Belle et intéressante rencontre avec Bruce Machart

Je l’attendais cette soirée ! Et pas déçue du déplacement, vraiment. Il faut remercier et saluer Jean-Marc Brunier pour ces parenthèses littéraires offertes aux lecteurs dans sa jolie librairie du Cadran Lunaire.
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Un plaisir n’allant jamais seul, j’étais avec mon amie Béatrice, grande amatrice comme moi de littérature américaine. Après un musardage dans les rayons, un très grand monsieur est entré en souriant, devancé par une jeune femme, la traductrice . Et nous nous somme retrouvés réunis pour écouter Bruce Machart répondre aux questions de J.M. Brunier, puis aux nôtres. Sur le pourquoi et le comment il écrit, la réponse claire et développée a été qu’en fait, rien n’est planifié; des personnages lui apparaissent, ne demandant qu’à vivre sous sa plume, avec la question : cet homme, tel qu’il est là, que fera-t-il s’il arrive tel évènement ? Et ainsi se noue l’histoire. Il a dit surtout que la nouvelle est sa passion première. En fait les textes du recueil « Des hommes en devenir » ont été écrits avant le roman, mais aux USA comme en France, le roman est plus vendeur, et il a dû proposer un début de roman pour que ses nouvelles soient publiées. Il a été question du Texas, de ses hommes durs, impassibles, des archaïsmes qui existent encore dans cet état quant à l’éducation des garçons, et du mal à s’en défaire. De nombreuses références à Faulkner, de l’humour, de la disponibilité, des réponses claires à des questions qui l’ont parfois surpris, comme celle posée sur le « tu » et le « vous », qui n’existent pas en anglais, et entraînent des choix de traduction en français qui ne sont pas anodins…Tout ça a été très intéressant, vivant, et bien sûr, suivi d’un bon verre.
SAM_4057Bruce Machart a accepté que je fasse une photo pour vous, tandis qu’il signe mon bouquin : « Alors ? C’est « tu » ou « vous » ? avec l’accent et en riant.
Ce grand monsieur ( à vue d’œil, je dirais pas loin des 2 mètres…)  nous a parlé de son travail aussi bien qu’il écrit, et il ne nous reste qu’à attendre d’autres livres de cette plume puissante et qui promet encore de très grandes heures de lecture.

En attendant mardi, et la rencontre avec Bruce Machart…

 

cvt_Le-sillage-de-loubli_1269Extrait de : »Le sillage de l’oubli », toute la sensualité des mots de Bruce Machart

« Au bout d’un kilomètre parcouru en aveugle sur son cheval, quand la pluie se fait encore plus fine sans pour autant cesser complètement, les yeux de Karel discernent quelque chose dans la profondeur de la nuit. Whiskey s’ébroue, sa peau ondule sous la selle, et Karel respire par le nez, inhalant l’odeur à la fois sucrée et musquée du crin de cheval mouillé. Son œil, presque fermé tant il est enflé, le fait encore souffrir, mais de façon atténuée, un peu comme une pulsation assourdie sous la peau. Il y a quelque chose à retenir de tout cela, pense -t-il. Un savoir sur le corps, les yeux, la chair, les os et le coeur. Sur la manière dont le corps veut s’adapter, se soigner, voir et sentir. Et il y parvient, se dit-il, même imparfaitement « .

Gallmeister ( 2012, traduit par marc Amfreville )

et de la musique, par un autre Bruce que j’aime

 

« Des hommes en devenir » de Bruce Machart – Gallmeister, traduit par François Happe

couv rivireBruce Machart s’était révélé à nous avec « Le sillage de l’oubli », qui avait séduit de nombreux lecteurs en France…dont moi ! Un livre d’une grande force, rude, âpre et lyrique . Aucune déception avec ce recueil de 10 nouvelles, qui ne fait que confirmer le talent de ce Texan. J’ai retrouvé avec plaisir l’écriture charnelle, sensuelle, de Machart. J’avais aimé dans le roman précédent cette capacité à donner vraiment chair, os, sang à ses personnages essentiellement masculins. Des hommes durs, qui triment dur, qui boivent sec et qui crachent loin…Mais qui parfois ressentent de drôles de choses au creux de l’estomac, des choses qu’ils ont du mal à définir, parce qu’elles ne sont pas en phase avec leur vie. Ce creux, c’est le manque, réveillé par la vue d’un chien écrasé, d’un bébé mort avant de naître, ou juste après, le manque d’un amour ou d’une amitié, d’une caresse…Et c’est tout à coup le masque viril qui tombe ou s’effrite, les laissant démunis face à leurs émotions.

J’aime la note du journal « Esquire » , en 4ème de couverture qui en dit :

 » Des histoires d’hommes qui ont trois roues sur la route et une dans le fossé. »

Cette phrase résume parfaitement cette galerie de portraits. On ne peut pas non plus oublier de parler de la description sociale de gens démunis, pas forcément matériellement, mais affectivement, émotionnellement . Chez qui le manque de langage empêche d’exprimer le manque du reste. Alors, leur corps parle, les yeux pleurent, l’estomac vomit, les jambes flageolent… J’aime le parti pris de la narration directe de certaines des nouvelles, qui nous met dans l’intimité du personnage, j’aime l’écriture riche et sensuelle, toujours. Le corps revêt une grande importance, il est comme un catalyseur de toutes les douleurs morales, de tous les chagrins, et chaque égratignure, chaque coup ou blessure est rendue au point que presque on la ressent aussi. Je trouve que c’est une particularité de Bruce Machart…Qui écrit là un ensemble sensible, très émouvant. Et vous savez quoi ? Je vais pouvoir l’écouter parler, j’oserai peut-être le questionner, parce qu’il sera invité le 23 Septembre à la librairie « Le cadran lunaire », à Mâcon.

Extrait de « Parmi les vivants, au milieu des arbres »:

« Ils claquent les dominos sur la table en se grattant la nuque et probablement en échangeant leurs impressions sur les Harley qu’ils ont garées derrière, prêtes à pétarader. Il y a six mois, après les deux ou trois séances de chimio de Tricky, tous les gars de l’association des tuyauteurs se sont rasés le crâne. C’était une sorte de témoignage viril de fraternité, et le soir où ils ont fait ça, Tricky est entré dans le bar et quand il les a vus, ses yeux se sont remplis de quelque chose de liquide qui ressemblait à de l’amour. Ce sont des hommes rugueux et robustes, des hommes qui n’ont pas peur de garder un peu de tendresse dans leur poitrine et de l’exposer au grand jour quand la situation l’exige, quelle que soit la souffrance que cela implique. »

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Un très beau livre qui démontre que quand quelqu’un comme Bruce Machart s’adonne à la nouvelle, il écrit tout un roman.

 

Deux livres, deux univers, de la Sardaigne au Texas

« La comtesse de Ricotta » de Milena Agus- éditions Liana Levi – traduit par Françoise Brun

Voici le dernier roman de Milena Agus, auteur sarde à laquelle je voue une amitié particulière, depuis son premier livre, « Mal de pierre ». Milena Agus a une voix singulière; est-ce dû à son île, qu’elle nous donne tant envie de connaître ? Et c’est avec toujours le même plaisir que j’ai lu ce petit livre où on retrouve la jeune femme de « Mon voisin », mais cette fois en compagnie de ses deux soeurs. Personnages fantasques, ambiance chaude et électrique, il est question de la fragilité des êtres, de leurs manières différentes d’affronter les évènements de la vie, de tenter de se protéger des aléas non seulement de la fortune, mais aussi de ceux des émotions… Ces trois femmes, chacune à leur façon, avancent sur leur chemin, sur les traces que leur enfance et leur origine ont dessinées, chacune avec un regard et des armes différentes. La comtesse de Ricotta, si touchante est, elle, la plus désarmée…Parfois, on sourit, mais au fond, l’histoire est triste…Milena Agus ne peut sans doute pas plaire à tous, mais personnellement j’attends toujours ses livres avec impatience, parce que j’aime sa manière de parler des femmes et de sa Sardaigne, dont le décor est essentiel. Une belle lecture…

Autre ambiance, autre lieu et des hommes…

« Le sillage de l’oubli » de Bruce Machart – éditions Gallmeister – traduit par Marc Amfreville

Pas facile de passer de l’univers féminin de Milena Agus à celui, âpre, violent, viril, de Bruce Machart…Mais c’est un des miracles de la lecture, de nous transporter en un livre fermé à un autre ouvert, d’un lieu à un autre, d’un temps à un autre, de nous donner à entendre des voix si différentes par le simple geste de se saisir d’un livre sur une étagère…

Texas, tout début du XXème siècle. Un homme perd la femme qu’il aimait alors qu’elle vient de mettre au monde son quatrième fils. Le roman parle des conséquences de cette mort. Je ne veux rien raconter car ce que je dirais n’exprimerait jamais la force de cette écriture. Je dirais que ce roman est de chair et de sang, organique …Le corps porte sur lui tous les stigmates des évènements qui se déroulent. Bagarres, coups portés avec une violence inouïe, à travers les plaies physiques apparaissent celles de ce qu’on appelle l’âme, et l’âme de ces hommes est pour le moins sombre et torturée. Enfin, j’ai ressenti comme étant le fil conducteur de l’histoire l’absence de la mère et épouse, cruellement manquante, dont la disparition décuple la violence. Comme le plus souvent dans la littérature américaine, il est encore et toujours question de rédemption. Mais avec quel talent Bruce Machart dépeint cette quête ! Sa langue est riche et précise, à nous faire ressentir les coups, les brûlures, les sensations de toutes sortes,  la pluie qui fouette le visage de Karel sur son cheval au galop, ses impressions quand il découvre la nudité féminine par exemple. Et c’est à travers les femmes de l’histoire, à travers leur lucidité et leur clairvoyance, que la rédemption arrive. Elles sont celles qui déclenchent- à mon avis involontairement – haines, passions, rancunes et chagrins chez les hommes, mais ce sont elles aussi qui apaisent grâce à leur capacité à réfléchir plutôt que de céder à l’impulsivité. 

Enfin, un nouveau talent à découvrir…

site officiel de l’auteur ( traduit en français ) dans les liens « auteurs »