

Extrait de : »Le sillage de l’oubli », toute la sensualité des mots de Bruce Machart
« Au bout d’un kilomètre parcouru en aveugle sur son cheval, quand la pluie se fait encore plus fine sans pour autant cesser complètement, les yeux de Karel discernent quelque chose dans la profondeur de la nuit. Whiskey s’ébroue, sa peau ondule sous la selle, et Karel respire par le nez, inhalant l’odeur à la fois sucrée et musquée du crin de cheval mouillé. Son œil, presque fermé tant il est enflé, le fait encore souffrir, mais de façon atténuée, un peu comme une pulsation assourdie sous la peau. Il y a quelque chose à retenir de tout cela, pense -t-il. Un savoir sur le corps, les yeux, la chair, les os et le coeur. Sur la manière dont le corps veut s’adapter, se soigner, voir et sentir. Et il y parvient, se dit-il, même imparfaitement « .
Gallmeister ( 2012, traduit par marc Amfreville )
et de la musique, par un autre Bruce que j’aime
Bruce Machart s’était révélé à nous avec « Le sillage de l’oubli », qui avait séduit de nombreux lecteurs en France…dont moi ! Un livre d’une grande force, rude, âpre et lyrique . Aucune déception avec ce recueil de 10 nouvelles, qui ne fait que confirmer le talent de ce Texan. J’ai retrouvé avec plaisir l’écriture charnelle, sensuelle, de Machart. J’avais aimé dans le roman précédent cette capacité à donner vraiment chair, os, sang à ses personnages essentiellement masculins. Des hommes durs, qui triment dur, qui boivent sec et qui crachent loin…Mais qui parfois ressentent de drôles de choses au creux de l’estomac, des choses qu’ils ont du mal à définir, parce qu’elles ne sont pas en phase avec leur vie. Ce creux, c’est le manque, réveillé par la vue d’un chien écrasé, d’un bébé mort avant de naître, ou juste après, le manque d’un amour ou d’une amitié, d’une caresse…Et c’est tout à coup le masque viril qui tombe ou s’effrite, les laissant démunis face à leurs émotions.
J’aime la note du journal « Esquire » , en 4ème de couverture qui en dit :
» Des histoires d’hommes qui ont trois roues sur la route et une dans le fossé. »
Cette phrase résume parfaitement cette galerie de portraits. On ne peut pas non plus oublier de parler de la description sociale de gens démunis, pas forcément matériellement, mais affectivement, émotionnellement . Chez qui le manque de langage empêche d’exprimer le manque du reste. Alors, leur corps parle, les yeux pleurent, l’estomac vomit, les jambes flageolent… J’aime le parti pris de la narration directe de certaines des nouvelles, qui nous met dans l’intimité du personnage, j’aime l’écriture riche et sensuelle, toujours. Le corps revêt une grande importance, il est comme un catalyseur de toutes les douleurs morales, de tous les chagrins, et chaque égratignure, chaque coup ou blessure est rendue au point que presque on la ressent aussi. Je trouve que c’est une particularité de Bruce Machart…Qui écrit là un ensemble sensible, très émouvant. Et vous savez quoi ? Je vais pouvoir l’écouter parler, j’oserai peut-être le questionner, parce qu’il sera invité le 23 Septembre à la librairie « Le cadran lunaire », à Mâcon.
Extrait de « Parmi les vivants, au milieu des arbres »:
« Ils claquent les dominos sur la table en se grattant la nuque et probablement en échangeant leurs impressions sur les Harley qu’ils ont garées derrière, prêtes à pétarader. Il y a six mois, après les deux ou trois séances de chimio de Tricky, tous les gars de l’association des tuyauteurs se sont rasés le crâne. C’était une sorte de témoignage viril de fraternité, et le soir où ils ont fait ça, Tricky est entré dans le bar et quand il les a vus, ses yeux se sont remplis de quelque chose de liquide qui ressemblait à de l’amour. Ce sont des hommes rugueux et robustes, des hommes qui n’ont pas peur de garder un peu de tendresse dans leur poitrine et de l’exposer au grand jour quand la situation l’exige, quelle que soit la souffrance que cela implique. »
Un très beau livre qui démontre que quand quelqu’un comme Bruce Machart s’adonne à la nouvelle, il écrit tout un roman.