« C’est une belle bibliothèque, parfaite de tempo, luxuriante et américaine. À l’horloge, il est minuit et la bibliothèque, profonde, est emportée, comme un enfant qui rêve, jusque dans l’obscurité de ses pages. Bien que la bibliothèque soit « fermée », je n’ai pas besoin de rentrer chez moi parce que chez moi, c’est ici et cela depuis des années. »
J’ai été tellement emballée et amusée par « Un privé à Babylone » que j’ai eu envie, et sans attendre, de lire d’autres choses de Richard Brautigan. Après le livre si triste de Sorj Chalandon, ce fut une bonne idée pour retrouver le sourire, et même rire aux éclats plus d’une fois. Certes, le titre ne porte pas vraiment à rire, vu comme ça…Et pourtant…
J’ai retrouvé ici toute la loufoquerie de Brautigan, sa façon de casser les codes du langage, de désamorcer les drames en les noyant dans des flots de poésie baroque, mais toujours tendre. Le romancier nous conte ici une histoire d’amour magnifique mais jamais ennuyeuse, et nous présente une fois de plus un personnage peu en phase avec son temps, décalé et rêveur. Ici, il s’agit d’un jeune homme qui gère une bibliothèque où chacun peut amener, faire enregistrer et ranger le ou les livres qu’il a écrit. Dont un certain Richard Brautigan:
« »Dans ma maison un grand cerf » de Richard Brautigan. L’auteur était grand et blond, avec une longue moustache jaune qui lui donnait un air anachronique. On aurait dit quelqu’un qui se serait trouvé plus à l’aise dans une autre époque. »
Et il y met du cœur, du respect, de la bienveillance. Arrive un jour la plus belle femme du monde, Vida, qui a écrit un livre sur son corps dont elle dit qu’il n’est pas le sien, trop grand et trop beau pour elle.
« Au début, quand j’ai connu Vida, elle s’était, en naissant, trompée de corps et elle osait à peine regarder les gens. Elle aurait voulu ramper sous terre et se cacher très loin de cette chose où elle était enfermée. »
Après, eh bien l’amour et les emmerdements qui vont avec, mais dont nos deux amoureux vont se sortir à priori sans trop de dommages. Quelle mince sujet, me direz-vous ! D’accord, mais non, parce que tout au long de cette courte histoire, Brautigan fait de la dentelle, s’attardant avec un regard tout neuf sur les minuscules surprises de la vie, belles ou non, en poète il décrit le monde, et on rit, on est enchanté ( c’est le mot précisément qu’il faut, c’est un enchantement, au sens magique du terme). Quant à l’avortement, il donne lieu à un voyage à Tijuana, faisant sortir de son antre notre jeune bibliothécaire, et lui ouvrant alors – bien qu’à son corps défendant – un nouvel horizon. Et c’est ainsi que ce petit livre, sous ses airs anodins, nous fait envisager le monde sous un autre angle, mine de rien. Le tout émaillé pour mon plus grand bonheur de petites phrases comme:
« Les toilettes étaient si élégantes que j’avais l’impression que j’aurais du me mettre en smoking pour pisser un coup. »
« C’est étrange comme les choses simples de la vie continuent simplement tandis que nous, nous compliquons. »
« Des senteurs et des arômes montaient comme un jardin dans l’air au-dessus de cette chose incroyable d’étrangeté et qui était son corps, immobile et dramatique de se trouver couché là. »
Alors il parait que ce n’est pas le meilleur livre de Brautigan ( parait même que ce serait un livre raté !?! ), mais en tous cas, c’est déjà bien meilleur que plein d’autres choses et puis je m’en fiche, j’aime. J’en ai commandé d’autres à mon libraire préféré d’ailleurs, parce que c’est addictif cette poésie et cet humour. Je pourrais trouver une phrase par page avec un trait d’esprit, une image belle ou un mot comique, mais je préfère vous les laisser lire vous-même.
« Je ne suis pas encore prête à avoir un enfant, a dit Vida. Et toi non plus, tant que tu travailleras dans un endroit dingue comme ici. Peut-être une autre fois. Peut-être certainement une autre fois. Mais pas maintenant. Ce n’est pas le bon moment. Si l’on ne peut pas se consacrer totalement à un enfant, il vaut mieux attendre. Il y a trop d’enfants au monde et pas assez d’amour. Un avortement, c’est la seule solution dans notre cas. »
Alors avant de terminer, le titre du dernier chapitre en lien avec le titre du livre, et qui démontre qu’en fait tout ça n’est pas anodin et fiche un coup de latte à la morale
« La vie est morte vive la vie. »
Et un site génial à visiter, par ici