« Les routes » – Damien Ribeiro-éditions du Rouergue/La brune

41i-4IvFqkL._SX195_« Sur les chantiers quand approche l’heure du repas, les hommes font taire les pelles dans de profondes bassines d’eau. Là, ils lavent leurs mains, rincent une tomate, une pomme, à grands éclats, puis l’un siphonne un peu d’essence dans la bétonnière, l’autre rassemble des sacs de ciment vides, des bouts de polystyrène, du bois de palette. La surface des bassines redevient lisse et se nimbe d’une pellicule calcaire tandis qu’on allume un feu. L’épaisse fumée fait croire à une tombée de nuit. »

Après ces phrases qui entament le roman, on assiste au repas de ces ouvriers du bâtiment, puis un court paragraphe parle des incendies qui chaque été embrasent le Portugal, parle des pompiers, de ce qu’ils sentent, ressentent et font. Et on accède ensuite à l’histoire qui se déroule de 1955 à 1995, trois générations d’hommes nés au Portugal, ceux qui y sont restés, ceux qui en sont partis, certains revenus, pas d’autres. Ce roman parle de l’exil de la génération de Salazar, ceux qui fuyaient. Puis ceux qui partaient plus tard, pour une vie « meilleure ». Hélène, l’épouse française de Fernando:

carnations-ge14b82236_640 » La révolution des Oeillets était vieille d’un an quand elle avait rencontré Fernando mais elle le considérait tout de même comme un réfugié politique. Pour principal acte de résistance, il déplaisait à ses parents; cela comblait ses aspirations de grand air, de révolte et d’horizon. Pour lui plaire déjà, elle avait appris les paroles de la chanson Grãndola, Villa Morena qui figuraient à l’intérieur de la pochette du disque de José Afonso. C’est la chanson de votre révolution, tu devrais la connaître. Vous avez mis fin à la dictature sans aucun coup de feu, tu te rends compte? Les Français ont coupé des milliers de têtes et vous, pas un mort, avec des militaires à la manœuvre en plus! » Un œillet rouge avait fleuri au Portugal et chacun projetait ses rêves sur le petit État. »

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Ainsi de 1955 à 1995, on suit des hommes, de la même famille, mais qui s’éloignent inexorablement les uns des autres. Par leurs choix, par leurs perspectives de vie, ceux qui restent, ceux qui partent et parfois reviennent, un peu, mais pas pour toujours.  Le dernier homme c’est Arthur, dont le prénom, choisi par sa mère française rompt définitivement les amarres avec la famille portugaise, sauf qu’Arthur ressemble, sous ses airs un peu inconsistants, à un nouveau prototype. Fernando, son père l’entrepreneur, celui qui « réussit » en bâtissant des maisons « contemporaines et design « , Fernando est l’axe de ce roman. Fernando et son fils qui ne réussit pas au football:

« Arthur n’avait rien du fils Guimarães. Et si sa pratique du français lui avait donné une impression idiote de sophistication? S’il avait voulu qu’Arthur fût le fils de Guimarães ou n’importe lequel des autres gamins de ses compatriotes doué avec un ballon, Fernando aurait peut-être dû lui apprendre la rudesse du portugais. Il y avait renoncé par orgueil, presque par superstition, pour faire cesser une espèce de malédiction révélée par Hélène: » C’est bizarre, tu es portugais, mais tu n’as aucun accent, ou alors un léger accent de Marseille. Tous les autres, quand ils parlent, on croirait des Lisboètes expliquant son trajet à un touriste français. Tes copains, ils vivent ici depuis  dix ans, on dirait qu’ils sont encore là-bas. » Même s’il partageait son avis, cette remarque l’avait blessé. »

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Je ne vois pas quoi vous dire de plus. Ce roman n’est pas un livre d’action, on le lit en observateur genre entomologiste, mais ce serait trop froid, il y a un déchirement dans les personnages, y compris chez Fernando. J’ai beaucoup aimé cette histoire, avec un peu d’affection pour ceux qui restent, et puis, et puis, une fin tragique et magnifique, qui se lit comme une allégorie, de la solitude, de l’incompréhension, de la destruction…Ce que dit Damien Ribeiro, clair et bien sûr juste:

En commençant cette lecture, je n’étais pas certaine d’y trouver beaucoup d’intérêt. Qu’est ce qui a fait que finalement je l’ai lu avec plaisir – un plaisir grandissant au fil des pages?. Grâce au ton, ironique et doux amer, tendre parfois et rude aussi, grâce à une écriture pleine de finesse. Bref, très bien écrit, on ne s’attache pas spécialement à un personnage ou à un autre, on les observe, s’éloignant les uns des autres, avec des envies différentes, des choix différents. Je trouve que c’est une réussite.

Finir avec la grande Amãlia Rodrigues, et ce pays qui inspire le respect et l’affection:

Lisbonne, des poètes, des rêves, de l’humour

 

Découverte au Castelo de São Jorge de cette poétesse : Sophia de Mello Breyner

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« Je dis:

« Lisbonne »
Quand je traverse – venant du Sud – le fleuve
Et la ville où j’arrive s’ouvre comme si elle naissait
Long scintillement de bleu et de fleuve
Corps amoncelé de collines –
Je la vois mieux parce que je la dis
Tout se montre mieux parce que je dis
Tout montre mieux son être et sa carence
Parce que je dis
Lisbonne avec son nom d’être et de non-être
Ses méandres d’insomnie de surprise et de ferraille
Son éclat secret de chose de théâtre
Son sourire complice de masque et d’intrigue
Pendant qu’à l’Occident la vaste mer se dilate
Lisbonne oscillante comme une grande barque
Lisbonne cruellement construite le long de sa propre absence
Je dis le nom de la ville
– je dis pour voir. »

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Lisbonne est une ville de poètes, du grand Camões des « Lusiades » à Fernando Pessoa avec son « Livre de l’intranquillité » et tous ceux qu’on ne connaît pas ( assez ), Lisbonne est une ville de grands écrivains depuis fort longtemps ( cet article en parle très bien). On y voit au milieu de la foule de la terrasse du café A Brasileira, Pessoa attablé, un peu plus loin sur la place, c’est Camões et sur les quais du Tage, la Fondation José Saramago, prix Nobel de littérature. Et puis la poésie sur les murs, des textes sans signature, des oiseaux qui montent au ciel ou qui conversent, des papillons que crie la bouche d’une fillette, sans parler de cette gironde chanteuse de fado et des hommages à la révolution .

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Enfin, bien que je ne vous aie pas parlé de Belem, si beau et riche culturellement, ni du grand quartier moderne du Parque das Nações ( Parc des Nations construit pour l’Exposition universelle en 1998) que j’ai beaucoup aimé, vous avez compris je pense que cette ville m’a enthousiasmée, m’a touchée profondément, pas juste pour son immense richesse culturelle de tous âges, et pas seulement dans ses vieilles pierres, mais pour tout ce qui se dégage d’humanité et de gentillesse chez les habitants de ses quartiers, pour ses anachronismes, ses petits commerces étonnants, ses toits rouges et ses murs où tous les pastels côtoient le blanc immaculé et les belles façades carrelées de céramiques, dans le parfum des orangers en fleurs. Je vous mets juste encore quelques photos de petites choses amusantes, étonnantes, poétiques…J’aime Lisbonne.

https://goo.gl/photos/hKiVVtu5WGmfET1f7

De retour de Lisbonne…Allez ! Je commence mon racontage de voyage !

Avec cette première photo de mon album, prise le soir de notre arrivée, de la fenêtre de notre petit mais charmant logement, situé au 11 du Largo dos Trigueiros, vue sur cette adorable place comme il y a en a tant à Lisbonne et en particulier dans ce quartier de Mouraria, en haut d’une longue volée de marches pavées ( les roulettes des valises adoooorent !)
Les deux portes sombres vitrées sont celles d’une petite auberge où on peut manger très bien, très frais et à des prix dérisoires, en buvant un capiteux vin rouge de l’Alentejo, je ne vous dis que ça ! Deux dames d’un âge respectable font la cuisine qui n’est pas fermée, on entend tout ce qui se passe derrière le comptoir, ça crépite, ça chuinte, ça frit, ça dore…Et une jeune fille assure seule le service. On mange côte à côte sur de longues tables, les regards se croisent quand la première gorgée de ce vin rouge plein d’arômes fait son effet réjouissant au palais, et on sourit.

deux vieuxLa porte à côté, c’est l’atelier boutique de Camilla Watson ( ici, son site pour faire sa connaissance ).
Camilla a rendu un hommage aux habitants de ce quartier en les photographiant, et en vous promenant dans les rues alentour, comme la rua das Farinhas, vous pourrez voir les visages de ces hommes et femmes qui sont la vie et la mémoire de ce vieux quartier plein de vie, plein de ruelles colorées, le linge flottant aux fenêtres sur les jaunes, roses, bleus des façades, dans le parfum des orangers en fleurs.
Sur son site vous pourrez donc voir son travail et ici, lire une interview de
Camilla Watson. 

Rien de plus compréhensible que l’attrait qu’exerce Lisbonne sur les artistes. Cette ville est si on sait regarder, pleine de surprises visuelles, à commencer par les innombrables perspectives vertigineuses qu’offrent les 7 collines, avec ces escaliers, ces ruelles qui dégringolent vers le Tage, le grand fleuve qui scintille tout en bas et la majestueuse Praça do Comercio, considérée comme la plus belle ( elle est la plus grande ) d’Europe, voire du monde. Ensuite, comme le dit si bien mon amie Kali, « la grandeur défaite » des lieux est émouvante dans son sursaut de fierté face à la pauvreté et à la rudesse économique des temps, alors chacun y va de son pinceau, de sa bombe et de ses pochoirs, pour faire une belle concurrence aux mosaïques et azulejos anciens, les styles se côtoyant avec bonheur et humour.

https://goo.gl/photos/6EgmWUBBhbMRkoW1A

escalier bleuLisbonne monte et descend, on s’y perd, mais jamais longtemps. Un clocher ici ou là fait le guide, et on n’en finit pas de découvrir ces quartiers, Alfama et les bars à fado où hélas, on ne peut plus trouver grand chose de spontané ( mais écoutez : les gens chantent dans les rues, et ils chantent beau et bien ), Mouraria et ses placettes, ses « cantines » savoureuses et populaires, le Bairro Alto, qui est le lieu de vie nocturne de Lisbonne mais qui le jour dort paisiblement derrière les façades pastel, derrière les balcons en fer forgé et le linge – celui qui ferait grand plaisir au brave maire de Béziers – ce linge toujours qui sèche joyeusement aux fenêtres.

a brasilEn montant au Bairro Alto depuis la gare de Rossio, il faut admirer le vieux – 1905 – et très grand café « A Brasileira », où venait débattre avec ses amis le grand poète lisboète Fernando Pessoa (sa statue dehors le présentant attablé lui rend hommage ). Un peu plus haut, sur la place, trône un autre très grand poète portugais, Luis de Camoes. 

https://goo.gl/photos/JE6UPaDv89euf1dMA

Et la suite un peu plus tard…

En vacances

IMG_2090Absente une petite semaine, histoire de chercher le soleil du printemps un peu plus au Sud, histoire de se détendre un peu après deux ou trois choses pénibles à vivre. Merci à mes deux enfants du cadeau, on vous aime…

Une semaine pour cette ville :

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