« Ce n’est pas vrai que ce qui compte, c’est où on arrive. Ce qui compte, c’est d’où on vient.»
Je l’ai attendu, ce livre, depuis que j’ai fermé l’extraordinaire « D’acier », et dévoré la nouvelle « Le lynx », en me disant : quel talent, et si jeune ! La voici à nouveau, enfin, la belle et fougueuse Silvia, avec un roman où une fois encore, elle emmène le lecteur dans son Italie, celle de sa génération, celle de la crise, celle des désillusions et de l’abandon. Je retrouve avec un immense plaisir une écrivaine sensible mais toujours réaliste, qui jamais ne larmoie mais pose un regard très aigu et juste sur les protagonistes de son récit. Un regard sans pitié sur le monde clinquant et vain du show biz, sur sa façon de vendre du rêve ( de richesse, de célébrité, de reconnaissance, d’amour, …) à une génération qui se cherche un avenir au milieu d’un champ de ruines, qui veut croire en quelque chose pour continuer à vivre. Regard compassionnel pour ceux qui bataillent et cherchent des issues à cet avenir encombré d’obstacles de toutes sortes.
Silvia Avallone, avec toujours la même plume vive, nerveuse dont elle use pour faire vivre ses personnages, raconte ici, et d’abord, une histoire d’amour entre deux jeunes gens aussi dissemblables que possible, mais unis par un de ces amours fous furieux noués à l’adolescence, et maintenu vaille que vaille en vie, comme on protège la flamme d’une bougie contre tous les vents. Andrea aime Marina; lui, étudiant révolté, décide de reprendre une ferme et un élevage, pour retrouver les heures heureuses de son enfance auprès de son grand-père et elle, la chanteuse du radio-crochet du village qui entrevoit la gloire, l’argent, le champagne, la foule en délire, comme une revanche sur la vie. Andrea est réfléchi, mûr, sensible, et en rupture avec sa famille bourgeoise, . Marina, elle, est agaçante, égocentrique, menteuse, méchante, manipulatrice…mais belle, attendrissante quand elle veut, futile et immature.
« Pour les téléspectateurs, cette fille n’avait plus de passé, de famille, d’histoire. Sa famille, ses amis, ceux qui la connaissaient ne voyaient pas Marina mais une autre créature, irréelle et sans mémoire, divine car libre d’exister dans l’instant même où eux n’existaient plus.
Et cependant ils survivaient, cloués, enchaînés de l’autre côté, où la réalité est triste et vide, où les chambres sont mal rangées, les fourneaux à nettoyer, et les gens se traînent en savates, les enfants se fourrent le doigt dans le nez, et il y a les factures à payer, la vaisselle sale. De ce côté-ci : du côté sombre et muet du pays. »
Mais Andrea donnerait sa vie pour elle, et endure tous les affronts qu’elle lui inflige . A travers cette histoire et celle ébauchée de tous les autres personnages, Elsa, Sebastiano, Paola, Silvia Avallone nous livre une vision lucide et dure de notre monde actuel, et en particulier de ces jeunes qui développent des stratégies pour vivre et avancer, message d’espoir dans un moment où tout pourrait pousser au renoncement.
De superbes évocations de l’enfance, comme des flashes colorés qui percutent la rétine des personnages au détour d’une route, au bord du torrent, ou assis au bar, souvenirs tristes ou joyeux.
« Une journée sans rien d’extraordinaire, où tes parents ont l’air heureux, et l’endroit où tu es née est baigné de lumière, l’air a quelque chose de sauvage, de ferreux, chaque chose est exactement à sa place . Et qu’importe ce qui arrivera ensuite, où ce qui est arrivé.
Qu’importent les souffrances, la fatigue, les trahisons qu’il faudra endurer. Ça vaut la peine, malgré tout.Pour cette seule perfection d’une journée, à quatre ans avec ta famille au bord de la Balma, ça vaut la peine. »
Les descriptions de ces montagnes piémontaises dénotent le fort enracinement de l’auteure dans sa région natale. On sent souvent dans ses mots, à travers les pensées d’Andrea, ou d’Elsa, de la rage, de la colère, du chagrin, et en même temps une force incroyable qui nous dit que tout est encore possible, dans les mains de cette jeunesse en souffrance, mais vivante ! Et la vie reste la plus forte… même si c’est au prix d’un rude combat.
« […]parce que l’imperfection de la vie est le cœur de la vie même, et qu’elle creuse et ronge implacablement de l’intérieur, qu’elle s’interpose entre nous et notre volonté, dévore comme le fait un torrent. »
Je ferme là un roman riche sans lourdeur, une écriture limpide mais profonde, comme les torrents du Monte Cucco. Et donc, j’attendrai avec la même impatience le prochain roman de cette nouvelle et magnifique plume qu’est Silvia Avallone, une plume ancrée dans son temps.
Oh, comme tu parles bien de ce livre, comme cet article est bien écrit aussi, comme tu sais donner envie de lire, de lire ce livre là !
Bravo et merci !!!
PS Moi je lis les mémoires d’Amado, j’adore décidemment cet homme !
Bises et à très vite donc, en vrai !
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Ohlala ! je les ai lues aussi ! quel homme et quelle vie ! J’espère bien, donner envie de lire Silvia Avallone; son premier roman, elle avait 25 ans, je n’en suis pas revenue tant c’était bon et plein de maturité. Celui-ci est plus long, elle a trente ans et elle confirme tous mes espoirs ! Oui ! A trsè vite en vrai ! J’espère qu’il ne pleuvra pas des cordes ! Sinon, on avisera ! bises, la fée !
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Quelle belle plume tu as, toi! Magnifique éloge de ce livre et de cette auteure inconnue pour moi. Jusqu’à maintenant. Et toi? un petit recueil de nouvelles sous la manche?
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Merci, c’est gentil !Je ne te mentirai pas, j’ai essayé ( j’essaye parfois ) mais je n’ai pas ce talent, je ne crois pas. je sais parler de ce que j’aime, ça, je veux bien, mais pour le reste, …Par contre, je te conseille vraiment cette lecture, et « D’acier » (sorti en poche) a été un vrai coup de coeur, une découverte. Peu d’écrivains, à ma connaissance, ont saisi notre période de crise profonde; Silvia Avallone y parvient avec puissance. Sa première nouvelle ( publiée dans « Il corriere de la serra » ), « Le lynx » est un truc inouï, une flèche ! Et elle n’avait pas encore 25 ans !
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Je l’ai noté tout de suite dans ma PAL car tu en parles si bien! On ne peut pas passer à côté de ce livre. De plus, ne la connaissant pas, je vais la découvrir avec plaisir.
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Et il faut lire « D’acier » parce qu’il révèle un incroyable talent âgé de 25 ans seulement. En attendant, voici ce que j’en avais écrit
https://lectriceencampagne.wordpress.com/2012/02/25/dacier-de-silvia-avallone-ed-liana-levi/
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Je te raconterai après l’avoir lu!
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Ton billet est magnifique. Aucun doute: ce livre est un must Je suis d’accord avec ces deux belles phrases.
« Ce n’est pas vrai que ce qui compte, c’est où on arrive. Ce qui compte, c’est d’où on vient.»
Merci, chère Livrophage.
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Voilà en quoi la belle littérature est bénéfique à ceux qui la lisent ! ils deviennent capables de mieux la défendre. Il y a des gens qui pensent que tout ça ne sert à rien, lire, écrire. Moi je pense que ça rend moins bête, plus humain, et ça aide à mieux s’exprimer soi-même aussi. En tous cas, j’aime énormément Silvia Avallone, pour ce qu’elle dit et comment elle le dit.
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Que tu en parles bien ! Le livre a l’air fascinant. Je ne sais pas si j’ai besoin de lucidité sur ma condition de jeune haha, mais qu’est-ce que ça a l’air bien ! Merci pour ce très beau billet 🙂
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En lisant les commentaires d’Evelyne sur ton article sur « Annabel », je me suis dit que chez Silvia Avallone, c’est pareil le cadre, géographique, social, temporel, a une très grande place aussi, et moi aussi j’aime ça. Comme notre goût commun pour la nature writing le démontre ! J’ai toujours pensé que le cadre dans lequel nous vivons nous détermine énormément, gens des plaines, ou des montagnes, du sud, du nord, sous le soleil ou dans le froid, ça me parait évident !Les caractères s’en ressentent, et c’est là qu’on comprend mieux l’importance des paysages et des climats, bref, des éléments naturels ( ou pas ) qui nous entourent. Quant à Avallone, tu peux lire tout ce qu’elle a écrit, c’est bon ( et pour l’instant, deux romans dont ce dernier et une nouvelle qui a elle seule dénote un grand talent )
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Je pense aussi que quand on aime le nature writing, et qu’on lit d’autres romans, on ne peut se passer d’un cadre important, tellement on apprécie – et on est habitué – à justement observer ce cadre pour en faire partie. Je trouve que le NW n’est pas qu’une lecture, c’est aussi, d’une certaine façon, un petit art de vivre
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Bien sûr, tu as tout à fait raison…J’espère que tu aimeras Silvia Avallone, parce que je pense qu’elle appartient à une nouvelle génération d’auteurs italiens qui avec leurs romans combattent ce qui arrive à leur pays, et en utilisant un des plus beaux moyens qui soient, la littérature, des portraits d’hommes et de femmes forts et captivants, d’une façon qui rend ses livres accessibles à un large public, mais son écriture est d’une justesse étonnante, on voit qu’elle sait de quoi elle parle. C’est çà que d’aucuns n’aiment pas, une apparente facilité qui en fait est une grande lucidité qui ne s’embarrasse pas d’abstraction, et ça ne plaît pas à un certain lectorat. J’ai une amie qui n’avait pas voulu lire « D’acier » à cause de la jaquette, deux jeunes minettes assises côte à côte, et elle croyait à un livre superficiel. Comme je l’ai convaincue de le lire quand même, elle a été sidérée par la force de ce roman, et a reconnu avoir préjugé du contenu à une seule image. Elle parle de ce qu’on appelle la génération sacrifiée ( à juste titre ) et des années Berlusconi et ce’st tout sauf gentil, fade, plat et convenu. Bon ! si avec ça t’en lis pas un !
Dis : on ne peut plus mettre un j’aime wordpress sur tes articles ?
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Si, mais tu ne peux pas les mettre à partir de la page d’accueil, il faut rentrer dans la page de l’article, en cliquant sur le titre.
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j’y cours j’y vole !
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