Et revoici ce diable d’Islandais qui vient me bousculer à nouveau avec un bon moment de lecture. Après le phénoménal « Illska, le Mal » , roman au long cours plein d’un souffle furieux, voici un format court ( 158 pages) échevelé, électrique, nerveux et drôle ce qui ne gâte rien, de cet humour grinçant que j’aime.
Dans un futur tout proche, le monde vit sous SurVeillance, système dans lequel les caméras sont partout et la connexion permanente. Rien n’est caché, tout se voit et tout se sait, chacun se pense important. Sous les yeux des webcams et du reste de la planète, chacun affiche son existence. Voici Áki Talbot et son épouse Lenita, tous deux écrivains en phase de rupture conjugale, se déchirant via des vidéos pornos dont ils sont les acteurs, pour mieux se faire mal, enfin, essayer.
« Avant de l’épouser, Áki avait prévenu Lenita que, si elle le trompait, il ne se gênerait pas pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Je sortirai et je coucherai avec quelqu’un d’autre, avait-il menacé. N’importe qui, avait-il répété en voyant qu’elle ne répondait pas. Peut-être fallait-il voir dans cet échange l’annonce de la série d’événements des trois années qui venaient de s’écouler- depuis la première fois qu’ils avaient couché ensemble une véritable guerre par baises interposées avait régné entre eux et, apparemment, les hostilités étaient loin d’être finies. »
Leur maison est truffée de webcams, comme celle de tout un chacun, tout n’est que transparence, mais quand même, tromper son conjoint reste laid et inacceptable ! Les fenêtres ne suffisant plus pour cette transparence, caméras et vidéos ont envahi la société où les egos s’exposent dans chaque geste du quotidien y compris ce qui se passe aux toilettes.
« Ils appellent ça surVeillance tandis que nous parlons de mélodie du futur- dystopie ou probablement cauchemar- mais en réalité c’est un phénomène plutôt banal et il n’y a sans doute pas grand chose à en dire. »
Or adviennent de plus en plus souvent des coupures d’électricité intempestives, des écrans noirs, plus d’internet, plus de diodes clignotantes rouges ou vertes, et ce au moment de l’année où les jours diminuent, où la nuit s’installe…Il va apparaître alors que ces perturbations sont des actes « terroristes » venus d’un groupe d’artistes, mais on ne connait vraiment le fin mot de l’histoire qu’aux dernières pages du roman.
C’est cette société voyeuriste que met en scène l’auteur dans cette dystopie que pour ma part je trouve effrayante, d’autant plus qu’on en voit déjà les prémisses en ce début de siècle. C’est la peur du vide qui règne et en courts paragraphes l’auteur, comme entre parenthèses, décortique cette peur du vide liée au temps passé et futur, cette peur ressentie par les hommes
« […]insupportable, cela nous ronge de l’intérieur et nous affole; aussi sûrement que le trauma de notre naissance et l’angoisse de notre mort;[ …] »
Pourquoi ce besoin de tout dire, de tout voir, de tout montrer, et de tout entendre ? Pourquoi la panique qui s’installe quand les écrans s’éteignent ? Personnellement, ça me fait m’interroger. Moi qui vous parle ainsi depuis mon écran, qui vous espère me lisant, présupposant que ça peut vous intéresser, moi dont l’oreille inconsciemment guette la sonnette qui m’annonce un message…Moi parmi les autres. Besoin de ça pour se sentir existante au monde ? Inquiétant, non ?
Féroce satire de notre société, tout y passe des illusions narcissiques des hommes, il ricane et se gausse, notre auteur, y compris et avec virulence des écrivains :
« Ils écrivaient des romans qui parlaient de la nature, du caractère de l’homme et de ses travers, s’inspiraient de sources historiques, des antiques sagas et des poèmes épiques de l’Edda , s’arrangeaient pour y caser au minimum une éruption volcanique, quelques animaux typiquement islandais, des imbéciles et des Vikings, des fermes et des ermites qu’ils mixaient ensuite avec la politique contemporaine et l’histoire mondiale en commençant de préférence la narration par un petit meurtre. »
Ainsi Norðdahl nous livre un roman efficace et grinçant à souhait, mais tellement juste…On suivra l’avancée de l’écriture des romans respectifs du couple et de leur guerre de jalousie, la venue de l’obscurité au fil des coupures de courant et de la nuit polaire islandaise, jusqu’au dénouement. Il ne serait pas gentil de ma part de vous en dire plus que ça ( Allons ! Maintenons un peu de mystère, cachons deux ou trois choses ! ). Mais reste un livre totalement jubilatoire, remarquablement bien écrit – et je ne manque pas de louer ici une fois encore la formidable traduction d’Eric Boury – qui par l’histoire de ce couple désuni, mais pas tant que ça, nous plaque violemment contre le miroir. J’ai beaucoup apprécié cet humour féroce qui nous met sans ménagement devant notre reflet et celui du monde, grimaçant et stupide de vanité. Je recommande !
J’y vais de ce pas à la Librerie du coin……pour ensuite vous « parle(r) ainsi depuis mon écran, …..présupposant que ça peut vous intéresser » et exister, (merci pour la recommandation)
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Toujours plein d’à propos, mon ami ! Franchement bien bien bien, ce livre !😜
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Et merci pour ta carte negrèsque …. qui vient d’arriver !
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Je l’ai trouvée bien faite pour toi, l’humour, le second degré, tout ça…
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« La petite eau », tu connais? C’est l’eau à la bouche qui nous vient lorsqu’on sent l’odeur délicieuse de se dont on va se repaître! je me réjouis….
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J’espère bien mettre l’eau à la bouche !Je réponds brièvement, on est à Paris et je commente sur la tablette, je préfère mon ordinateur ! Discussion plus touffue au retour
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Allez ! Premier de l’année sur ma pal ! Comment puis-je faire autrement quand tu soulèves autant de questions intéressantes ? Bisous Simone 🙂
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C’est pas moi, c’est lui !!! 😜😜😜
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Cette dépendance à l’écran, à la communication virtuelle … Est-ce que ça ne serait pas un joli sujet pour nous ? « Entre nous soit dit », nous pourrions en discuter en buvant qui un thé, qui un café (voire un chocolat chaud), pas tout à fait ensemble certes, mais proches quand même !
Et puis c’est pas comme si ma copine Simone était en ce moment même à 15 km de moi sans qu’on puisse se voir, hein ?!!!!!!
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Y a moyen en partant de la ligne 12 du métro ? De boire un café quelque part ? 😜
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C’est une bonne idée. Car en fait, même si nous – lecteurs assidus – nous connaissons un peu grâce à Simone, et à notre dépendance à l’écran … trop de communication virtuelle, et cette attente de signes qu’elle implique, peut générer du vide, voire de la tristesse. Elle nous fabrique une image tronquée.
En tout cas sur le fond, il y a effectivement matière à s’interroger, et à débattre.
Rendez-vous sur « Entre nous soit dit », avec plaisir.
Tu vois Simone, tu as bien fait de laisser ce blog exister.
Mais je lirai d’abord le livre. Je cours l’acheter.
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Ce qui est bon, dans ce livre, c’est sa construction rapide, vive, avec une instantanéité qui est directement dans le sujet, un miroir, quoi…Et l’humour et puis, en plus des relations virtuelles, il y a cette idée de transparence de la société ( jusqu’où voulons-nous qu’elle soit transparente ? Et toutes ces caméras partout, non pas seulement pour surveiller, mais pour montrer !
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J’ai lu hier un avis très mitigé sur ce titre, justement trop « court » pour la lectrice concernée, qui lui reproche de n’avoir pas exploité avec assez de profondeur les pistes de réflexion entamées.
A voir … j’avais en tous cas été conquise par Illska.
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Parfois, c’est trop long, parfois trop court, pour ma part, je trouve que le format court convient au sujet, la construction est judicieuse. Et puis j’ai ri, peut être ne suis je pas assez exigeante ou trop indulgente, mais ne l’occurrence sur ce livre, je trouve que ça colle. Je lirai avec plaisir ton avis
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Déjà que j’avais aimé Illska alors celui -ci ! Il devrait me plaire, riche en questionnements et en humour. Et cette nuit polaire qui s’annonce…très envie de connaître la suite 🙂
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Il semble qu’une autre blogueuse a trouvé trop court. Moi j’ai bien aimé le côté au pas de charge, justement, qui colle plutôt bien avec l’instantanéité, la vitesse et la superficialité de la société décrite. Pour moi, super !👍
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Bien tentant !
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J’espère ! Un sacré talent, ce garçon !Et il me fait rire, un rire un peu cynique,
mais un rire quand même , j’aime !
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