Quel livre étrange et déroutant ! Pas facile d’en parler, vraiment.
On a la très fâcheuse habitude de cataloguer, ; parfois, ça va, mais le plus souvent, c’est un vrai casse-tête de faire rentrer certains romans dans la case. Alors celui-ci est exactement de cet acabit. A la fois western, polar, plutôt noir, étude historique et humaine aussi…Un vrai roman en quelque sorte ! Auquel il est impossible de coller un genre. Ce qui m’a déroutée, c’est tout d’abord l’époque. L’histoire se déroule en 1932, état de Washington. Et c’est une sorte de confusion dans le temps, les autos côtoient les chevaux, montés par des shérifs pur jus et qui résistent, c’est un âge qui disparaît pour un autre qui émerge. Le shérif Russell Strawl est de ces vieux durs à cuire:
« …il arrêta 138 Indiens, 97 hommes blancs et une femme, laquelle d’un coup de feu faillit lui arracher son chapeau de la tête alors qu’il tentait de la convaincre de lâcher son pistolet. Il tua 11 fuyards car, en raison des circonstances, c’était trop compliqué de les ramener vivants. Trois autres trouvèrent la mort parce que Strawl riposta à leurs tirs, et il y en eut un dont il fit un débile mental en le frappant avec un marteau de forgeron. »
On croit être dans un western, oui, on y est, mais pas seulement, on est au XXème siècle, oui, mais pas tout à fait. Les descriptions des cadavres ou des scènes de violence sont puissantes, artistiques, terrifiantes par cela, et elles alternent avec des paysages, des ciels, des visions de la nature tout aussi puissantes et artistiques et d’une beauté exceptionnelle. Et tout ça nous perturbe…
Parce que les notions morales sont inexistantes, et que c’est très perturbant dans une société bien policée, cette confusion. C’est ce que j’ai ressenti, cette confusion, on ne sait plus quoi penser, et on n’est pas sûr de ce qu’on éprouve.
Holbert nous embrouille encore avec un mysticisme exacerbé, mêlant croyances indiennes, chamanisme et christianisme fantaisiste, les élucubrations folles d’Elijah ou les prédictions de Marvin , et au bout d’un moment, on a l’impression d’être dans un autre monde, tant les personnages sont soit effrayants de violence, soit absolument improbables à cause de leur foi ou de leur mode de vie, ou de leurs paroles…
Le shérif Strawl reprend du service ( à cheval ) car un serial killer sévit.
C’est sa course lente et souvent retardée qui va nous mener à une fin tout aussi sidérante que tout ce récit. Quelques rares femmes, figures un peu plus humaines, passent par là, mais sans chance de changer le cours des évènements. La fatalité domine cette histoire et une logique que nous n’arrivons pas à comprendre:
« Tu pourrais prendre la camionnette.
-Les chevaux ne tombent pas en panne et ils n’ont pas besoin d’essence.
– C’est un fou, paraît-il, ton assassin, fit Dot. Il pourrait avoir envie de te couper en rondelles et de te servir sur une tartine, au café.
– Si ce type voulait ma peau, je serais déjà sous forme de pâté en croûte ou pendu à un porte-manteau à l’écurie de louage.
– Tu es bien d’avis que c’est un fou.
-Ce sont les cinglés qui ont le plus de bon sens.[…]
-Charcuter les gens dans tous les sens, c’est ça que tu appelles avoir du bon sens ?
-Ce type a les idées en place. Mais pas à la même place que nous, c’est tout. »
Y a t-il quelque chose à rajouter à cette dernière réplique ?
Un grand livre, pas facile ni sur le style – très travaillé – ni sur la forme, et encore moins sur le fond, un livre exigeant du lecteur qu’il se lâche et ouvre quelques vannes dans son cerveau.
En exergue, Steinbeck :
« Nous sommes des animaux solitaires. Solitaires, nous passons notre vie entière à tenter de l’être moins. Et l’une de nos méthodes, qui ne date pas d’hier, consiste à raconter des histoires.
Et une fois de plus, merci Gallmeister.
« Ce type a les idées en place. Mais pas à la même place que nous, c’est tout. » …. J’essaierai de me souvenir de cette phrase !
J’aimeJ’aime
Ah c’est sûr ! cette phrase là est extraordinaire et au fond…tellement juste ! Tu ne te sens pas comme ça souvent, Marie ? Avec les idées en place, mais pas à la même place que celles des autres ? Moi, très souvent !!!
J’aimeJ’aime
Ping : « L’heure de plomb – Bruce Holbert – Gallmeister, traduit par François Happe | «La livrophage