« La Brûlée »
Mardi 18 août
Le mardi 18 août d’une année dont on se souviendrait plus tard comme d’une année de deuil et de stupéfaction, trois adolescents de Rivière -Brûlée, un village perdu parmi les collines, avaient quitté la maison familiale sitôt après le déjeuner, aussi excités que s’ils partaient escalader l’Everest, pour aller camper près de la rivière qui avait donné son nom à leur localité, un cours d’eau ayant depuis longtemps oublié les feux qui avaient ravagé ses rives à l’époque où la région ne comptait que quelques âmes. »
Revoici Andrée A. Michaud au mieux de sa forme. Je n’ai pas lâché ce roman et me le suis engrangé en peu de temps. Comment dire à quel point j’aime cette plume?
D’abord pour les raisons suivantes. Cette femme a un sacré tempérament, ça se sent vraiment dans sa façon d’écrire et ça ne se perçoit pas trop quand on la voit. Pour l’avoir « rencontrée » pour la seconde fois aux Quais du Polar, c’est une femme plutôt taiseuse, discrète, peut-être plus à l’aise dans l’écriture que dans la parole. Si c’est pour écrire comme elle le fait, aucun problème. Ce livre est pour moi une grande réussite, tant pour la qualité de l’écriture que pour celle du « scénario » et du fond de cette histoire. Comme dans ces autres livres, elle situe ses personnages dans une zone de campagne, forêts, rivières, une communauté villageoise qui vit au rythme des saisons, ici enfin l’été, court, donc qui donne lieu à des fêtes où tout le monde se rassemble. Une vie de village, quoi. Tout le monde se connaît, et en apparence sous le soleil règne la paix.
Ainsi, trois jeunes gens, Abigail- Aby Baby- Alex et Judith, Jude, ont décidé de camper trois jours au bord de la rivière, celle qui donne le nom du village, Rivière Brûlée. Dans une ambiance joyeuse, ces trois jeunes amis s’en vont, et doivent rentrer pour la fête annuelle du village.
« Lorsque Jude, Abe et Alex avaient pris la route avec sur leur visage ce sourire espérant l’infini, rien ne laissait présager que la folie dont ils s’apprêtaient à croiser le chemin ferait entrer les loups des contes, avec leurs dents acérées et leurs gueules baveuses, dans une région n’ayant entendu leurs hurlements qu’aux premiers jours de la colonisation, quand des hommes aux mains noueuses abattaient des arbres qui, dans leur multitude, semblaient repousser au fur et à mesure, les empêchant de voir les ombres qui rôdaient. »
Non, en ce jour d’insouciance, seuls quelques nuages s’élevaient à l’horizon, qui amèneraient peut-être un peu de pluie aux campeurs le lendemain. »
Dans cet extrait, l’autrice nous avertit, on sait que ces jeunes gens vont au devant de moments pénibles, on ne sait pas encore à quel degré et comment. Mais ce procédé au lieu de tuer le suspense, nous met en tension, nous qui lisons et nous enfonçons dans la forêt avec ces trois adorables jeunes gens. Qui d’ailleurs aiment jouer à se faire peur. En quelques pages, le décor est campé, ainsi qu’une galerie de personnages, parmi lesquels quelques uns, on le comprend, sont un peu marginaux pour diverses raisons. Et puis il y a les amis, des villages voisins, la communauté est accueillante et tant que le calme règne, tout va bien.
Bref, la plume d’Andrée A. Michaud s’en donne à cœur joie avec ces portraits, ces scènes de vie aussi, dans lesquelles elle nous présente les familles, parents et enfants, les personnes qui comptent et celles qui se contentent d’être là à certains moments. Nos trois jeunes gens, avant de partir, ont décidé de se donner des frissons et ont regardé « Déliverance »:
« Ils avaient glissé le DVD dans le lecteur et, tout en plongeant les mains dans un énorme bol de pop-corn, ils avaient regardé les gars entrer dans le bois. Au bout de quelques minutes, le pop-corn passait de travers et ils s’étaient calés dans les coussins du sofa, faut que j’aille pisser, tu iras tantôt, devinant, bien avant la fin du film, que cette histoire se terminerait mal. »
Puis. Comme ce tableau idyllique n’est pas tenable, nous entrons dans la forêt derrière les trois jeunes gens, ils posent leurs tentes, rient, profitent de cette escapade. Ce ne serait pas de Mme Michaud si n’arrivait une menace presque silencieuse. Des yeux les regardent qu’eux ne voient pas mais sentent peser sur eux et soudain la forêt où on se sent libre se referme comme un étau, sous une menace invisible. Quelqu’un est là, c’est sûr, quelqu’un les regarde et la peur arrive. Je brûle de vous raconter, mais évidemment que je ne le ferai pas ! L’écriture est LE grand plus de cette histoire, comme des précédentes. C’est juste, toujours. On est immergé par cette plume précise, poétique et surtout qui sait manipuler et ses personnages, et les lecteurs pour les faire frémir et plus encore. Alors qu’une présence invisible mais palpable, flotte sur le campement:
« Mais on était pas dans « Deliverance ». On était au foutu royaume du bois de chauffage, où ce qui pouvait vous arriver de pire consistait à vous vomir les tripes au cours d’une partie de chasse bien arrosée ou à tomber nez à nez avec une moufette qui s’est levée du mauvais pied. Fini le niaisage, avait décrété Jude, elle était venue ici pour s’amuser et elle n’allait pas laisser un imbécile déguisé en courant d’air lui gâcher son plaisir. »
Il y a dans ce roman tout ce que j’aime et admire chez cette autrice. Un regard distancié, un œil d’entomologiste presque, un entomologiste qui donne un petit coup dans une fourmilière et regarde ce qui s’y passe. Ensuite, il y a l’intérêt qu’elle porte aux adolescents, avec toujours une grande tendresse, une grande justesse, beaucoup de respect et jamais cette forme de mépris qu’on leur voue parfois. Et envers et contre tout, un humour qui permet une pause respiratoire! Les trois jeunes, deux filles et un garçon, pris dans un traquenard, vont fuir, et je m’arrête là. Au village, la fête bat son plein et on découvre les parents, les gens qui comptent et ceux venus de l’extérieur. Gilbert Lavoie se remémore cette foire avec sa fille Jude alors âgée de onze ans:
« Jusqu’à ses onze ou douze ans, Jude devenait d’ailleurs intenable dès que la foire approchait. Eh, papa, tu vas m’amener voir les cochons, hein? Eh, papa, tu vas m’acheter un suçon cinq couleurs pis tu vas me gagner un ourson, hein, promis, ou une girafe, ça fait pareil. Du haut de sa petite taille, elle le suivait en tirant les pans de sa chemise pour être bien certaine qu’elle prendrait un poussin dans ses mains, un lapin dans ses bras, et qu’elle se gaverait de cochonneries. Avec l’âge, elle avait quelque peu déserté la foire. »
Tout cela dans une langue qui bien que québécoise n’en fait pas du « folklore » – l’autrice s’en est expliquée en conférence face à un modérateur qui n’était pas à la hauteur, vraiment pas. Et on comprend peu à peu, nous, extérieurs à l’histoire, ce qui remet en question l’apparente quiétude du village. Tout ce qui va se passer dans cette forêt si belle qui devient tout à coup si dangereuse et menaçante, je vous laisse le découvrir. Chez Shooter, avec Gerry, au village
» Empêtré dans son dernier rêve, Gerry avait râlé que le divan de Shooter était une ruine et qu’il avait une soif du diable. Shooter lui avait indiqué la cuisine, va te servir toi-même. Les yeux chassieux de Gerry et sa barbe d’une semaine, à laquelle adhérait un filet de salive, lui avaient donné envie de vomir. Comment avait-il pu devenir copain avec cette loque? Il voyait désormais Gerry tel qu’il était, un raté, un taré, et regrettait le jour où il était allé s’asseoir avec lui au bar du village, une dizaine d’années plus tôt, un peu fêlé mais drôle, et ç’avait été le début d’une virile camaraderie à laquelle l’alcool avait servi de liant. »
Je n’ai pas lâché ce roman, qui même s’il fait frémir, est aussi plein d’une grande et juste sensibilité. Juste, parce qu’Andrée Michaud ne force jamais le trait. Des vies ordinaires qui tout à coup se trouvent bouleversées. Très beaux personnages féminins aussi, et on s’attache fort aux trois jeunes gens. Bien sûr la police locale, aidée par des collègues américains ( le village, situé en Estrie, côtoie la frontière du Maine ) va se mettre au travail devant l’absence des jeunes gens au point de retour, quand les recherches des villageois échouent et que l’angoisse monte. Chouinard:
« Il aurait tout de même voulu ramener un cadavre avec un peu de chair dessus, pour les parents, pour qu’ils touchent cette chair de leur chair avec des gestes attendris, Alexandre, mon bébé. Un peu de peau sur les os, s’était-il répété, un peu de matière qui rendrait le gamin reconnaissable par-dessus la forme du visage ou des épaules, un peu de sang figé, des cheveux sur le crâne. »
Croyez moi, si on commence, on ne s’arrête pas. En tous cas, moi j’ai adoré ce livre, avec parmi les personnages, autres que les jeunes gens, Laurette et Marie, et puis le chef Chouinard et Bennett et ces mères et pères effondrés et désespérés. Depuis Bondrée, je lis cette plume originale, étonnante, qui dans un décor de ceux qu’on fantasme quand on pense au Canada installe des crimes affreux, des flics provinciaux et des gens « ben ordinaires ». Formidablement construit, écrit, j’en dit peu pour que vous puissiez vous délecter de cette lecture . J’aime et admire Andrée A. Michaud et ce livre entre parmi ceux que j’ai préférés. Tout au long du livre, cette chanson:
Je me suis arrêtée à la fin de la première partie : rien n’a retenu mon intérêt… ça ressemble à un slasher avec des jeunes perdus en forêt et les incessants rappels que attention, il va se passer quelque chose de terrible m’ont fatiguée…
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Ma foi, ce n’a pas été mon cas.
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j’attendais un peu que le récit s’emballe… je crois que j’avais lu trop de billets élogieux sur cette auteure et que j’avais mis la barre trop haut…
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Je trouve que c’est une femme étrange, particulière et j’aime en particulier sa façon de parler des ados. Qu’on prend trop souvent pour des idiots. J’ai entendu Andrée Michaud aux Quais du polar, 2 ou trois fois en conférence. Elle n’est pas très à l’aise avec la parlotte, mais quand elle parle, ça a un sens et un poids. Je pense aussi que, connaissant un peu le lieu où elle vit au Québec, on a tendance, nous, à croire que ce sont des français… »nos cousins »…ça me fait bien rigoler. Parce qu’il n’y a plus grand chose à voir entre eux et nous. Mais pour en revenir à cette écriture si liée aux lieux décrits, aux gens décrits, moi, eh bien tu l’auras compris, j’aime !!! 🙂
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kikou ! j’ai acheté le bouquin et j’ai hâte de le lire ! Je n’ai pas tout lu de cette auteure, mais le peu que j’ai lu m’avait plutôt séduit.
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Avec Bondrée, ce livre-ci est dans mes préférés. Moi non plus, je n’ai pas tout lu, mais j’en ai lusieurs qui m’attendent sur ma liseuse. Et ça me réjouit
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