« Elle attend. Chaque printemps les fortes pluies arrivent, et la rivière monte, et son cours s’accélère, et la berge se désagrège toujours davantage, brunissant l’onde de son limon, mettant au jour une nouvelle couche de terre sombre. Des décennies passent. Elle est patiente, dans sa coquille de bâche bleue. Chaque printemps l’eau clapote plus près, décolore les racines, dégage les pierres, érafle et polit. Elle attend, et un jour apparaît dans la berge un lambeau de bleu, puis plus de bleu encore. »
En quelques mots, Ron Rash accroche nos yeux, notre attention et notre curiosité, et me voici plongée dans le sixième roman de cet américain que personnellement je tiens pour une des plus belles plumes de ces dernières décennies. Créant un suspense immédiat comme toujours avec finesse et poésie, dans un coin de bâche bleue Ron Rash nous apporte la trame du roman. Comme souvent assez court, à peine plus de 200 pages, ce roman est l’histoire de deux frères qui s’aiment, c’est l’histoire d’une fille qu’on dirait perdue, une belle fille délurée et plutôt maline qui va jouer et perdre.
Tandis que les deux frères pêchent, ils l’aperçoivent dans l’eau à moitié cachée par les branches, avec son bikini vert, sirène aguicheuse:
« Elle a nagé dans l’eau peuplée d’ombres à côté de la saillie rocheuse, nous a fait un clin d’œil, puis s’est laissée couler lentement. Tandis que sa tête disparaissait, la longue chevelure rousse s’est déployée en éventail à la surface. Puis, telle une fleur nocturne qui se referme, elle s’est rassemblée avant de disparaître. »
Tout commence durant l’été 1969, le Summer of love, avec deux garçons, Eugene le plus jeune qui est le narrateur et son grand frère Bill. Ils n’ont plus que leur mère veuve soumise à son beau-père, un méchant bonhomme, mais riche chirurgien qui promet de financer les études de ses petits-fils et de subvenir aux besoins du foyer. Impossible de s’en défaire, de gagner une once de liberté pour la mère, sous pression constante.
Bill est promis à une carrière de médecin comme le veut son aïeul mais Eugene lui, aime la littérature et l’écriture, sa mère le comprend et l’encourage, elle aime la littérature, elle aime l’auteur préféré de son fils, Thomas Wolfe.
« Ma mère m’a amené ici un dimanche, quand j’avais quinze ans, après que j’avais lu « L’ange exilé » pour la première fois. Elle avait adoré ce roman, dont elle avait appris des paragraphes entiers par cœur, et, bien sûr, m’avait donné le prénom du héros du livre. »
D’ailleurs, si vous vous demandez pourquoi ce titre, « par le vent pleuré », c’est une phrase tirée d’un texte de Thomas Wolfe, auteur oublié sur l’œuvre duquel Eugene veut rédiger son mémoire,:
« Je m’engage dans North Market Street pour passer devant la maison de Thomas Wolfe. J’avais prévu de rédiger mon mémoire sur Wolfe. Ma directrice de maîtrise m’en a dissuadé. « Wolfe est quasiment oublié de nos jours » a-t-elle objecté, ce qui me semblait une raison de plus pour le faire, afin qu’il ne soit pas oublié, ou seulement, comme l’avait écrit Wolfe lui-même, « par le vent pleuré ». »
Quoi qu’il en soit, cet été 1969, avec la jeune Ligeia venue de Floride comme une sirène au fil de l’eau, va s’enclencher une suite d’événements qui vont bouleverser la vie d’Eugene et de Bill, détériorer leur relation aimante de frères.
Les lignes droites tracées par le grand-père, les projets, les vies des garçons, en particulier celle d’Eugene, tout sera remis en question car Ligeia disparaît et une enquête se met en marche, longue, laborieuse, sans issue, mais semant le doute et le soupçon dans les esprits.
Construit en un va-et-vient entre le moment des faits et le présent, ce très beau livre met en scène deux hommes confrontés à leur passé, à leurs secrets et à leurs mensonges, mais aussi à leur amour fraternel tenace et finalement plus fort que tout. J’ai particulièrement aimé la façon dont Ron Rash dépeint la chute d’Eugene dans l’alcoolisme, lui, le garçon voué à un brillant avenir dans la littérature, emporté par Ligeia et ses frasques va sombrer pour n’avoir plus comme compagnes que ses bouteilles d’alcool.
Sans jamais porter de jugement, l’auteur trace des portraits à grands traits, laissant émerger l’essentiel des personnages. Eugene alcoolique est rongé par la culpabilité envers sa fille Sarah, Bill lui est devenu médecin, il mène ce qu’on appelle une vie « rangée » avec sa femme, il semble que les projets du terrible grand-père aient abouti.
Le grand talent de Ron Rash parvient à maintenir l’interrogation jusqu’à la fin, et surtout sait rendre ces personnages vrais, absolument crédibles et profondément humains, nos semblables.
Beaucoup de musique dans ce roman dans lequel Eugene découvre le mouvement hippie, le sexe, la drogue – l’alcool – le rock’nroll et l’amour libre dans les bras de Ligeia. J’ai du choisir; 1969 c’est Woodstock et c’est Jefferson Airplane
Ça n’est pas plutôt l’été 1969 le « summer of love » ? Et pour info, « Look Homeward, Angel », le roman autobiographique de Thomas Wolfe va être réédité tout bientôt.
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En fait le summer or love a été celui de 1967, et j’ai écrit 1969, date durant laquelle se déroule l’histoire, j’ai supposé que cet été 67 a laissé des traces et qu’en 69, elles étaient encore bien là avec le mouvement hippie.Et Rash parle bien de 69. Merci pour l’info, pour Wolfe! 😁
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et ma question, comme tu l’as compris, portait sur le fait que c’est l’été 1967 qu’on appelle le « summer of love ».. allez, un café de plus et je serai opérationnelle 🙂
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Ahahah ! Pardonnée ! Tu vas mieux, je vois ! Oui, tu as raison, c’est en effet 67, et comme je ne radote pas encore ( enfin, je lutte…), 69 parce que ce sont les conséquences de 67, donc, enfin je crois .
Ce qui est important, c’est que ce live est vraiment beau, enfin selon moi ( beau et important selon moi, me fais- je bien comprendre ? )😜
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Un nouveau Ron Rash ??? Il me le faut.
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Il est magnifique, fonce !!! 😀
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J’essaie de laisser un commentaire mais en vain!
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Et le voilà ! C’est que je le valide avant publication, et je suis en vacances quelques jours ! Je t’ai répondu sur messenger
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Merci encore Simone! J’attendrai tout de même qu’il sorte en poche… des bises!
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🙂
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Je l’ai noté également ce titre pour la rentrée, il m’attirait beaucoup. Et c’est vrai que le début est accrocheur ! (et ton billet tentateur )
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Jamais déçue par Ron Rash
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En temps que fidèle lectrice de Ron Rash ( j’ai dévoré « Serena », « The Cove », « Above The Waterfall » et « Incandescences » (que tu m’avais conseillé, encore merci! ) et après lecture de ton article, je pense que je n’aurai pas la patience d’attendre encore quelques mois que cet ouvrage arrive à la bibliothèque! Cerise sur le gâteau: j’aime autant la musique que la littérature, et la musique psychédélique de la fin des années ’60 en particulier ( The Byrds, Jefferson Airplane avec la voix envoûtante de Grace Slick, Crosby, Stills, Nash & Young…). Je sens que je vais me régaler 🙂
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Ah ! Wivine ! Je viens de trouver ton commentaire dans la poubelle en x exemplaires ! Je ne pige pas du tout pourquoi ! Problème réglé je pense…On verra pour les suivants messages que tu me laisseras. Bises !
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Ps: Je l’ai enfin lu et j’ai adoré!
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Je viens de finir le dernier, pas facile une fois de plus d’écrire là-dessus
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Le dernier, tu parles du dernier livre traduit en français? « Above thé waterfal »l, « Le silence brutal »? C’est le deuxième Ron Rash que j’ai lu et un de mes préférés! J’ai écrit une petite critique sur Babelio car j’étais vraiment heureuse pour les autres lecteurs et lectrices qui allaient pouvoir lire ce livre! Mais entre écrire un avis sur Babelio et en faire une chronique…Mais je te fais confiance, tu trouveras les bons mots et je suis impatiente de lire ton résumé ainsi que ta chronique!
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Oui, tu l’as lu en anglais, il vient juste de sortir en français.
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Aïe aïe ! J’ai peur de refroidir un peu brusquement la température ! Je viens de finir ce bouquin , quasi en diagonale et surtout en maugréant. Mais qu’est ce que Ron Rash nous a pondu là ? Moi qui tiens « un pied au paradis » pour un livre culte tant il explore des grands thèmes américains, qui ai été bouleversé devant la finesse des nouvelles de « incandescentes », je ne peux que me désoler devant ce roman. Aucune émotion ressentie pour ces personnages: Ligéa nous apparaît au mieux détestable, et je ne parviens pas à comprendre comment 46 ans plus tard, elle puisse évoquer encore une sirène , elle qui passe son temps à manipuler les gens et à fomenter des arnaques à la petite semaine pour satisfaire son plaisir d’être défoncée. Rien ne nous attache à cette fille, et l’attitude du jeune Eugène en sa compagnie m’a semblé être celle d’un chien stupide ( pas celui de Fante que je trouve presque plus attachant😉). Les autres personnages sont tout aussi fades et mal servis: Le grand frère bien whasp, la mère, le grand père dictateur , le flic réac , le tueur silencieux., le banquier pas si chiffe molle qu’il en avait l’air….. J’ai en mémoire certains bouquins de Pat Conroy (écrivain sudiste) qui étoffait des personnages à la carrure impressionnante . J’ai eu la sensation de naviguer ici dans un vieux Tenessee Williams, très daté, aux ressorts téléphonés et à la fin prévisible ( depuis le temps que ce colosse servile affûtait son rasoir !!). Le summer of love méritait mieux que d’être le prétexte de cette histoire maigrelette.
Loin de moi l’envie de faire la peau à Ron Rash. Je continuerai à le lire, mais avec réserve , toutefois. Allez , je dois aussi l’avouer, « le monde à l’endroit » ne m’avait pas tellement convaincu 😕.
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Ton point de vue se défend, tu le défends, et j’approuve. Nous ne lisons pas tous avec les mêmes prérequis ni les mêmes connaissances. Ni la même histoire non plus. Alors je ne peux que valider ton avis, bien sûr ! Qui générera peut-être une discussion; quant à moi je ne change rien à mon point de vue, j’ai dit ce que j’avais à dire de ce livre et je laisse la parole à qui la veut. 🙂
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