« Les animaux » – Christian Kiefer – Albin Michel/Terres d’Amérique, traduit par Marina Boraso

9782226318206-j« C’est la mort que tu es venu donner. Tu as beau tâcher de te persuader du contraire, tu sais au fond de ton cœur que tu ne fais ainsi qu’accumuler les mensonges. Au bout du compte, tu es bien forcé de distinguer la vérité de ce qui se réduit à un mince lambeau d’espoir s’accrochant à toi comme le givre au brin d’herbe. »

Voici encore un nouvel auteur talentueux qui raconte l’histoire de Bill et de Rick. Voici une histoire de mensonge, de vengeance, et de lâcheté (ou de manque de courage, selon l’angle sous lequel on aborde les choses ). Une histoire humaine, en quelque sorte.

En plein cœur de l’Idaho, Bill tient un refuge pour des animaux sauvages blessés. Il y a là Majer le grizzly qui aime les guimauves, Cinder le puma, Zeke le loup, et toute une ribambelle d’oiseaux et de petits animaux dont les blessures sont ici soignées avant une remise en liberté, si possible. C’est la vétérinaire Grace qui aide Bill; Bill et Grace sont amoureux et Jude le garçonnet de Grace attend avec impatience qu’il demande sa mère en mariage. Jolie histoire, malgré les difficultés administratives de Bill avec les autorités et les chasseurs.

Mais le retour inattendu de Rick, ami d’enfance de Bill, va dérégler cet ordre des choses, car Rick sait tout de Bill, et enfants ils étaient tout l’un pour l’autre.

« Être le meilleur ami de Rick ne relevait pas d’une décision, il s’agissait plutôt d’un credo capable de guider sa vie. Enfants ils avaient appris à ne compter que l’un sur l’autre, faute d’un adulte pour veiller sur eux, surtout après la mort de son frère, quand sa mère avait recherché l’oubli dans la boisson, prostrée dans son fauteuil inclinable troué.[…]. Ils s’étaient donc occupés l’un de l’autre, et il savait que Rick continuait à prendre soin de lui, du mieux qu’il le pouvait. »

Rick sort de 12 mois de prison et a quelques questions à poser à son vieil ami. Entre eux à présent pèsent un coffre-fort noir, l’amour de Susan et un abandon. Ici s’arrête mon aperçu de l’histoire. Le récit fait des va-et-vient entre le passé et le présent, l’histoire de la jeunesse des deux amis et leur vie présente. Bill, sauveur des animaux blessés mais aussi abstinent d’un vice qui lui a tout fait perdre, et Rick assoiffé de vengeance qui va commencer sa quête de vérité. Je dois dire que je n’ai ressenti aucune sympathie pour ces deux hommes. Le choix de Bill étant la fuite et le mensonge il m’a paru lâche et incapable d’assumer ses actes,  je n’ai pas ressenti quelque compassion que ce soit pour ce Bill menteur qui trahit son ami presque frère et s’enfuit:

« Tu arrives dans l’Idaho avant les premières neiges, mais la température est descendue au-dessous de zéro, et les maisons qui te regardent, éparpillées dans la forêt qui borde la route de part et d’autre, envoient toutes une colonne de fumée vers le ciel d’un bleu cristallin. On est à la fin du mois de novembre 1984 et tu passes un coup de fil depuis une cabine, une cigarette entre tes doigts tremblants, serrant le combiné de l’autre main. »

Quant à Rick, violent, rageur, il ne fait plus confiance du tout à Bill et persiste dans la colère jusqu’à l’épuisement, et même si ça peut sembler bizarre, je le comprends sans doute mieux que Bill.

mountain-lion-938474_960_720Toute cette histoire de vengeance et son explication sont délivrées peu à peu, mais ce que j’ai vraiment aimé, là où j’ai trouvé la force de Christian Kiefer c’est indéniablement dans tout ce qui touche à ces animaux blessés, à la nature, le froid, les armoises et les grands pins sous la neige, le blizzard et sa puissance qui remet chacun à sa place. C’est dans les tête-à-tête entre l’homme et les animaux que la plume devient brillante; ça a quelque chose de magique et tout à la fois c’est poignant, par la force et la beauté de la nature:

« Il aimait le silence ambiant, l’ordonnancement de ces courtes journées, les réveils à l’aube, quand il empruntait le chemin entre les bouleaux, les grands arbres figés sous le gel, infiniment paisibles, et la pellicule de glace qui craquait sous ses chaussures fourrées. Cet endroit en particulier semblait tout droit sorti d’un conte de fées, comme il l’avait un jour confié à Grace.[…] On aurait juré qu’il était impossible d’évoluer dans un tel paysage, qu’il ne pouvait exister que dans les rêves. Et pourtant il était bel et bien là. »

grizzly-bear-1106384_960_720L’énorme ours aveugle qui mange des guimauves dans la main de Bill, ce grand et maigre loup Zeke, sauvé des mâchoires d’un piège, boitillant une patte en moins, dans son enclos, et Bill qui pense ainsi trouver une paix qui ne vient pas; il lui semble bien faire, enfin bien faire, et c’est dans ces scènes bouleversantes qu’il a gagné ma sympathie, là où sa faiblesse d’homme se mue en une sorte de fraternité avec l’animal. Sans doute est-ce la qualité de l’écriture qui réussit ce retournement de mon sentiment envers Bill.

tracks-in-snow-329771__340 » De nouveau il essaya de parler, mais il ne réussit qu’à pousser un long hurlement qui jaillit du centre de son être, un cri interminable qui résonnait pendant que son cœur se défaisait comme une pelote de fil écarlate, déroulant ses boucles serpentines qui s’élançaient dans le ciel et dans la neige et retombaient autour d’eux, sur l’homme couché contre le corps d’un ours en cage dans la blancheur d’une forêt pétrifiée, et sous la neige infatigable qui les enveloppait peu à peu, la frontière se brouillait entre l’homme et l’animal, l’un fusionnant avec l’autre dans un élan commun, si bien qu’ils semblèrent se dissoudre dans la ruée de la tempête qui les assaillait de toutes parts avec la force d’une avalanche. »

Enfin ce livre ne se termine pas vraiment, les dernières pages me donnent un peu l’impression d’un no man’s land, d’un vide silencieux et froid. Fin ouverte sur le devenir de ceux qui restent, une fin comme un chagrin latent…Un beau livre, plutôt triste, hanté par ces animaux blessés qui regardent l’homme.

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