« La place du mort » – Pascal Garnier, éditions Zulma

La-Place-du-mortJe vous avais prévenus, je n’en ai pas fini avec Pascal Garnier. Est-ce dû au format court, mais on a tout de suite envie d’y revenir, et voici cette lecture de 150 pages terminée.

Mon avis ne change pas sur cet auteur atypique. Dans ce roman, Garnier nous dépeint encore une fois des gens de ceux qu’on dit ordinaires. Fabien apprend la mort de son épouse Sylvie dans un accident de voiture, à Dijon. Et par la même occasion, il découvre qu’elle a trépassé en compagnie de son amant.

« Sa première réaction fut d’allumer une cigarette et d’aller fumer à poil à la fenêtre. Il n’avait aucune idée de ce que pouvait bien faire Sylvie dans une voiture à Dijon, mais ce dont il était sûr, aussi sûr que du vent qui ébouriffait les poils de son sexe, c’est que Sylvie était morte. D’une pichenette il envoya son mégot rebondir cinq étages plus bas sur le toit d’une Twingo noire.
-Merde alors… je suis veuf, je suis un autre. Comment je vais m’habiller ? »

animal-21878_1280Dans un désir de vengeance, Fabien va se lancer à la conquête de la femme de l’amant de la défunte Sylvie – vous suivez ? – et…Et le talent de Pascal Garnier est grand, car sur la base de cette histoire au final assez banale d’un homme trahi, il va bâtir un scénario bien noir, avec des manipulations perverses et un vrai suspense, des scènes qu’on peut bien imaginer mises en scène par Sir Alfred, mais dans le cadre bucolique d’une vieille maison bourguignonne.

« Tout le monde sait qu’un excès de bonheur porte autant la poisse qu’un grand malheur. »

Tout ça sans jamais se départir de son humour désespéré, de la précision de bistouri de sa plume, et de son grand don à mettre ainsi à vif ces vies moyennes qui à un tournant inattendu partent en vrille. Jusqu’à la fin, où chacun demeure, malgré tout et fatalement à sa place.

« Fabien eut envie de se lever, de s’accuser d’un meurtre, n’importe lequel, non pas pour soulager Martine mais parce qu’il ne supportait pas le rôle pitoyable qu’on lui attribuait.

Bien entendu il n’en fit rien puisque ce rôle était le sien. »

Une lecture prenante, un vrai suspense, et c’est ainsi que Pascal Garnier est grand.

« Flux » – Pascal Garnier – Zulma – Quatre-bis / Romans noirs

FLUX« – C’est vraiment magnifique ce parc, surtout en cette saison ! Tu vas être comme un coq en pâte, ici.

Il ne répondait pas, se contentait de faire peser sur sa sœur un regard de batracien que les verres en cul-de-bouteille des lunettes rendaient encore plus impénétrable. »

Je suis encore bien loin d’avoir lu tous les livres du regretté Pascal Garnier. Celui-ci a eu le Grand Prix de l’humour noir en 2006, et pourtant, c’est peut-être celui qui m’a semblé le plus triste. Si j’ai souri parfois, c’était un sourire de compassion. On croise ici bien sûr des personnages cocasses, comme cette vieille et son chien à roulettes, mais je trouve que c’est la seule vraiment « comique », parce qu’ici il est comme souvent/toujours chez Garnier question de vies cassées, de destins en panne. Des cyniques et des naïfs, des calculateurs et des angéliques, des durs et des tendres. Comme tout ce que j’ai lu de Pascal Garnier, j’ai aimé ce livre qui ne se raconte pas ( et d’ailleurs, je me pose de plus en plus la question : un livre se raconte-t-il, se résume-t-il ? Est-ce bien  nécessaire…).

SAM_4826 Un livre se lit, et je ne peux que vous dire mon sentiment; une fois encore  l’écriture et la poésie de Garnier me touchent profondément. C’est noir, oui, mais en même temps profondément mélancolique. Il aborde les hommes et leur monde sous un angle si personnel qu’il parait étrange et un peu surnaturel. J’ai découvert cet auteur à part dans le paysage littéraire français avec « Lune captive dans un œil mort », coup de foudre immédiat. J’ai chroniqué ici trois titres et il y en aura d’autres. « Flux » est une histoire d’amour et de désamour, un conte noir sur la folie et la normalité, illustré par l’auteur, et cette patte-là, ça nous donne un texte fort et attachant. La brièveté est caractéristique de cet écrivain qui démontre son talent admirablement en moins de 200 pages, sans qu’il ne manque jamais rien au récit. Coup de cœur pour « Flux » et pour Pascal Garnier à chaque fois.

« À combien de vies avait-on droit, ou plutôt, combien de vies fallait-il subir avant de se dissoudre définitivement ?

C’est sur cette question sans réponse qu’il s’envola vers un nouvel ailleurs. »

« Comment va la douleur ? » – Pascal Garnier, Zulma

Ben oui, parfois je deviens monomaniaque, Pascal Garnier, encore !

Et je ne m’en lasse pas .

comment va la douleur

 « Comment va la douleur? », comme me l’a dit Chantal, est le plus « gentil » parmi nos lectures communes de Garnier.Quand je dis « gentil » vous constatez les guillemets, faut pas pousser non plus !

Rencontre entre Bernard, 22 ans, « crétin solaire » et Simon, mercenaire et « éradicateur de nuisibles » sur la fin de tout : sa carrière, et sa vie. Rencontre à Vals-les- Bains, station thermale ardéchoise. Pascal Garnier commence son livre par le dénouement et puis nous régale ensuite des explications.

 

« […] – Moi, j’aimerais bien y être déjà à la retraite.
– Qu’est-ce que vous feriez ?
– Rien.
– Vous n’avez pas de passions, d’envies de voyages ?
– Non, je voudrais juste avoir assez d’argent pour rien faire.
– Vous finiriez par vous ennuyer.
– Je crois pas. Quand on n’a pas de boulot ni d’argent, on s’ennuie parce qu’on pense tout le temps à comment en avoir, mais quand on a de quoi, rien faire c’est tranquille.
– Vous ne lisez pas, vous n’allez pas au cinéma ?
– J’ai du mal avec les livres. Arrivé au bas d’une page, je me rappelle plus le début alors forcément j’avance pas vite. Au cinéma je m’endors à cause du noir. Et vous, qu’est-ce que vous ferez à la retraite ?
– Je ne sais pas. J’aime la mer, les bateaux. »

valsComme toujours, les portraits cruels et tendres des êtres en errance qui jalonnent l’histoire sont autant d’occasions de rire, mais toujours d’un rire un peu désespéré. La présence de Jean Ferrat aux détours de la place du marché ou des ruelles du village, clin d’œil affectueux , l’incroyable Anaïs, Fiona et Violette, Rose…quatre figures féminines qui inspirent plutôt la compassion…La douleur, la mort, la maladie, toujours ancrés dans l’oeuvre de Garnier, à travers des hommes et femmes égarés dans un monde où ils semblent inadaptés…ou c’est le monde qui ne serait pas adapté? Alors, on fait du bricolage pour que tout ça tienne debout, à peu près…Des moments de tendresse surgissent, incongrus et d’autant plus beaux. Enfin, ce mélange si réussi propre à Garnier qui fait qu’on ne s’ennuie jamais.

« Mon passé est triste, mon présent catastrophique, mais par bonheur je n’ai pas d’avenir. Ainsi se consolait-elle. »

Un mélange entre une ironie grinçante et une humanité touchante. Ainsi, il cristallise tout un caractère dans un détail, comme à deux reprises l’ongle de l’orteil de Simon, jauni, racorni, tordu, moche quoi ! Et qui gêne Simon quand il le voit…

La description des frisettes de Rose, « comme si elle s’était coiffée d’une casserole de coquillettes » ( faut y penser quand même ! ) et le bébé Violette:

« Pas facile, non, ce n’était pas facile; mais quand la main droite de Violette attrapa le pouce de son pied gauche, elle se sentit pousser des ailes. Enfin elle l’avait choppé ce con de doigt de pied et elle  allait même se le fourrer dans la bouche. Ça y était, elle était grande. »

J’ai lu ça dans la salle d’attente du dentiste hier et je riais toute seule…Moins noir que ceux dont je vous ai parlé précédemment, mais toujours aussi bien écrit.

« Le bébé est une sorte de tube ouvert aux deux extrémités. Par l’une on le remplit, par l’autre il se vide. Comme on venait de le remplir sur l’aire d’autoroute, il se vida à proximité d’Avignon. »

 

La voix de Pascal Garnier est forte et unique dans le paysage parfois bien plat de la littérature française contemporaine, mais ce n’est que mon avis ! 

« Cartons » de Pascal Garnier – Zulma

Cartons-Pascal-Garnier-197x300J’ai lu hier matin ce roman inédit et posthume de Pascal Garnier.

L’éditeur en dit :

«  »Cartons » est un de ces chefs-d’oeuvre sur le pouce dont Pascal Garnier possédait à merveille la recette :  il y faut du style, un humour d’ébène et ce goût immodéré pour les drames humains. Voila un roman qui se lit d’une traite tout comme une boisson forte avalée cul sec par un temps de chien. » 

Eh bien je l’ai avalé cul sec par un temps de chien : ça requinque, oui !

Personnages en plein naufrage de la perte, du deuil, de l’absence, du déni également…Ambiance comme souvent : désordre, crasse, abandon, boisson, cachets…désespoir, et puis, quelque chose, une rencontre étrange, bizarre, et un faible espoir apparaît…ce serait mal connaître Pascal Garnier. Sombre, humour très noir, le chat est peut-être bien le plus « normal » dans ce livre…avalé cul sec ! 

Une seule envie : lire encore du Pascal Garnier !

 

« La théorie du panda » de Pascal Garnier – Zulma

la-theorie-du-panda-garnierLu hier, cet excellent roman du regretté Pascal Garnier, décédé en 2010.

Quelques courtes phrases :

« C’est un petit homme sépia de la tête aux pieds qui a toujours dû avoir le même âge, c’est-à-dire aucun. Un brouillard d’homme. »

Conversation avec un homme qui n’aime pas les pigeons, sur un banc :

pigeons« L’humanité finira encroûtée de merde de pigeon malade, parce qu’ils sont tous malades, ils vont, ils viennent, ils attrapent tout le pire du monde ! C’est triste. Une sorte de Pompéi, quoi. […] Moi, je suis contre les oiseaux, tous les oiseaux, y a trop de monde là-haut. C’est nos poubelles qui les attirent, nos monstrueuses poubelles. Moi, jeune homme, je ne laisse rien, je finis tout, je ne laisse pas une miette! J’ai même donné mon corps à la médecine. Il ne restera rien de François Dacis, rien! Comme si je n’avais jamais existé, et j’en suis fier !

– C’est tout à votre honneur.

 – Je ne vous le fais pas dire. Tenez, entre nous…Même les anges, je m’en méfie.

– Les anges ?tanges

– Oui, les anges. A force de voleter au milieu de tous ces volatiles interlopes, ils sont contaminés, grippe aviaire et compagnie, je vous le dis ! Avant, les anges avaient une bonne bouille de bambins bien nourris, ils soufflaient dans des trompettes, mais aujourd’hui, jeune homme, on dirait des drogués. Ils planent, ils planent avec un air de se foutre de tout!… »

La première et aussi la dernière phrase du roman :

« C’est un quai de gare désert où s’enchevêtrent des poutrelles métalliques sur fond d’incertitude. »

quai

Si vous aimez les ambiances bien marquées –  un peu glauques ! –  et l’humour noir, allez-y ! J’ai découvert cet écrivain avec « Lune captive dans un œil mort »(ah quel titre ! attendre la fin de la lecture pour comprendre ! ) qui m’avait emballée, tant par l’acidité du propos que par les rires ( un peu honteux parfois…)  qu’il avait provoqué. Un grand moment de découverte.

Pas déçue par cette « Théorie du panda » ! En 170 pages, le talent de Pascal Garnier réalise un travail exceptionnel de mise en scène, décor, dialogues, et nous livre une histoire incroyable mais à laquelle on croit, des scènes oniriques, des personnages surréalistes, et tout ça est plus vrai que vrai…Sans compter un dénouement inattendu qui laisse le lecteur bouche-bée !Une grande réussite, je me suis délectée de l’humour noir de Garnier ( il en avait reçu le Grand Prix en 2006 ), j’ai parfois éclaté de rire au détour d’une page…Personnage et auteur atypique dans le paysage de la littérature française contemporaine, dommage qu’il soit parti si tôt.