« Ils surgirent des entrailles ténébreuses du bayou comme des spectres, d’abord une lueur fantomatique dans le brouillard, puis le vrombissement d’un moteur: un hors-bord en aluminium fusant sur la laque noire de l’eau. De loin, on aurait dit que les deux silhouettes étaient accolées, tels des frères siamois. »
Sacré bon moment de lecture avec ce premier roman de Tom Cooper ! Tout d’abord, l’aventure se déroule en Louisiane, mais ne ressemble pas aux romans écrits après Katrina ( je pense à Burke mais aussi à Amanda Boyden ). La Louisiane a été balayée par Katrina, la marée noire de BP vient d’envahir les eaux du Golfe du Mexique, mettant à mal toute la vie des petits pêcheurs de crevettes des bayous, comme de tous les autres, ou presque. Ce livre n’est pas un roman policier, mais un roman social, qui parle du cynisme et de la débrouille des hommes qui en sont la cible.
Mais c’est avec beaucoup de finesse et un humour ravageur et salvateur que l’auteur déroule comme un film, à travers sept personnages, l’aventure de la survie en temps de crise. Les atouts de l’auteur sont la construction du livre, l’écriture, le ton et le style, et l’absence de jugement porté sur ces « combattants » du quotidien, c’est tout ça qui est absolument jubilatoire. Brève présentation de nos héros : les frères Toup, Reginald et Victor, jumeaux cultivateurs de substances illicites, quelque peu farceurs et assez méchants, surtout Victor ( c’est peut-être bien lui, le grand méchant de l’histoire, s’il en faut un ), Cosgrove et Hanson, deux condamnés à des travaux d’intérêt général, Lindquist, manchot blindé de médocs, chercheur de trésors sous la vase des bayous et amateur de blagues douteuses, Wes Trench, jeune homme qui a bien le profil du héros, en tous cas ce serait lui le gentil de l’histoire ( s’il en faut un ? ), sa mère est morte pendant Katrina , il vit et travaille sur le crevettier de son père, devenu sombre et agressif, et enfin, Grimes, natif des lieux, chargé par BP de passer chez les habitants pour leur donner quelques sous afin qu’ils renoncent aux poursuites. On pourrait dire qu’il est le vautour de l’histoire, mais ce n’est pas si simple.
En gros, toute une brochette de gens largués, paumés, essorés par la crise, les défaites, les pertes, et tous avec leurs béquilles cherchent à garder la tête hors des eaux saumâtres des bayous emmazoutés.
À Jeanette la vie est devenue un sport de combat. Les crevettes se font rares, les restaurants n’en veulent plus à cause du pétrole qui gît au fond des eaux, alors chacun cherche comment continuer à vivre. Et grâce à la plume alerte de Tom Cooper, ça devient un suspense prenant, des chapitres courts alternent d’un personnage à l’autre, on rit beaucoup, mais en même temps, on sent monter la colère devant un tel désastre économique, écologique et humain.
Parfois comme des pauses, des instants de pure grâce, focus sur la beauté incroyable du milieu naturel, ces bayous où règne végétal et animal s’enchevêtrent, se guettent et se dévorent, le bayou, comme une bouche avide, qui peut faire disparaître les hommes dans son labyrinthe, les digérer sans laisser de traces.
« Les rayons du soleil de midi traversaient la chape des feuillages au-dessus d’eux. Une grosse sauterelle verte se débattait, prise au piège d’une toile d’araignée tendue entre deux palmiers-scies. Une néphile dorée l’observait, postée en lisière de la fine membrane de soie frémissante.[…]Ils reprirent leur route. Moucherons, taons, punaises d’eau. Un viréo à jabot doré perché dans un buisson de houx. Des bébés alligators par dizaines, ondulant à la surface de l’eau, comme des jouets de bain en plastique. »
Ah ! Les alligators, de très bonnes scènes avec l’animal ! Les dialogues sont extraordinaires, grâce à des expressions que j’adore, du genre :
« J’ai le cerveau qui me braille dans le crâne. A donf. »
Certaines rencontres, en particulier celles de Grimes, donnent lieu à des échanges inénarrables, comme celle avec un vieux dur à cuire dont la « maison » est dépeinte ainsi:
« Grimes pénétra dans le bungalow et regarda autour de lui, avisant les serpentins de papier tue-mouche au plafond, le canapé déplumé en peau de ragondin, les trous dans les murs colmatés avec des boîtes de sardines aplaties et des morceaux de carton. »
Pour finir, j’ai trouvé ce livre totalement jouissif, pas une seconde d’ennui ou de langueur, on est totalement immergé dans l’ambiance moite et odorante des bayous, un roman colérique et combattif, dont l’humour enragé et le rythme font un livre pour un très large public – et j’ai toujours aimé ça, vieux truc obsessionnel d’ex-bibliothécaire sans doute – et si je vous dit que ce roman va être adapté pour la télévision par les producteurs de « Breaking bad »…J’ai déjà eu, en le lisant, l’image, le son, les voix, les grésillements et cris de la nature, les pleurs et les rires des hommes. Un fantastique plaisir à cette lecture. Traduction de grande classe, l’humour et les jeux de mots, formidables !
Il me tarde de m’y plonger! Il est tout en haut de ma PÀL. Et ce que tu en dis ne fais que me tenter davantage. Un «roman jouissif»? La barre est haute!
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J’en suis à la moitié. C’est en effet excessivement jouissif!
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Ah ah ah ! Je l’avais dit ! 😉 Quand on a fini on en redemande !
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Le roman d’un été caniculaire…A lire cet été donc!
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Et une chronique vertigineuse, aussi puissante que les tourbillons de Katrina. Je le mets sur ma liste, merci Simone 🙂
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Tout ce que j’aime on dirait bien. J’ai entendu l’auteur (brièvement) à Saint-Malo et j’avais déjà envie et maintenant je lis deux billets en 10 minutes qui confirment qu’il faut que je lise ça parce que ça va me plaire, évidemment…
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J’espère bien, que ça va te plaire !
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Diantre !! …
Ton enthousiasme est palpable, ton écriture en est toute colorée d’exaltation !! Allez, avoue, c’est un médoc à consommer sans crainte de vilains effets secondaires, c’est ça ? Posologie : quelques chapitres matin et soir, et hop !!
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Je vous fais une réponse collective, je rentre d’une semaine en Ardèche, la marche, les paysages, tout ça m’a fiat du bien, et il n’y avait pas de réseau, d’où cette absence de réponse. Alors oui, Les maraudeurs, bon moment de lecture, un auteur prometteur. Comme tu dis UnHérisson ( j’aime ! ), un chouette médoc, sauf que c’est le livre d’un coup si possible, monodose !
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Simone merci de m’avoir fait découvrir de roman. Sombre, cynique, désespérant face aux malheurs qui tombent sur cette Louisiane. Mais aussi tellement poétique et qui finit étonnamment sur une note d’espoir qui m’a laissee sans voix. J’ai adoré !
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Ah ! Comme je suis contente de te lire ! Oui, un formidable bouquin, avec des frangins bien croquignoles ! Tu m’appelles un de ces jours ? A très bientôt Charlotte !
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