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Livrophage !

« Roca Pelada » – Eduardo Fernando Varela- éditions Métailié, bibliothèque hispano-américain, traduit par François Gaudry (Argentine)

« Le détachement militaire du col de Roca Pelada était perché au-dessus de toutes les villes de la planète et de presque toutes les espèces vivantes, à deux mille mètres à peine sous la ligne de survie, et pour y accéder il était plus facile de descendre d’un nuage que de grimper la cordillère. Un peu plus haut commençait la zone de la mort où la nature n’y permettait que de brèves escapades à condition de se contenter de planter rapidement un drapeau au sommet, d’enterrer un parchemin pour mémoire, ou de placer une borne frontalière et de redescendre immédiatement. »

Après le très impressionnant « Patagonie route 203 », revoici Eduardo Fernando Varela avec ce roman absolument étonnant, surprenant, posé comme entre ciel et terre au sommet de la cordillère des Andes. Voici la vie de deux garnisons qui surveillent face à face deux frontières mouvantes dans un lieu onirique et pourtant bien réel où les éléments naturels sont les rois. Un lieu magique dans lequel les êtres humains sont bien faibles, même en uniforme, soumis aux aléas du climat et aux puissances telluriques. Conversation entre le Lieutenant Costa et son Sergent Quipildor après la disparition d’une météorite disparue de la ligne de frontière , un de mes passages préférés, qui représente bien le ton du livre:

« Maudits vautours, ils ont emporté l’original et mis à la place un vulgaire rocher de la cordillère. Il est impossible qu’un fossile de coquillage provienne des confins de l’univers.

Quipildor saisit la balle au bond:

-Ça prouverait qu’il y a de la vie sur d’autres planètes, lieutenant, déclara avec provocation le sergent, mais sur un ton faussement soumis, décidé à contredire cet officier arrogant qui se prenait pour un savant parce qu’il savait lire.

-Ne faites pas le malin, sergent. Ici, c’est moi qui dis ce qu’il faut penser. Compris?

-Compris, lieutenant, mais moi j’aimerais bien savoir comment fait un coquillage pour traverser la plaine depuis la côte et grimper sur l’altiplano. Ça lui prendrait des millions d’années, à condition de ne pas se faire écrabouiller par une vache. Le plus probable c’est que ça vient de l’espace, une météorite voyage beaucoup plus rapidement qu’un coquillage.

-Vous avez une idée de ce qu’il y avait ici avant  que la cordillère se forme?

-À vous de me dire, lieutenant, et moi je vous crois, mais ne me racontez pas encore qu’ici il y avait un océan. Je suis sergent, mais pas taré.

Costa rengaina son pistolet et chercha dans ses affaires un carnet pour expliquer par un dessin au sergent le choc des failles qui avait formé la cordillère, puis il y renonça. Il avait déjà essayé plusieurs fois, en vain.

-Il vaut mieux qu’on reparte, ordonna-t-il, lassé de supporter cet homme.

Et il se prépara pour le long retour au détachement. »

Je dis chapeau bas à cet écrivain, parce que ce qu’il écrit là est absolument unique en son genre. On retrouve la fantaisie dont est souvent empreinte la littérature sud-américaine, on retrouve des espaces naturels où la « magie » règne. Par magie, il faut entendre que sur cette frontière mouvante, il se produit des phénomènes qui désemparent les hommes postés là. 

On peut dire que cette histoire touche au surréalisme et à l’absurde. L’auteur révèle la force d’un lieu traversé de mythes, d’apparitions, de « passants » aperçus de loin, un lieu soumis aux forces telluriques et aux éléments, bien plus qu’il n’est soumis aux hommes qui entendent se le partager. C’est à ce partage factice et ridicule que se consacrent les deux garnisons, se surveillant sans cesse. On ajoute à cet endroit qui craque, vibre et résonne une voie ferrée, un train – parfois fantôme – qui ravitaille et qui va aussi semer le trouble. Quand le chef d’une des parties est remplacé par une femme commence une confrontation qui va établir peu à peu un vrai chaos, un flou de ces deux garnisons qui se regardent en chiens de faïence, pour des enjeux qu’on a du mal à comprendre totalement. Une satire des états et de leurs limites géographiques, un regard acerbe sur cette propension à mettre des frontières qui n’ont que très peu de sens…

Enfin, car je ne ferai pas plus long, mais j’ai adoré l’humour grinçant, chargé d’ironie, la façon qu’à l’auteur de désamorcer la gravité. Ainsi, les personnages composant les escadrons, de pauvres gens déplacés de leur lieu coutumier pour se retrouver sur ces hauteurs hostiles: les cavernicoles, les tropicaux, tous mâchouillent sans cesse de la coca. Il y a les orages magnétiques, les geysers, les pluies de météorites…Les vieux incas qui érigent de drôles de tertres de cailloux, les apachetas…dont on apprend en riant à la toute fin du livre ( et on ne triche pas !) ce que sont ces tertres de pierres.

« -Que diable êtes-vous en train de faire?

-Tu veux vraiment que je te l’explique, troufion?

-Je veux parler des apachetas. Toutes celles qu’on voit depuis le col n’étaient donc que les endroits où vous…

-Certaines, pas toutes. Tu me prends pour qui? l’interrompit le vieux.

-Ce n’étaient pas des repères qui indiquaient le Qhapaqñan?

-Je ne sais pas d’où vous sortez tous ces trucs, vous autres! Pour nous, le Qhapaqñan, il est ici, dit le vieux en posant une main sur son front.

-Pourquoi vous construisez des apachetas?

-C’est un vieux rituel, on rend à la Pachamama ce qu’elle nous donne pour la remercier de sa générosité, et elle le transforme en nourriture. C’est come ça qu’on survit depuis des siècles. »

Un très bon livre qui parle en ligne de fond du pouvoir et de ses mesquineries, cette tentative de dominer un univers qui ne se laisse pas faire…on assiste à une grande débandade, on va de surprise en surprise, l’auteur fait preuve d’une imagination débordante pour une histoire drôlatique, grotesque mais infiniment intelligente et philosophique.

Un régal, du bonheur, bravo !

« La fugitive de l’autre côté du pont de fil » – Yves Revert, éditions du Rouergue/La brune

 

Je ne ferai qu’un article bref pour ce roman que j’ai néanmoins lu vite et totalement, avec une question constante sur la narratrice. J’ai lu parce que je voulais savoir ce qui la rendait – à moi – si antipathique, froide, absente aux autres, avec ce côté rigide…Qu’est-ce qui dans sa vie avait fait d’elle cette femme-là? Ou était-ce son caractère d’origine?

La construction est maline, elle donne envie de remonter le temps avec cette femme, sa vie, écrite comme un journal à rebours, de 2006 à 1971. J’aurais pu tricher et aller directement à la fin, mais je me suis dit que j’allais rater LE truc qui avait changé sa personne, sa vie, son caractère…

Je me suis donc mise dans ses pas, elle qui, de sa vie actuelle se remémore année après année le chemin qui l’a amenée du poste d’attachée de direction à chargée de l’accueil. De jeune femme à femme mariée avec un fils, Le Fils, c’est ainsi qu’elle le prénomme tout au long de son récit. C’est dire à quel point elle l’aime.

Bref – car j’ai dit court – je m’attendais à un véritable vrai drame – et quand je suis enfin arrivée à la page fatidique, je reconnais que j’ai été décontenancée. Certes son geste à cette page-là, est inquiétant, mais il est interrompu par Solange, la sœur qui se retrouve aussi au final dans une situation périlleuse….L’extrait ci-dessous est d’une grande justesse, brutalement assenée, ce sont des phrases comme celle-ci qui m’ont menée au bout, cette cruauté douloureuse du monde tel qu’il est.

« Nos histoires, c’est comme une nourriture que nous mâchons et remâchons depuis des années, dont les morceaux nous encombrent la bouche. Ils sont trop gros, ça ne passe pas. Nous avons beau mastiquer et mastiquer encore, les faire passer d’une joue à l’autre, nous ne parvenons pas à déglutir pour les faire disparaître. »

Alors, je ne peux vraiment pas dire que ce livre m’a laissée indifférente puisqu’il m’a agacée ( enfin la Mère, la Femme m’ont agacée) et surtout parce que la curiosité a su m’emmener jusqu’au bout, parce que certaines phrases comme les précédentes sont comme une bonne claque, et c’est quand même fort. Mais en fait, jamais pour aucun des personnages, sauf pour Fils peut-être, jamais donc je n’ai ressenti d’attachement, de sympathie pour cette famille. J’ai tiré tout de même une conclusion pour moi évidente, sous-entendue dès le début de cette histoire, c’est que cette femme a quelque chose qui ne tourne pas très rond. Et je me suis demandée comment elle a pu mener une vie quasiment normale. Et je me dis aussi qu’il est fort possible que j’aie été rebutée par cette femme à cause de cette façon d’être brutale. Et peut-être parfois, m’y reconnaître un peu d’où le malaise. Je me dois d’être honnête avec vous. 

« J’ai toujours procédé ainsi : faire comme si tout était normal. C’est la seule façon qu’on n’ait aucune prise sur moi. Si vous vous plaignez, il ne faut pas croire que les autres vous porteront secours. Est-ce qu’on a jamais vu ça ? Est-ce qu’on les a jamais vus régler vos problèmes à votre place ? La seule chose qu’ils sachent faire, c’est poser des questions qui vous déplaisent, et à la fin, pour se débarrasser de vous, ils n’ont d’autre moyen que de vous faire sentir responsable de ce qui vous arrive, ainsi ils se croient quittes. »

Je pense que même une chronique comme celle-ci peut donner envie et tant mieux. Par ailleurs, c’est très bien écrit et construit, aucun doute là-dessus, et je pense que d’autres lecteurs ou lectrices, aimeront ce personnage, c’est même probable…Je ne suis pas forcément une référence pour mes avis sur ce genre d’histoire. Mais ! Je l’ai lue et ai trouvé quand même ma façon de vous en parler.

« Maurice » – Jérémy Bouquin, In8/Polaroïd

Maurice par Bouquin« -Il s’appelle Maurice.

Elle parle du môme en face. Un marmot. Chétif, des grands yeux perdus, les cheveux en bataille, sapé comme un clodo.

-Maurice? Cela l’étonne, Ralph. 

Faut dire, un blase pareil, c’est pas commun…pas de nom de famille, pas de date de naissance. Bref, un bambin, sept-huit ans, qui s’appelle Maurice. OK! »

Ralph est assistant familial et dans sa ferme qu’il restaure pour faire un gîte, il a déjà, tout droit venus de l’Aide Sociale à l’Enfance, Léa, 11 ans et déjà bien rétive et Booba, Bouboule pour Léa. De ceux venus de « familles » un rien à la marge, des gosses déjà violents et réfractaires. Il a du courage et un grand cœur aussi Raph, Raphaël. 

Ce livre est très bref, et conte avec vigueur et un très grand réalisme ce métier d’accueillant, ces gosses déjà difficiles à contenir dans leur violence et leurs angoisses, j’ai lu ça très vite et au bout je me suis dis: Quoi? Comment? Mais ça ne peut pas se terminer comme ça… si? Mais non ! Et la suite? J’en espère une. Je sais que l’auteur écrit tout le temps, beaucoup, et je m’adresse à lui : Où sont-ils tous passés?

Très chouette petit bouquin néanmoins. 

« La Furieuse – Rives et dérives » – Michèle Lesbre, éditions Sabine Wespieser

« Dans mes nuits inquiètes, parfois, surgit l’étang et son beau silence que seules les grenouilles troublaient. C’est toujours l’été. J’ai dix ans et pourtant je suis vieille. J’entends les voix éteintes, je vois les corps disparus. J’ai peur de quitter ce paysage et m’abandonne à son discret battement de cœur. »

Voici un très beau texte de Michèle Lesbre, plutôt court, et pas un roman. Il s’agit là plutôt, partant du souvenir tendre de l’étang chez ses grands -parents Léon et Mathilde, d’une promenade nostalgique et mélancolique. Parlant de Léon:

« Son humour ne m’échappait pas, ni sa pudeur. Il écrivait des poèmes  en douce, petites fugues clandestines, et il entrait dans son jardin comme en son royaume. Depuis ce temps lointain, l’image brumeuse de l’étang n’est autre que celle de ma petite patrie. »

Promenade au fil de rivières d’ici et d’Europe, berges arpentées au fil des voyages, et au fil du temps. Comme l’indique le second titre, « Rives et dérives », ce texte mêle histoire des années passées et perpétuité des rivières. Faits marquants, politiques en particulier, qui font un fracas terrible dans des millions de vies et constance des eaux qui continuent de s’écouler, en charriant des bribes de cette histoire, glanant dans ses tourbillons des déchets, de vieux restes qui se dilueront en descendant vers l’aval. L’eau qui coule n’est pas comme le temps de nos vies, qui passent et finissent. Les rivières, silencieuses, continuent incessamment leur chemin, sortant parfois de leur lit, ou d’autres fois s’y asséchant.

C’est à une promenade dans ces voyages au fil des eaux que l’autrice nous convie, de confidences et réflexions, sur la vie, le monde, sur l’âge aussi. Du Danube à la Loue et la Furieuse, on rencontre les fantômes de l’histoire du XXème siècle, les pires, maîtres des dictatures, et les meilleurs, artistes, peintres, cinéastes et écrivains. Mais ce que j’ai préféré, c’est la fin du livre, avec la Loue et Gustave Courbet, cet esprit libre et vif comme cette rivière. Ornans, la Furieuse, la Loue. Peinte par ce grand homme.

« Toute sa vie, Gustave peindra les paysages de son enfance, leurs mystères, leur force.« 

 Michèle Lesbre nous livre ici un bouquet de souvenirs très mélancoliques qui se retrouvent pourtant éclairés par la présence tendre de ses grands-parents et par ses jours ensoleillés à Ornans, sur les traces de la Furieuse – quel joli nom pour une rivière ! – sur les berges de la Loue. Elle y parle de nombreuses rivière, mais elle dit de la Loire, d’où son originaires ses grands -parents:

L’air de rien, la Loire s’est faufilée dans « La petite trotteuse », pour avaler la montre de mon père retrouvée longtemps après sa mort, et je suis bien obligée d’admettre, même si sur le moment l’idée ne m’est pas venue, qu’elle m’a insidieusement attirée lorsque j’écrivais « Chemins ». J’ai laissé la péniche dériver jusqu’au pont où la narratrice et son chien adoptif accompagnent des mariniers et où, soudain, toute ma famille défile comme à la fin d’un spectacle.[…]Depuis ma naissance, la Loire coule en moi. »

Ci-dessous, « Scène de la Loire » – William Turner ( entre 1826 et 1830)

C’est un livre court et très émouvant, qui parle aussi de l’âge, du temps qui passe et du monde qui change, pas toujours comme on le souhaiterait, hélas, mais il n’y a pas d’aigreur chez cette femme, qui égrène au fil des eaux des lectures, des souvenirs, une vie, des vies et des histoires, petites et dites grandes, avec tendresse et lucidité.

« Je me souviens de « La jetée » de Chris Marker, une ville anéantie par la guerre, ou la catastrophe nucléaire qui arrivera peut-être un jour. Dans ce roman-photo, comme l’avait défini son auteur, l’homme dont on fouille la mémoire retrouve l’image de son enfance, qui le poursuit depuis toujours.

Celle qui ne me quittera jamais est celle de ce petit étang, de son silence, de Léon et Mathilde, que la Furieuse a réveillée en moi. C’est l’origine du monde qui est le mien. »

« Les Grands Espaces » – Annie Perreault- éditions Héloïse d’Ormesson

« L’OURS

« Je vais traverser ce lac. »

Ce sont les derniers mots que me crie Anna cette nuit-là. Alors que je ne sais toujours pas d’où vient cette femme exactement, comment elle s’est retrouvée ici, au milieu de la Russie, elle disparaît dans le noir, le froid, l’étendue à peine visible d’un lac aux glaces aussi imprévisibles que mon cœur. »

Pour tout vous dire, quand j’ai commencé ce roman, je n’étais pas certaine d’aller au bout. Et j’aurais eu bien tort, car je viens de le finir remplie d’émotions.

D’abord, l’écriture est superbe, sans un mot de trop, pleine de poésie et d’amour. Ce livre est pour moi un grand livre sur l’amitié et l’amour, la frontière ténue entre les deux, et puis un roman qui parle de liberté, de solitude, de trahison. Tout ceci avec une infinie délicatesse, une langue pleine de nuances. Et donc, je viens de fermer un livre remarquable, comme peut l’être un  voyage. Il en est ici beaucoup question, de voyage.

Mon personnage préféré est Eleonore, une des quatre femmes qui prennent la parole ici, des lieux différents, des temps différents, mais une unité commune dans les caractères un rien fantasques, avides d’aventure, des femmes indépendantes. L’ours et le Lac, un homme ( oui, l’Ours est un homme ) et un élément ponctuent de leur esprit ces narrations.

Ce qui caractérise ces femmes est un intense goût pour la liberté.  Je vous en fais une brève présentation.

Au fil des quatre points cardinaux, Lac, Ours, Anna, Gaby, Eleonore et Celle qu’on ne voit pas racontent. Du lac Champlain au lac Baïkal, une course contre soi-même, un dépassement…Anna, avec quelques mots dans lesquels je me retrouve:

« Même ici, près du lac, ce n’est jamais un pur silence . On ne peut pas faire abstraction des vents, des grondements, des craquements de la glace qui fêle. J’ai toujours été sensible aux bruits, à ce qui occupe le fond sonore, agacée par les gens qui parlent trop, trop fort, qui déplacent de l’air. Je leur préfère les bruissements, les chuchotements. Le secret ne me tourmente pas, je me range du côté des mots contenus, en paix avec le flot tranquille des pensées que je n’exprime pas. Je me méfie du tapage. J’aime être une folle qui se parle  à elle-même. »

Il faut rencontrer ces femmes qui m’ont profondément émue. Je les trouve belles, courageuses. Leurs voyages sont du genre fuite, une quête pour dépasser quelque chose en elles qui les laisse trop seules. Une grande solitude, c’est ce que j’ai ressenti dans ces femmes. Il est impossible de « raconter », en tapant sur mon clavier, les larmes me viennent, je retrouve l’émotion qui m’a envahie à cette lecture. Sans doute chacune, chacun retrouvera ici quelque chose d’inabouti dans sa vie, quelque chose qu’il s’est refusé.

YURI GAGARIN HEADLINE

« Can’t help falling in love. C’est ce qui joue à la radio ce printemps-là. Et c’est ce que je me chante le soir quand je pense à Youri et au jour où je pourrai enfin me plonger dans ses yeux. Je m’endors en imaginant que je caresse ses belles mains posées sur mon casque de cosmonaute. Je dors peu. »

Pourquoi j’ai été plus touchée encore par Eleonore? Je pourrais le dire, mais elle subit quelque chose de terrible et j’ai de la compassion pour elle. Elle, cette jeune femme des années 60 amoureuse de Youri Gagarine. Gaby est sa nièce, photographe.

 » -Tchaïka, tu dors? Écoute ça! » « Toutes les photos sont des memento mori. prendre une photo, c’est s’associer à la condition mortelle, vulnérable, instable d’un autre être ( ou d’une autre chose). C’est précisément en découpant cet instant et en le fixant que toutes les photographies témoignent de l’œuvre de dissolution incessante du temps. « C’est beau, non? Susan Sontag. »

Mais non, je ne veux rien dire d’autre, et surtout pas la fin, magnifique, seulement ce qui met ce livre à un haut niveau: d’une part la construction qui lui donne un côté onirique, conte, poème, et une écriture qui m’impressionne énormément. Fluide, précise y compris pour dire l’ineffable, une infinie poésie. Vraiment un immense bonheur de lecture, une lecture de celles qui laissent des traces profondes.

Quant à Celle qu’on ne voit pas, mais dont on sait qui elle est, elle s’apprête à lancer Anna dans un marathon sur le lac Baïkal, dans un infiniment beau et triste dernier chapitre.

Une merveille, un enchantement, allez rencontrer ces personnages pleins de subtilité; j’ai adoré ce livre et en suis encore bouleversée en en parlant.