« Au nom du bien » – Jake Hinkson – Gallmeister/AMERICANA, traduit par Sophie Aslanides

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Richard Weatherford

Le portable posé sur ma table de nuit se met à vibrer juste avant le lever du jour. Je crains d’abord que quelque chose soit arrivé à un membre de ma paroisse. Plus d’une fois, j’ai été réveillé par l’annonce d’un accident de voiture, ou d’un incendie qui a ravagé la maison d’une famille, ou par l’appel d’un paroissien bouleversé par le pronostic pessimiste d’un cancérologue. Ne prenant qu’un instant pour me frotter les yeux et sortir du sommeil, je me prépare à entendre une affreuse nouvelle de ce genre, mais lorsque j’approche l’écran bleu de mon visage et que je vois le numéro de Gary s’afficher, j’étouffe un juron. Je sors du lit le plus doucement possible et, le téléphone tressautant dans ma main, je réussis à traverser la chambre sans réveiller ma femme. »

C’est le troisième roman que je lis de Jake Hinkson et une fois encore me voici enthousiaste. Le genre de livre qu’on lit d’une seule traite, parce que cet écrivain a quelque chose qui fait jubiler dans son écriture, dans son esprit et son humour un rien tordus, bref, j’adore son acidité, son air de ne pas y toucher et qui pourtant frappe fort .

Le livre est construit en courts chapitres qui donnent la parole à quelques uns des personnages principaux de cette histoire. Jake Hinkson, comme il sait si bien le faire, mord les mollets des religieux de tout poil, il dessine un portrait des tartuffes modernes et on sent le plaisir infini qu’il y prend, et la rage contenue qu’il y met.Tout ça avec un calme olympien dans le ton et la construction du livre, classique dans sa forme polyphonique, mais bien moins dans la manière d’aborder le sujet, cet éternel sujet du Bien et du Mal  – avec des majuscules – de l’hypocrisie et du flou dans lequel se trouvent les hommes face à ce concept. Et ici, précisément un homme qui théorise à souhait sur ces deux notions.

Quand Richard, seul en son église, adresse une prière à Dieu…

« Devrais-je confesser mes secrets les plus intimes, Seigneur? […]

Non, mon secret le plus intime, celui que j’ai caché à tous, y compris à moi-même, c’est que je ne sais pas si tu es vraiment là.

Ai-je jamais ressenti ta présence? Je commence à en douter. »

Je n’y vais pas par quatre chemins, j’aime Jake Hinkson, j’ai aimé les 3 romans, celui-ci inclus, que j’ai eu le plaisir de lire. Je partage volontiers son esprit vache, pince-sans-rire. Je sais son goût pour le cinéma et ce livre m’a paru être un chouette scénario, avec ce pasteur, prédicateur si honorable et son effroyable double-jeu qui commence dès la première page. Oui, ce serait un bon film… ( j’ai envie de dire : comme tout ce que j’ai lu de Jake Hinkson ) .

Richard Weatherford, prédicateur de sa paroisse, est un notable, marié et père de 4 enfants; son épouse Penny l’assiste dans ses tâches avec bienveillance et un esprit très fin, qui s’avérera aussi très lucide et clairvoyant. Ce coup de fil de bon matin est le déclencheur d’une dégringolade pour  Weatherford – croit-on –  et le récit se déroule en trois parties, Samedi matin – Samedi soir – Dimanche matin, un an plus tard. Un temps court donc pour l’action principale, sans temps mort et qu’on lit sans lâcher.

Richard puis Penny Weatherford, Brian Harten, Gary Doane et Sarabeth Simmons vont raconter les faits. La clé de l’intrigue, c’est Gary qui va faire chanter Richard pour une raison que vous découvrirez vous-même. Brian va entrer dans le jeu pour des raisons tout à fait différentes. Mais Gary et Sarabeth, les deux figures auxquelles on s’attache le plus, seront les éléments majeurs de la tragédie générée par le bon pasteur; et forcément tous ces personnages seront perdants. Sauf Richard, que Dieu protège, sans doute …!

Petit tour des personnages, Brian Harten, en slip. Les sbires d’un créancier ( le petit vegan qui se chicane avec son collègue – le gros mangeur de hamburger bien gras ) viennent confisquer sa voiture:

« -Posez ma putain de voiture, je hurle.

J’avance vers le petit bonhomme.

-OK, le gars en culotte, il dit, vous reculez. Si vous voulez gueuler après quelqu’un, prenez le téléphone, et gueulez contre vos créanciers. Nous, on peut pas vous aider.[…]

Je recule d’un pas et lui mets une droite. Je sais pas pourquoi. C’est franchement con. Je suis là, dehors, avec seulement un caleçon entre ma bite et le monde entier et je lui mets un pain.

Je le chope en pleine figure, mais ça me fait plus mal à la main qu’à lui, et tout à coup, il se transforme en Jason Bourne. Il me cogne trois fois avant que je puisse parer, puis il me cisaille les jambes et je me retrouve par terre. Un dernier coup de poing en pleine face pour être sûr que j’aie bien compris.

Je me recroqueville. Il recule et me traite de connard.

Le gros se marre comme une baleine. »

 

Gary Doane, brillant élève puis décrocheur dépressif sévère:

« J’ai travaillé avec une thérapeute pendant un moment. Je lui ai raconté que c’était juste devenu trop pour moi. La vie. Vivre. Me promener en étant une personne avec un nom et une identité. À un certain moment, c’était juste devenu absurde pour moi. Pourquoi ai-je un nom ? Une série de petites lettres qui vont sur les papiers, les formulaires ? Pourquoi ça me définit ? Derrière toutes ces conneries, on n’est qu’un animal qui respire, qui mange, qui chie, qui baise, et qui crève. »

Sarabeth Simmons, caissière, vie commune avec sa mère et un beau-père qu’elle exècre, Tommy qui détient pas mal de choses dans la ville.

« Mon cerveau. Il est tout le temps en train de mouliner. Je dois être une vraie débile, pour me retrouver là où je suis maintenant, vu tout ce que je réfléchis. 

Putain d’idiote.

Honnêtement, il y a pas un mec qui m’a traitée mieux que Gary. Il est vraiment super gentil avec moi. C’est un gars gentil.[…]

Je passe de l’autre côté d’une colline et j’arrive près d’une petite Church of Christ avec une pancarte faite de lettres en plastique qu’on peut déplacer. Le message de cette semaine, c’est : DIRE NON À JÉSUS C’EST DIRE OUI À L’ENFER.

OK. On n’est pas à New York ici, ni à L.A., ni à Little Rock. On est même pas à Eureka Springs. On est dans l’autre moitié du monde. Gary et moi, on a grandi à Stock, et à Stock, être gay c’est encore un péché. Et pas un petit péché comme jurer, par exemple. En dehors de maltraiter un enfant ou tuer quelqu’un, c’est à peu près ce qu’on peut faire de pire. Toute ma vie j’ai entendu ça, et mon cul de païenne a même pas fréquenté les bancs de l’église. »

Et puis Penny, qui fait de la peine…

« Mais je n’aime plus Richard depuis des années. Je peux faire beaucoup de choses pour ce mariage. Je peux montrer un visage avenant au monde, et je peux porter des enfants et les élever. Je peux ravaler ma fierté et me rabaisser si c’est le prix à payer pour garder le visage de Sœur Penny Weatherford. Comme ma mère me l’a appris, tout l’intérêt de présenter un visage au monde est de convaincre ce même monde qu’il est vrai, parce qu’en faisant cela, il devient votre vrai visage. Mais la seule chose que je ne peux pas faire – la seule chose que je refuse de faire –  c’est l’aimer. Je resterai avec lui, mais ma fierté ne me fera pas aimer un homme qui ne m’aime pas en retour. »

Mais Penny se vengera des humiliations subies:

« Il fronce les sourcils et attrape la poignée de la porte, qu’il tourne. Il ouvre de quelques centimètres avant que je referme d’un coup de pied.

-Qu’est-ce que tu fais?

-Mets-toi à genoux, Richard.

-Je…

-Tu n’as pas besoin de dire quoi que ce soit. Mets-toi à genoux, Richard. Maintenant. Ne m’oblige pas à répéter.

Il me regarde, la bouche ouverte, cherchant ses mots. Il essaye de m’adresser son sourire incrédule, cette grimace fausse qu’il utilise comme un gourdin, mais il n’arrive pas bien à le faire. Il ne peut plus recourir à aucun de ses anciens trucs, il ne peut plus être le Richard qu’il a été jusque-là. I ne peut plus se débarrasser de moi comme avant.

Le fait de le voir enfin se mettre à genoux me fait mouiller.[…].

Je me penche et l’attrape par le cou.[…] J’écarte les jambes et j’attrape la tête de Richard en saisissant une poignée de cheveux dans mon poing. Je pousse son visage entre mes cuisses. L’eau coule de mes cheveux, se mêle à ma sueur, et tombe sur son front, dans ses yeux.

-Lèche. »

Jake Hinkson à Lyon

Quant à Richard le cher pilier de la communauté, toujours droit, aimable et pondéré, il va mener un bal sordide de bout en bout, et vous verrez que la morale, religieuse ou non, est ici très aléatoire. En virtuose, Jake Hinkson décrit avec une virulence froide cette petite ville de l’Arkansas prête à élire Trump; on écoute, sidéré, les discussions à table de la famille Weatherford, si apte à entraîner les ouailles dans ses choix et ses opinions.

« -Papa, comment c’est possible qu’il y ait des gens qui pensent qu’on descend du singe?

-Je ne sais pas, mon fils. Hitler a dit que si on veut que les gens croient un mensonge, il suffit de le répéter sans cesse. Les anticléricaux ne cessent de répéter leur discours sur l’évolution et les gens l’acceptent sans le remettre en question. Ils entendent des hommes instruits avec des diplômes impressionnants qui pérorent sur les singes, les fossiles, que sais-je d’autre, et ils se disent: « Bon, je n’y comprends rien, mais je suppose que ça doit être vrai si ces types intelligents le croient. »

Et surtout on voit cet homme si sûr de lui, de son influence, de son image tellement respectable qu’elle en devient incontestable et qui après un petit malaise va orchestrer un drame épouvantable.

Richard est pour moi un monstre de froideur, d’égoïsme, d’hypocrisie. Il se regarde dans la glace sans broncher, il s’auto-congratule, s’auto-apitoie, et même s’auto- satisfait au lieu de combler les manques sexuels de Penny. Richard Weatherford, quand vous le découvrirez, risque de vous faire bondir tant il est répugnant sous ses airs doucereux. J’ai aimé par contre beaucoup Gary et Sarabeth, ces deux jeunes amoureux si touchants, ancrés dans leur temps alors que ce temps dans cette petite ville recule et recule encore sous l’influence sordide des puritains en reprise d’influence. Gary et Sarabeth, de ces jeunes tués d’ennui dans les villes de l’Arkansas. J’ai aimé ces deux jeunes gens.

Roman excellemment noir, encore une fois Jake Hinkson descend en flèche ces églises qui défendent ce qu’il y a de pire, et dans cette ambiance de crimes, de péchés, de mensonges et de chantage, il signe encore un formidable roman, jubilatoire et qui met en pétard jusqu’à la fin. Bref, j’ai adoré !

« Sans lendemain » – Jake Hinkson – Gallmeister / Americana, traduit par Sophie Aslanides

« N’allez pas dans l’Arkansas, me dit le propriétaire du cinéma à Kansas City.

J’étais en train de décharger les boîtes d’un film intitulé Secrets of a Sorority Girl du coffre de ma voiture. Je me redressai:

-Quoi?

Le vieux bonhomme passa la tête par la porte de service et cracha un jet de tabac très vaguement en direction d’une poubelle.

-Vous n’avez pas dit que vous partiez pour les Ozarks?

-Ouais, c’est mon prochain arrêt.

Le vétéran se gratta le menton.

-Vous devriez éviter l’Arkansas. une fille seule dans ce coin-là, vous pourriez bien avoir des ennuis. »

Très contente de retrouver Jake Hinkson qui m’avait réjouie avec « L’enfer de Church Street », et de constater qu’il n’a rien perdu en route de sa verve envers la religion, et les prétendus hommes d’église de son pays. Avant d’aller plus loin, et si je n’avais qu’une seule chose à dire : NE LISEZ PAS LA FIN AVANT LE RESTE !!! Moi je ne pensais pas qu’il allait nous jouer cette fin dans ce registre, Jake ! Et de ce fait, c’est une vraie bonne fin de roman noir…

Contente de reprendre la route des Ozarks, Arkansas – et pourtant, elle fait froid dans le dos, cette région…- en compagnie de la charmante Billie Dixon.

Tout d’abord, Jake Hinkson met ici en scène des femmes, trois femmes qui mènent le bal ce qui change un peu des schémas habituels. Construit en trois parties : La femme de Hollywood, Billie Dixon, distributrice de films pour les cinémas de campagne, La femme du Missouri, Amberly Henshaw, épouse du pasteur Obadiah Henshaw, aveugle et tyrannique et La femme de l’Arkansas, Lucy Harington, assistante de son frère shérif Eustace à Stock’s Settlement, Arkansas. Plus un Entracte à Hollywood : le blues de Poverty Row (quartier des studios de cinéma de série B ), très court chapitre qui raconte l’embauche de Billie ( de son vrai prénom William ) et nous parle d’elle; l’histoire se déroule en 1947, Billie porte des pantalons, fume, boit et aime les femmes.

« J’avais essayé une fois de batifoler avec un homme. C’était comme embrasser un cheval. J’avais l’impression qu’il allait me bouffer le visage. Et pour ce qui était du sexe – c’était comme d’essayer de faire faire des claquettes au cheval en question. »

Alors bien sûr il y a des hommes dans ce roman, comme le patron de Billie, brave homme qui résiste aux temps difficiles et qui même s’il est réticent à l’idée d’envoyer Billie dans ces Ozarks un peu rudes (euphémisme) finit par lui faire confiance; il y a le pasteur, personnage fanatique et violent, il y a Claude, le gérant du cinéma de Stock’s Settlement, un peu désespéré car le pasteur a fait de son cinéma un lieu de perdition, et les paroissiens écoutent plutôt le pasteur, la salle est sur le point de fermer. Enfin Eustace, le shérif qui ne parle pas, ne se déplace jamais sans sa sœur Lucy qui lui donne ses consignes, ce qu’il peut faire ou ne pas faire et c’est mieux ainsi parce qu’il peut s’emporter, Eustace.

« Je le regardai en clignant des yeux, et il se contenta de me fixer. Eustace maîtrisait parfaitement l’art du regard vide. il était comme une feuille de papier sans rien écrit dessus.J’aurais été plus inquiète de le voir avec une expression sur le visage – menaçante, agacée ou même heureuse. Toutes m’auraient affolée. Mais Eustace semblait ne jamais rien faire d’autre qu’attendre qu’on lui dise quoi faire. »

Ce sont bien les trois femmes, trois belles femmes, avec de beaux tempéraments qui sont les héroïnes ici. Et si des passages sont cocasses, pince sans rire à la manière de Jake Hinkson, c’est bien un roman très noir, et très vite on ne rit plus. Ce livre est plutôt plein de mélancolie, de nostalgie aussi. Jake Hinkson est un grand amateur de cinéma et du cinéma hollywoodien de l’époque choisie pour cette histoire. Il y a un côté terriblement dramatique, et comme je l’ai dit, attendez patiemment la fin, je ne m’y attendais pas, pas  à cette option, mais si…J’ai aimé ces femmes, mais en fait, à part le pasteur, personne n’est odieux, la charge est bien contre ces  illuminés de tout poil qui d’un coup reçoivent la Parole Divine et la Lumière, interprètent ça à leur sauce et en font un outil de pouvoir, à petite ou grande échelle. C’est ici Lucy qui parle:

« -Personne dans notre famille n’a jamais pensé que la religion n’était beaucoup plus qu’une obligation sociale polie. Ma mère respectait les pasteurs, mais elle ne semblait jamais perdre de vue leur humanité. Elle me lisait le livre qu’ils lisaient et elle avait la certitude qu’elle ne rencontrerait jamais un homme qui l’avait lu d’une manière plus approfondie, plus juste ou plus vraie qu’elle. En fait, un pasteur n’est rien d’autre qu’un homme qui interprète un texte pour vous. Mère allait directement à la source. »

Ce roman est court, et je n’en dis pas plus pour ne rien gâcher au plaisir que vous trouverez à sa lecture. L’écriture est impeccable ( et Sophie Aslanides est bien en phase avec cette traduction ), les descriptions des personnages en quelques mots sont épatantes.

Le mécanicien était un petit gars sec sans dents de devant. Son bleu de travail et ses mains étaient couverts de graisse et il en avait jusque dans les plis du cou. Il était appuyé contre le montant de la porte de l’immense bâtiment et mastiquait une boulette de tabac dans sa joue gauche. »

Voilà. On croise trois chouettes nanas, très différentes et pourtant et malgré tout en connivence. J’aime beaucoup ce que décrit Jake Hinkson dans ces trois figures, son regard sur ces femmes est très affectueux je trouve et ça me plait énormément. J’aime l’esprit de cet homme, son ironie, et je ne résiste pas au plaisir de partager à nouveau avec vous ce texte qu’il m’avait gentiment permis de publier et faire traduire, sur son expérience aux Quais du Polar en 2014 https://wp.me/p3So5l-1Wv

Un très bon livre, pas dans les clous, juste bien noir et bien serré comme j’aime. Franchement, je le conseille !

Quais du Polar, sous la plume de Jake Hinkson

quais-du-polar-2015-affiche-231129Je suis tombée un peu par hasard sur cet article

http://www.criminalelement.com/blogs/2015/04/letter-from-lyon-2015-quais-du-polar-crime-festival-jake-hinkson

J’en ai compris une partie, mais pas assez pour ne pas me sentir frustrée. J’ai la chance d’avoir dans mes amies blogueuses Evelyne Holingue, qui a accepté, pour vous et moi, de traduire ce texte que je vous livre donc ici en français. Merci mille fois, Evelyne !

« Les Quais du Polar est le plus grand festival de littérature policière en France, et cela en dit beaucoup, car les français adorent les romans policiers.
Bien sur, les romans mystères et les romans noirs marchent très bien aux USA, mais le roman criminel est un phénomène culturel français qui remonte à des dizaines d’années en arrière.
Les français, Dieu les bénisse, sont obsédés par tout ce qui est d’ordre criminel. Le festival des Quais du Polar se déroule dans le magnifique Palais du Commerce, à Lyon, où, pour trois jours, plus d’une centaine d’auteurs dédicacent leurs livres pour environ
70 000 fans et lecteurs. C’est un évènement comparable à Comic-Con pour les fous du roman noir.
Je suis allé à Lyon en mars pour la promotion de mon roman « Hell on Church Street », qui vient d’être publié en France sous le nom « L’Enfer de Church Street ». Le livre fait partie d’une nouvelle collection des Editions Gallmeister intitulée Neonoir, dont le but est de faire connaitre aux français les nouveaux auteurs américains de fiction criminelle.
Parmi les auteurs prévus dans cette collection des talents incroyables tels Jon Bassoff, Matthew McBride, Steve Weddle, et Todd Robinson.
Benjamin Whitmer, un autre écrivain de la collection Neonoir, auteur des romans « Pike » et « Cry Father » m’a rejoint à la table des dédicaces (si vous ne connaissez pas l’œuvre de Benjamin Whitmer, vous manquez la naissance d’une légende. Je suis sérieux. Ben Whitmer est un authentique, unique Américain. Un critique a dit que Whitmer est ce que vous obtiendriez si James Ellroy avait couché avec Shakespeare. La comparaison est flatteuse, bien sur, mais Whitmer est l’un des plus remarquables parmi les auteurs contemporains.) 
Whitmer est beaucoup plus connu aux States que je ne le suis (ce qui veut dire qu’il est connu), mais nous sommes des crevettes en comparaison des géants John Grisham et Michael Connelly. Si vous voulez écouter la session avec ces deux auteurs, elle est disponible sur Télérama sous le nom Cercle Polar #158 et inclut les introductions et réponses traduites des auteurs.
Grisham et Connelly sont entrés sous les applaudissements. Les files d’attente débordaient jusqu’au coin de la rue. D’autres grands noms: Ian Rankin, Elizabeth George, et Val McDermid.
La table de Grisham était en face de la nôtre, nous avions donc une bonne vue. Alors que nous étions des amateurs ici pour trois jours, Grisham a travaillé une après-midi – son entourage l’installant avec efficacité, il était entouré d’une montagne de ses livres traduits en français et s’est mis à signer tout en accueillant ses fans enthousiastes avec l’aisance et l’élégance d’un homme qui rencontre de tels fans depuis vingt ans.
Deux heures plus tard environ, il était escorté avec la même impeccable prestation. Je ne pense pas que Whitmer ait eu la moindre envie de rencontrer Grisham, mais j’aurais aimé avoir la possibilite de lui dire bonjour, si ce n’est pour lui dire qu’il était le premier auteur que j’ai jamais rencontré. (Nous sommes tous deux originaires de l’Arkansas, et il donna une séance de dédicaces près de chez moi quand j’étais un gamin. Il avait été, il faut noter, très gentil à mon égard.)
jake HinksonMême les petits auteurs sont restés très occupés pendant le festival. Comme les Quais Du Polar se déroulent pendant trois jours, Whitmer et moi avons pu rencontrer des centaines de fans ainsi que des nouveaux lecteurs parmi les milliers de gens qui s’étaient déplacés pour l’évènement. J’ai entendu dire qu’environ 30, 000 livres se sont vendus pendant le week-end. Basé sur ce que j’ai pu observer, je le crois aisément.
L’expérience était incroyable sur plusieurs aspects.
D’abord, ni Ben ni moi n’avions jamais signé autant de livres que nous en avons signé en un jour au festival. (Un de mes souvenirs préférés du festival fut de voir une adolescente bavarde demander un autographe à Whitmer. C’était comme s’il était J.K. Rowling.)
Ensuite, la gentillesse et l’enthousiasme des foules étaient incroyables. Les gens qui déambulaient autour des tables et des auteurs étaient de tous les âges, hommes et femmes. Pendant nos moments de relâche Whitmer et moi ne pouvions qu’admirer ces gens.

Benjamin Whitmer et Jake Hinkson

Benjamin Whitmer et Jake Hinkson

Whitmer et moi avions à participer à différents événements, par exemple des débats et des interviews radio. Je faisais partie d’un panel intitulé “Le tueur en moi” avec les écrivains français Maxime Chattam, Sebastien Gendron, Ingrid Desjours, et l’écrivain allemand Sasha Arango. Le débat se déroulait dans la chapelle de la Trinité, une somptueuse église ancienne, parce qu’en France on discute roman noir dans de somptueuses églises anciennes. Nous portions des écouteurs qui traduisaient alors que nous parlions de nos livres, de nos influences, et du rôle du psychopathe dans la littérature criminelle. La chapelle était bondée (surtout pour Chattam, qui est une super star en France), et la discussion était animée.
A la fin du festival, les fans avaient leurs livres et leurs autographes et sont rentrés chez eux pour afficher leurs photos sur leurs réseaux sociaux. Les auteurs célèbres s’étaient envolés depuis bien longtemps, on suppose sur des nuages d’argent, vers leurs superbes maisons. Les libraires ont commencé à ranger ce qui restait d’invendus, et les organisateurs du festival ont commencé à plier les énormes banderoles décorées des noms des superstars du polar tels James Ellroy et P.D. James. Votre humble correspondant a pris le bus avec Ben Whitmer et un groupe d’autres écrivains (nous venions de tous les coins du monde mais avions en commun le fait de traîner nos propres bagages et de nous rendre à la gare.) Là-bas nous nous sommes serré la main, dit au revoir, et avons embarqué dans nos trains, des sourires un peu idiots sur nos visages.
Nous ne faisions qu’un. « 

by Jake Hinkson

Ici, le lien vers le site de Jake Hinkson

« L’enfer de Church Street » de Jake Hinkson – Gallmeister/ Neonoir, traduit par Sophie Aslanides

jake HinksonSaison noire chez la Livrophage. Voici un  petit roman bien grinçant qui m’a réjouie . Un de ceux qui remplit toutes ses promesses, les mêmes que celles de Marcel Duhamel qui créa la Série Noire de Gallimard  avec ce Manifeste plus que réjouissant. Il semble que la Neonoire de Gallmeister soit dans la ligne directe de ces exigences . Une Amérique plutôt urbaine ou périurbaine, en zone sinistrée par les tornades éventuellement  mais plus globalement par la crise économique, et des méchants, plein de méchants ! Un livre qu’on lit d’une traite.

Après le terrible « Cry father » du non moins terrible Benjamin Whitmer, voici ce nouveau venu qui met les pieds dans le plat en fanfare.

« L’histoire de ma vie, c’est que j’ai vécu, j’ai merdé, et je vais mourir. Je vais probablement aller en enfer. »

neonoirContrairement à ce que cette phrase pourrait laisser croire, ce livre m’a souvent fait rire (cette phrase aussi d’ailleurs, le ton qui y est donné). Voici une bonne charge contre l’hypocrisie, religieuse en particulier, humaine en général, et Jake Hinkson sait de quoi il parle. Ici il n’y a que des vilains et des méchants, au mieux quelques idiots naïfs, tous plus barrés les uns que les autres et ça donne un bouquin qui bien que moins violent que celui de Whitmer est tout aussi noir .

Un voyou braque Geoffrey Webb à la sortie d’une épicerie, monte dans sa voiture en espérant le détrousser. Webb commence alors son récit, celui d’une grande partie de sa vie, tout en roulant tranquillement, l’arme de son agresseur pointée sur lui. Comment il devient un jour frère Webb, après une révélation:

« Cela me frappa de plein fouet, comme une inspiration divine. La religion est le boulot le plus génial jamais inventé, parce que personne ne perd d’argent en prétendant parler à l’homme invisible installé là-haut. Les gens croient déjà en lui. Ils acceptent déjà le fait qu’ils lui doivent de l’argent, et ils pensent même qu’ils brûleront en enfer s’ils ne le paient pas. Celui qui n’arrive pas à faire de l’argent dans le business de la religion n’a vraiment rien compris. »

« […] la religion, pour l’essentiel, est une escroquerie. En dépit de toute son histoire et de son prestige, de tous les bâtiments construits pour l’honorer et de tout le sang versé pour la diffuser, la religion n’a rien de différent de la lecture des lignes de la main ou de l’interprétation du marc de café. »

file000380243276C’est sûr, il n’y va pas de main morte, Jake Hinkson !  Notre homme promu aumônier puis bientôt pasteur, à la suite des décès « accidentels » de Frère Card et de son épouse, va vite déchanter malgré ses succès à son nouveau poste :

« Les Card étaient morts, plus morts que Bonnie et Clyde. […] Était-ce vraiment ce que Dieu avait prévu ? Ce jour-là, je dis à la congrégation en larmes que tout se trouvait entre les mains de Dieu, et que le mal et la haine et la perte et la souffrance disparaîtraient en un clin d’œil à l’instant où Christ reviendrait. Mais en même temps, je me demandai : est-ce qu’ils croient à ça ? Apparemment, oui. » On entend très très bien ce que sous entend la fin de cette phrase !

La mort « accidentelle » des Card va être la montée en puissance de Webb dans la communauté baptiste, mais aussi le début de sa fin . Le texte est émaillé de phrases de ce genre : « J’ai toujours eu cette chance d’être assez en forme pour m’enfoncer plus profondément dans les ennuis. Je ne mourrai jamais accidentellement. »

Ou encore :« Il est difficile de savoir aujourd’hui si j’aurais été plus mauvais encore sans l’église, puisqu’elle a joué un rôle essentiel dans la décomposition de ma vie. »

hinkson

Jake Hinkson aux Quais du Polar : ça rigole pas.

Webb a pris tellement confiance en lui, en sa propre parole, il manipule si bien qu’il ne se méfie plus et ne voit pas qu’il n’est pas seul dans le jeu. Je ne vous dis pas quelle vie  mène cet homme-là, mais pas toujours très chrétienne… L’auteur nous raconte avec brio comment Webb va entrer dans une spirale d’événements qui l’amèneront ici, dans sa voiture, un pistolet braqué sur la nuque, à raconter en roulant toute son histoire à un repris de justice qui l’écoutera  jusqu’au dénouement.

Beaucoup d’humour noir, qui va avec de la virulence, une vive critique des faux semblants de notre société, un récit qui ne traîne pas, très beau travail de Sophie Aslanides, qui parvient à rendre parfaitement cet humour noir et le rythme du récit. J’ai passé un très bon moment, presque trop court, tiens ! Un livre que j’aimerais lire à voix haute.