« Des crimes
Il fait trop chaud plaza de Toros le 24 septembre et Mariama agite un vieil éventail quand l’événement a lieu. Elle attrape son téléphone et plonge vers le carnage pour grossir l’image, le matador en sang à côté du taureau qu’il vient de mettre à mort. Mais l’assassin du matador a disparu. Les arènes sont rapidement évacuées – fin de la corrida.
Le lendemain, Mariama lit l’article sur son fil d’actualités: « On est toujours sur la piste de l’homme qui a tué le célèbre matador. Il n’a pu être identifié. Il a disparu dans le toril sans que personne n’ait pu réagir. »
Qu’on ne s’y trompe pas, il n’est aucunement question dans ce petit roman vif, nerveux et labyrinthique d’un militant anti-corrida qui règle ses comptes. C’eut été trop simple. Non. Alors…comment dire? Comment ne rien dire surtout. Car ce petit livre de 136 pages mène le lecteur – la lectrice au demeurant – par le bout du nez. Le début présente lieux et personnages, de l’Espagne à l’Italie on les suit et on assiste à plusieurs meurtres.
Un personnage prend place particulièrement, c’est Mitka le géomètre et ses appareils, le tachéomètre et ses points ST1, ST 2 et ST3. Et le ras-le-bol.
« Et soudain j’en ai marre, assez de l’alignement des rues, du tachéomètre, des ST1 jusqu’à 7 ou 10 ou 20, des points X, Y, Z et leurs coordonnées, marre de viser des points et marquer des repères, assez de la répétition, surtout ça la répétition, je frappe des pieds le sol gelé avec violence, et ce n’est pas à cause du froid.
Une bouffée d’Espagne me tombe dessus. J’ai des choses à faire là-bas. Maxime, José, Mariama et Garcia. »
Quatre parties: Des crimes, Avant, Pendant et Après. Et ce qui est bien dans ce texte, c’est l’absence de jugement moral sur le personnage principal et ses satellites, hommes et femmes. L’écriture est vivante et procède à des plongées dans le cerveau et la mémoire de Mitka, qui est bien le noyau du récit. On comprend bien ce qui se passe en lui, on ressent parfois de l’empathie, parfois une sorte de répulsion quand même. Comment faire? Comment moi dois-je faire pour ne rien dévoiler? C’est si court, 136 pages, si concentré. J’ai beaucoup beaucoup aimé le choix de la narration, externe qui ajoute à l’histoire avec son ton dégagé qui scrute de façon neutre.
« Ça va être compliqué de suivre l’histoire avec un héros changeant à ce point, jamais repérable dans une catégorie donnée, les jeunes, les trentenaires, les quinquagénaires, les vieux. Il va falloir s’adapter. Faire comme si on comprenait ses métamorphoses corporelles et mentales. On devrait pouvoir le faire. »
Tout comme l’usage du métier de géomètre et des mesures, très intéressant.
« Mais au fait quel âge a-t-il? On ne sait pas. Mitka est jeune encore, le géomètre déjà vieux. Cet homme a l’âge des choses qu’il vit. Quand il mesure, il a l’âge de ce qu’il mesure – très vieux parfois. Quand il se baigne il n’a plus d’âge, il glisse de 3 à 60 ans, le corps dissous dans le sel. Quand il rencontre une femme il est trop vieux pour coucher avec elle, ou il est dans la jouissance de son corps de 20 ans. »
Mitka est plein de haine, plein à craquer du désir de vengeance et il craque ( je ne révèle pas plus que ce qui est annoncé en 4ème de couverture ), au fil des rencontres il trace son chemin meurtrier, et l’autrice, brillamment, distille au compte-goutte des informations; les autres personnages, Cristina, Mariama, Giulia, Maxime, s’interrogent dans leurs chassés-croisés ; on rencontre aussi Madeleine, intéressante, légère et sans tabous, mais bon, je ne dis rien de plus. Sauf que ce petit livre est extrêmement bien ficelé, bien écrit, qui doucement nous emmène au fond du cœur de Mitka, au fond de sa rage, et au milieu de son désert, de la profonde solitude qui l’habite. En lisant, vous croiserez Hoya Bella, la fleur de porcelaine, qui contrairement aux cailloux du Petit Poucet, égare plus qu’elle ne guide dans le jeu de piste que nous propose la belle plume d’Anne Luthaud.
Un petit roman très original et surprenant. Les derniers mots:
« Ce que l’on voit, là, tout de suite, c’est Augusta, silhouette menue, remonter le chemin qui mène de l’église à son atelier, elle a à faire, elle vient de commencer une série sur les oiseaux. Elle s’arrête, se baisse, cueille sur le chemin une petite fleur blanche et dure qui ressemble à de la porcelaine. elle en a encore oublié le nom. »
Et bien dis donc tu ne dis rien mais du dis beaucoup de ton plaisir de lecture 🙂
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Ah ! Oui, c’est vraiment un livre agréable à lire, parce qu’il nous promène bien, dans tous les sens du terme et qu’au final…eh bien on est pas bien plus avancé. Bien, quoi !
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C’est tentant ,en plus en format court.On arrive quand même à s’immerger dans l’histoire?
En tous les cas c’est original.
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