« Quel drôle de métier j’ai choisi, se disait Gloria Basteret tout en montant rapidement les quatre étages qui la séparaient de son prochain cadavre. Ne débouler dans la vie des gens que quand ils sont morts. Rencontrer leurs parents, leurs amis, apprendre à les connaître, reconstituer leur vie, s’attacher à leurs petits défauts, tout ça pour rien, à part une obscure idée de la justice qui est si rarement juste.
Le temps passant, c’était le genre de pensées qui envahissaient de plus en plus souvent l’esprit de la jeune femme. »
Béatrice Hammer m’a proposé la lecture de son dernier roman, dans un genre qui m’a semblé apte à me plaire. Et puis Béatrice Hammer m’a parue sympathique ( et elle l’est ! ).
La lecture de ce livre a été facile et agréable; le genre de livre qui ne demande pas trop de concentration, émaillé d’un humour certain, de personnages sympathiques et plutôt bien croqués. J’ai pourtant trouvé l’ensemble un peu inégal. Bon, le titre d’abord qui quand même réduit le livre à un infime élément du livre, qui n’est pas un livre où « ça saigne » à tout va. Ensuite l’emploi du présent pour la narration. Le premier chapitre me convient, imparfait et passé simple, puis sur les suivants, l’auteure passe au présent. J’ai toujours eu du mal avec le présent de l’indicatif qui me semble plat; parfois ça passe, parfois non. Et là ça m’a gênée et ça n’engage que moi. Pour finir, des petites choses peu crédibles, comme le cheval miniature qui arrive dans l’appartement de Gloria… Certes, l’animal existe et certaines personnes le choisissent comme animal de compagnie, mais en appartement…Bref, je ne vais pas entrer dans le détail, mais ça: bof bof…Par ailleurs, c’est plutôt bien écrit, il y a du tempérament mais si quelques réflexions justes sont amenées c’est parfois de façon un peu ostentatoire.
« Elle n’est pas encore complètement rangée des voitures, son charme opère encore, témoin Rachid…Mais que dirait-on d’elle si elle avait une liaison avec un homme de cet âge? La dissymétrie flagrante entre les droits des hommes et ceux des femmes à avoir une vie sexuelle sans encourir de jugement moral la révolte. »
Petit coup d’œil sur la vie de Gloria:
« La pression s’était accumulée en elle sans qu’elle s’en aperçoive, et les pensées noires la submergeaient de plus en plus souvent, au point qu’elle se demandait s’il ne serait pas temps pour elle de changer de métier. Une question toute rhétorique, car Gloria élevait seule ses deux enfants, et n’aurait pas pu se passer, ne serait-ce que quelques semaines de son salaire et de ses primes, lesquelles lui servaient, pour l’essentiel, à payer les baby-sitters dont elle faisait grand usage, n’ayant pas de famille susceptible de s’occuper à sa place de sa grande fille de douze ans et de son petit bout de six. »
Je vous vois en train de vous dire mais enfin pourquoi a-t-elle lu le livre jusqu’au bout et pourquoi écrit-elle ??? J’ai lu ce livre et j’en parle pour un personnage, et c’est Mina.
Les chapitres alternent entre l’enquête de Gloria et sa vie de famille que la jeune femme nous livre avec humour. Mais mon personnage préféré du livre, celle qui fait battre le cœur du livre c’est Mina. Là c’est différent, Mina nous parle à nous en direct, et c’est fort; ce qu’elle nous donne à « lire » c’est son journal intime, non écrit, celui qu’elle porte en elle, son histoire, sa terrible histoire et sa vie. Ici Mina enfant:
« C’est le soir et personne va venir me border. Je n’ai pas été sage. En tout cas c’est ce qu’elle m’a dit. Si personne ne veut s’occuper de toi, c’est que tu n’es pas assez sage. Si tu devenais sage, on ferait un dossier pour toi, et puis quelqu’un viendrait et t’emmènerait, tu aurais de vrais parents comme les autres. Mais tu cries, tu pleures, tu fais des scènes, alors évidemment, on ne peux pas te proposer aux gens qui ont besoin d’un enfant.[…]
De toute façon, je sais que je ne suis pas gentille. Sinon jamais ma mère m’aurait abandonnée. Elle m’aurait vue, et elle m’aurait trouvée tellement mignonne qu’elle aurait jamais eu la force de me laisser. »
C’est une réussite, car ça sonne juste, c’est rugueux et sombre, et ça rend un peu terne l’autre volet, c’est à dire Gloria, assez rigolote mais parfois un peu bécasse – et ça ne colle pas avec le reste, par exemple parce qu’elle bosse bien -. Elle est séparée d’un époux bipolaire, et elle assume tout toute seule, en particulier ses deux enfants, Violette et Léo, qui sont je trouve de gentils gosses. Quant à la mère de Gloria elle n’est pas très sympa quant à son chef, Quintré, un pas marrant qui lui fait regretter Arici. Lui, en retraite, était toujours là pour elle alors qu’elle débutait dans ce métier, c’est lui qu’elle va voir quand ça ne va pas. Elle s’en tire bien malgré tout, malgré un boulot qui l’absorbe énormément, elle s’en sort, et avec sa petite quarantaine bien vigoureuse, elle drague sec, Gloria ! Kalter le légiste et son collègue si jeune Rachid…Ces passages sont assez drôles d’ailleurs, mais j’ai vraiment et de très loin préféré Mina et sa vie à la rue, son langage très personnel, Mina et la petite souris, Mina qui va s’encastrer dans l’enquête de façon imprévue.
« Et elle se met à raconter, d’une voix un peu hachée, mais sans hésitation comment, un an plus tôt, alors qu’elle vivait dans un squat, elle avait entendu parler d’une fille, une journaliste, qui faisait le tour des popotes à sa recherche. Elle montrait partout une photo qui venait de prison.
-Les flics, au squat, on aime pas ça. Les journalistes non plus. Ils ont fait trop de mal, avec leurs reportages. Ils bousillent tout, poursuit Mina.. Celle-là, elle s’est fait recevoir. Comme elle insistait pour me voir, on l’a foutue à poil, pour vérifier qu’elle avait pas une caméra planquée. Ça a pas dû lui plaire, mais elle a pas moufté. Après j’y suis allée.
Gloria écoute avec intensité.
Julie- puisqu’il s’agissait de Julie- semblait vraiment contente d’avoir trouvé Mina. Elle l’avait emmenée manger dans un bon restaurant.
-Elle a fait tout ce qu’elle pouvait pour avoir l’air normal, mais c’était une vraie bourge, explique Mina. Qui mettait des grands mots partout, et qui parlait de vérité. Ça lui suffisait pas d’avoir une mère. Il lui fallait un père aussi. »
Ah oui, au fait ! L’enquête, car il y en a une bien menée, plutôt tortueuse et très intéressante. Dans la baignoire de sang, gît une « sirène », une jeune femme prénommée Julie qui n’a pas de père et qui est, était, une acharnée de la vérité. Julie était pigiste au « Lapin déchaîné » (!) et a mis le doigt sur une sombre histoire de laboratoire pharmaceutique aux pratiques douteuses.
« Gloria était arrivée devant la porte.
La jeune femme qui était allongée, les veines ouvertes, dans sa baignoire rouge sang, lui fit l’effet d’une sirène, avec ses longs cheveux baignant dans la soupe rouge et ses traits réguliers. Par une sorte de mimétisme, Gloria bloqua sa respiration pendant qu’elle observait le cadavre. Toujours se fier aux premières impressions, avait coutume de dire Arici. »
Elle n’a pas découvert que ça d’ailleurs, mais une histoire plus intime, plus personnelle va lui tomber dessus, provocant sa rencontre avec Mina.
Dans ce court passage, il y a une des ces « maladresses » qui ont un peu contrarié l’ensemble, ici quand l’auteure écrit « la soupe rouge » qui contrarie l’image plutôt poétique de la sirène. « L’eau vermeille » aurait pu convenir pour l’image, enfin il me semble. C’est l’amorce donc de l’enquête de la sémillante Gloria, toujours au bord de l’épuisement mais qu’un frôlement de main réveille, qu’une question qui surgit exalte…une résistante pleine de ressources ! Si la jeunesse de Rachid l’électrise, la prévenance de Kalter la fait fondre. Quant à Mina, elle « adoptera » Momo son compagnon de pont, jusqu’à la fin.
« J’avais fait attention à ce qu’il soit bien habillé, j’avais demandé qu’on le rase, et j’avais volé un beau pyjama, pour qu’il ait l’air comme chez lui à l’hôpital. Les infirmières m’ont aidée, elles ont compris que c’était important. Y avait que Momo qui comprenait pas. Il rigolait, disant que la toilette du mort, on la ferait après, et qu’on le laisse nature. Mais en vrai il était content d’avoir l’air de n’importe qui. »
Je m’arrête là, mais si j’écris sur ce livre aujourd’hui, un livre facile et distrayant, c’est qu’il trouvera un public, c’est plaisant à lire malgré les défauts – qui peut-être ne concernent que ma lecture, c’est possible aussi – . Il y a Gloria, Kalter, Rachid, mais aussi celles et ceux qu’on va apercevoir, la mère de Julie et Julie, Léo et Violette, les amis de Julie, Arici, Quintré, la mère de Gloria…Et Mina, Mina qui sauve le livre à mon avis. Parce que Mina est celle qui prend le plus chair ici, celle dont la voix porte loin, celle qui m’a touchée, la plus vraie en tous cas. Et c’est elle qui a le mot de la fin.
« Dans les livres d’images, l’enfer, c’est quand il fait trop chaud. Il y a des flammes, des démons, des marmites et des petits diablotins qui font bouillir de l’huile et vous y jettent en ricanant.
Mais en vrai, s’il existe, l’enfer, moi je sais qu’il est froid.
Froid comme le dessous du pont au moment le plus froid de l’hiver.
Avec un vent glacial qui souffle et qui amplifie tout, un vent glacial qui ne s’arrête pas et qui pénètre entre nos cils, dans nos narines et à peu près partout.
Ce vent n’est pas qu’une impression, quand il est là on refroidit plus vite
. Et quand on est tout froid c’est qu’on est mort.
On s’en rend pas bien compte, parce que le froid, avant de vous tuer, vous engourdit et vous envoie des rêves; on s’en aperçoit pas, qu’on est juste en train d’y passer. »