« Ör » – Audur Ava Ólafsdóttir – éditions Zulma, traduit par Catherine Eyjólfsson

« 31 mai

Je sais bien que j’ai l’air ridicule, tout nu, mais je me déshabille quand même. J’enlève d’abord mon pantalon et mes chaussettes, puis je déboutonne ma chemise, laissant apparaître un nymphéa d’un blanc éclatant sur ma chair rose, sur le côté gauche de la cage thoracique, à une demie-lame de couteau du muscle qui pompe huit mille litres de sang par jour, je termine par mon caleçon. Dans cet ordre. Ça ne prend pas longtemps. »

Et me voici enchantée, toujours, encore, par la voix unique de Audur Ava Olafsdottir.

Je remercie ma si chère amie pour ce cadeau réconfortant et fort à propos. « Ör » signifie « cicatrice ».

« Les plaies se referment plus ou moins vite et les cicatrices se forment par couches, certaines plus profondes que d’autres. »

J’ai ainsi lu tous les livres de cette jeune femme douée et si originale dans sa manière d’interpréter les grands thèmes de la vie, vie donc, mort, maladie, amour, famille, couple…Autant de choses tant de fois écrites et avec elle toujours si fraîches.

Pour la seconde fois, un homme est le personnage principal, ici âgé de la cinquantaine (« quarante neuf ans et six jours » pour être précise ), c’était un tout jeune homme dans « Rosa Candida ».

Mais c’est avec la même délicatesse, la même pointe d’humour tendre et ironique, un ton que je définirais comme un optimisme réaliste – c’est à dire raisonnable, lucide, juste et sans leçon de morale – que notre auteure raconte le départ de cet homme qui a décidé de mourir après s’être fait tatouer un nymphéa blanc sur la poitrine .

Il laisse sa fille, son ami et voisin, une lettre et emmène juste sa caisse à outils, sa perceuse et une chemise – rouge -. Il part loin, dans un pays ravagé par la guerre où il prétend mettre fin à ses jours tranquillement. Il va rencontrer alors un autre monde, d’autres préoccupations qui vont l’amener à revoir ses plans.

« Ce sera un aller simple. Les hôtels sont des endroits appréciés pour mettre un terme au voyage. J’en trouve un sur Internet dans une bourgade dévastée dont j’avais entendu parler aux informations. Les photos datent manifestement d’avant la guerre, l’établissement sur situait sur une petite place fleurie et la production de miel était florissante dans la campagne environnante. »

On verra comment se déroulera la suite, mais je dois dire que je suis à chaque fois émerveillée par l’intelligence du propos, par sa poésie et sa drôlerie. Les pages 80 et 81 sont superbes où Jonas – c’est son prénom – énumère ce qu’il sait, terminant par :

« |…] je me suis colleté plusieurs fois avec la vérité là où les ombres sont tantôt longues tantôt courtes, et je sais que l’homme peut rire et pleurer, qu’il souffre et qu’il aime, qu’il est doté d’un pouce et qu’il écrit des poèmes et je sais que l’homme sait qu’il est mortel.

Qu’est-ce qu’il me reste à faire? Écouter le gazouillis du rossignol?Manger du pigeon blanc? »

Et la page 133, bouleversante, où Jonas se regarde dans un miroir en pied

« D’un côté il y a moi, et de l’autre, mon corps. Deux inconnus. »

Alors ce petit voyage vers l’hôtel Silence, pour rencontrer Fifi, May et Adam, ce petit voyage est un vrai bonheur. À propos de May:

« Si l’idée venait de nous asseoir, cette jeune femme en baskets roses et moi, pour comparer nos cicatrices, nos corps mutilés et faire le compte de nos points de suture de la tête aux pieds, c’est assurément elle qui l’emporterait. Mes cicatrices à moi sont bénignes, ridicules. Même si j’avais une plaie ouverte au côté, c’est elle qui l’emporterait. »

On le fait ce petit voyage en quelques heures d’un après-midi tranquille, on savoure chaque page, ça fait beaucoup de bien tant d’intelligence sans étalage tant d’humanité authentique.

Rien de manichéen, rien de mièvre ni de superficiel. Légèreté ne signifie pas idiotie, et puis en fait on se rend vite compte que ce dont parle notre islandaise n’est absolument pas léger, ce qui se passe à l’hôtel est une cicatrisation.

« La seule façon de continuer, c’est de faire comme si on menait une vie normale. Comme si tout allait bien. De fermer les yeux sur le désastre. »

Dire avec profondeur et sans lourdeur est un art délicat et Olafsdottir y excelle.

J’ai adoré ce petit livre-là.

Jonas Ebeneser écrit sa lettre d’adieux en écoutant « One way ticket to the moon »

 

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