« Homesman », le film, de Tommy Lee Jones

dry-valley-114305_640J’avais dit que je ne publierais rien de plus cette semaine, mais je ne pouvais pas me taire sur ce beau  film vu hier au soir. Mary, ma libraire blogueuse en a parlé aussi et très bien ( ICI ), et je ne vais pas surenchérir sur ce qu’elle a dit de la  beauté de ces grandes plaines de l’Ouest dans toutes les lumières du jour, image parfaite, bande-son comme un fil, petite mélodie entêtante et non envahissante qui sait se taire aussi. Je voudrais seulement dire comme Hilary Swank m’a bouleversée. Et en particulier quand elle fait sa demande en mariage à Briggs, devant le feu, la déception succédant à l’espoir dans ses yeux de façon complètement juste, rien de plus que son visage qui dit tout de ce qui s’agite et se broie en elle…Son jeu est absolument magnifique parce que rien n’est « trop ». Pas de geste inutile, pas plus que de mots vains, et pourtant, tout passe.D’ailleurs dans tout le film, l’emphase est absente, la sobriété des gestuelles et des expressions donne une force inouïe à l’ensemble. Sans doute la direction d’acteurs de Tommy Lee Jones y est pour quelque chose. Il a parfaitement compris  le livre, je pense, et a su en extraire l’essence-même. Je vous propose cette interview qui débat sur le genre, western ou non, du film. 

Lui-même est exceptionnel dans ce rôle qui lui va comme un gant. Le voir danser la gigue devant ces pauvres femmes est un vrai bonheur. Sa trogne vieillie et ridée, son regard perdu entre sourcils et paupières et sa voix( attention : voir le film en VO me semble plus que jamais indispensable ) en font le sujet parfait pour un candidat à la rédemption  par les femmes  et ceci est fortement souligné dans le film . Tout comme est finement menée la réflexion sur la folie, ses origines, ses différentes formes ( dans cet équipage, y en a-t-il un qui ne soit pas ne serait-ce qu’un petit peu dans la spirale vers la folie ?)

Un mot de Meryl Streep, débordante de bonté sincère et d’humanité, impeccable dans ce rôle de femme de pasteur, et là aussi dans un jeu où tout se passe dans le visage et ses expressions. Un trio d’acteurs époustouflants, mais tous sont parfaits ( je ne peux pas tout dire, le jeu des jeunes femmes folles, par exemple)

Alors, comme avec le livre, j’ai souri, j’ai pleuré, j’ai frémi, et j’ai quitté à regret cette histoire, celle de ces pauvres femmes rendues folles par la dureté de leur vie, le déracinement, la mort des enfants, la cruauté des maris pour les unes, et la solitude, le sentiment de rejet et le besoin d’amour pour l’autre,  Mary Bee, personnage inoubliable.

Pour moi, il est mieux de lire le livre avant de voir le film , mais de toutes façons belle réalisation d’un très beau roman.

 

« Homesman » de Glendon Swarthout, Gallmeister, traduit par Laura Derajinski

Mise en page 1Très beau livre, j’ai du mal à le ranger sur la bibliothèque, pas envie de quitter cette histoire et ces personnages. Difficile aussi d’en parler alors que l’adaptation de Tommy Lee Jones est à Cannes et  sort cette semaine sur les écrans et que partout on vous a raconté cette histoire. Pour faire court, c’est le voyage  de Mary Bee Cuddy, femme libre et indépendante, accompagnée par Briggs, voleur, menteur, déserteur, qu’elle a sauvé de la pendaison en échange de ses services durant ce périple ( et de 300 dollars négociés par le brigand ) : emmener dans l’Iowa quatre pauvres femmes devenues folles, pour qu’elles soient ramenées vers leurs familles par le train. Parce que le lieu qui a volé leur esprit, la Frontière, cette ligne à repousser pour atteindre le Pacifique, la Frontière n’a rien, pas plus de rails que de clémence pour celles qui tentent d’y vivre . Alors, si on entend parler d’un western, ça n’en est pas un au sens traditionnel. Il ne suffit pas qu’un roman se passe aux USA au XIXème siècle, avec des chariots et des chevaux pour que ce soit un western ( comme il ne suffit pas qu’il y ait un meurtre pour que ce soit un polar!). La Frontière et le Territoire : deux termes flous, parfaits donc pour ces terres encore à conquérir, opposés à l’Iowa, l’Est, Hebron, nommés parce que déjà « civilisés », le lieu où les femmes arriveront.

Ce livre est un roman sur des destins, des destins de femmes, oui, mais pas seulement. C’est un livre sur la survie, en quelque sorte, sur les stratégies mises en place par les êtres humains en milieu hostile. Et la folie comme échappatoire à l’infinie souffrance ( bien que nous n’en soyons pas sûrs, qu’elles échappent à la souffrance…).  Mary Bee Cuddy, elle, choisit l’indépendance, chose rare dans ce milieu et dans ce Territoire. J’ai  adoré cette femme, sa capacité à vivre  seule, son humanité, ses colères face à la lâcheté, et son courage à elle, même quand elle ressent ces grands froids de la peur. Cuddy est une belle figure féminine, intelligente et sensible, et franchement, dans le film, Hilary Swank a absolument le physique du rôle, « quelconque comme un seau en étain », dit Briggs qui est bien méchant, parce qu’elle est belle et impressionnante. Et qu’elle va trouver sa solution pour échapper à la folie, quoi que tout dépend de ce qu’on met dans ce mot, flou comme le Territoire et la Frontière…

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La construction du roman alterne l’action elle-même et l’histoire de ces quatre pauvres femmes qui ont perdu la raison. Pas de sentimentalisme larmoyant, les faits, des mots bien choisis et un résultat bouleversant parce qu’on imagine la dureté de ces vies, pour des femmes qui sont encore parfois des enfants      (Arabella, 16 ans, trois bébés morts et une poupée de chiffon dans les bras…  ) .

(photo empruntée sur ce site et article intéressant sur la Frontière  )

 

La rencontre  de Mary Bee avec Briggs, voleur, menteur et déserteur, assis sur son cheval et accroché à un arbre…par le cou, est un moment plutôt comique ( et le livre ne manque pas d’humour dans les dialogues entre ces deux caractères  ) où Cuddy, en position de force, arrive à obtenir ce qu’elle veut en échange du décrochage . Je trouve que c’est aussi une histoire d’amour. L’affreux Briggs va avoir bien du mal à ne pas être impressionné par la femme qu’il accompagne, du mal à ne pas sentir un petit quelque chose qui ressemble à de la compassion pour les quatre malheureuses dans le chariot, et Cuddy reconnaîtra de son côté à quel point elle a besoin de lui dans ce voyage, et pas seulement pour réparer les roues, car : à qui parler durant ces longues semaines? A qui dire qu’on rêve d’un bain chaud? Qui lui évite de perdre aussi la raison en entendant hurler ces quatre folles en chœur ?

conquete-de-louest« C’était une complainte d’un tel désespoir qu’elle déchirait le cœur et enfonçait ses crocs au plus profond de l’âme. Mary Bee porta les mains à ses oreilles. Des larmes lui dévalaient le long de ses joues, les larmes qu’elle avait retenues et accumulées la veille et au cours de la journée. C’était comme si les créatures tragiques à l’intérieur du chariot comprenaient enfin ce qui leur arrivait : qu’on les arrachait à tous ceux qu’elles aimaient, à leurs hommes, à leurs enfants, vivants ou morts; à tout ce qu’elles aimaient, à leurs graines de fleurs, à leurs bonnets et à leurs alliances – pour ne plus jamais revenir. Le chariot grondait. Mary Bee sanglotait. Briggs poussait les mules; les femmes continuaient à gémir. À gémir. »

Des surprises, des rebondissements inattendus ( dont un très triste, vrai, j’ai pleuré…je sais, ça m’arrive souvent ! ), un très très beau moment à écouter cette histoire, une autre facette de la conquête de l’Ouest. A noter que ce roman est édité chez Gallmeister dans une nouvelle traduction,  magnifique comme toujours dans cette maison chère à mon cœur ( après une première édition en 1992 aux Presses de la Cité sous le titre « Le chariot des damnées » ).

Un livre fort, beau, poignant mais drôle aussi …

 

Paru en 1988 aux États-Unis, Homesman a obtenu les deux récompenses littéraires les plus prestigieuses décernées pour le genre du western.

Maintenant, je vais aller voir le film. Tommy Lee Jones, qui s’applique à développer un caractère de vieil ours mal léché, me semble tout à fait apte à adapter ce superbe roman et à interpréter l’affreux Briggs…A voir, donc, mais déjà, pour vous, à lire !