« Ce qui nous arrive » – Editions Inculte – collectif : Camille Ammoun, Michaël Ferrier, Makenzy Orcel, Ersi Sotiropoulos, Fawzi Zebian. Préface de Charif Majdalani

Ce qui nous arrive - 1Ce recueil formidable et très émouvant est issu d’un projet plusieurs fois retardé, qui devait initialement se faire à Beyrouth en 2019, mais la crise financière libanaise l’a empêché; puis le COVID -19 fait son apparition, une vague, puis une autre, mais tenace; l’association, après une autre crise, celle de l’énergie à Beyrouth, a maintenu le projet en faisant celui-ci à distance, demandant aux cinq auteurs choisis d’écrire un texte, sur un sujet que sans l’ombre d’un doute ils maîtrisent tous parfaitement.

J’ai commencé un premier article que je viens d’effacer. Il aurait été long – trop . Le projet  est de mettre en une œuvre 5 textes dont le lien est la catastrophe. Le premier écrit par Michaël Ferrier, parle de Fukushima, qui a cumulé catastrophe naturelle et industrielle. Ce premier texte m’a bouleversée. C’est « L’insurrection des molécules »  qui frappe fort au cœur et à la raison.

« Oshima, Murakami, Yoshikawa: pour ces trois personnes, le 11 mars 2011 a changé leur vie, de manière décisive et irréversible. De ce désastre, chacune a tiré une leçon différente.

Apprendre à regarder humblement vers le bas et ouvrir sa vie à la poésie des petites choses (Oshima), se tourner vers les aspects spirituels de nos existences et savoir relever la tête ( Murakami ), faire attention et prendre soin de chaque parcelle de notre monde (Yoshikawa ). Eux qui avainet appris à l’école le fameux « principe Okashimo », celui qu’on applique lors des catastrophes naturelles:

O= Osanai (ne pas pousser)

KA= Kakenai (ne pas courir )

SHI= Shaberanai (ne pas parler)

MO= Modoranai ( ne pas faire demi-tour)

Ils ont commencé à penser tout autrement, selon des préceptes qui ne s’opposent pas forcément au « principe Okashimo », mais le contredisent ou le complètent de manière insoumise, insolente. »

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La conclusion est si belle:

« Les êtres humains sont des molécules, eux aussi, en mouvement et savent, quand il faut le déclencher, déclencher des insurrections, dans les rues comme dans les esprits. C’est peut-être ce qui nous donne, dans la dévastation en cours, quelques minces raisons d’espérer dans notre monde de plus en plus catastrophé: la puissance de leurs mots, la force de leurs convictions. »

Le second texte, « Silo » de Camille Ammoun raconte l’explosion dans le port de Beyrouth d’un cargo, le Rhosus, abandonné là avec sa cargaison de nitrate d’ammonium. Il donne voix à ce silo flottant, qui après des chemins de mer compliqués est laissé là, à Beyrouth, alors qu’il se destinait au Mozambique. Camille Ammoun avec son « Silo « , parle avec la voix du cargo. En 2018, le Rhosus coule dans le port de Beyrouth. L’autrice retrace la somme innombrable de catastrophes qui agitent le Liban et Beyrouth en particulier, retrace aussi l’impensable histoire du Rhosus, pour nous amener à l’explosion du hangar 12, où les 2750 tonnes de nitrate d’ammonium ont été stockés en 2014. Ce texte lui aussi est remarquable en tous points.

« Ce qui arrive le 4 août 2020 c’est ce qui fut tant redouté, prévu, et écrit dans divers rapports et courriers officiels royalement ignorés par tous ceux qui les ont reçus, même ceux d’entre eux qui les ont lus.À 18h07 la cargaison du Rhosus explose détruisant ou dévastant la moitié de la ville, tuant plus de 200 personnes, en blessant plus de 7000 et déplaçant plus de 300 000 habitants de Beyrouth. Il y eut deux explosions séparées d’une trentaine de secondes, c’est vrai, mais moi, c’est de la deuxième dont je vous parle ici, de l’immense, de l’abominable. Je l’ai ressentie comme une vague. »

Le troisième texte est celui de Ersi Sotiropoulos, qui nous donne son regard acerbe sur la catastrophique crise économique que vécut la Grèce à partir de 2008, « La fin du monde ». greece-664782_640

Assez court, il dépeint une misère et un fatalisme terriblement triste, car à la misère des Grecs s’ajoute celle des migrants qui échouent dans ce pays duquel le reste de l’Europe détourne le regard. Le ton est plein d’ironie amère, les personnages sont vulnérables, la hiérarchie a dégringolé les étages de la société défaite. M, une femme, va voir un comptable, armée d’un dossier. Son chemin est semé de miséreux, et elle repartira quelques moments plus tard, après sa rencontre avec le comptable, son dossier sous le bras. Rien n’a changé ni ne changera, en mieux en tous cas. Percutant, amer, et parfois drôle, ce texte dit tout sans vraiment énoncer, les descriptions des êtres, les dialogues et les lieux dépeignent bien l’état non seulement des lieux, mais des gens. Terrible, acerbe. Quelques phrases très longues, on y parle aussi de l’amour, même lui est à la peine…Et la fin

« Mais si c’était lui? Lui qui la caressait? L’idée lui traversa l’esprit et elle s’est figée à cette pensée. Non, non, pas lui. Lui , il ne pouvait pas caresser, il agiterait frénétiquement ses bras comme une toupie, a-t-elle songé en éclatant d’un rire hystérique.

Une femme devant un magasin s’arrêta de mâcher, son demi-petit pain dans la bouche, pour la contempler, sidérée. Et au même instant, lui, lui, le mendiant sans bras passa sur un chariot de fortune, poussé par un garçon en pantoufles de femme. Maintenant il va tourner la tête et me regarder avec ses yeux de braise, pensa-t-elle. il ne se retourna pas pour la regarder, et elle observa le chariot jusqu’à ce qu’il disparaisse dans la lumière verte-dorée. »

Dans « Ma grand-mère, une rose blanche et moi », par Fawzi Zebian c’est à nouveau l’explosion de l’entrepôt où dormait – mais pas du tout en fait – le nitrate d’ammonium du Rhosus, c’est cette explosion et sa suite immédiate qui est décrite par un corps éparpillé . Le narrateur raconte sa grand-mère, et raconte l’amour qui l’a saisi il y a peu. Il n’est pas mort, il pense, il parle, il se dépêche de vivre ce qu’il ne vivra pas.  Bouleversant, teinté d’ironie, plein de poésie, encore une fois, la catastrophe envisagée sous l’angle d’une vie ordinaire. Magnifique et empli d’amour, teinté d’amertume, l’angle d’approche choisi est remarquable par son inventivité, le point de vue choisi.

« En réalité, je ne suis pas certain que l’ensemble des morceaux disséminés aux quatre coins soient encore moi. Je ne suis pas certain que chaque lambeau, pris séparément, soit moi. Tout cela est extrêmement confus. Suis-je mon œil. Suis-je ces loyaux empilés au pied du pilier en feu? Je n’en sais rien. Peut-être suis-je ce fragment de crâne dont s’échappe une volute de fumée? Suis-je tous ceux-là? Je n’en sais rien.

Mon esprit est sens dessus dessous. Le malheureux vient d’assister à des choses qui ne l’avaient jamais traversé. Pauvre de moi, pauvre esprit et pauvre endroit. » rose blanche

Enfin, le livre est bouclé par Makenzy Orcel, haïtien, qui raconte l’époque Bébé Doc, la dynastie Duvalier au second degré, après son père Papa Doc, désigné président à vie en 1971, âgé de 19 ans. L’auteur l’appelle Le jeune Chacal, qui alors que des voix rebelles montent, va entrer dans un état paranoïaque aigu. Alors qu’on lui conseille de se marier:

« […] le plus redoutable d’entre eux conseillait au jeune dirigeant de prendre une femme, se marier, organiser une grande fête, inviter tous les chefs d’État de la Caraïbe, d’Amérique du Nord et de l’Europe […] le jeune Chacal approuva cette idée sans hésiter, il en était même ravi, mais pas une femme du peuple, s’écria-t-il, je veux la plus classe, la plus belle, la plus intelligente, la meilleure…il en eut une pour le prix de dix.

le scandale avala d’une traite le budget national. un mariage de taille modeste. à taille humaine. pendant un mois la République dansait. mangeait ventre déboutonné. une fête en première page des journaux nationaux et internationaux. une histoire d’amour sans souffle, et à couper le souffle, digne d’un grand film romantique hollywoodien. le bruit  courait que le monstre américain était prêt à payer très cher pour acquérir les droits de l’idylle présidentielle… »

Le couple

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Ce texte qui relate les atrocités de cette dictature, se termine avec l’auteur qui découvre que son père lui a laissé une sœur à Paris, son père écrivain, et cette histoire, la plus longue du recueil, où la politique est au cœur de la catastrophe si ancrée, si figée sur Haïti, clôt un livre vraiment remarquable par le sujet, les écritures toutes de très haut niveau, la poésie et le trouble qui s’en dégagent. Car c’est terriblement troublant à lire, maintenant, devant l’état du monde. Catastrophique.

Une lecture enrichissante, belle et bouleversante. Un coup de cœur sur les 5 textes . Sans exception. Et un grand bravo aux éditions Inculte pour cette publication.

« Offshore » – Petros Markaris – Seuil/ Cadre noir, traduit par Michel Volkovitch

 « Toi qui es vie, tu es mis au tombeau… »

Le cortège s’arrête à la hauteur du Parlement, peu avant le tournant de la rue Othonos. La trentaine de prêtres est suivie par quatre fidèles portant le cercueil du Christ. Sur les deux trottoirs de la place Syntagma, du côté du Soldat inconnu et de l’autre, la foule forme deux murailles. Tous, tenant un cierge allumé, suivent avec recueillement le passage de la procession, et certains chantent à mi-voix les chants funèbres. « 

J’ai retrouvé avec plaisir le commissaire Charitos et la vie d’Athènes qui, ô surprise, est sortie de la crise ! La Grèce orthodoxe fête Pâques, la résurrection, et l’auteur ne pouvait choisir meilleur moment pour distiller son ironie moqueuse, car bien sûr il y a là un clin d’œil. C’est la foi qui sauve, n’est-ce pas ? Et le peuple grec est vraiment content de croire que brusquement, en ce début de printemps son pays ressuscite…Pour moi, contente de ce petit retour à Athènes au soleil.

Et d’abord, une réminiscence de nos propres dernières élections avec ce nouveau parti grec, ETSI :

« Lorsqu’un journaliste à le télévision leur demandait d’un ton supérieur: »Mais enfin, comment vous présenterez-vous aux élections sans programme? Le citoyen ne doit-il pas savoir pour quoi il vote ? », ils lui clouaient le bec avec cet argument immuable: »Jusqu’à présent le citoyen votait pour quelque chose et il arrivait autre chose. Ne vaut-il pas mieux ne pas promettre ce qui ne se réalisera pas? […] Dans un pays où tout le monde s’étripe, la victoire est allée aux Bisounours. ETSI a emporté la majorité absolue.[…]Soudain l’argent s’est mis à affluer. Une grande partie de cet argent venait des privatisations que le gouvernement lançait à toute allure, à coups de procédures sommaires ». 

Le commissaire Charitos, bien que sceptique, et tous les autres reprennent une vie « comme avant »; les voitures sortent des garages où elles dormaient – la belle pagaille en ville reprend de plus belle – , les restaurants se remplissent à nouveau de clients joyeux et optimistes, il souffle un vent de reconquête d’une vie plus insouciante. Mais, car bien sûr il y a un mais, un premier meurtre se produit, un cadre de l’office du tourisme, un second, celui d’un armateur, et le troisième, un journaliste à la retraite que connaissait et appréciait Charitos…Notre brave commissaire va enquêter et se retrouver avec les pieds dans un bourbier opaque et dangereux qui mêle politique, économie et ceci découlant de cela corruption et blanchiment d’argent sale à grande échelle avec des gens pas trop fréquentables en principe, mais en principe seulement. Charitos lui ne renie jamais son éthique, préfère l’honnêteté à une promotion. Dans l’affaire seule sa femme Adriani est contrariée par ce brusque renouveau qu’elle ne comprend pas, dont elle se méfie après des années de vache enragée.

« Dès qu’on se fait un peu de gras, on se rue dans les restaurants, on bloque les routes en oubliant ce qu’on disait dans mon village: trois jours de fête, quarante jours de deuil. Trois mois ont suffi pour nous faire oublier six ans. Voyons combien de temps il faudra pour en revenir au même point. »

Ah ! Adriani ! Elle est un axe dans ce roman au demeurant classique, mais très agréable pour l’atmosphère qui y règne et pour le propos, jamais frontal mais plein de sous-entendus.

Adriani, c’est la cuisinière hors pair, elle fut la reine des repas faits de rien, une résistante en cuisine contre la morosité de la crise féroce et la voici avec à nouveau des victuailles qui bien que leur retour lui semble louche, la comblent d’aise. Adriani, dotée d’un caractère assez fort nourrit comme elle aime, sans compter !

« Moi je sais cuisiner à la grecque et je ne veux pas imiter les Italiens. Si je voulais apprendre des recettes, je regarderais tous les matins à la télé ces chefs qui vous font de ces plats, une vraie folie, que je m’en arrache les cheveux. Comment a-t-on fait pour passer du souvlaki à la cuisine thaïlandaise. Il est vrai qu’on a quitté la charrette pour le 4×4. C’est pareil. »

Il va y avoir aussi durant cette enquête des migrants bien utiles en boucs émissaires, des jeunes gens pleins d’envie de vivre, et le roman se termine par une question. On voit bien aussi que la société souffre d’une gangrène, le racisme, l’intolérance, la méfiance…

« On se marie, monsieur le commissaire, et pendant cinquante ans on a une vie de couple parfaite. On élève trois enfants, on se soutient mutuellement, et tout d’un coup, à soixante-dix ans, votre épouse rejoint l’Aube dorée. Elle ne dessine pas une croix gammée sur le bras, elle ne défile pas avec les crânes rasés et les gros durs, n’empêche, elle est infectée jusqu’à la moëlle. »

Je suppose donc que Charitos n’est pas encore au bout de ses peines, et qu’on le retrouvera. Il est ici le narrateur, on le suit pas à pas dans ses pensées et ses raisonnements, dans ses fatigues et ses emballements, s’exprimant dans une langue simple, claire et qui reflète aussi souvent la bonté du personnage. Il va prendre des risques, il va arriver à ses fins, mais l’enquête sera compliquée.

« Je ferais mieux de me tenir à carreau, me dit la voix de la raison. Qui se met dans le grain, se fait bouffer par les poules, selon le proverbe. Et ce qui m’attend là, c’est un sacré poulailler. »

Je m’arrête là et vous conseille de ne pas manquer la postface du traducteur, Michel Volkovitch, qui a mon avis a su rendre le style presque oral de l’auteur.

En voici juste les premiers mots :

« Fini la crise! La Grèce va mieux !

Pas pour de vrai bien sûr. Nous sommes dans une fiction, Offshore, neuvième enquête du commissaire Charitos. On y voit la Grèce prise en main, vers 2017, par un parti ni-de-droite-ni-de-gauche que dirigent des nouveaux venus jeunes et fringants, amis des patrons et des banquiers. Saluons d’abord les talents divinatoires de Pétros Markaris, qui imagine ce scénario improbable avant qu’il ne soit tourné en France avec le succès stupéfiant que l’on sait. »

Un excellent traducteur qui partage l’humour grinçant de Markaris pour notre plus grand plaisir.

Cinq photos, cinq histoires ( 3 )

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Paros – 1976

La Grèce…Autant vous dire que ce qui s’y passe, ce qu’on lui inflige et ce qu’on en dit me touche. Imaginez une adolescente timide, renfermée, peureuse même. Quinze ans qui approchent et jamais quitté son petit environnement familier, si ce n’est un voyage scolaire d’une journée à Marseille, quelques jours chez des cousins âgés avec mes parents et ma petite sœur dans les Yvelines ( pas très exotique ni aventureux, mais j’ai quand même visité Versailles à cette occasion, c’est déjà ça!)

Brevet en poche, je dois choisir le cadeau : un solex ( mon frère en a déjà un ) ou l’été en Grèce avec ma sœur aînée qui n’a que 23 ans, mais voyage déjà partout en auto-stop (Italie, Yougoslavie, USA, etc…)..Je sais, vous allez vous dire ce que je réalise maintenant que j’ai des enfants : mes parents étaient absolument inconscients…Eh bien là,  j’en fus bien heureuse de cette…inconscience ( moi je dis indifférence, quand la colère monte, mais c’est un autre sujet).

Armées de nos seuls pouces, nous avons traversé en deux jours et une nuit tout le nord de l’Italie, toute la Yougoslavie – j’ai une vision du trajet Zagreb – Belgrade un peu sidérante – pour arriver à Thessalonique. Comme si j’avais fait ça toute ma vie ! Notre voyage a duré deux mois; en France, 1976, année de grande sécheresse .

Pendant ce temps, la gamine visita Delphes, Epidaure, Corinthe, Mycènes, Olympie, Athènes et les parcs au pied du Parthénon où se cachait un satyre derrière chaque buisson ( si, je vous jure ! ) . La gosse se baigna dans des eaux limpides pour la première fois de sa vie ; elle vit des éponges ondulant au fond de l’eau, elle prit le bateau pour la Crète où elle admira des hommes costumés, le poignard dans la botte, dansant sur un goulot de bouteille; elle écouta les bouzoukis dans un minuscule café près du village natal du Gréco, en mangeant les dolmas offertes, sous la tonnelle. Sous ses yeux , les champs d’oliviers argentés dormaient sous le soleil et le ciel azur. Tout ce chemin improvisé au gré de vieux camions brinquebalants aux conducteurs débraillés et joviaux, à l’arrière de triporteurs en compagnie des pastèques, à pied sur les îles, dans des cars emplis d’icônes dorées et de komboloïs cliquetants, et dans tout ce qui roule. Pas à dos d’âne, dommage . Elle regarda les pêcheurs battre les poulpes sur les rochers et de vieilles femmes toutes de noir vêtues, triant des olives tout aussi noires, dans une pièce sombre; elle respira l’odeur du jasmin, celle des souvlakis qui grillaient au bord des routes, et l’anis de l’ouzo. Elle goûta au retsina si parfumé et sentit la première ivresse.

Son gros sac sur le dos, elle fut fascinée par un jeune moine agenouillé en prière, le teint blafard et totalement abstrait du monde, aux Météores. Elle fut touchée par la gentillesse d’une femme qui donna des poires de son jardin et de l’eau fraîche de son puits, tandis que sa fille dans la petite maison blanche, avec un coffre pour tout mobilier, tissait un tapis de lirette. Vue sur la mer, tout autour de l’île et de la petite maison tapie sous les pins et les oliviers, toujours.

Et Mykonos, Paros ( la photo, c’est à Paros ), Skiathos , Corfou…Quelques belles nuits à dormir sur les terrasses des maisons pas encore terminées, avec une bougie et un petit matelas prêtés par le propriétaire, le ciel étoilé pour couverture, la douce chanson de la mer qui danse sur la plage.

J’avais quinze ans, et pensais aux semelles de vent de Rimbaud…J’ai emmagasiné des milliers de photos au fond de ma tête, de « vraies » sur papier,  je n’ai retrouvé que ces deux – ci ( tu me pardonnes, Evelyne, de tricher encore un peu ?). J’aurais bien aimé en avoir plus. En les regardant, je me dis : c’est bien moi, et j’y suis allée. Il y a à présent 39 ans de cela…

J’ai fait ce voyage de deux mois avec l’équivalent de 150 €, je n’ai jamais eu faim ou soif; les Grecs sont des gens accueillants, bienveillants et étaient extrêmement francophiles à cette époque où la dictature des Colonels venait de prendre fin; quand nous nous disions françaises, ils nous serraient la main furieusement avec un sourire immense.

Je ne dirai jamais assez à ma grande sœur ce que représente ce pays, ce voyage, tout ce que j’y ai découvert, goûté, moi qui n’avait jamais rien vu que mon petit coin de campagne ( auquel je garde pourtant autant d’affection), tout ce que je lui dois, à elle qui m’a pensée assez grande pour cette aventure . Quand je suis rentrée  toute bronzée, toute vaillante, contente d’avoir fait connaissance avec moi-même et avec des gens d’un peu partout, et avec ce si beau pays, j’avais grandi. Je ne raconte bien sûr pas ici toutes les péripéties de ce voyage, car vous vous en doutez il y en eut quelques unes, mais ce pays je crois m’a mise au monde une seconde fois. Je rêve d’y retourner, je le ferai j’espère.

La Grèce pourrait bien être mon deuxième pays natal.

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La Grèce…en chanson et en poésie

A mes amies, qui suivent avec consternation, comme moi, ce qui arrive à ce pays que nous aimons. Une grande dame chante la Grèce et dit, si bien, ce poème de Georges Séféris

« Le justicier d’Athènes » de Petros Markaris – Points Policier, traduit par Michel Volkovitch

markarisJe sais, je n’ai pas beaucoup lu ces derniers jours…Vie familiale, et surtout soucis de santé qui m’ont interdit de lire trop longtemps – comme de marcher plus d’une heure ou de passer du temps sur mon écran…-, bref, je me suis dit qu’un petit polar facile serait parfait, et j’ai bien fait. Je connaissais Markaris mais n’avais rien lu encore de lui. Ce livre est le second d’une trilogie consacrée à la crise terrible qui a frappé la Grèce depuis 2008, mais il se lit parfaitement bien indépendamment des autres.

Kerameikos,2008 User:DerHexer

 

 

Kostas Charitos, flic athénien, est confronté ici au « percepteur national », personnage invisible qui dégomme les riches fraudeurs fiscaux et autres mauvais citoyens, dans cette ville symbole depuis l’Antiquité de la République et de la sagesse philosophique. Le  mode opérationnel de ce héros consiste en une lettre aux mauvais payeurs qui détaille leurs méfaits, puis en une mort mise en scène : empoisonnement par injection de ciguë, corps déposé aux Céramiques ( ancien quartier de la ville où étaient regroupés les potiers, site de fouilles archéologiques ). 

Dans une ville asphyxiée par la crise financière et la corruption de l’État, bloquée par les manifestations et une circulation anarchique, l’enquête de Kostas avance sans temps mort, Kostas qui se débat avec les ministres peu vertueux (euphémisme ! ), sa famille sous tension et sa ville en plein chaos.

« Pourquoi, pendant toutes ces années, l’État n’est pas venu me dire: « Tout ce que tu construis là est illégal , ou je te le prends, ou je le démolis » ? Pourquoi ? Parce que jusqu’à présent l’État lui-même voyait ça comme du développement et fermait les yeux. Toi, maintenant, tu peux me dire que c’était du développement bidon. D’accord, mais quand l’État tout entier est bidon, le développement aussi est bidon, qu’est-ce que tu veux? »

L’assassin, après deux meurtres, constate que ses lettres vont suffire à faire payer les tricheurs, et des millions d’euros arrivent dans l’escarcelle du Ministère des Finances. Mais ses exigences vont alors changer.

29 June 2011: Demonstrations in front of the Greek parliament – Moutza against the parliament. By Ggia (Own work) [CC BY-SA 3.0

Markaris, même si son écriture n’a rien de remarquable, tient bien son lecteur. J’ai souvent souri, parce que tout de même, on sent bien la sympathie de l’auteur pour le percepteur national ( et on ressent bien vite la même, enfin moi je l’ai bien aimé, ce vengeur masqué ! ). La foule manifeste pour que ce héros à la Robin des Bois ne soit pas puni, mais nommé ministre !   Néanmoins la triste réalité est bien là, avec les veuves retraitées qui se considèrent comme des poids pour la société et se suicident collectivement, ou ce jeune couple mort enlacé dans les ruines, jeunes diplômés sans avenir qui ont préféré mourir. Une population qui cède au désespoir et voit arriver ce personnage qui bien que commettant des meurtres, lui semble le seul prêt à les venger de tout ce qu’elle subit.

« On va tous finir comme ça, dit-il. Même si on ne se suicide pas, on continuera de peigner la girafe, on ne pourra pas payer ce qu’on doit, on fermera nos magasins et on n’aura plus rien à manger, plus rien pour les études de nos enfants. Ça aussi, c’est un suicide. »

spotted-owlet-324009_1280En lisant ce roman, on se prend à rêver à des percepteurs nationaux qui sans meurtre mais fermement ratisseraient bien comme il faut les comptes offshore de tous les corrompus, un percepteur national qui ferait tomber les masques…Mais enfin, à mon âge, il n’est plus temps de croire au Père Noël …

Le regard des écrivains sur ces années de crise est toujours intéressant. La Grèce est pour moi un souvenir merveilleux d’un voyage en stop, il y a longtemps, et j’ai une tendresse particulière pour ce pays qui souffre tant.

Une lecture agréable et intelligente sans être pesante. Le premier de cette série, « Liquidations à la grecque » semble être le meilleur des trois, je pense que je le lirai.

Sinon, j’espère reprendre bien vite un rythme de lecture plus soutenu, ça me manque et je vois ma pile monter sans jamais se réduire !

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