Quelque part en Méditerranée.
La main sur la poignée d’accélération, il profita du bruit du vieux moteur pour y cacher sa phrase sans créer d’incident ou de panique.
-Jette-la par- dessus bord.
-Maintenant?
-On s’en débarrassera plus facilement au milieu de la mer que sur une aire de parking. Elle tousse depuis le départ. pas question de se faire repérer une fois qu’on les aura collés dans les camions en Italie.
Dans l’embarcation, deux-cent soixante-treize migrants. Âges, sexes, provenances, couleurs confondus. Ballottés, trempés, frigorifiés, terrorisés.
-Je crois pas que je peux y arriver. Fais-le, toi. »
Avant toute chose, je tiens à dire que lire m’est difficile en ce moment, assaillis que nous sommes toutes et tous par des messages et des informations anxiogènes dont il est difficile de s’abstraire, je n’échappe pas à cet état. Pour la lecture, j’ai lâché 3 livres qui doivent paraître ou sont parus. Pas accrochée à la moitié, j’ai renoncé; ce n’est peut-être pas leur heure, on verra. J’ai encore une jolie pile, mais on sait que les sorties sont repoussées et c’est le moment d’honorer les livres offerts, prêtés et achetés. Enfin, je ne passerai pas autant de temps sur mes articles, à chercher des images ( même si j’aime bien ajouter des photos, les chercher, les choisir, des photos libres et gratuites, croyez-moi, ça prend du temps ), et ce sera moins long. Pour tout vous dire c’est le calme plat ici et je me demande parfois pourquoi je passe autant de temps sur ces bafouilles…mais je sais bien pourquoi, c’est parce que je garde cette envie de partager et de donner envie. Et je le fais pour les auteurs, surtout les nouveaux, les premiers romans, les choses plus « confidentielles » qui ne le sont que parce que pas saisies dans le grand mouvement de la célébrité, du « grand » éditeur ou de la visibilité médiatique. Et je me demande si je suis bien efficace.
Bah ! Je continue parce que j’aime ça. Et parler de David Chariandy, d’Alan Parks et là, maintenant, d’Olivier Norek qui m’a bouleversée, parler d’auteurs connus ou pas, parler de beaux textes ça me plait à moi, et c’est déjà ça.
Donc, un grand Olivier Norek, paru en 2017 – je vous ai bien dit que j’avais toujours un train de retard – . J’avais beaucoup aimé la trilogie et l’inspecteur Coste et là je dois dire que je suis absolument admirative, car disons-le clairement, c’est un sujet « casse-gueule » auquel il se frotte, Norek, et il s’en tire avec brio, nous proposant un roman extrêmement fort, particulièrement noir plus que policier ; si parfois par la grâce des personnages, il envoie un message qui tend à la fraternité, il repasse du côté sombre et désespéré fatalement compte tenu du lieu et du contexte.
« Nous devenons tous des monstres quand l’histoire nous le propose. »
Mais en fait il est là le talent d’Olivier Norek, il sait doser, on sait qu’il le fait en connaissance de cause, il écrit remarquablement, c’est intelligent, jamais caricatural, il nous brosse des portraits creusés, certains tourmentés par une conscience tenace et résistante à toute épreuve ou au contraire totalement dénués de tout état d’âme. Mais je dois dire que c’est bien plus fin que ça, plus fin, la nuance est partout.
« Kilani ferma les yeux tout le temps de son grand nettoyage. Il resta calme et comme apaisé. Manon se demanda s’il pensait à sa mère, lorsqu’elle avait eu les mêmes gestes. Sur sa peau noire, les blessures n’étaient pas immédiatement visibles. mais le gant glissa sur ses épaules et caressa une brûlure. Sur une de ses jambes, une grande balafre courait le long du mollet. Dans son dos, des stries boursouflées. Ses mains étaient abîmées comme si elles avaient travaillé toute une vie. Manon n’était pas émue. Enfin, pas seulement. Elle était aussi en colère. une vraie colère profonde qui grossissait à chaque nouvelle découverte. Sous ses doigts, cette partition de cicatrices racontait la vie de l’enfant. »
Comme je suis en mode paresse, voici Olivier Norek qui mieux que moi parlera de la genèse de ce livre, qui pour moi devrait être lu massivement ( comme je suis énervée, je dirais même à voix haute aux plus récalcitrants attachés sur leur chaise, oui, c’est l’effet sur moi du confinement, ça… )
Dans ce livre, il est question de la Jungle de Calais, de policiers, de l’un d’entre eux, Bastien Miller, tout nouvellement arrivé avec sa femme dépressive et sa fille ado, Manon et Jade et d’un autre flic, syrien, Adam, qui cherche sa femme et sa fille, Nora et Maya ( avec Monsieur Bou ) dans cette Jungle.
« Il ne pourrait pas sauver son pays. Seules sa femme et sa fille comptaient à présent. Il allait quitter la Syrie par tous les moyens possibles. Et que ceux qui diraient qu’il aurait pu se battre pour aider son peuple aillent se faire foutre. Ou viennent à sa place, dans ce hangar surchauffé, recenser des suicidés aux pieds brûlés et aux dents arrachées. »
Et puis il y a Kilani…dans cet « entre deux mondes » violent, cruel, livré à lui-même et de ce fait livré aux prédateurs.
« Partout dans le monde, tu trouveras toujours un homme pour profiter de la détresse des autres. »
Les migrants fuient un pays en guerre vers lequel on ne peut décemment pas les renvoyer, mais de l’autre côté, on les empêche d’aller là où ils veulent. C’est une situation de blocage, on va dire. […] Vous croyez aux fantômes, Passaro ?
– Je ne me suis jamais posé la question. Vous parlez des esprits qui hantent les maisons ?
– Exact. Coincés entre la vie terrestre et la vie céleste. Comme bloqués entre deux mondes. Ils me font penser à eux, oui. Des âmes, entre deux mondes… »
Il y est question d’êtres humains et d’abandon. Mais aussi de courage, de fraternité, d’amour.
Un très très beau livre. D’accord avec Joann Sfar, magistral.
Mode paresse ou pas, ça fait du bien de recevoir tes chroniques même si certains livres nous tentent moins, si le sujet t’intéresse moins…! Et surtout, comme tu le dis, en ces moments si difficiles, tout le monde panique, les êtres se montrent enfin sous leur vrai jour, certains se montrent généreux, admirables alors que d’autres se comportent en #&!…! Lire est la seule chose qui arrive à me faire oublier toutes ces horreurs, j’ai bien entendu plus le choix que toi qui essaie de tenir à jour un blog! Mais recevoir tes chroniques est une des choses agréables de la vie aussi en ce moment ou aller faire les courses m’angoisse! Il est peut-être temps, comme tu le dis justement, et je pense que personne ne t’en voudra, de lire des auteurs, des livres à thèmes qui te plaisent plus que d’autres! En tout cas, je suis heureuse de te lire régulièrement!
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Ah ! Wivine ! Mon indéfectible lectrice, commentatrice, mon amie belge ! Merci. Tout ce dont j’ai parlé,je l’ai aimé, parfois plus ou moins, mais j’y ai trouvé un intérêt. C’est juste que quand on voit la masse de roman qui paraît, on se dit bien que tout n’y est pas bon, ou pour être plus juste tout ne me plaira pas à moi, mais ce sera bon pour d’autres, voilà, D’où mon refus de démolir et donc plutôt que m’ennuyer, ne pas lire ou arrêter en route. Sinon, je pense bien à toi, je t’écrirai en privé. Mais en tous cas, merci !
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Vive votre belle paresse: ici, les livres à lire se font rares
, alors vos billets sont plus doux que jamais. Et puis, que lis-je, vous avez « lâché 3 livres qui sont parus ou doivent paraître » ? Mais quel luxe inouï ! Profitez bien quand l’envie reviendra de ces trésors accumulés sur votre table de nuit ou votre bureau. Nos amis libraires ne sont pas prêts de rouvrir leurs portes.
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Merci ! Oui, je suis veinarde, j’ai la chance et l’honneur de recevoir des services de presse. Mais parfois, comme quand on les achète, ce n’est pas le bon moment pour telle ou telle lecture. Alors je laisse poser et j’attends. Je ne suis jamais en manque ! Et puis les échanges amicaux de livres, les cadeaux… Si je ne me trompe pas, je vous ai vue arriver par ici quand j’ai écrit sur le roman « Le graveur » . L’avez-vous lu ? En tous cas, merci de votre visite ! Votre blog est très beau, et intéressant
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Bonjour ce livre m’a beaucoup ému…
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et comment, oui…pareil
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J’ai adoré « Surface » d’Olivier Norek!
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Chère Wivine, Je n’ai pas encore lu Surface, mais la trilogie et Entre deux mondes, exceptionnel à mon sens. Olivier Norek est à mon sens non seulement un bon écrivain, mais aussi un homme droit et intelligent. Tu as mis le com sur deux articles, je ne réponds qu’ici !
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Depuis cette chronique, j’ai lu « Entre deux mondes » qui m’a beaucoup touché! Merci!
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Un des meilleurs d’Olivier Norek
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