L’Amérique, encore…

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Voici 4 des livres que j’ai lu ces derniers jours; force est de constater qu’ils sont tous d’auteurs américains…Bon ! D’accord ! Mais les deux premiers, se distinguent des suivants par leur thème.

Parlons de Julie Otsuka, « Certaines n’avaient jamais vu la mer » chez Phébus, traduit par Carine Chichereau. Un peu déçue, je dois le dire. Son précédent roman, « Quand l’empereur était un dieu », m’avait enthousiasmée, surtout parce que je découvrais un pan caché de l’histoire des USA, cette époque de la guerre contre le Japon où, sous prétexte de protéger ses citoyens japonais de la vindicte populaire, on les enferma dans des camps en plein désert. L’écriture rêche, sèche, pour parler de cette famille déportée , contenait beaucoup de colère qui se transmettait au lecteur et rendait la lecture vivante. Ici, le style basé surtout sur de longues listes et énumérations, s’il est un moyen de montrer la diversité des situations, lasse quelque peu, et gâche  l’empathie qu’on pourrait ressentir pour ces jeunes japonaises,  mariées et expédiées vers leurs futurs époux aux Etats Unis. Le sujet est aussi intéressant, mais l’usage du « nous » dépersonnalise et enlève l’émotion qu’on pourrait ressentir. En fait, on lit plus ce livre comme un documentaire que comme un roman. En tous cas, c’est ainsi que je l’ai ressenti.

« Pike » de Benjamin Whitmer, édité par Gallmeister, traduit par Jacques Mailhos, est alors d’un tout autre genre…Certaines de mes camarades n’ont pas aimé du tout, voire refermé le livre avant la fin. Ce que je peux comprendre, tant ce livre est noir ! Mais alors noir de chez noir, comme je n’en avais pas lu depuis longtemps ! Je pense même que Whitmer en rajoute et se délecte de cette noirceur, et moi, ça ne m’a pas dérangée. Voici une autre face de l’Amérique, celle des villes de province – Cincinatti et les Appalaches – , celle de la misère tant morale que matérielle, celle de la loi corrompue et de la violence, sans décor de façade pour arranger son image. Et c’est sûr, ça ne rend pas joyeux ! L’écriture de Whitmer est extrêmement violente, mais comment en serait-il autrement, dans ces régions de brutes alcooliques ou droguées et de chômage ancré comme une tradition?

Quelques extraits :

« Ils l’ont pas encore fabriquée, la cartouche de fusil à pompe capable de perforer trois cents bonnes livres de gros bouseux du Kentucky ».

 « Une fois sobre, faut toujours faire ce qu’on a dit qu’on ferait quand on était bourré..C’est comme ça qu ‘on apprend à fermer sa gueule. »

 « Dehors, au-dessus des immeubles et cheminées de briques croulants de Cincinnati, un fin croissant de lune est là. Aérien, argenté, vibrant dans l’air nocturne. Il y a aussi des étoiles, mais elles sont invisibles derrière l’éclat des lampadaires et le smog qui pèse sur la ville, craquelé comme un puzzle aux multiples tons de gris. Elle pose un regard fixe vers la nuit, elle fume, ses paupières frémissent de tristesse. L’espace d’une minute, elle repense à Bogey et il lui manque horriblement.

 Avoir quelqu’un à ses côtés.

Tenant sa cigarette dans sa petite griffe de main, elle l’éteint en se l’enfonçant dans l’avant-bras, juste pour avoir pensé ça.

Sa peau frémit et brûle. 

Dehors, rien ne change. Dedans non plus. »

Pour un premier roman, ça fait frémir, et on se dit qu’est-ce que ce sera après ??? Pour résumer, j’ai bien aimé ça !

A lire aussi l’article de Bruno sur son site « Le coin de la limule http://lecoindelalimule.blogspot.fr/2012/10/pike-benjamin-whitmer-editions.html

Les deux romans suivants sont des livres dits » des grands espaces », de l’Amérique rurale…

Je ne m’étendrais pas sur « Le monde à l’endroit » de Ron Rash ( Seuil, traduit par Isabelle Reinharez ); toujours une écriture magnifique, un sens des personnages d’une justesse impressionnante. Même si mon préféré reste « Séréna », celui-ci est encore une fois un très beau livre.

Et enfin, « De flammes et d’argile » de Mark Spragg ( Gallmeister, traduit par Laurent Bury ); retour à l’Ouest, le Wyoming, les ranchs, la nature et les chevaux…Mais aussi des personnages très bien dessinés, complexes et attachants. On retrouve un peu la veine de Jim Harrison, mais aussi ce besoin qu’ont les hommes de choses essentielles et qui font notre humanité. et celui d’aller chercher ces choses-là dans les moindres recoins de soi-même, des autres et du reste. Sommes-nous  ici si loin des aspirations des personnages de « Pike » ? Pas sûr…

J’ai beaucoup aimé le petit garçon, Kenneth, drôle et si attachant.

Voici donc un très beau livre, très bien écrit ( toutefois, au début, un peu d’hésitation pour saisir les liens entre les différents personnages, mais tout se met en place assez vite ), et celui-ci est un coup de coeur.

A lire, critique parue dans Le Point

«  Il y a des paysages décoiffants de beauté à chaque page, les eaux glacées d’Owl Creek, des plaines désolées à pertes de mots, le ranch dEinar Gilkyson, une ville brûlée qui tente de renaître, un gamin amoureux fou de grands espaces, une artiste qui construit des sculptures géantes avec des os d’animaux trouvés dans les bois, comme si la terre vomissait ses morts. Il y a aussi des femmes inquiètes et passionnées, du bourbon, des rancoeurs, un shérif et un cadavre, mais au fond ni Spragg ni le lecteur ne s’inquiètent réellement de résoudre l’enquête, car l’essentiel de ce grand livre est ailleurs ; dans l’entrelacement subtil des peurs des hommes et des âmes qui y rôdent, comme perdus au centre du cosmos. »

Marine de Tilly, LE POINT.FR

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