« Soleil rouge » – Matthew McBride – Gallmeister/ Neonoire, traduit par Laurent Bury

soleil » Le soleil descendait derrière le mobile home comme une explosion de jaune d’œuf qui giclait du ciel et consumait les arbres. Le long de la rivière, les sycomores projetaient de longues ombres couleur auburn brûlé, et des rayons dorés perforaient les nuages rebondis, visiblement chargés d’humidité pour plusieurs jours.

Les piverts frappaient et picoraient. L’eau de source jaillissait et se déversait dans les rigoles et les ruisseaux, s’élevait au-dessus des parois et remplissait les fossés des terres basses. Les rameaux se couvraient de feuilles et les branches se battaient entre elles quand un vent frais montait de la rivière. »

Je vous ai épargné le vrai début de ce roman noir, un prologue qui dépeint une toute autre ambiance, pour favoriser le paysage du comté de Gasconade, Missouri. Il y aura au cours du livre de très beaux passages sur les paysages de cette région, qui pourtant est plus connue pour l’énorme quantité de métamphétamine qui y est produite et vendue; sans compter la marijuana.

Lors d’une intervention dans le mobile-home d’un trafiquant, le shérif adjoint Dale Banks tombe sur un magot de 52 000 $ caché dans la litière du chat. Il sait dans quoi il s’engage avec cet argent sale, mais il s’en empare et va le cacher chez le vieil Olen, 81 ans, veuf triste qui continue néanmoins à travailler son lopin en compagnie de son chien Sandy et du coq Beauregard, le plus méchant coq de la Gasconade:

« Olen était un fermier qui adorait ses tracteurs et sa terre. Il en était venu à énormément apprécier les petits cadeaux de la vie. Les petites choses superflues que l’on observe et qui demeurent inutiles jusqu’à votre vieillesse. Les petites choses que seul un imbécile peut savourer.

C’était l’amour d’un chien et la haine d’un mauvais coq qui le maintenaient en vie. »

chevroletBanks devra  à partir de ce moment trouver le moyen de se sortir de ce guêpier, si possible en ne rendant pas l’argent. Or, c’est bien là qu’est la difficulté compte tenu des « adversaires », les dealers – plus ou moins futés-, fabricants, revendeurs, dont certains sont des membres égarés des familles du coin. Le plus redoutable de tous est une sorte de fou furieux, Butch Pogue, auto-proclamé révérend de sa propre religion. Lui et les siens vivent au sommet d’une colline, où le révérend produit avec amour et dévotion la meilleure métamphétamine du secteur et pratique des rituels sacrificiels en égorgeant des cochons. Un des personnages les plus pittoresques du roman, on peut le dire ! Mais on va croiser aussi Jackson, Fish, Jerry Dean, Wake, entre deux montées ou descentes de leur substance favorire, scènes largement décrites comme ici:

« […]Il retira la seringue qu’il serrait entre ses dents, prit le bouchon, le remua et mania le piston une ou deux fois.Puis il le poussa à fond pour chasser tout l’air, aspira un peu de meth dans l’aiguille, la plaça contre son cou, pinça la peau avec sa main libre et inséra la pointe de l’aiguille dans l’étroite veine bleue qui courait en travers de sa clavicule.

Et puis il fut libre. Il ferma les yeux et sentit que le monde explosait. C’était chaud, noir et lent. À la fois terrifiant et beau. »

mobile-homeMatthew McBride nous raconte donc cette région ravagée par la drogue et la violence qu’elle génère. On pense indéniablement au grand Daniel Woodrell sans atteindre pourtant la force dramatique de ce dernier ( la barre est tellement haute! ), forcément, c’est la même région, les Ozarks sont à côté, et les mêmes plaies sociales. Parmi elles, il y a l’obésité, depuis Banks jusqu’à l’ogresse Mama qui découpe les têtes des cochons chez le révérend Pogue. Mais ce n’est rien face à la drogue qui ronge la jeunesse qui se détruit le cerveau pour s’évader et moins souffrir, comme Fish regardant un père et son fils pêchant sur une barque:

« Fish les regarda bavarder, lancer leurs lignes, descendre la rivière. Les regarda s’aimer comme il n’avait jamais été aimé. Un amour tel qu’on en racontait dans les livres, tel qu’on en montrait à la télé. Papa fixait un appât à l’hameçon de Fiston, et il riait quand la ligne s’accrochait au rivage. Il ne frottait pas la joue de Fiston avec le poing comme Big Fish l’aurait fait.

Non, ce père-là était parfait. Il souriait, secouait la tête et passait les doigts dans les cheveux de Fiston. »

Parmi les personnages, j’ai une tendresse pour le vieil Olen, et puis ce shérif adjoint Banks, sa famille, sa petite fille handicapée Grace si joyeuse, sa femme Jude si sage, et ses deux ados, Jake et Steph, une belle famille qui résiste à l’environnement par l’amour que ses membres se portent. Bien entendu, il se passe beaucoup de choses entre tous ces personnages, et ceux dont je n’ai rien dit comme Herb et Wink; il y a des femmes aussi, et pour finir, j’ai apprécié la fin que McBride a choisie pour son histoire, une belle fin, bien composée, comme un grand ménage dans un lieu sale et en désordre.

L’auteur est parvenu à écrire un livre tout à fait différent du précédent, « Franck Sinatra dans un mixeur« , qui était très noir, mais très très drôle et en cela sans doute plus original que celui-ci.

Voici le lien vers l’interview des amis de Nyctalopes de Matthew McBride au Festival Etonnants voyageurs.

2 réflexions au sujet de « « Soleil rouge » – Matthew McBride – Gallmeister/ Neonoire, traduit par Laurent Bury »

    • C’est vrai, le choix éditorial est excellent; après on a des auteurs préférés (pour moi Larry McMurtry, Pete Fromm, Craig Johnson, Vann et Whitmer )et de belles découvertes, et de belles rééditions comme Dorothy Johnson.

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