« Dans le Wyoming, l’une des tâches qui incombe à un représentant élu est de comprendre ses électeurs, d’écouter les gens – les aider à résoudre leurs problèmes – même s’ils ont une araignée au plafond. J’écoutais Barbara me parler des anges qui l’aidaient chez elle dans ses travaux, ce qui pour moi constituait une preuve qu’araignée il y avait bien, si ce n’est même deux. »
Toujours le même plaisir à retrouver Walt Longmire, mon shérif préféré, flanqué de son irascible adjointe Vic, sans compter la présence de Henry Standing Bear, Bear Society, Dog Soldier Clan, autrement surnommé la Nation Cheyenne ou encore l’Ours, toujours aussi taiseux mais toujours aussi efficace et fidèle dans les grands moments. Pourquoi s’attache-t-on ainsi à un personnage? Qu’est-ce qui fait qu’on le retrouve comme un ami ? Sans doute qu’au fil des romans la finesse psychologique se précise et Walt est un homme foncièrement bon, capable d’autodérision, capable d’impulsivité et tout autant de maîtrise de soi. Dans cet opus, l’intrigue est majeure, complexe, nos amis vont sortir « l’artillerie lourde » et dénouer une très sale affaire. Tout commence avec l’arrestation d’un jeune homme caché dans un cabanon et qui vole sa nourriture. Cord a fugué de sa communauté de l’Eglise de Jésus Christ des Saints du Premier Jour, les Mormons.
Puis c’est un vieil homme, Orrin Porter Rockwell, le Danite, Homme de Dieu, Fils du Tonnerre, alias Joseph Smith Junior et Brigham Young ( oui, c’est beaucoup de noms pour un seul homme…). Sauf que le vénérable Rockwell est censé être mort en 1878, ce qui fait près de 200 ans à notre bon vieux ! Il n’y a pas que Barbara qui a une araignée au plafond…Une histoire de dingues donc, qui en couvre une bien moins fumeuse et bien plus lucrative. Je ne tente même pas de vous la résumer, mais de l’action il y en a, ça canarde et ça chauffe, ça écrase et ça cogne, mais ce que j’ai aimé ici dans le bruit et la fureur de ces démêlés entre méchants et gentils, ce sont les relations entre les personnages, ainsi l’histoire d’amour entre Walt et Vic. Ah ! Vic! Avec sa canine un peu trop longue qui lui fait un sourire de louve, son coin de bouche qui se relève en un sourire narquois; elle jure, s’emporte, renâcle, elle a toute sa place dans la brigade d’Absaroka, c’est une vraie dure à cuire, avec des yeux magnifiques et fascinants couleur vieil or. Ensuite il y a l’amitié et la complicité entre Walt et Henry, liés par de nombreuses expériences communes dont le Viet Nam n’est pas la moindre.
Et puis il va y avoir Cord qui va découvrir « Mon amie Flicka » en vidéo, puis le livre…le livre ! Lui qui ignorait qu’il existât d’autres livres que la Sainte Bible des Mormons.
L’équipe va rencontrer des individus bizarres qui donnent lieu à des pages drôles, comme Vann Ross qui a fabriqué douze vaisseaux spatiaux prêts à décoller quand viendra le grand jour ( ils portent les noms des douze tribus d’Israël ) :
« Vous voyez, Adam reviendra sur terre pour nous emmener lors de l’enlèvement et nous acheminer vers les douze planètes qui nous ont été réservées. »
Et quand Vic se mêle à la conversation:
« -Vann, Tim me parlait de votre talent extraordinaire, avec les chiens…
Il se tourna à nouveau vers moi, agitant la tête frénétiquement.
-Pendant mon temps libre, j’apprends aux chiens à parler. J’utilise la télépathie mentale, et j’arrive à leur faire dire des mots comme bonjour, écureuil et hamburger. »
L’humour de Craig Johnson est donc encore au rendez-vous – et me réjouit toujours autant – mais le sens de la dramaturgie aussi avec un incendie dantesque. Et puis des bribes d’histoire de l’état et des références littéraires glissées avec discrétion et justesse. Le shérif trouve dans le stock à liquider d’Eleanor Tisdale, la grand-mère de Cord et mère de la femme disparue, une histoire du Wyoming ( la seule qui fut écrite sous le titre de « Tensleep and No rest » de Jack R. Gage ):
« Même le serpent, tout à la fois emblème de la vie éternelle et du mal volontaire, n’était pas absent, s’installant dans les habitats souterrains du chien de prairie pour échapper à la chaleur torride des sables, où parfois il rencontrait ce pensionnaire étrange, le hibou, qui lui aussi cherchait à s’abriter du soleil brûlant des plaines. Cette région regorgeait de vie dans un temps où l’homme blanc, pour ce que l’homme rouge en savait, n’existait pas.
-Pas mal, pour un historien, tu ne trouves pas ? »
Les coups de gueule de Vic s’enchaînent contre Walt dans un langage fleuri et réjouissant
« -Si ce salopard t’avait descendu, j’aurais été obligée de tuer tout le monde, ce qui ne m’emmerde pas plus que ça, mais après, j’aurais été forcée de soulever tes cent vingt kilos…
-Je suis descendu à cent onze.
Elle pointa un index vers moi.
-Ta gueule, putain.
-Oui.
-…de gras pour les charger dans ta voiture, et rouler à la vitesse de la lumière dans l’espoir que tu ne te viderais pas de tous tes fluides corporels sur les tapis avant de mourir. »
L’histoire arrive ainsi à son dénouement, pleine de coups de feu, de coups de poings et de grands moments de tendresse, du rire à l’émotion avec de nouvelles pertes pour Walt, pour lui toujours comme un bout de lui-même qui s’en va
« On pourrait penser qu’on s’y habitue, mais ce n’est pas vrai. On ne s’habitue pas à se trouver face à la forme sans vie d’un animal qui vous ressemble. Il y a chez les morts, et cela n’a rien de surprenant, une immobilité surnaturelle, en particulier quand ils sont jeunes.
Je posai une main sur l’épaule nue, sentant la fraîcheur de la chair, un autre rappel du fait que l’esprit qui se trouvait là était parti. J’avais embauché le jeune homme qui venait d’une bonne famille de Sheridan et il avait été un bon adjoint. Jeudi prochain, ils mettraient son corps dans une tombe, une autre victime dans la guerre que j’avais menée presque toute ma vie.
Tout ça pour quelques centaines de litres de pétrole. »
Et à la fin la toute petite amorce qui nous dit que l’histoire de Walt, de Vic, de Henry et du Comté d’Absaroka n’est pas terminée et ça me fait plaisir, ça me réjouit cette simple idée de retrouver le Wyoming et mon shérif préféré.
« La foule rugit à nouveau et j’ouvris la petite boîte en carton blanc. Je sortis avec précaution les chrysanthèmes teints attachés par un ruban. Je respirai son parfum qui se mêlait à celui du petit bouquet orange et noir que je posai tout doucement sur l’oreiller à côté de sa tête. »
On peut lire les remerciements aussi, toujours pleins d’humour et de poésie. Et je vous laisse chercher seuls si vous voulez en savoir plus sur ces Mormons, mais moi ça m’a fait peur !
Pourquoi s’attacher à des êtres fictifs comme Longmire? Excellente question! Sans doute parce qu’ils ne le sont pas tant que ça, qu’ils sont façonné à l’image de leurs créateur comme Craig Johnson dans le cas présent! Et quel créateur! N’oublions pas que ce dernier n’est pas seulement écrivain mais a aussi été policier et cowboy! Il est pour moi le romancier policier américain par excellence qui a l’art de nous plonger des les grandes plaines du Far West, nous parle avec un respect profond des Amérindiens. J’ai lu deux livres de cet écrivain que j’admire et qui m’est très sympathique ( tout comme son personnage principal ): « Little bird » et « Dry bones », j’avais vraiment aimé et pas seulement pour les intrigues mais pour le style! Savais-tu qu’il existe une série TV « Longmire »? Je ne sais pas si cela t’intéresse…Je viens de l’apprendre en cherchant dans le catalogue de la bibliothèque « La dent du serpent » car ton résumé d’une des aventures de Walt Longmire merveilleusement bien écrit et illustré ( comme toujours ) m’a donné une folle envie de lire ce livre!
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Bonjour amie belge! Ah oui, Walt à mon sens a tout de son créateur. Pour avoir rencontré Craig Johnson plusieurs fois, l’avoir entendu en conférences, c’est certain qu’il y a de lui dans Walt qui vit dans son ranch du Wyoming, près d’une réserve et il parle très bien des Indiens, qu’il aime et respecte. J’ai lu tous ses romans, depuis Little Bird qui reste un des meilleurs et je te conseille vivement Tous les démons sont ici, extraordinaire. Je connais la série, oui, mais un truc me chagrine, c’est l’acteur qui joue Henry; il est bien, mais il ne correspond pas du tout physiquement à l’idée que je me fais de HSB l’Ours, la Nation Cheyenne, je le vois grand et baraqué, sombre et dans la série, il est petit, il ne fait pas du tout penser à un ours. Mais c’est pas trop mal, il n’y a pas la profondeur à cause du format court, mais c’est regardable, pour Vic qui a bien le même caractère de cochon !
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J’ai lu « Little Bird » et « Dry Bones » et j’ai vraiment adoré, surtout Little Bird! Quelle chance d’avoir rencontré Craig Johnson plusieurs fois! En ce qui concerne la série tv, je suis déçue. J’ai emprunté les deux premières saisons à la bibliothèque et regardé les deux premiers épisodes hier soir. Pour quelqu’un qui n’a pas lu des romans de Craig Johnson comme c’est le cas de mon époux, c’est une bonne série mais comme toi, je m’étais faite une image tellement différente de Walt et de Henry, je l’avais imaginé grand, costaud, un physique moins « nerveux » et tellement différent que celui de Philippe Lou Diamond, un bon acteur pourtant! Heureusement que l’acteur principal qui est australien parle un anglais avec un accent américain très crédible! Cela me faisait peur aussi d’entendre Walt Longmire parler avec un accent un peu britannique en plus du physique que j’avais aussi imaginé assez différent! L’actrice qui joue le rôle de Vic est bien! Mais cela ne fait que confirmer une fois de plus ce que m’a répété mon adorable maman jusqu’à la fin de sa vie: Lire c’est vivre des centaines de vies, c’est rencontrer des gens extraordinaires dans des pays tout aussi extraordinaires! Ou cette phrase que tu as écrite et qui m’a donné envie de faire ta connaissance, une très belle comparaison entre la lecture et le voyage, tous ces livres qui t’emmènent vers d’autres destinations. Je la relis de temps à autre tellement je la trouve belle!
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Une fois d eplus : d’accord ! Et merci pour tes commentaires enrichissants et tes compliments!
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