic bibliophile, maintenant vieilli, toujours épris de Tamara, son amour de jeunesse, et surtout toujours entouré, de près ou de loin, par sa tribu d’amis  – j’aime tout particulièrement tous les passages consacrés à ces soirées débordantes d’amitié, d’amour, arrosées de rhum et nourries des plats savoureux de Josefina.

« […]: un gigot de porc rôti, une marmite de moros y cristianos tout brillants de l’huile parfumée des olives toscanes, des yuccas dépravés, ouverts comme le désir avec leurs entrailles humides d’une marinade d’oranges amères, d’ail et d’oignon, et une salade fleurie aux couleurs vives. Ils laissèrent pour la fin les bouteilles de vin, les bières, le rhum et même une bouteille de soda – une seule, au citron, comme l’aimait Josefina – car ce n’était pas le jour pour boire ce genre de boissons gériatriques, comme le fit remarquer le Flaco. »

StLouisHavanaL’histoire commence avec l’arrivée à Cuba en 1939 du paquebot St Louis, et l’attente, sur le quai, de Daniel, petit garçon confié à son oncle Joseph, qui espère en voir descendre ses parents et sa sœur Judith, en vain…Un autre sort que la vie cubaine attend les 937 passagers, juifs allemands…En 2007, Mario Condé est chargé par Elias Kaminsky, fils de Daniel, de retrouver rembrandtune petite toile, supposée de Rembrandt, appartenant à la famille et réapparue dans une vente aux enchères à Londres. L’enquête de Conde, hors de tout circuit officiel va nous faire remonter le temps et nous emmener de la touffeur de La Havane au rude hiver d’Amsterdam en 1643, dans la maison de Rembrandt, dans son atelier, avec ses élèves…Ce sont ces pages qui m’ont pris le plus de temps; immersion dans la pensée et la religion judaïques, dans l’histoire de ces Juifs ayant fui Cracovie pour échapper à un massacre, bien installés dans cette ville d’Amsterdam. Elias Ambrosius ne rêve que d’une chose : peindre…Mais la religion des siens le lui interdit. Soutenu par son grand-père tant aimé et son professeur, il va braver l’interdit. C’est la partie la plus dense, et aussi celle qui m’a le plus impressionnée, parce que Padura écrit là dans un style très différent, la description d’Amsterdam, du maître Rembrandt, de la diaspora juive, c’est riche, approfondi, j’ai appris beaucoup, rencontré Spinoza au passage…un véritable bonheur mais qui m’a demandé une grande concentration.

VROOM_Hendrick_Cornelisz_The_Harbour_in_Amsterdam_mEt là encore, la liberté :

« Vous avez changé ma vie, Maître. Et pas seulement parce que vous m’avez appris à peindre […]vous m’avez appris qu’être un homme libre c’est plus que vivre dans un lieu où on proclame la liberté. vous m’avez appris qu’être libre, c’est une bataille qu’il faut livrer tous les jours, contre tous les pouvoirs, contre toutes les peurs. »

rembrandt-harmenszoon-van-rijn-67621_1280Les conversations de Rembrandt avec son jeune élève juif sont absolument admirables, qu’elles traitent de la peinture, de l’art plus généralement, de foi ou de philosophie, c’est profond, fouillé, magnifique, quoi…

La dernière partie, dans La havane d’aujourd’hui, avec sa jeunesse désabusée qui s’invente sa liberté à travers des groupes, Emos, Mikis et autres et des pratiques douloureuses…Conde recherche Judy – Judith, étrange personne qu’il découvre peu à peu…Et par laquelle il va boucler le cycle de cette histoire bouleversante.

« Il la reconnut au premier regard. […]: les lèvres, les ongles et les orbites noircis, les anneaux argentés dans l’oreille visible et le nez, les cheveux rigides tombant comme une aile d’oiseau de mauvais augure sur la moitié du visage, rendaient son image inoubliable, du moins pour un homme de Néandertal comme le Conde. »

Le propos de l’auteur est clair et on sent bien chez lui la désillusion, l’impuissance face à la misère, à la corruption, à la désespérance. Le seul refuge reste l’amour et l’amitié, un peu de rhum.

« Dans un pays qui devenait, jour après jour, un enclos entouré de très hautes palissades où, selon une étrange pratique, beaucoup de coqs se battaient entre eux, chacun essayant de prendre quelque chose à l’autre et s’assurant qu’on ne lui prendrait rien à lui. » 

Havanna_Street_in_blue_2_mToutefois, quand on le retrouve dans les rues de La Havane, entouré des siens, de ses souvenirs et lieux familiers, l’humour salvateur est de retour : 

« Tu sais pas lire ? Allez, quinze pesos, paie d’abord, dit le bistrotier, et, sans bouger sa lourde fesse, il attendit que le distingué client mette les billets sur le comptoir. Après les avoir pris, comptés et rangés dans la vieille caisse enregistreuse, il lui lança enfin les cigarettes puis se mit à verser le rhum dans un verre d’une propreté qui parut plus douteuse à Conde qu’à un marxiste orthodoxe, en théorie prêt à douter de tout, ou plutôt de tous. »

Ou au lendemain de la fête d’anniversaire de Tamara ( 52 ans ) – qui donne lieu à un petit discours de Carlos le Flaco, absolument émouvant, splendide ode à l’amitié – les effets du rhum haïtien: 

« Le réveil fut des plus terribles, comme Conde le méritait : le sang battait dans ses tempes, sa nuque était brûlante, son crâne opprimait perfidement sa bouillie encéphalique. Il ne se risqua pas à palper la zone du foie par crainte que le viscère ne se soit échappé, lassé des abus. »

256px-Leonardo-padura-ffm001Alors, je sors enchantée de cette lecture, difficile certes, mais enrichissante par les thèmes de réflexion qu’elle aborde, écrite avec brio; je regrette vraiment de ne pas avoir pu assister à la rencontre avec Leonardo Padura qui a eu lieu à Lyon à la librairie « Passages »

Voici ce que Leonardo Padura dit de son livre.

 

 

Photo : Dontworry (Travail personnel) [CC-BY-SA-3.0 

(http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)%5D, via Wikimedia Commons

En tous cas, un coup de cœur pour ce livre ambitieux qui démontre que Padura ne dort pas sur ses lauriers et sait prendre  des risques. Il a raison , il en a les moyens.

Voyage entre l’Europe et Cuba, voyage dans le temps, avec Leonardo Padura

Promis, c’est pour la semaine prochaine, un livre très dense, assez difficile, riche en histoire, en sujets de réflexion très contemporains. Et l’écriture extraordinaire de Padura…Retour dans la vie de Mario Conde et de ses compères. Et visite dans celle du génial Rembrandt.

En attendant, à écouter, à voir, pour une petite mise en bouche

Et à lire:

http://www.apra.asso.fr/Camps/Fr/Paquebot-StLouis.html

Un petit tour à La Havane…

 

Et pour accompagner cette bande-son, prenez un des formidables romans de Leonardo Padura (édité chez Métailié, et en Folio ), comme « Les brumes du passé »,   particulièrement beau. Le personnage, Mario Condé, a quitté la police et en bibliophile qu’il est depuis toujours, il s’est reconverti dans la vente de livres rares. Mais ça n’empêche pas qu’il ait gardé le goût de la vérité et qu’une enquête se présentant, il la mène en solo…Enquête sur la disparition d’une chanteuse de boléro 50 ans plus tôt, qui sera prétexte à l’auteur pour ressusciter le Cuba d’alors, entre les mains d’un dictateur ( un autre que l’actuel, enfin, de ce qu’il en reste ! ) et des mafieux américains, une île vouée au plaisir dans la musique, le rhum, les cigares et les belles filles . Un de mes livres préférés de cet auteur.

ICI un très bel article .

Leonardo Padura est un grand écrivain que j’ai tellement aimé que je l’ai fait lire à pas mal de gens et je vous le conseille, vraiment. Ses livres sont un hymne à l’amitié, avant toutes choses. La tribu de Mario Condé est magnifique, réunie le plus souvent autour d’une table, à boire, manger, et parler…Et puis, au fil des romans Padura, qui a choisi de rester dans son pays, de manière habile, dans les descriptions qu’il fait de l’île et de la vie des gens, décrit  la dégradation progressive de son monde, et alors on entend un de ces boléros mélancoliques en sourdine…Personnellement, j’ai toujours eu envie de voir Cuba, et les Cubains…Ce sera sans doute : jamais…Mais j’ai les romans de Padura, et la musique, et des images dans la tête…C’est peut-être aussi bien comme ça, un pays en rêve…

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Vous pouvez lire cet extrait  de la page 85:

 

 » […] La Havane, c’était de la folie : je crois que c’était la ville la plus vivante du monde. Paris ou New York, de la merde, oui ! Beaucoup trop froides … Pour la vie nocturne, il n’y avait pas mieux qu’ici. C’est vrai qu’il y avait des putes, la drogue, la mafia, mais les gens s’amusaient et la nuit commençait à six heures du soir et ne finissait pas. Tu t’imagines, dans une même nuit tu pouvais prendre une bière à huit heures en écoutant les Anacaonas aux Aires Libres sur le Prado, dîner à neuf heures avec la musique et les chansons de Bola de Nieve, puis t’asseoir au Saint-John pour écouter Elena Burke, ensuite aller dans un cabaret pour danser avec Benny Moré, ou avec les groupes Aragon, Casino de Playa, Sonora Matancera, te reposer un moment en savourant les boléros d’Olga Guillot, de Vicentico Valdés, de Nico Membiela … ou aller écouter les jeunes du feeling, José Antonio Méndez avec sa voix rauque, César Portillo et, pour finir la nuit, à deux heures du matin tu pouvais faire un saut à la plage de Mariano pour assister au spectacle du Chori frappant sur ses timbales, et toi, là, comme si de rien n’était, assis entre Marlon Brando et Cab Calloway, à côté d’Errol Flynn et de Joséphine Baker. Et après, si tu n’étais pas complètement mort, tu pouvais descendre à La Gruta, là sur la Rampa, pour te retrouver au lever du jour, emporté par le jazz de Cachao, Tata Güines, Barreto, Bebo Valdès, le Noir Vivar et Frank Emilio qui faisaient un bœuf avec tous ces fous qui étaient les meilleurs musiciens que Cuba ait jamais eus ! Ils étaient des milliers, la musique était l’atmosphère et elle était à couper au couteau, il fallait l’écarter pour pouvoir passer … Et Violeta del Rio faisait partie de ce monde … […] »

Buena Vista Social Club dans les oreilles et Padura entre les mains : bon voyage !

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