« -L’usine t’a tué mais d’une autre façon…
-Ça nous apprendra à naître n’importe où… »
Ce livre m’a pratiquement été mis entre les mains par Pascal Dessaint lors des Quais du Polar à Lyon cette année. Je venais de l’écouter durant la conférence « Le mal qui est en nous », il m’avait mis les larmes aux yeux, pour plusieurs raisons. Pascal Dessaint est un homme en colère, et assis dans cette Chapelle de la Charité, à côté d’auteurs anglo-saxons, comme Elizabeth George ou Patricia McDonald, il semblait en total décalage, en particulier sur sa vision du mal, sur le « genre » de mal dont il parle dans ses romans, et les mots qu’il a prononcés, sur notre société cynique qui laisse à la marge des milliers de travailleurs, des milliers de pauvres, essorés, vidés, accablés…Ce qu’il a dit de notre monde tel qu’il va était bouleversant, et nous avons été plusieurs à aller lui serrer la main, le remercier de ce qu’il venait de dire. Rendue ensuite sur le point de vente de ses livres, il m’a dit : « Si vous devez en lire un, prenez celui-ci ». J’avais lu Dessaint dans la série « Le Poulpe », avec le titre « Les pis rennais », pour moi un des meilleurs de la série.
Et donc, me voici avec ce poche, « Les derniers jours d’un homme », dédicacé : « À Simone, pour une certaine idée de la vie, DEBOUT ! »
Dans ce roman, Dessaint évoque, même si ce n’est pas nommément, les derniers jours de l’usine Métaleurop, le scandale de cette entreprise qui généra une pollution effrayante et qui non contente de plomber au sens propre la santé des enfants, entre autres, laissa toute une région exsangue en mettant la clé sous la porte sans préavis. Ce très bouleversant texte alterne deux voix, celle de Clément qui raconte la mort de sa jeune femme, son travail d’élagueur depuis qu’il a quitté l’usine, et celle de Judith, sa fille, dix-huit ans, qui se remémore son enfance auprès de ce père malheureux et de son oncle Etienne qui veilla sur elle comme une nounou, Judith qui cherche à comprendre pourquoi son père est mort.
Duo très au point, qui parvient à mêler passé et présent en écho, et qui tisse peu à peu, par les voix de Clément et Judith, la vérité pour le lecteur. La vérité sur ce que dénonce Dessaint : le cynisme du capital, la corruption et la compromission, la sottise aussi, la méchanceté, le conflit d’intérêt, la lâcheté… Bien peu souriant univers que celui de ce côté de la ville. Ce que j’aime ici, c’est bien la lucidité de l’auteur sur l’homme, aucun angélisme, un certain désespoir ou découragement, et je dirais que la lumière, ici, dans toute cette grisaille, émane des deux personnages féminins, Judith et Pauline. Judith parce qu’elle est jeune et veut vivre, pleine d’énergie, et Pauline parce que c’est une femme amoureuse sans conditions, sans illusions non plus d’ailleurs, et dont la générosité, mine de rien, maintient la tête hors de l’eau à son entourage, depuis son bar du Coq Hard ( il manque le « i » de Hardi…). Enfin autant que faire se peut…Parce que tout de même il est ici beaucoup question d’amour et d’amitié, entre Clément, sa fille, et Etienne, et Pauline, et le jeune Jérôme – même s’il n’arrive qu’à la fin, il enclenche quelque chose d’important – entre Judith et Ryan, attachant personnage…De l’humanité, avec tout ce que ça sous entend de beau et de moche, de doux et d’âpre, de naïf et de pervers, tout ce qui fait les hommes, quoi.
« On ne peut pas vivre sans quelque chose de beau à regarder. »
Cette belle chose, c’est l’arbre secret de son père que Pauline s’en va chercher à la fin du roman.
Un coup de cœur, une lecture dont on émerge en pétard, et d’où on se dit que la littérature est une force de résistance, de réflexion sur le monde qui nous entoure, par des voix comme celles de Pascal Dessaint. Un livre qui m’a touchée profondément.
ICI, vous serez sur le site « Chœur de fondeurs », dont Pascal Dessaint donne l’adresse au début de ce livre. J’ai choisi une page photos, qui est très en phase avec l’ambiance du livre, mais visitez les autres pages.
Et puis allez rendre visite aussi à Pascal Dessaint pour suivre son actualité.
Très bel article ma Simone, poignantt et grave ! Merci
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C’est un homme qui quand il parle vibre, et pas que de colère, mais aussi d’amour et de peine…Je l’ai ressenti comme ça. Et cette histoire, Métaleurop, est un scandale innommable.
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C’est drôle, le thème des ouvriers grévistes est repris aussi par mon ami Claudio Ceni, dont le roman « Violence » sort ces prochains jours. Une histoire d’amour sur fond de société à la dérive.
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Tu me donneras les références ? Ici, l’histoire d’amour n’est pas une, c’est l’amour filial et l’amitié surtout, avec les trahisons, les bassesses, mais la lumière de Judith est bienvenue. Dessaint parle beaucoup de la lâcheté, de la façon qu’a « le système » de diviser pour mieux régner, et c’est affreux…
En tous cas, je suis une fois de plus émerveillée de constater la si grande diversité des écritures, des façons de traiter les sujets et de regarder le monde, pour, au fond, le même objectif : parler aux hommes d’eux mêmes et de ce qui les entoure. Et la capacité du lecteur à changer d’univers, grâce à ces artistes de la plume
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Le seul Dessaint que j’aie jamais lu c’était aussi dans la série du Poulpe série au demeurant « rigolote », mais que j’avais trouvée un peu trop légère quand même.
Ton compte-rendu donne une énorme envie de lire celui-là. Je retiens.
Dans un genre vies saccagées par les licenciements et les problèmes sociaux, j’ai lu récemment un bouquin dont je ne sais plus qui me l’a recommandé : « un arrière-goût de rouille » de Philipp Meyer. Mais c’est peut-être toi ?
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Ah non, ce n’est pas moi et du coup je note ce titre ! J’aime bien la série du Poulpe, justement parce que c’est marrant ( enfin pas tous ) et puis l’exercice pour un auteur doit être intéressant : un profil de personnage, avec physique et caractère déjà écrits, et ensuite, le mettre en situation…D’ailleurs il y a certains des livres bien meilleurs que d’autres, et des auteurs qui se sont nettement démarqués.
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Un vrai coup de massue !
Même si on connaît les dégâts que ce genre d’entreprise peut générer ( a généré) dans une région et pour ses habitants, c’est tellement immonde qu’on se demande si ça peut être vrai.
J’aime beaucoup les relations qui se tissent entre ce père et sa fille, même si le père n’est plus là. j’aime le fait que ces hommes ne soient pas tous des héros au grand coeur, loin de là,et la douceur que les femmes apportent à cette sale vie, sans forcément le vouloir, sans forcément savoir …
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Ah ! Contente qu’il t’ai fait le même effet qu’à moi. Oui, c’est une belle relation, Dessaint est un homme au beau sens du terme, le sens humaniste du mot, et j’ai trouvé qu’il savait très bien raconter tout ça, avec une juste pudeur. Oui, une histoire épouvantable, celle de Métaleurop
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On dirait que le Mal tisse sa toile litteraire depuis un moment déjà. Merci. … je le note.
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J’ai prévu d’en lire d’autres, pas eu le temps encore, mais ça va venir. Un très bon ecrivain
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Excellente critique. Ça donne le peu de sens qu’à l’écriture. Pascal a toujours un regard tendre sur les oubliés. Rare sont les auteurs français qui ont de vraies colères….
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C’est vrai, et je ne l’ai pas assez lu, je le regrette, mais il n’est jamais trop tard !
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