A propos de Béatrice Hammer, deux textes courts: « Camille » – éditions de la Combe et « A la lisière des vagues »- éditions Avallon

Béatrice Hammer (auteur de Ce que je sais d'elle) - Babelio

Un article ici inhabituel, qui entend vous parler d’une autrice et d’une femme. Qui parle d’autres femmes et surtout, ce qui m’a intéressée, des adolescentes, des relations mère/fille. Béatrice Hammer, j’en ai parlé avec deux chroniques, pour deux romans, « Ce que je sais d’elle » ( qui reste mon préféré ) et « Une baignoire de sang », assez différent, mais avec un personnage féminin assez déjanté et assez drôle. Mais j’ai lu aussi « Kivousavé », « Camille » et son dernier roman – court – « A la lisière des vagues »

Je veux vous dire quelques mots de ces textes parce que d’une part, comme personne Béatrice Hammer est vraiment intéressante et extrêmement sympathique, ensuite parce que je trouve qu’elle parle très bien des femmes et des filles.

Image du produit : Ce que je sais d'elle - Livre d'occasion de Béatrice Hammer

L’écriture est douce, parfois emplie de mélancolie mais aussi d’une force de « survie » , un besoin ou plutôt une volonté de ne pas renoncer chez ces personnages . Camille m’a beaucoup touchée. Béatrice Hammer donne vie et parole, dans ce que j’ai lu d’elle, à des adolescentes, et des femmes plus femmes que mères ou épouses. Je vous parlerai un de ces jours de « Kivousavé »; il y a une certaine cruauté dans les mères de Béatrice Hammer, involontaire ou inévitable à leur survie. Toutes cherchent leur chemin, que leur jeunesse ou les convenances leur on fait perdre de vue. Et ça ne va pas sans dommages collatéraux. Dans Kivousavé, encore une mère, une fille, une quête, et même deux.

A la lisière des vagues par Hammer

« A la lisière des vagues » parle plutôt d’une femme qui doute et qui va se faire une escapade, entre la fuite et l’abandon, escapade qui va lui permettre de réfléchir, de faire la rencontre d’une jeune femme elle aussi un peu perdue, du train à la plage, seule surtout, elle va retracer sa vie et tirer une conclusion dont je ne vous donne pas l’issue. C’est vrai, ici je ne vous dis rien.

Je vous conseille donc de vous pencher sur l’œuvre de Béatrice Hammer ( éditée aux éditions d’Avallon et de la Combe ) J’en ai parlé avec elle, mais je trouve que ces livres sont parfaitement et également adaptés au lectorat adolescent. J’ai aimé ces jeunes filles entre deux étapes de leur histoire, leur relation avec les adultes, et ces mères qui à un moment se sentent coincées, enfermées, et décident de vivre ce à quoi elles aspirent. Oui, Béatrice Hammer écrit ce que je nommerais une sorte de cruauté de survie pour les unes, et un chagrin qui fait grandir trop vite, chez les autres. Pour avoir échangé avec Béatrice, c’est une femme avec une personnalité très attachante, et une vraie intelligence des sentiments pour ses personnages.

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Voilà, je lui avais dit que j’écrirais à propos de ses livres, et prise par des choses de la vie envahissantes, je saisis quand même quelques minutes pour vous dire ce que je sais d’elle, qui parle si bien des femmes et des jeunes filles sur le bord de la vie.

« Manger Bambi » – Caroline de Mulder – Gallimard/La noire

« Un

D’instinct elle recule, le Sig Sauer caché dans le dos. Elle est toute menue et ravissante, et maquillée à faire peur. Des yeux avec des peintures de guerre et des couleurs de tranchée et de boue dévorée, mais un visage en cœur, des arêtes fines. Elle porte un jeans slim et marche pieds nus. »

Voici Bambi, 15 ans et bientôt seize, le visage et la bouche en cœur, mais le Sig Sauer dans la main. Voici non pas un gang, mais un duo d’adolescentes assez infernales. Comme l’est leur vie, en tous cas celle de Bambi. Son vrai prénom, c’est Hilda. Bambi, c’est pour la gracilité de la gosse, son regard caressant qui cache si bien tout le reste, car elle n’a pas grand chose d’autres que les jambes longues du faon, la candeur qui parfois affleure n’est que très fugace. Parce que Bambi est marquée par son histoire, si jeune, si dure. Parce que Bambi, perchée sur ses chaussures à plateau et s’en prenant à une fille dans la rue, c’est:

« La tepu est donc une petite blonde bien trimée, maquillée discret, ses cosmétiques mettent en avant ses jolis yeux clairs, un peu à fleur de sa tête toute mimi, une petite salope d’allumeuse friquée, ça se voit rien qu’à sa façon de poliment balancer son boule, et toujours pas un regard.

« Tu fais ta fière? » et Bambi lui met un coup de griffe, léger, félin, dans le visage. La petite salope ne fait pas sa fière, et quoique morte de peur elle pense que continuer à marcher comme si de rien n’était, comme dans un tunnel, au fond de ses yeux brouillés, on voit qu’elle nie en bloc la situation, elle pense que continuer à marcher lui permettra de s’enfuir. Bambi sourit, « T’es pas bien dans ta tête, toi, tu devrais pas me chauffer comme ça. Aujourd’hui c’est mon jour de chance, et rien ne me résiste. Et puis ta gueule, elle est trop fraîche, je vais te faire du sale. » Elle frappe de nouveau, une gifle plus dure[…] »

Hilda est la fille d’une mère alcoolique à un degré impressionnant, d’un père inconnu et pour couronner le tout victime d’un beau-père affreux. C’est en tous cas les paramètres que l’on détient dans la majeure partie du livre. Ce roman nous emmène aux basques de Bambi et de son amie Leïla, dans leurs coups de petites nanas déjà bien à la rue. Leurs méfaits ( enfin question de point de vue ) consistent à répondre à des hommes sur des sites de rencontre;  ils veulent protéger des gamines « pauvres » ( et de pauvres gamines ) et nos deux brigandes, elles, veulent les délester de ce qu’elles peuvent, avec un pistolet factice et des menaces.

Il y a aussi Louna, qui trouble un peu le duo, puis les services sociaux, et puis enfin, l’amour triste et désespéré de Bambi pour sa pauvre mère, une loque qui repose entre les mains de sa fille plus que le contraire. Tous les passages sur leur relation mettent à nu Bambi, qui n’est en fait encore qu’une enfant, pleine de courage et remplie de rage… et c’est d’une infinie tristesse de la voir et de l’entendre.

« -Je viens te sauver, maman. Faut qu’on y aille, là, montre-toi. » Bambi ouvre les rideaux, mais même ainsi elle a du mal à y voir car la lumière est déjà tombée. Sa mère porte un pull et un pantalon de jogging; ça fera l’affaire. « Tu sais marcher, m’man? » et elle essaie de lever sa mère, à moitié groggy et le blanc des yeux basculant dans le sommeil, « Je vais te porter, ça ira plus vite ». Elle la prend dans ses bras, la soulevant comme une poupée trop grande, un énorme enfant malade et la portant ainsi jusqu’à l’escalier. Maman n’a plus que les os, mais pour Bambi elle est lourde quand même. Elle est obligée de l’asseoir contre la rampe pour reprendre des forces et voir comment faire. »

Agaçante, mais émouvante. Bambi ne boit pas, ne se drogue pas, Bambi s’occupe de sa mère ivre et c’est bien assez pour une adolescente, bien assez pour la mettre en rogne permanente.

C’est donc la débandade de ce noyau mère/fille qui est racontée, avec le langage du moment, les textos, mais des répliques de Bambi assez « pointues » parfois. On en déduit qu’elle est loin d’être idiote, elle est juste livrée à elle-même, en furie, enlisée dans un très profond chagrin et une peur intense. Les derniers chapitres m’ont mise dans le doute sur un des faits marquants du roman. Je vous laisse vous faire votre opinion sur ce doute que j’ai ressenti. Mais l’échouage de Bambi et de son amie au foyer est un des moments les plus tristes du livre.

Bambi, gosse perdue ? On a envie de lui souhaiter mieux que ça. Sinon, c’est bien écrit, juste, ça se lit d’une traite. L’ambivalence de cette jeune fille, dont on voit qu’inexorablement, elle tournera au désastre, empêche de l’aimer totalement mais retient de la détester. Pas de bons sentiments, qui s’ils surviennent sont balayés aussitôt, et c’est bien mieux comme ça. Et un constat brut sur notre monde, injuste et impitoyable.

Lecture facile et touchante.

« D’acier » de Silvia Avallone ( éd.Liana Levi )- traduction Françoise Brun

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            Voici un Voici un livre qui laisse KO, avec une boule au creux du ventre, et des larmes aux yeux…Pour  peu qu’on soit sensible à notre monde. Il a été écrit par Silvia Avallone à l’âge de 25ans; une telle conscience, une telle maturité sont à  mon avis très prometteurs pour les livres à venir                                                                                                                                                                                                                                                                     

Piombino, port et cité industrielle où règnent les aciéries Lucchini, sur la côte tyrrhénienne, en Toscane, 2002. Anna et Francesca, la brune et la blonde, ont 13 ans et se sont juré amitié éternelle. Plus que deux amies, deux soeurs de coeur. Cela aide à vivre, dans la Via Stalingrado, dans cette cité de béton où les ouvriers ont droit à la vue sur la mer et à la plage en bas de l’immeuble. A travers ces deux gamines délurées et leurs familles, Silvia Avallone nous livre le portrait de notre société, atteinte par la crise et la misère, par l’énorme problème du travail et de sa délocalisation. Vision des années Berlusconi. Les femmes, ici, sont comme sacrifiées,  sous l’emprise d’un mari soit jaloux et violent, soit  paresseux et irresponsable, elles sont courageuses ou résignées…Anna et Francesca, quant à elles, dans leurs rêves adolescents, s’imaginent une autre vie que celle-ci, entre maris, pères, frères et aciérie…

Ce livre est bouleversant car nous avons tous eu 13, 14 ans, et de ces rêves de fuite vers « ailleurs » et vers « autrement ». Poignant par le tableau de l’enfer de ces aciéries où l’on met sa vie en danger sans cesse, et où travailler semble être le destin de chaque garçon . En face, l’île d’Elbe, comme une sentinelle, et qui, bien que si proche, semble  aux habitants de la cité, si lointaine, amicale ou menaçante: car ils n’y sont, pour beaucoup, jamais allés.

Effrayant, par cette jeunesse qui pour tenir le coup, et pour oublier son quotidien, s’adonne à la cocaïne.

Emouvant par la grâce de ces deux jeunes filles, à qui leurs 13 ans laissent encore des jeux et des rires, malgré un quotidien familial lourd à supporter. Elles mûrissent trop tôt, mais en apparence. Au fond d’elles, elles sont encore des fillettes .

Je crois que mettre autant de choses importantes en un roman est une prouesse, et tout ça sans lourdeur de style, sans chercher non plus à nous apitoyer. Car les personnages, tous, à un moment ou à un autre, se présentent sous un mauvais jour, il n’y a pas vraiment de bons et de méchants, il y a une peinture très réaliste de ce qu’est le monde humain, je pense. Et ça fait la force de ce très beau et bon livre. Un texte qui reste en soi longtemps. Bien que l’ayant terminé, je l’ai encore à l’esprit, et Anna et Francesca marchent encore devant mes yeux, bras dessus, bras dessous, pour aller à la plage embêter les garçons…

Une vidéo d’Avril 2012 à la Tour Eiffel, avec une des plus belles chansons écrites ces dernières années sur le travail dans les hauts-fourneaux ( peut-être même la seule…), par Bernard Lavilliers en soutien aux ouvriers lorrains montés à Paris.