« La nostalgie des buffets de gare » de Benoît Duteurtre – Payot/Rivages – collection Manuels Payot

b-duteurtre_couv-la-nostalgie-des-buffets-de-gare-250« J’ai toujours aimé les gares, ces monuments vivants dressés au cœur des villes, ouverts sur des horizons inconnus. Je me rappelle, enfant, la fumée des derniers trains à vapeur sous la lourde charpente en fer. Ma mère partait en voyage et je l’avais accompagnée dans une mêlée de corps chargés de valises, de contrôleurs, de porteurs, de couples enlacés. Au début des années 60, on voyait encore circuler quelques unes de ces locomotives qui me donnent rétrospectivement, l’impression d’avoir traversé un film en noir et blanc d’avant-guerre. »

Suivant sur Facebook la page des éditions Payot / Rivages, je me suis prêtée au petit jeu de l’été et j’ai gagné et reçu ce livre, court essai de Benoît Duteurtre. 

Très vite lu, très intéressant, bien écrit et plein d’ironie un peu amère, plein d’une nostalgie totalement assumée.

J’aime et j’ai toujours aimé voyager en train. Comme l’auteur, j’aime l’ambiance des gares, enfin, comme lui, je préférais quand elles n’étaient pas des centres commerciaux…Et que le prix du billet de train, immuablement, était calculé au nombre de kilomètres parcourus. 

280px-La_Gare_Saint-LazareJ’ai le souvenir d’un passage en gare de Gênes lors de vacances entre copines, le bac en poche, retour vers Lyon, et grève en Italie. J’ai bien aimé : nous avons dû emprunter un de ces trains du début du XXème siècle, sièges en bois ciré, et parcours  paresseux et cahotant sur la côte si belle qui remonte vers Nice. Certes, pas très confortable, mais nous étions jeunes et j’ai trouvé ça beau ! Nous étions peu pressées de rentrer, je crois, et ce n’était pas le cas de tous, mais c’est mon souvenir, et j’ai pris du plaisir dans ce train d’un autre temps…Un de ces nombreux souvenirs avec les gares et les trains.

Benoît Duteurtre dresse le constat de ce qu’est devenu ce mode de transport, ce service qui devait permettre à chacun de se rendre partout sur le territoire, quel que soit son point de départ. Soumis aux mêmes règles du marché que tout le reste, il perd peu à peu – et en mode accéléré ces derniers temps – sa fonction première. 

railway-station-54891_640 En quête d’un TGV – ce train qui grève le budget de la SNCF au détriment de tous les autres – le billet pour un même trajet varie allègrement de 40 à 100 €, au gré des heures et des jours, même 3 mois à l’avance. Mais j’aime toujours voyager en train. L’auteur parle ainsi de sa nostalgie et se moque d’être traité de réac, évoquant le temps où au buffet de la gare un garçon en tablier et plateau sur la main vous amenait un jambon-beurre et un demi dans les minutes suivant la demande, puis aujourd’hui quand fleurissent et prospèrent les enseignes américaines, reines du fast-food où on fait la queue pour pouvoir avaler sa dose de graisse et de sucre journalière, et fissa pour ne pas louper son train. D’usagers, les voyageurs sont devenus clients (comme chez le médecin le patient ). Il s’en fiche, Duteurtre, de passer pour un réac, il s’en fiche absolument. Il dit très bien ce qu’il aimait, ce qu’il regrette, tout en admettant que la vitesse a amélioré les voyages.

germany-94281_1280J’ai bien aimé ce petit livre et remercie Payot de me l’avoir offert. J’y ai pensé hier, rentrant par le train de Lyon : les vitres sales, la porte des toilettes qui ne ferme plus, une odeur de moisissure…Quand les fenêtres des trains, propres, sont une vue sur le monde et les paysages. Le train, un endroit parfait pour lire : en principe, quand je vais à Lyon, j’ai dans mon sac un livre court et je lis une moitié à l’aller et le reste au retour. Hier, c’était « La nostalgie des buffets de gare ».

 Á lire, un excellent article des Inrocks.

« L’homme de Kiev » de Bernard Malamud – éditions Payot/Rivages, traduit par Solange et Georges de Lalène

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Extrait et fin de la préface de Jonathan Safran Foer :

« Notre monde – aussi désespéré et détraqué soit-il – a besoin de romans existentiels, de romans qui nous apportent un bien plus précieux que l’espoir : un appel à l’action. Le véritable réparateur n’est pas Yakov Bok. ( C’est un personnage de l’autre monde.) Et ce n’est pas Bernard Malamud. ( Lui est le pont entre ce monde et le nôtre. ) Le véritable réparateur, c’est chacun de nous. Nous devons agir. Voilà ce que ce roman, comme tous les chefs d’oeuvre, nous rappelle. »

 

Voici un livre paru aux USA en 1967, qui valut à son auteur le prix Pulitzer et le National Book Award. Payot nous en propose une édition révisée. Bernard Malamud est considéré comme une des maîtres de la littérature juive américaine, même s’il est méconnu ici.

Ce livre, sur lequel je ne ferai pas de trop longs discours est hélas tristement d’actualité. Il y est question de bouc émissaire, d’injustice et d’arbitraire, de racisme et de sectarisme et enfin de la difficulté d’être un libre-penseur dans un monde où la religion tient lieu de règle : pour la vie intime, pour la vie sociale, pour la loi. 

Yakov Bok est un homme libre et libre-penseur, dont on va faire un juif. Certes il appartient à cette diaspora, mais il n’est pas religieux et bien que simple pauvre réparateur, il se passionne pour la philosophie de Spinoza.

Un jeune garçon est assassiné et c’est lui, arbitrairement, qui sera accusé, au prétexte qu’il est juif ainsi que par la somme d’histoires idiotes et croyances ridicules attachées à cette religion qui feraient de lui le coupable d’un meurtre rituel.

Alors on vit la descente aux enfers de Yakov et sa phénoménale capacité de résistance, car jamais, jamais Yakov ne cédera aux pressions et aux tortures, et jamais il ne renoncera à sa liberté intellectuelle. Pourtant subir ce qui lui est infligé ferait succomber n’importe qui.

Bernard Malamud s’est directement inspiré de ce fait authentique, et un film de John Frankenheimer adaptera cette sinistre histoire ( je n’ai trouvé qu’un extrait de 9 minutes en espagnol et ça me semble bien « soft » à côté de ma lecture…)

À lire, assurément…

« – Il y a un adage français qui dit: « Plus ça change, plus c’est la même chose. »Il faut bien admettre qu’il y a du vrai là-dedans, et surtout eu égard à ce que nous appelons la « société ». En fait, pour l’essentiel elle ressemble à ce qu’elle était aux temps très reculés, même si nous tendons plus ou moins à considérer la civilisation comme un progrès. À vrai dire je ne crois plus à ce concept de progrès. Je respecte l’homme pour les épreuves qu’il doit subir au cours de son existence, et parfois aussi pour la manière dont il les subit, mais il a peu changé depuis qu’il a commencé à se prétendre civilisé, et l’on peut en dire autant de notre société. Tel est mon sentiment […] »