« Swag » – Elmore Leonard- Rivages/Noir, traduit par Elie Robert-Nicoud et préface – épatante – de Laurent Chalumeau

Message important : ON NE LIT LA PRÉFACE QU’APRÈS AVOIR LU LE ROMAN, D’ACCORD ?

« On voyait une photo de Franck sur un encart publicitaire dans le Detroit Free Press avec tous les autres vendeurs affables de Red Bowers Chevrolet. Et sus la photo on pouvait lire Franck J. Ryan. Il affichait un beau sourire, une moustache bien taillée et un costume d’été dans ce tissu un peu brillant avec ces fils qui font penser à des petits accrocs.

On voyait une photo de Stick sur le casier judiciaire de la police de Detroit au 1300 Beaubien. Et sous la photo on pouvait lire Ernest Stickley, Jr., 89037. Il portait une chemise hawaïenne avec des voiliers et des palmiers. Il l’avait achetée à Pompano Beach en Floride. »

Et ainsi commence ce roman, avec la sobre présentation des deux héros de cette histoire, Franck et Stick, première rencontre. Stick fauche une voiture, Franck appelle la police, et nos deux lascars se retrouveront à la sortie du tribunal qui prononce un non-lieu pour Stick. Un taiseux ce garçon, on ne le fait pas parler comme ça…Rencontre donc et première conversation:

« […]Ça remonte au temps où je jouais au basket. C’est le diminutif de mon nom de famille, Stickley.

-Ah ouais? Moi aussi je jouais au basket. Tu jouais dans l’Oklahoma?

-Non, ici. je suis né à Norman. Mais ça tu dois déjà le savoir, non ? « 

Franck hocha la tête.

-Pourtant t’as pas l’accent.

-Je l’ai perdu à force de déménager. Ma famille est venue s’installer ici finalement, mon père a travaillé chez Ford à l’usine de Rouge pendant vingt-trois ans. »

Franck avait l’air de trouver ça intéressant.

« On a beaucoup en commun. Mon vieux travaillait à l’usine Ford à Highland Park. Je suis né à Memphis dans le Tennessee, je suis arrivé à Detroit quand j’avais quatre ans et j’y ai vécu presque toute ma vie, à part les trois années que j’ai passées à L.A. »

Je n’avais jamais lu Elmore Leonard, mais à force d’en entendre parler…Et je dois dire que j’ai passé un très bon moment, j’ai beaucoup ri et en même temps il y a de la finesse dans ce livre, Stick est particulièrement attachant; c’est un gars du sud, qui vient de la cambrousse, ses raisonnements sont souvent pleins de bon sens, il réfléchit, soupèse…Et il sait être gentil avec les femmes et en pince pour Arlene.

« Arlene adorait leur appartement. Elle lui dit qu’elle le trouvait cool, on se serait cru en Californie. Stick trouvait qu’Arlene aussi était plutôt cool, assise sur  le tabouret en bambou dans son petit costume de bain, ses pieds nus qui s’enroulaient autour du barreau et les jambes légèrement écartées. Il lui prépara un Salty Dog une fois qu’elle lui eut expliqué comment il allait faire. Il gardait la bouteille de vodka à portée de la main et buvait son bourbon à petites gorgées pendant qu’elle lui expliquait ce que c’était d’enfiler une tenue métallique argentée avec des bottes blanches et poser pour des photos promotionnelles sous les spots brûlants et tout le reste. […] Et c’est comme ça qu’il l’avait amenée à prendre une douche. »

Quant à Franck, il joue le beau gosse avec son costume brillant, il a grandi à Detroit et ressent sûrement pas mal d’ennui à vendre des automobiles…Il attend donc Stick à la sortie du tribunal et les voici tous deux embarqués dans une nouvelle vie.

« -Stick…je te parle de simples braquages à main armée dans le genre quotidien. Les supermarchés, les bars, les pompes à essence, ce genre de trucs. Les statistiques montrent, et là, c’est pas moi qui parle, c’est les statistiques, que c’est avec les braquages à main armée qu’on a un maximum de rentabilité pour un minimum de risques. Et maintenant, écoute-moi bien. J’imagine parfaitement que deux types qui savent ce qu’ils font et qui font les choses professionnellement, qui bossent main dans la main, peuvent se faire trois à cinq mille dollars par semaine.

-Tu peux aussi faire vingt-cinq ans à Jackson, répondit Stick. »

C’est là un exemple caractéristique de ce roman et du brio développé dans les dialogues. Tout l’intérêt repose dans les désaccords constants entre Franck et Stick qui finissent pourtant toujours par trouver un consensus sur la base d’argumentations contradictoires. Sauf qu’ils ont le même but et que là dessus, ils sont d’accord !

Voici deux formidables personnages, deux braqueurs à la petite semaine, leur affaire marche bien, c’est parfois un peu sur le fil mais ça marche. Ils commencent à mener une vie entourés de jolies nanas au bord d’une piscine. Franck a les dents un peu plus longues que celles de Stick et lui propose un plan avec un dénommé Sportree épaulé par ses propres hommes, un coup dans le plus grand magasin de Detroit, un travail d’équipe, et Franck est plein d’assurance…

Bande -son, Billy Crash Craddock

Le point fort de ce roman, c’est ce duo Franck/Stick et en particulier les dialogues entre eux deux. Oh comme ils m’ont fait rire ! Et comme je l’ai dit plus haut, c’est Stick qui emporte mon attendrissement, parce qu’il est plus malin que Franck, plus fin, son côté méfiant et taiseux me plait sans oublier qu’il a un cœur tendre ( enfin… souvent…). L’écriture est formidable car jamais Elmore Leonard n’en fait trop, tout est à juste dose ce qui rend l’ensemble bien plus crédible, bien plus juste et bien plus percutant. Certaines scènes sont vraiment des morceaux de maître, comme les beuveries autour des filles et de la piscine, un humour à froid et sans emballage superflu, comme j’aime, et les dialogues au cordeau, très nombreux, sont un vrai régal. Enfin, tous ces gangsters se trucident entre eux, blancs ou noirs et il s’avère que finalement, presser la gâchette n’est pas si difficile pour Franck et Stick. Le roman se termine en beauté, avec un dialogue de maître, court extrait :

« Pourquoi est-ce que tu crois que j’ai pris la peine d’établir des règles? Tu te souviens des dix règles? On se conduit comme des hommes d’affaires et personne n’est au courant de nos affaires? Tu te souviens de ça? »

Et Stick lui répondit:

« Franck, tu pourrais pas fermer ta gueule? »

Point final ! Je ne vois rien à dire de plus, sinon je vous raconterai les aventures de Franck & Stick, ça vous gâcherait le plaisir; simplement il faut impérativement lire la préface après le roman, elle m’a vraiment intéressée et aussi bien fait marrer. Bonne lecture !