Plongée dans les heurs et malheurs de l’Irlande et des Irlandais. On vient de me dire que les Irlandais sont des chialeurs; pas faux selon O’Connor, mais aussi grandes gueules, bagarreurs, grands amateurs de bonnes blagues douteuses, buveurs et…pleureurs donc, la pinte aidant…
Mais mis à part ces considérations générales et autres clichés, je me suis véritablement régalée avec ce recueil de nouvelles, la dernière, « Un garçon bien-aimé » étant qualifié de « novella », plus proche du roman court que de la nouvelle ( ici, 110 pages ). On voyage avec les personnages de Londres à Dublin en passant par New York, voyage aussi dans les époques, dans les misères…Mais je dois dire que comme toujours chez O’Connor, le rire et la dérision sont bien là. La première nouvelle du recueil m’a fait vraiment rire, parce que ce diable d’auteur sait manier les niveaux de langage à la perfection et peux passer du vocabulaire le plus châtié au parler le plus grossier, et c’est toujours juste. Dans « The Wexford Girl », ça commence ainsi :
« Je sais pas si vous connaissez le village de Glasthule, près de Dun Laoghaire. Soyons honnête : y a pas de raison que vous connaissiez. Glasthule, c’est un trou. Il ne s’y passe pas grand-chose. Là-bas, quand vous branchez votre bouilloire, ça fait baisser l’éclat des réverbères. C’était une des plaisanteries favorites de mon père au sujet de Glasthule. Mais bon, mon père, j’en parlerai plus tard. »
Et là, le lecteur est ferré, n’est-ce pas ? Et juste quelques lignes après :
« Mon père disait que la mer, ça fait du bien aux gens. Il disait que plus on se rapproche de la mer, plus on est sain d’esprit. D’après lui, c’est pour ça que les gens de Dublin sont vraiment des gens bien, dans l’ensemble. Et c’est pour ça aussi qu’ils sont tous dingues à l’intérieur des terres. Il sont trop loin de la mer. C’est pas bon pour le cerveau. Et c’est pour ça qu’on voit ces bandes de bouseux descendre sur Dublin. Ils ont besoin de se rapprocher de la mer, les pauvres bougres. Mais bon, même comme ça, c’est pas gagné. »
Et le voici, le lecteur, la lectrice au demeurant, totalement accroché, parce que rire comme ça au début, ça invite à continuer.
Sauf que je connais déjà Joseph O’Connor Et je sais bien que du rire aux larmes, il n’y a qu’un pas. Cette histoire est tragique, L’Irlande est tragique, son histoire est tragique. Je me souviens que dans » Inishowen », roman que j’avais adoré, O’Connor parlait de ces gars qui chantaient des paroles gaies sur des musiques tristes et des paroles tristes sur des airs entraînants…Il en était tout perplexe…Tout est ainsi dans ces nouvelles, même si on ne rit pas toujours, l’auteur selon l’adage « qui aime bien châtie bien » s’en donne à cœur joie, parfois impitoyable avec ses concitoyens il dépeint aussi ces périodes de misère, sur l’île ou à New York, à tirer des larmes et toujours avec plus de compassion pour les femmes – qui le méritent – que pour leurs hommes, même si certaines figures masculines sont magnifiques, comme Colm le père de Cian …L’hommage que rend Cian à son père aimé, qui clôt le livre, est digne, émouvant, un hommage au courage et à l’amour.
On va ainsi croiser ici et là des types qui se débattent avec l’alcool, avec les femmes, avec la pauvreté, souvent tout à la fois…On passe du rire ( « Couleur Octobre » )-
« Alors, c’est un été caniculaire à New York. L’eau est rationnée et tout ça rend les gens complètement dingues. Tout le monde se traîne en short de cycliste. On est tous roses et moites. Comme des poulets de supermarché. Et ce soir-là, moi et mon pote, le père Noël Gallagher…
-Le père Noël Gallagher?
-Ouais. C’est marrant, hein ? »
aux larmes ( « Orchard Street, à l’aube » )
« Un cercueil pour ma fille. Une petite boîte blanche. Comment pareille conversation peut-elle avoir lieu? On n’enterre pas son enfant. C’est votre enfant qui vous enterre. Comme si tout cela n’était qu’un rêve enfiévré dont Bridget Moore allait se réveiller pour entendre le bruit de la rue, le rythme d’une journée nouvelle à New York, et les pleurs d’un bébé réclamant la goutte de lait que les riches donneraient à un chat. »
Cette nouvelle tout particulièrement est d’une tristesse sans fond. Comme je l’ai dit plus haut, le talent de Joseph O’Connor est grand à varier son écriture, la longueur de ses phrases, les rythmes et les ambiances. Mais pourtant un lien évident noue ces histoires, les relie et on arrive à un très beau recueil, bien bouclé.
Quand l’envie d’Irlande me prend, Joseph O’Connor est parfait : juste assez moqueur, juste assez cynique et rageur, mais aussi plein d’amour – un peu contrarié – pour ses compatriotes et son pays. Il y a dans ce recueil des phrases sublimes, des éclats de rire et des coups de colère, il y a de la vie à revendre, je vous laisse au plaisir de la découverte. Je rajouterai que la traduction de Carine Chichereau est tout bonnement formidable.