« N’allez pas dans l’Arkansas, me dit le propriétaire du cinéma à Kansas City.
J’étais en train de décharger les boîtes d’un film intitulé Secrets of a Sorority Girl du coffre de ma voiture. Je me redressai:
-Quoi?
Le vieux bonhomme passa la tête par la porte de service et cracha un jet de tabac très vaguement en direction d’une poubelle.
-Vous n’avez pas dit que vous partiez pour les Ozarks?
-Ouais, c’est mon prochain arrêt.
Le vétéran se gratta le menton.
-Vous devriez éviter l’Arkansas. une fille seule dans ce coin-là, vous pourriez bien avoir des ennuis. »
Très contente de retrouver Jake Hinkson qui m’avait réjouie avec « L’enfer de Church Street », et de constater qu’il n’a rien perdu en route de sa verve envers la religion, et les prétendus hommes d’église de son pays. Avant d’aller plus loin, et si je n’avais qu’une seule chose à dire : NE LISEZ PAS LA FIN AVANT LE RESTE !!! Moi je ne pensais pas qu’il allait nous jouer cette fin dans ce registre, Jake ! Et de ce fait, c’est une vraie bonne fin de roman noir…
Contente de reprendre la route des Ozarks, Arkansas – et pourtant, elle fait froid dans le dos, cette région…- en compagnie de la charmante Billie Dixon.
Tout d’abord, Jake Hinkson met ici en scène des femmes, trois femmes qui mènent le bal ce qui change un peu des schémas habituels. Construit en trois parties : La femme de Hollywood, Billie Dixon, distributrice de films pour les cinémas de campagne, La femme du Missouri, Amberly Henshaw, épouse du pasteur Obadiah Henshaw, aveugle et tyrannique et La femme de l’Arkansas, Lucy Harington, assistante de son frère shérif Eustace à Stock’s Settlement, Arkansas. Plus un Entracte à Hollywood : le blues de Poverty Row (quartier des studios de cinéma de série B ), très court chapitre qui raconte l’embauche de Billie ( de son vrai prénom William ) et nous parle d’elle; l’histoire se déroule en 1947, Billie porte des pantalons, fume, boit et aime les femmes.
« J’avais essayé une fois de batifoler avec un homme. C’était comme embrasser un cheval. J’avais l’impression qu’il allait me bouffer le visage. Et pour ce qui était du sexe – c’était comme d’essayer de faire faire des claquettes au cheval en question. »
Alors bien sûr il y a des hommes dans ce roman, comme le patron de Billie, brave homme qui résiste aux temps difficiles et qui même s’il est réticent à l’idée d’envoyer Billie dans ces Ozarks un peu rudes (euphémisme) finit par lui faire confiance; il y a le pasteur, personnage fanatique et violent, il y a Claude, le gérant du cinéma de Stock’s Settlement, un peu désespéré car le pasteur a fait de son cinéma un lieu de perdition, et les paroissiens écoutent plutôt le pasteur, la salle est sur le point de fermer. Enfin Eustace, le shérif qui ne parle pas, ne se déplace jamais sans sa sœur Lucy qui lui donne ses consignes, ce qu’il peut faire ou ne pas faire et c’est mieux ainsi parce qu’il peut s’emporter, Eustace.
« Je le regardai en clignant des yeux, et il se contenta de me fixer. Eustace maîtrisait parfaitement l’art du regard vide. il était comme une feuille de papier sans rien écrit dessus.J’aurais été plus inquiète de le voir avec une expression sur le visage – menaçante, agacée ou même heureuse. Toutes m’auraient affolée. Mais Eustace semblait ne jamais rien faire d’autre qu’attendre qu’on lui dise quoi faire. »
Ce sont bien les trois femmes, trois belles femmes, avec de beaux tempéraments qui sont les héroïnes ici. Et si des passages sont cocasses, pince sans rire à la manière de Jake Hinkson, c’est bien un roman très noir, et très vite on ne rit plus. Ce livre est plutôt plein de mélancolie, de nostalgie aussi. Jake Hinkson est un grand amateur de cinéma et du cinéma hollywoodien de l’époque choisie pour cette histoire. Il y a un côté terriblement dramatique, et comme je l’ai dit, attendez patiemment la fin, je ne m’y attendais pas, pas à cette option, mais si…J’ai aimé ces femmes, mais en fait, à part le pasteur, personne n’est odieux, la charge est bien contre ces illuminés de tout poil qui d’un coup reçoivent la Parole Divine et la Lumière, interprètent ça à leur sauce et en font un outil de pouvoir, à petite ou grande échelle. C’est ici Lucy qui parle:
« -Personne dans notre famille n’a jamais pensé que la religion n’était beaucoup plus qu’une obligation sociale polie. Ma mère respectait les pasteurs, mais elle ne semblait jamais perdre de vue leur humanité. Elle me lisait le livre qu’ils lisaient et elle avait la certitude qu’elle ne rencontrerait jamais un homme qui l’avait lu d’une manière plus approfondie, plus juste ou plus vraie qu’elle. En fait, un pasteur n’est rien d’autre qu’un homme qui interprète un texte pour vous. Mère allait directement à la source. »
Ce roman est court, et je n’en dis pas plus pour ne rien gâcher au plaisir que vous trouverez à sa lecture. L’écriture est impeccable ( et Sophie Aslanides est bien en phase avec cette traduction ), les descriptions des personnages en quelques mots sont épatantes.
Le mécanicien était un petit gars sec sans dents de devant. Son bleu de travail et ses mains étaient couverts de graisse et il en avait jusque dans les plis du cou. Il était appuyé contre le montant de la porte de l’immense bâtiment et mastiquait une boulette de tabac dans sa joue gauche. »
Voilà. On croise trois chouettes nanas, très différentes et pourtant et malgré tout en connivence. J’aime beaucoup ce que décrit Jake Hinkson dans ces trois figures, son regard sur ces femmes est très affectueux je trouve et ça me plait énormément. J’aime l’esprit de cet homme, son ironie, et je ne résiste pas au plaisir de partager à nouveau avec vous ce texte qu’il m’avait gentiment permis de publier et faire traduire, sur son expérience aux Quais du Polar en 2014 https://wp.me/p3So5l-1Wv
Un très bon livre, pas dans les clous, juste bien noir et bien serré comme j’aime. Franchement, je le conseille !
Bonjour Simone, merci pour l’info. J’avais aimé L’enfer de Church Street, je note celui-ci. Bonne journée.
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Bonjour et oui, très bonne lecture !
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Allez, tu es convaincante, je note plutôt ce dernier que L’enfer de Church Street.
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Franchement j’ai aimé les deux, mais celui-ci – à cause des femmes, je crois – est plus sensible, un moment agréable et pas idiot avec ce livre et puis un livre court parfait pour une lecture avec un thé un après-midi pluvieux
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Je note aussi ! Des livres courts qui ne pèsent pas dans le sac… Idéal pour les trajets en train. Merci Simone 🙂
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ça se lit tout seul, et il v
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zut, j’ai envoyé avant la fin ! je disais donc : il va y en avoir encore, des courts, après le marathon avec Paul Auster et 1016 pages !
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Encore un livre qui donne envie et qui contient presque tous les ingrédients des BONS romans noirs! Ecore un livre à ajouter à ma liste! J’avoue que tes chroniques me donnent très souvent cette envie folle de me rendre dans une librairie ou à la bibliothèque pour découvrir ces auteurs et leurs livres!
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C’est un très bon livre et bien noir, oui. Si je donne envie, tant mieux ! But atteint !
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