« Le tueur au caillou » – Alessandro Robecchi, – L’aube Noire, traduit par Paolo Bellomo avec le concours d’Agathe Lauriot dit Prévost

« NOVEMBRE 2016

Peut-être qu’il aurait dû pleuvoir.

Le tueur au caillou par RobecchiFrancesco s’est dit en s’habillant, qu’un jour comme celui-là méritait une lumière plus appropriée, quelque chose qu’un bon réalisateur aurait longuement étudié puis élaboré avec soin dans l’attente de la bonne journée: le ciel gris, les gouttes fines, l’humidité flottante qu’il y a à Milan quand tu ne sais pas si l’eau vient d’au-dessus de ta tête ou d’en dessous de tes pieds. À la place, il y a un soleil pâle, de ceux qui ne réchauffent pas,, un soleil qui fait le minimum syndical, la sensation de ces ampoules écologiques qui peinent à donner de la puissance quand tu appuies sur l’interrupteur, et font la lumière des morts. »

Second roman de cet italien dont je retrouve avec grand plaisir la verve rageuse, dans une histoire finalement extrêmement triste comme le sont les conditions de vie des milanais des classes populaires, des immigrés, des secondes zones, quoi. 

Trois cadavres vont être retrouvés en quelques jours, un caillou posé sur chacun d’eux. Trois hommes riches et importants dans leur domaine. C’est ainsi que l’équipe de Carlo Monterossi va se réunir, pour le plus grand plaisir de ces hommes dans le salon d’un d’entre eux, où l’épouse va leur créer un QG aux petits oignons, avec de quoi boire et manger, tout ça pour réfléchir mieux et regrouper leurs investigations. Regard de Carella sur son collègue Ghezzi:

« On se voit dans une demi-heure en haut chez Gregori », mais d’un coup d’œil il dit à Ghezzi de rester, et donc maintenant il n’y a qu’eux deux.

C’est bien, pense Ghezzi. Il aime travailler seul, et Carella le sait. Carella aussi, il a ses méthodes, et Ghezzi le sait. Donc, le problème à présent c’est d’avoir deux mouflons dans la même bergerie, et tous les deux savent que ça ne doit pas finir en coups de cornes.

« Vas-y, dis- moi », dit Carella.

Ghezzi lui a filé un sacré coup de main dernièrement et on peut dire qu’ensemble, ils ont chopé un vrai méchant, voire deux. Mais ce n’est pas le genre de service qu’on doit retourner, donc pas de cadeaux: si Ghezzi travaille dans l’équipe, il faut qu’il sache clairement qui commande. Mais il sait que Ghezzi est indiscipliné et irrégulier, comme certains footballeurs de génie, et surtout il sait qu’il n’aime pas que des connards se baladent pour tirer sur les gens. Les artistes du ballon, il faut les laisser libres pour qu’ils donnent le meilleur. »

C’est un livre brillant pour son ton acerbe, souvent drôle, un livre politique qui explore cette ville de Milan, connue désormais, autant que pour la Scala, pour ses relents fascistes puissants. C’est triste mais vrai. Et Alessandro Robecchi, chez qui on sent constamment la sympathie pour les gens modestes, même s’ils sont un peu tricheurs, un peu menteurs, un peu voleurs, même, il les défend en en parlant d’abord, et en en faisant des héros malgré tout. Ces héros du quotidiens, comme Francesco qui aide la vieille dame invalide, en lui faisant ses courses, Mme Antonia.

« Il est descendu dans la cour, a traversé les plates-bandes fatiguées, il a longé les murs écaillés et s’est glissé par la petite porte du bâtiment C, il a monté les quatre étages d’escaliers et il est entré chez madame Antonia, la porte était ouverte.

Elle était réveillée, allongée sur son lit. Francesco a pris dans un tiroir une petite boîte en plastique avec des compartiments, il a compté les pilules, les a posées sur la table.

« Ces deux-là, juste après le déjeuner et après le dîner, comme d’habitude, te plante pas, l’autre avant de te coucher », a-t-il dit. Puis, aussi: « Tu as déjà pris ton lait? »

Madame Antonia a fait oui de la tête.

-Quand est-ce que tu dois faire ta prise de sang?

-Jeudi? À dix heures et demie.

-Bien, je viens avec quelqu’un pour t’amener en bas et je t’accompagne » a dit Francesco.

Elle a tenté un sourire.

Ces derniers mois, les escaliers sont devenus un cauchemar. Elle, pratiquement incapable de bouger, pas d’ascenseur, cage d’escalier étroite, HLM.

HLM, pense Francesco, Habitation pour Locataire Miséreux. »

Attention, aucun misérabilisme geignard, aucunement, mais la réalité du monde dur des pauvres. C’est, même si en lisant il y a bien une enquête prenante et tortueuse, avec cette équipe d’enquêteurs atypique, c’est donc le cœur du sujet. La pauvreté et le monde de l’argent. Les pauvres qui ont toutes les peines du monde, et les riches qui en ont tous les bénéfices. Oui mais voilà, trois sont tués avec ce curieux petit caillou posé sur leur corps…

Vous entrerez dans de beaux salons de beaux et vénérables immeubles classieux de Milan, et vous traînerez les pieds dans une cour de HLM, et vous essayerez de choisir où vous vous sentez mieux… J’ai adoré ce bouquin.

Je change un peu ma façon de parler des livres, avec un post plus court, pour un vrai coup de cœur pour cet auteur qui flingue sans en avoir vraiment l’air, qui flingue la laideur du monde milanais et de son argent, je vous donne encore un ou deux extraits caractéristiques et je vous conseille vivement ce livre qui recèle de vraies pépites de dialogues, un regard acéré, moqueur et tendre pour quelques uns, et carrément assassin pour d’autres. 

Pour Il Venerdi della Repubblica, « le meilleur polar italien qui circule en ce moment »

Enfin, savez-vous que notre Monterossi est fan absolu de Bob Dylan?

Musique de fin:

« Carlo monte dans la voiture, démarre, le char d’assaut fait un bruissement gentil dans les flaques d’eau et s’en va, doux comme un chat qui ronronne.

La radio de la voiture s’allume toute seule, c’est le téléphone qui lui a dit, ces deux-là sont vraiment copains. »