« Minuit dans la ville des songes » -René Frégni – NRF/ Gallimard

minuit-ville-songes« Un minot

Maintenant je vis dans une maison au bord de la forêt. Vers cinq heures du soir, l’hiver, je fais du feu dans un poêle en fonte noir et je relis de vieux livres. Je lis trois pages, je regarde la danse des flammes, je m’endors un peu, je rattrape mon livre, tourne deux pages, ajoute une bûche…Je serai bientôt vieux. Je dors souvent. »

Une simple note de lecture pour ce livre qui m’a été offert par une personne chère et qui me connait bien. Je la remercie parce que j’ai été très très touchée par ce récit – ce n’est pas un roman – une vie racontée de l’enfance jusqu’à la date où René Frégni a su que son 5ème roman serait le premier édité chez Denoël. Et quelle vie a eu cet homme… C’est Marseille, ville de sa naissance qui va faire de lui qui il fut, c’est sa fuite qui en fera qui il est devenu, mais il n’en reste pas moins que cette ville qui le vit naître est la racine de qui il devint. Et sa mère, la femme de sa vie. L’amour de sa vie. Un lien superbement raconté. 

« Tout ce qu’elle me lisait était beau à pleurer, à hurler. Je détestais les livres d’école, je n’aimais que la voix de ma mère. »

IMG_1136

Petit délinquant, insubordonné il ira en prison et c’est là qu’il va faire LA rencontre qui le guidera tout au long de sa fuite. Il rencontrera la lecture, la littérature grâce à un « bandit » corse et à l’aumônier de la prison où il croupit.

« Sans ce colonel, cet aumônier, sans la sombre révolte d’Ange-Marie, et ces murs que nous devions franchir, coûte que coûte, en lisant, en refusant, serais-je devenu écrivain ? « 

Il sera intégré dans l’armée et il désertera, pour cela sera recherché par les gendarmes. Qui finiront par le coincer. Tout ça avec la constance de l’amour de sa mère qui va le protéger, toujours, et des amis sûrs et constants. Mais si ce n’était qu’une cavale. Non, c’est une naissance à laquelle on assiste, la naissance d’un lecteur, boulimique et passionné et celle d’un auteur. De Bastia à Manosque puis à Aix en Provence, il va tracer son chemin nourri de romans et de récits. Il va lire de façon insatiable jusqu’à un jour devenir écrivain. Et que c’est beau, mais qu’il est beau ce livre !

« Bastia m’adopta, comme elle avait adopté sans doute, depuis des siècles, tous ceux qui fuient une prison, une légion, parfois même un petit crime que l’on peut comprendre, sur cette île, pour peu que l’on n’ait tué ni femme ni enfant. S’il y a un peu d’honneur ou de passion, le crime est mieux accepté que la loi. »

port-g313024584_640

Moi qui ai vécu à Marseille et à Aix, qui aime tant Giono – comme lui – j’ai entendu par sa plume les mots que je ne sais pas toujours bien dire quand il s’agit de mon amour des livres, des mots, des histoires et des personnes qui les écrivent et me les offrent.

« J’allais rester six mois à Manosque et lire passionnément tous les romans et récits de celui qui devint pour moi, désormais, le plus grand écrivain français. Je dévorai Les Grands chemins, Un Roi sans divertissement, Les Ames fortes…
Aucun écrivain ne parvenait à me jeter sur les routes, dès la première page, avec une telle vitalité, un sentiment si fort de liberté. »

Je n’avais jamais lu René Frégni et le découvrir avec ce récit autobiographique me donne bien évidemment l’envie de lire ses romans. En tous cas mon amie, toi qui m’a offert cette lecture, merci !

20210907_171715

Je conseille absolument ce livre qui se lit vraiment comme un roman, tendre, intelligent, enthousiaste et enthousiasmant. Coup de cœur !

« Hakim » – Diniz Galhos – éditions Aspahlte

« On y est, terminal 2: Hakim va dire au revoir à sa petite famille. Rita tient la main du petit Bilal, tout excité de partir. La grande, Ines, tient la main d’Hakim, lui sourit et lui parle de tant de choses qui n’ont rien à voir qu’Hakim comprend que c’est pour le rassurer. Elle a déjà pris ce pli et ça ne lui plaît pas, que sa fille se sente obligée d’être une béquille pour son père, qu’elle se traîne déjà un poids qui n’est pas le sien. Elle sait à quel point les départs l’angoissent, elle sait ce que des années d’allers-retours estivaux ont laissé en lui, comme on sait certaines choses à sept ans, en les devinant chez ceux qui nous aiment plus que tout, à un timbre plus rauque, à une certaine impatience, à des regards qui fuient et à cette grosse main qui serre plus fort la sienne. »

Lecture réjouissante, j’ai beaucoup beaucoup ri. En lisant la 4ème de couverture, rien n’indiquait que j’allais tant rire. Pourtant, il faut le dire, les propos et les pensées qui nous accompagnent au cours de ce périple ne sont pas dans la légèreté; ce que raconte Hakim sous la forme d’une conversation entre lui et lui – le second « lui » étant en l’occurrence nous, moi qui lis ces discussions, son déroulé mental, certaines choses, essentiellement un puissant et très argumenté réquisitoire contre un monde raciste dans lequel règne le délit de faciès, mais pas seulement, Hakim a des avis, sur pas mal de choses, et puis Hakim est un bon mari, amoureux, un bon papa qui fond devant ses filles et les éduque; c’est aussi un français qui observe avec ô quelle acuité ses compatriotes.

État d’esprit:

« Quand on les interroge, tous ces beaufs qui savent pas leur chance, en train dfaire le piquet sur lquai, pris en otages comme ils disent ce tas dcons, juste après leur petit discours sur ces salauds dcheminots qui osent les immobiliser trois heures durant, faudrait juste leur dmander: mais vous préférez rester bloqués deux, trois heures, même allez, un jour entier, ou crever compressés dans une carcasse en métal? Aaah. Ah ouais. C’est bien c’qui me semblait. »

 Mais pourquoi Hakim, qui au début accompagne gentiment sa femme et ses enfants pour leur départ en vacances, pourquoi Hakim gamberge t-il tout à coup autant?  Eh bien voilà :

C’est l’histoire d’un trip paranoïaque, celui de Hakim, grand barbu qui ce jour précis a enfilé un pantalon de jogging trop court avec des poches qui fuient et des vieilles baskets, un aspect qui, il s’en rend compte, le rend suspect. Hakim voit un sac à dos abandonné dans le RER.

« Nan mais ça va pas, tu vas tmettre à baliser parce que quelqu’un a oublié son sac à dos dans lreur. En plus le B, la seule ligne qui passe par les deux aéroports parisiens. C’est lgenre de trucs qui doit arriver tous les jours. »

Il va prévenir quelqu’un, qui lui dit attendez, restez là, et tout à coup, il pense à sa tête de rebeu bien barbu, il pense à sa tenue du jour, pas top, il pense aux terroristes, il détale comme un fou, et surtout comme un potentiel coupable. Coupable de quoi ? Il s’est déjà convaincu que le sac à dos contient une bombe, et en fuyant, il perd ses papiers. Bref : la situation lui échappe, son mental aussi et va s’en suivre cette fuite, qui consiste à se cacher de tout uniforme, à fuir la police qui forcément le cherche.

Ce délire parano va emmener Hakim, paniqué, jusqu’au fin fond d’une cambrousse de banlieue, pour échouer chez un vieux pote pas vu depuis longtemps. Dans cette fuite engendrée par une peur panique – qu’il expliquera, justifiera, tentera de mater au cours de sa course qu’il suppose « poursuite » – Hakim va nous livrer ses souvenirs d’enfance, la banlieue, les copains, la découverte des bibliothèques qui assouviront sa passion des bandes dessinées. Et son affection pour Cabu

« Je msuis bouffé tout Cabu en bibliothèque. TOUTES ses bédés. J’avais treize ans, ma liste, jbarrais ceux qu’ j’avais lus, jrajoutais les titres que jchopais sur les listes des « déjà parus », qui étaient jamais les mêmes selon la maison d’édition, et jrepartais au charbon. J’étais fou dce mec. Fou. Avec sa coupe au bol à la con, ses grosses lunettes, ses airs de gros neurde, c’était plus qu’un dessinateur préféré, c’était un pote, un dmes meilleurs potes. »

Lui-même est devenu un auteur de BD de science -fiction, quelques extraits de son travail émaillent le livre.

« C’qui m’a jeté dl’autre côté du périph, c’est les ruskofs et les ricains et les saoudiens et chaipaquoi encore qui ont acheté cinq fois lprix du marché des logements qu’ils occupent trois jours par an. C’qui m’a banni dma ville à moi, c’est dpasser du CDI au CDD, et du CDD à indé mais pas par choix, c’est jamais par choix qu’on dvient précaire, payé au lance-pierre au bon vouloir d’un « client » qui vous tient par les couilles pire qu’un patron[…]. Les journalistes qui remplissent les feuilles de chou à grand tirage et les sommaires des jités les plus vus se sont tous joui dessus en découvrant le fil à couper lbeurre : l’ubérisation de la société ! L’ère de l’ubérisation ! C’est l’ubérisation !

Alors qu’ça fait plus dquarante berges que ça dure, et qu’ça s’est toujours appelé dla précarisation. »

Le sel de ce roman, c’est la tchatche de Hakim qui parle non-stop, sa caboche carbure, envisageant toutes les hypothèses, déroulant tout un argumentaire, mêlant souvenirs, coups de colère, coups de cafard,…

Il atterrira dans une cambrousse par des chemins pleins de ronces, à la maison de Kheuss. Et ce dernier tiers du livre est un morceau d’anthologie, autant par les dialogues ( entre autre un beau règlement de compte pour parler des 15 ans d’absence de Hakim dans la vie de Kheuss qui n’est pas à court d’arguments)  que par les situations et les comportements des deux vieux potes, par tout en fait…j’ai ri mais alors comme je ne l’avais pas fait depuis bien longtemps. Kheuss parle de sa vieille mère aux Ulis:

« -Ta mère? Elle va bien?

-Ouais ouais ça va. Ça va.

Il colle les feuilles du bout de la langue.

-Plus toute jeune.

Allume le bédo, inhale profondément, expire paisiblement.

-Les jambes c’est plus trop ça, les genoux i sont foutus, mais la tête ça va. Ça va bien même. Tu tdis…

Bouffée en apnée.

->Tu tdis vaut mieux ça, tpréfères tjours voir tes vieux garder leur tête sans trop pouvoir bouger qu’le contraire…<

Panache de fumée

-FFFFFFfff mais en même temps tu tdis la personne elle, à tous les coups elle préférrait l’inverse. En tous cas moi jpréférrais ça moi. Être complètment gogol, plus un souci, plus une embrouille, tchois, pouvoir gambader partout où ça tchante sans tdemander dpourquoi ni comment. Ou crever d’un coup, pendant qu’tu dors, ou qu’tu baises, même une bonne balle dans la tête, vite fait bien fait. Tout sauf passer tes vingt dernières piges à bien trendre compte t’as plus qu’la force dtraverser ta cuisine les jours où t’as la forme, tchois. »

La fin, même si je m’y attendais, montre l’intelligence de l’auteur qui équilibre les points de vue avec cette brave femme âgée qui va récupérer un Hakim saccagé par les ronces. Cette rencontre finale qui va sortir Hakim du guêpier dans lequel il se trouve ( ou croit être ) n’enlève rien à la pertinence des constats qui émaillent le récit mais en démontre la relativité. Aucun temps mort, on court, on a peu le loisir de reprendre son souffle, on est Hakim qui fuit en construisant son récit paranoïaque à chaque pas, c’est très très bien fichu ! 

Sincèrement j’ai passé un excellent moment de lecture. Si au début j’ai buté un peu sur l’écriture qui retranscrit fidèlement le parler de la banlieue, ça donne un beau relief au roman, de la force aussi et j’en ai compris la pertinence; d’autant que lorsque le récit est externe, la langue rentre dans les « normes ». L’exercice d’écriture n’a pas du être simple!

J’ai beaucoup aimé ce personnage, chouette rencontre que celle d’Hakim .