« Contrée indienne » Dorothy M. Johnson – Gallmeister/Totem, traduit par Lili Sztajn

Contree-indienneComme après le beau livre de Craig Johnson  je n’avais pas envie de quitter ces contrées où les Indiens et leurs esprits occupent encore les lieux et les éléments, comme je n’avais pas envie de revenir ici, je suis restée à la Frontière et dans le Territoire, avec ce livre que j’avais prévu de lire depuis très longtemps, je suis restée en Contrée indienne.

Dorothy M.Johnson est née dans l’Iowa et a vécu la plus grande partie de sa vie dans le Montana, elle a enseigné dans la ville de Missoula. J’ai découvert, dans ce recueil de nouvelles une plume assurée, une écriture riche mais sans ornements inutiles, reflétant merveilleusement ces temps âpres de la conquête. Mêlant plusieurs points de vue, sans jamais aucun jugement , traçant des portraits sincères des Blancs et des Indiens de ce temps, Dorothy Johnson entreprend une peinture réaliste et humaniste de cette époque, de ces lieux et de ces gens. J’ai bien sûr pensé à « Homesman » de Glendon Swarthout, situé dans les mêmes endroits, encore sans nom sinon Frontière et Territoire. 

1897_Saloon_BlackhawkJ’ai beaucoup aimé ce recueil, en particulier « L’homme qui tua Liberty Valance » ( adapté au cinéma par John Ford en 1962, avec James Stewart et John Wayne ), « La tunique de guerre »( peut-être bien ma préférée ), ou encore « Un homme nommé Cheval » ( adapté par Elliot Silverstein,en 1970 ). En fait, je crois bien que je les ai toutes aimées. Rien n’est occulté de ce qu’on peut qualifier de « mauvais » chez ces hommes, rien n’y est tu de ce qui en fait des êtres sensibles, rien n’est moral ou moralisateur, la littérature de Dorothy M. Johnson jaillit de sa terre et de ses racines, avec force.

Quelques extraits glanés au fil des pages :

Dans « L’incroyant » : « La vie d’un Indien Crow était faite d’une discipline sévère et farouche. Il grandissait en aspirant à la gloire; il s’affamait et priait pour obtenir sa médecine; quand il pensait l’avoir trouvée, il partait chercher le danger. Et après un certain temps, il mourait. La vie d’un homme blanc était infiniment plus compliquée. Il y avait trop de choses qu’il pouvait désirer et trop de façons d’échouer en essayant de les obtenir. »

saloon et palais de justice roy beanDans « L’homme qui tua Liberty Valance » :  » […]mais Bert Barricune était toujours là, à l’arrière-plan. Il n’imposait jamais, ne conseillait jamais, il surveillait simplement de ses yeux mi-clos injectés de sang. Bert Barricune, qui ne fut jamais grand-chose mais ne se montra jamais importun, était le rappel vivant et silencieux de trois dettes : un chapeau plein d’eau sous les peupliers, un coup de feu dans la rue poussiéreuse, et Hallie qui cousait tranquillement sous la lampe dans le salon. »

Fred_E._Miller-Spotted_Rabbit_(Crow_tribe)_on_horseback,_MontanaDans « La tunique de guerre » ( oui, vraiment ma préférée ) :  » Je ne comprends pas les hommes blancs et je ne veux plus les voir. Ils tuent le bison et mon peuple a faim. Ils tirent sur mes jeunes braves et nos femmes pleurent dans les loges. Nos enfants n’ont plus de pères pour faire de la viande. Je ne veux plus voir d’hommes blancs. J’en tuerai le plus possible jusqu’à ce que je meure. »

« Je porte la tunique de guerre. C’est un lourd fardeau. L’homme qui la porte doit toujours être devant au combat, il doit être le dernier à battre en retraite. Il doit veiller sur son peuple et lui donner ce dont il a besoin. il ne doit jamais être en colère si l’un des siens lui a fait du tort. Un homme m’a pris deux chevaux, mais je lui ai pardonné et je lui ai donné un troisième cheval. je maintiens la paix parmi ceux de mon peuple. je voudrais pouvoir enlever la tunique de guerre, mais mon peuple a besoin de moi. Je la porterai aussi longtemps que je pourrai. »

Cheyenne_using_travoisDans « Cicatrices d’honneur » : « Charley Lockjaw est mort l’été dernier dans la réserve. Il était très vieux – une centaine d’années, avait-il affirmé. Il portait toujours ses cheveux nattés, comme seuls le font les hommes les plus âgés de sa tribu, et ses tresses étaient fines et blanches. Son visage féroce avait l’apparence d’une pomme ratatinée. Il était courbé, frêle et tremblant, et sa voix ressemblait au gémissement du vent dans les herbes de la plaine. »

Je termine en disant aussi que les femmes de ces histoires, comme celles de « Homesman », endurent, éprouvent, combattent.

Un très beau livre, et un art de la nouvelle totalement maîtrisé.

horses-78223_1280Le rêve d’Emma Prince : « Elle s’imagina chevauchant près de lui, entendit le martèlement des sabots des chevaux. Les sabots qui tambourinaient et marquaient le tempo : la nuit, galoper; le jour, se cacher – et toujours, se moquer du danger. »

 

Âmes sensibles, s’abstenir…

http://www.youtube.com/watch?v=z829cL9spho