« Tous les démons sont ici » de Craig Johnson – éditions Gallmeister, traduit par Sophie Aslanides

couv rivireAaaah ! Nom d’un chien ce que c’est bon de lire un bon, vraiment bon bouquin !!!

Comme c’est agréable de dévorer une histoire aussi bien écrite ! 

J’ai donc retrouvé avec délectation mon shérif préféré dans ce Wyoming glacial, j’ai grimpé avec lui jusqu’au sommet des Bighorns Mountains, dans le blizzard et la tempête, sous des températures inhumaines, à la poursuite du plus grand sociopathe de tout le pays, Raynaud Shade. Si on retrouve notre équipe d’Absaroka augmentée de quelques dangereux personnages convoyés d’une prison à une autre et de membres du FBI, ici c’est Walter Longmire qui tient toute la place, accompagné épisodiquement du géant Virgil, l’indien rencontré dans « Enfants de poussière », couvert de la dépouille d’un grizzli, et muni de sa lance sur laquelle cliquettent des bois, osselets, dents de cerf, l’accompagnant d’une petite musique étrange…

Décidément, Craig Johnson n’a pas fini de nous étonner. Comme le dit si bien mon amie Mary, impossible de faire rentrer ce livre ni dans le genre polar, ni dans le western, c’est un roman qui mêle tout ça plus le parcours initiatique, l’aventure humaine, comme un récit d’alpiniste ou de voyageur de l’extrême. Une réflexion magnifique sur la mort – et la vie, donc – , sur le réel et le magique, un retour aux sources dans cet état sous le règne des légendes indiennes, si envoûtantes pour Walt. Walt qui ici se remémore une épreuve similaire vécue plus tôt (« Little bird ») et qui n’a pas cessé de le hanter.

Et puis, il fallait le faire, mêler Dante à cette histoire…Et Shakespeare. Car le titre est une phrase de « La tempête », mise en exergue du livre et qui ne pouvait pas mieux coller : « L’enfer est vide  Et tous les démons sont ici. »

enfer dante

L’enfer de Dante par Gustave Doré – 1861 – détail

L’enfer, c’est celui de Dante, livre glissé dans le sac du shérif par Sancho Saizarbitoria, livre qui va le soutenir et même lui sauver la vie. Et aucun livre n’aurait été plus adapté, car le neuvième cercle de l’Enfer de Dante n’est pas rongé par les flammes, mais un lieu glacé peuplé de damnés. Un peu comme les Bighorn Mountains…

Un livre extraordinaire, hallucinatoire, inquiétant, dont maintes apparitions restent mystérieuses et sans réponse, un très beau livre sur les limites de l’homme dans des conditions extrêmes, sur les défenses que l’organisme met en route pour survivre, et aussi sur ce que le cerveau est capable de produire.  Le Wyoming de Craig Johnson est la  terre des esprits indiens, de fantômes et de visions, la nature y est vivante, puissante, toute puissante, elle pousse qui s’y frotte à aller au bout de lui-même, physiquement et mentalement. Soumis au froid extrême, au blizzard et à la neige, à l’altitude et à la solitude, encore une fois, Walter Longmire va survivre. Merveilleux personnage, comme Virgil, ce géant cultivé qui vit dans une grotte à flanc de montagne…Qui vit ? On n’en est pas sûr, et c’est là que ce sacré Craig est épatant !

L’humour de l’auteur, bien que plus discret, reste présent, et comme d’habitude, le premier chapitre accroche immédiatement avec une scène comme seul Craig Johnson sait en écrire, qui m’a beaucoup fait rire; extrait :

 « Ce livre, L’Enfer de Dante, qui c’est qui l’a écrit ? »

Le Basque et moi échangeâmes un regard, et j’attendis, curieux de voir comment le Basque allait la jouer.

 – Hector, est-ce que tu sais qui est enterré dans la tombe de Grant ?

– Nan.

Saizarbitoria retourna à son volume de Penguin Classic.

– Je me disais bien. Sois content qu’on te laisse manger à la table des grands. »

 Craig Johnson et son talent de portraitiste de l’âme humaine, comme dans cette évocation du criminel Shade:

« Son visage était plat, son nez s’étalait sur son visage comme un bélier qu’on aurait utilisé une fois de trop, les os de ses pommettes et de son front étaient proéminents.Il était d’une taille moyenne, mais sa poitrine, ses épaules et son cou de taureau disaient tout; s’il devait se passer quelque chose, Raynaud Shade s’offrirait la part du lion. On ne l’aurait pas cru capable, à l’âge de vingt-sept ans, d’afficher le palmarès qui était le sien, mais il suffisait de croiser son étrange regard, et on y trouvait tout. Ses iris étaient du même bleu délavé que le ciel d’hiver dans le Wyoming, et aussi froids. »

crowMais aussi quand il dit son Wyoming, sauvage, rude, qui remet justement chacun à sa place. La montagne est bien ici un vrai personnage. Et la poursuite est bien un cheminement mental peuplé de démons. Les Indiens, Crows et Cheyennes, restent les maîtres des lieux, les chamans porteurs de visions et de sortilèges, les légendes, les symboles, toute la mythologie de ces peuples est ici mise en connivence avec notre culture européenne – de Shakespeare à Dante –  de façon étonnante, et je trouve ça très réussi et bien vu. 

Jamais emphatique, l’écriture coule naturellement, comme une voix familière qui nous raconte une histoire; je ne me lasse pas de lire Craig Johnson, toujours surprenant, toujours pétri d’humanité sans être sirupeux, et je ne manquerai pas de saluer Sophie Aslanides, qui sait si bien nous faire partager l’univers du Wyoming de Walt Longmire.

landscape-77883_1280Inutile de vous dire que j’ai adoré lire ce livre, et que le temps semblera long jusqu’à la prochaine rencontre avec l’équipe d’Absaroka.

 

18 réflexions au sujet de « « Tous les démons sont ici » de Craig Johnson – éditions Gallmeister, traduit par Sophie Aslanides »

  1. Ah, il y a encore le blizzard… parce que je n’ai lu que le premier tome des aventures de ce shérif qui fait de l’effet et j’avoue que la scène du blizzard m’a paru loooooooongue… et ne m’a pas donné envie de retourner m’y perdre.

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  2. Ohlala ! Cela donne envie !!! Tu as vraiment du talent pour parler des livres, le mesures-tu vraiment ? Celui-là, je crois que je ne vais pas le mettre sur ma lonnnnnnnnnnngue liste de livres à lire…Je crois que je vais le lire tout simplement ! Merci de parler avec tant de talent du talent des écrivains ! Bises bises

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    • Tu sais, on aime ou pas, parce que finalement c’est une sorte de périple solitaire ( presque ) dans un environnement hostile et une descente aux enfers glacés. Je me suis régalée parce que j’aime l’écriture de cet auteur qui distille à la fois un humour soit très fin soit très potache, et respire l’humanité, et bon, voilà, c’est mon chouchou ! je t’embrasse !

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  3. Aaah ton billet fait honneur à Longmire ! Bravo, mille fois bravo, tu dis tout un tas de choses vraies, et nécessaires pour comprendre le bouquin ^^
    (et merci pour le rétrolien:D )

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    • Moi, je suis amoureuse de ces histoires où on est congelé, où les esprits cheyennes chantent dans le blizzard, tandis que Walt Longmire traque des sociopathes déconcertants. Cet écrivain éveille mon esprit d’enfant, et m’épate par sa culture, jamais ostentatoire. J’aimerais que tu aimes…

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