Quelques questions à Béatrice Hammer, à propos de « Ce que je sais d’elle »

Chère Béatrice

Je vous remercie d’accepter de répondre aux interrogations qui me sont venues à la lecture de votre livre. Texte plus complexe qu’il ne semble avec sa forme courte et aérée, qui fait penser qu’on peut dire beaucoup en peu de mots – et ce n’est probablement pas si facile à réussir – et vous l’avez fait et bien fait.

Livre que j’ai beaucoup aimé, et puis lecture qui au fond brasse pas mal de réflexions, et des questions. Voici ce qui m’a marquée, émue, et déstabilisée, vous êtes libre de répondre à votre convenance.

51irgKfrLXL._SX195_-Votre livre compte d’abord un personnage, une femme disparue qui occupe tout le texte et l’esprit de toutes les personnes qui vont parler d’elle. L’enquêteur ou l’enquêtrice est anonyme, on ne sait pas si c’est quelqu’un de la police ou de la presse, les questions ne sont pas écrites, c’est la réponse qui les suggère. J’ai trouvé le procédé subtil et intelligent, pour deux raisons : d’une part ça amplifie la curiosité et d’autre part, à travers les réponses de chacune des personnes interrogées, on s’aperçoit que :

– le regard porté sur la disparue est complètement différent, et même parfois totalement opposé de l’un à l’autre des témoignages, ce qui m’amène à envisager le résultat de l’enquête comme un puzzle dont les pièces ne s’accordent pas.

– ce qui est dit sur la disparue en dit autant voire parfois plus sur le témoin que sur cette femme

-C’est exactement ça, et c’est pour cette raison que, comme vous le dites, certaines pièces du puzzle ne s’accordent pas avec les autres. Le portrait de la disparue s’élabore en nous grâce aux reflets que les personnes qui l’ont connue livrent à l’enquêteur (et vous avez tout à fait raison, on ne sait rien non plus de l’enquêteur, ni son statut ni même ses paroles, on le découvre, lui aussi, au cours de la lecture). Le livre joue avec la notion de reflet, de portrait en creux, de miroir. Certaines personnes se contentent de projeter leurs propres sentiments sur une sorte d’écran blanc que serait la disparue pour eux, tandis que d’autres sont allés à sa rencontre. Qui croire ? Qui ne pas croire ? C’est l’enquêteur – puis le lecteur – qui se fait sa propre idée, au fil des pages – selon son vécu personnel aussi, bien sûr.

-Je me suis donc sentie assez déstabilisée, même si je le savais bien sûr déjà, par le fait que l’image que nous donnons n’est pas perçue uniformément. Ici cette femme semble multiple, et ce qui lui est arrivé de l’ordre de la supposition. Et on se dit qu’elle avait perdu de vue ce qu’elle était profondément dans le jeu des relations familiales et sociales.

Ci-dessous

Béatrice Hammer, au sourire et aux yeux pétillants

-Oui, en effet, c’est un thème qui m’est cher : que voulons-nous vraiment ? Qui sommes-nous vraiment ? Dans ces interactions constantes qui nous constituent, comment arbitrer entre ce que les autres attendent de nous, ce dont ils ont besoin, et nos besoins propres ? Et, dans le domaine de la création, faut-il créer à tout prix ? Le peut-on ? Le doit-on ?

-Votre livre parle de l’identité, de la perte de sens d’une vie et puis des relations humaines bien sûr, hasardeuses parfois, décevantes ou confiantes. Certains témoignages révèlent celui qui parle mais une interprétation erronée de la disparue (en tous cas, personnellement, j’ai ressenti de l’amitié pour elle et de la compassion aussi). On voit certains de ces témoins parler d’eux plus que de l’absente, qui finalement ne fait que révéler leurs faiblesses par certains côtés, et le peu d’attention réelle et désintéressée qu’ils lui ont portée.

-En effet, mais c’est parfois le signe d’une grande souffrance… Je ne porte pas de jugement sur mes personnages, même si certains me sont plus sympathiques que d’autres : chacun a ses raisons.

Ceci étant, je suis ravie que vous ayez ressenti de l’amitié et de la compassion pour la disparue. J’en éprouve moi aussi, et également pour l’enquêteur !

Toute la subtilité de ce livre est dans sa simplicité sobre et sa profondeur qui donne à réfléchir sur soi et les autres, sur le jeu des miroirs. Je trouve ça remarquable.

-Merci beaucoup, vous avez parfaitement compris ce que j’ai voulu faire en écrivant ce livre.

Béatrice, je vous remercie d’avoir bien voulu discuter avec moi et celles et ceux qui parfois me lisent.

-C’est un très grand plaisir pour moi, on a rarement des retours sur ses romans de personnes qu’on ne connaît pas dans la « vraie » vie, et cela me touche beaucoup de savoir que vous avez aimé ce petit livre, d’autant plus que je vous sais à la fois franche et exigeante, et que j’apprécie beaucoup vos chroniques.

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