Entretien avec Hélène FOURNIER, traductrice

AVT_Helene-Fournier_5659C’est après avoir lu le roman de Willy Vlautin « Devenir quelqu’un » que j’ai voulu interroger Hélène Fournier, traductrice de l’anglais en particulier pour la collection « Terres d’Amérique » chez Albin Michel, sous la direction de Francis Geffard. Je lis beaucoup de littérature étrangère, beaucoup de romans anglo-saxons, et le rôle de la traduction m’a toujours intéressée. Grâce aux traductrices et traducteurs, je peux accéder à une variété infinie de littératures, de cultures, et donc de bonheurs de découvertes formidables. J’ai choisi Hélène Fournier parce que j’ai beaucoup aimé les livres sur lesquels elle a travaillé ( comme Dan Chaon par exemple ) et je suis très heureuse de nos échanges dont voici le résultat pour vous. J’ajoute qu’Hélène s’est montrée très participative, impliquée dans nos conversations, ce fut un grand plaisir, vraiment, de parler avec elle.

S- Comment et pourquoi êtes-vous choisie quand vous l’êtes, qu’est-ce qui vous, vous fait accepter ou refuser une traduction ?

H- Concernant le fait d’être choisie, il faudrait poser la question à Francis Geffard. Quant à refuser une traduction, ça ne m’est arrivé que deux fois en plus de vingt ans de carrière. La première fois face à un texte que je me sentais incapable de traduire, la seconde davantage liée à l’auteur avec qui j’avais eu beaucoup de mal à travailler.

S- Je suppose que vous lisez d’abord le texte, une ou plusieurs fois ?  Ensuite, comment entrez-vous en contact avec l’auteur que vous allez traduire et de quel ordre sont vos échanges ?

H – Oui, je lis le texte une ou deux fois, tout dépend de la difficulté. Je le lis avec les yeux d’une traductrice et non pas d’une lectrice. Je repère les difficultés, je note quelques questions générales à poser à l’auteur. Il m’arrive aussi de prendre des notes – vocabulaire spécialisé, répétitions voulues par l’auteur à bien reprendre en français, tics de langage d’un personnage. Ensuite, si c’est un auteur dont je n’ai encore rien traduit, je prends contact avec lui par mail pour me présenter et lui demander s’il accepte de répondre à mes questions. Généralement, j’envoie mes questions à la fin de chaque chapitre. Elles portent essentiellement sur le vocabulaire, sur certaines spécificités américaines dont nous n’avons pas forcément l’équivalent, mais je peux aussi leur demander de m’envoyer une photo qui me permettra de mieux visualiser telle ou telle chose. Mes auteurs sont le plus souvent très réactifs, ce qui est vraiment agréable.

S- Y a-t-il des moments de doute, de flottement, des difficultés qui varient selon l’auteur traduit ?

__multimedia__Article__Image__2021__9782226401984-jH- Il y a toujours des moments de doute voire de découragement. Même si certains auteurs me semblent plus faciles à traduire que d’autres. J’ai des auteurs très littéraires, chacun a son écriture, son style, ses obsessions, il me faut à chaque fois m’adapter, et cet échange entre nous m’aide à mieux le traduire. Au fil des ans, de vraies relations s’établissent, nous nous rencontrons, nous restons en lien et connaître l’homme ou la femme derrière l’écrivain est vraiment un plus pour moi dans mon travail. Je n’imaginerais pas une seconde traduire un auteur mort. Ce que j’aime dans ce travail, c’est précisément ce contact.

S-Comment envisagez-vous votre fonction et votre rôle sur le résultat final ? Comme lectrice je me pose tout le temps la question de savoir ce que je lirais si je lisais couramment l’anglais ou l’espagnol. Finissant un livre écrit en français par un russe, je me suis même posé la question de ce qu’aurait été la traduction de ce texte superbe s’il avait été écrit en russe et traduit ensuite, vous voyez ce que je veux dire?

H- Chaque traduction est un défi. Je trouve que les auteurs sont très courageux de me confier un de leurs biens les plus précieux. Pour moi, c’est une lourde responsabilité car le pire serait de les trahir involontairement. Et je crois que c’est cette crainte qui me pousse à leur poser autant de questions. D’après ce qu’ils me disent, et malgré le temps et le travail que cela exige d’eux, ma démarche semble plutôt les rassurer et leur montrer mon désir d’approcher au plus près de ce qu’ils ont voulu écrire.

S- Dans notre échange téléphonique vous m’avez parlé de votre amour de la langue française et de votre volonté absolue d’être la plus fidèle possible à ce qu’à écrit l’auteur, le ton, le niveau de langage, ce qu’il a voulu qu’il se dégage de ses mots. Il vous faut aussi une connaissance parfaite de la langue que vous traduisez, l’anglais, et en connaître aussi les nuances, les niveaux de langage.  Y a -t-il des moments compliqués ? Où vous doutez ?

Ballade-pour-LeroyH- Oui, je suis amoureuse de la langue française, et j’ai compris très tard que ce métier me permettait d’écrire en français en utilisant l’anglais comme un outil (et sans craindre le syndrome de la page blanche). Il faut effectivement avoir une bonne connaissance de l’anglais et parfois mes questions tournent justement autour des « colloquialisms », des expressions apparemment intraduisibles, des jeux de mots. Je peux avoir du mal aussi à évaluer par exemple le degré de vulgarité d’un mot. Ce sont toutes ces nuances qui me passionnent.

S-Enfin comment vous sentez-vous une fois le travail bouclé ? Que ressentez-vous quand le livre est publié et que vous avez permis à plein de gens de lire un livre venu d’ailleurs ?

H- Quand j’ai fini de traduire un roman ou un recueil de nouvelles, j’éprouve un certain soulagement. Le résultat de mois de travail intense est là sous mes yeux et ça fait du bien. Mais pour être totalement sereine, je dois attendre que mon éditeur, Francis Geffard, ait lu ma traduction et se dise satisfait. Et puis lorsqu’elle sort en librairie, je n’ose pas trop parcourir les pages de crainte qu’il y ait ne serait-ce qu’une coquille. Mais j’ai hâte de voir ou revoir l’auteur qui est souvent invité en France à cette occasion ou pour le festival America. C’est une immense joie pour moi de le retrouver après ces mois d’échange autour de son livre. Et je suis bien évidemment très heureuse de permettre aux lecteurs d’avoir accès à ces livres « venus d’ailleurs ».

Chère Hélène, je vous remercie infiniment du temps que vous avez consacré à ces quelques questions. Je trouve votre travail absolument essentiel aux amoureux de littérature du monde entier, vos réponses permettent de mieux comprendre ce que nous lisons quand c’est traduit, le travail délicat en amont du livre qui mène à la beauté et à l’authenticité d’un texte. 

Merci encore !

ICI un lien vers Babelio et les livres traduits par Hélène Fournier