« Offshore » – Petros Markaris – Seuil/ Cadre noir, traduit par Michel Volkovitch

 « Toi qui es vie, tu es mis au tombeau… »

Le cortège s’arrête à la hauteur du Parlement, peu avant le tournant de la rue Othonos. La trentaine de prêtres est suivie par quatre fidèles portant le cercueil du Christ. Sur les deux trottoirs de la place Syntagma, du côté du Soldat inconnu et de l’autre, la foule forme deux murailles. Tous, tenant un cierge allumé, suivent avec recueillement le passage de la procession, et certains chantent à mi-voix les chants funèbres. « 

J’ai retrouvé avec plaisir le commissaire Charitos et la vie d’Athènes qui, ô surprise, est sortie de la crise ! La Grèce orthodoxe fête Pâques, la résurrection, et l’auteur ne pouvait choisir meilleur moment pour distiller son ironie moqueuse, car bien sûr il y a là un clin d’œil. C’est la foi qui sauve, n’est-ce pas ? Et le peuple grec est vraiment content de croire que brusquement, en ce début de printemps son pays ressuscite…Pour moi, contente de ce petit retour à Athènes au soleil.

Et d’abord, une réminiscence de nos propres dernières élections avec ce nouveau parti grec, ETSI :

« Lorsqu’un journaliste à le télévision leur demandait d’un ton supérieur: »Mais enfin, comment vous présenterez-vous aux élections sans programme? Le citoyen ne doit-il pas savoir pour quoi il vote ? », ils lui clouaient le bec avec cet argument immuable: »Jusqu’à présent le citoyen votait pour quelque chose et il arrivait autre chose. Ne vaut-il pas mieux ne pas promettre ce qui ne se réalisera pas? […] Dans un pays où tout le monde s’étripe, la victoire est allée aux Bisounours. ETSI a emporté la majorité absolue.[…]Soudain l’argent s’est mis à affluer. Une grande partie de cet argent venait des privatisations que le gouvernement lançait à toute allure, à coups de procédures sommaires ». 

Le commissaire Charitos, bien que sceptique, et tous les autres reprennent une vie « comme avant »; les voitures sortent des garages où elles dormaient – la belle pagaille en ville reprend de plus belle – , les restaurants se remplissent à nouveau de clients joyeux et optimistes, il souffle un vent de reconquête d’une vie plus insouciante. Mais, car bien sûr il y a un mais, un premier meurtre se produit, un cadre de l’office du tourisme, un second, celui d’un armateur, et le troisième, un journaliste à la retraite que connaissait et appréciait Charitos…Notre brave commissaire va enquêter et se retrouver avec les pieds dans un bourbier opaque et dangereux qui mêle politique, économie et ceci découlant de cela corruption et blanchiment d’argent sale à grande échelle avec des gens pas trop fréquentables en principe, mais en principe seulement. Charitos lui ne renie jamais son éthique, préfère l’honnêteté à une promotion. Dans l’affaire seule sa femme Adriani est contrariée par ce brusque renouveau qu’elle ne comprend pas, dont elle se méfie après des années de vache enragée.

« Dès qu’on se fait un peu de gras, on se rue dans les restaurants, on bloque les routes en oubliant ce qu’on disait dans mon village: trois jours de fête, quarante jours de deuil. Trois mois ont suffi pour nous faire oublier six ans. Voyons combien de temps il faudra pour en revenir au même point. »

Ah ! Adriani ! Elle est un axe dans ce roman au demeurant classique, mais très agréable pour l’atmosphère qui y règne et pour le propos, jamais frontal mais plein de sous-entendus.

Adriani, c’est la cuisinière hors pair, elle fut la reine des repas faits de rien, une résistante en cuisine contre la morosité de la crise féroce et la voici avec à nouveau des victuailles qui bien que leur retour lui semble louche, la comblent d’aise. Adriani, dotée d’un caractère assez fort nourrit comme elle aime, sans compter !

« Moi je sais cuisiner à la grecque et je ne veux pas imiter les Italiens. Si je voulais apprendre des recettes, je regarderais tous les matins à la télé ces chefs qui vous font de ces plats, une vraie folie, que je m’en arrache les cheveux. Comment a-t-on fait pour passer du souvlaki à la cuisine thaïlandaise. Il est vrai qu’on a quitté la charrette pour le 4×4. C’est pareil. »

Il va y avoir aussi durant cette enquête des migrants bien utiles en boucs émissaires, des jeunes gens pleins d’envie de vivre, et le roman se termine par une question. On voit bien aussi que la société souffre d’une gangrène, le racisme, l’intolérance, la méfiance…

« On se marie, monsieur le commissaire, et pendant cinquante ans on a une vie de couple parfaite. On élève trois enfants, on se soutient mutuellement, et tout d’un coup, à soixante-dix ans, votre épouse rejoint l’Aube dorée. Elle ne dessine pas une croix gammée sur le bras, elle ne défile pas avec les crânes rasés et les gros durs, n’empêche, elle est infectée jusqu’à la moëlle. »

Je suppose donc que Charitos n’est pas encore au bout de ses peines, et qu’on le retrouvera. Il est ici le narrateur, on le suit pas à pas dans ses pensées et ses raisonnements, dans ses fatigues et ses emballements, s’exprimant dans une langue simple, claire et qui reflète aussi souvent la bonté du personnage. Il va prendre des risques, il va arriver à ses fins, mais l’enquête sera compliquée.

« Je ferais mieux de me tenir à carreau, me dit la voix de la raison. Qui se met dans le grain, se fait bouffer par les poules, selon le proverbe. Et ce qui m’attend là, c’est un sacré poulailler. »

Je m’arrête là et vous conseille de ne pas manquer la postface du traducteur, Michel Volkovitch, qui a mon avis a su rendre le style presque oral de l’auteur.

En voici juste les premiers mots :

« Fini la crise! La Grèce va mieux !

Pas pour de vrai bien sûr. Nous sommes dans une fiction, Offshore, neuvième enquête du commissaire Charitos. On y voit la Grèce prise en main, vers 2017, par un parti ni-de-droite-ni-de-gauche que dirigent des nouveaux venus jeunes et fringants, amis des patrons et des banquiers. Saluons d’abord les talents divinatoires de Pétros Markaris, qui imagine ce scénario improbable avant qu’il ne soit tourné en France avec le succès stupéfiant que l’on sait. »

Un excellent traducteur qui partage l’humour grinçant de Markaris pour notre plus grand plaisir.

9 réflexions au sujet de « « Offshore » – Petros Markaris – Seuil/ Cadre noir, traduit par Michel Volkovitch »

  1. Voilà que tu nous emmènes cette fois en Grèce dans une histoire assez incroyable dans laquelle se mélangent politique,, culture et histoire policière. Un livre qui, d’après ta chronique ressemble à un rêve qui risque bien vite de se terminer en cauchemar. Heureusement, les passages que tu as choisis nous permettent bien vite de découvrir que l’auteur a une sacrée plume et une bonne dose d’humour! Avec un commissaire que l’on prend bien vite en sympathie et sa femme dont j’aimerais tant goûter une de ses spécialités (grecques, ça va de soit 🙂 ).. Tout cela me donne envie de m’installer sur une page et découvrir ce livre tout en dégustant une bonne mezze avec un excellent rétsinat!

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  2. Voilà qu’à présent tu nous emmène en Grèce dans une histoire un peu utopique au début, mais on comprend très vite en te lisant que le rêve risque de bien vite se terminer en cauchemar! Heureusement, en lisant les passa

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    • ( je n’avais pas terminé, j’ai du faire une mauvaise manoeuvre! )…Heureusement, en lisant les passages choisis, on se rend compte que l’auteur a une très bonne plume et une bonne dose d’humour! Une histoire dans laquelle se mélangent politique, enquête policière, religion et encore bien des éléments qui ne risquent pas d’ennuyer un lecteur! C’est très tentant! Sans oublier un commissaire qui a l’air très sympathique ainsi que sa femme dont j’aimerais tant goûter un de ses mets ( grecs, ça va de soit! ). Je m’imagine sur la digue lire ce livre en été en dégustant une mezze et un excellent rétsina!

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