« Un vent léger montait de la mer. Des bourrasques tièdes s’enroulaient autour des arbres, caressaient les racines aériennes des ficus, aux cimes les feuilles tremblaient, projetant des ombres sur les façades blanches et arrondies des immeubles Bauhaus. Les oiseaux du crépuscule survolaient le vaste toit-terrasse et ici, la fête commençait. Les Stein comptaient sur la présence d’une centaine d’amis. Une bonne moitié se pressait dans la cage d’escalier au plâtre poli avec incrustation de nacre. Les formes géométriques de la maison blanche, cette fluidité horizontale, les laissaient surgir à l’air libre, les uns après les autres. »
C’est le second roman que je lis de Frédéric Couderc. Le premier, « Aucune pierre ne brise la nuit », m’avait tentée pour son sujet et son lieu, les échos encore présents en Argentine des dictatures des années 70. Ici, nous sommes en Israël, à Tel Aviv chez la famille Stein. Zeev et Hélène, une rencontre, une histoire d’amour sur fond de « Life on Mars »:
« Hélène avait rencontré Zeev à Paris, lors d’une soirée à la Cité Internationale universitaire. Bowie tombait du ciel avec Life on Mars, elle aussi semblait extraterrestre, longue tige, joues creusées, créature un peu androgyne et très sexy. Ils s’étaient observés un moment, les notes cristallines du piano, les riffs de guitare, la voix comme une plainte, un slow avait suffi pour qu’ils s’étreignent et amorcent leur aventure cosmique. »
Frédéric Couderc, écrivain voyageur, aime porter ses pas dans des lieux dont l’histoire, ancienne ou pas mais toujours vive est propice au romanesque. Mêlant habilement une situation politique à des histoires individuelles, guerres d’hier et conflits d’aujourd’hui ( ou l’inverse ), il parvient à un résultat tout à fait intéressant, bien écrit, et très bien documenté évidemment. Cet assemblage permet de donner des informations sur des sujets toujours brûlants par le prisme d’une histoire plus intime, en se focalisant sur un personnage précis, ici Abie Nathan, pacifiste des années 70. Il créa une radio pirate émise depuis le bateau The voice of peace, radio du même nom œuvrant à la réconciliation israélo-palestinienne.
Un réalisateur venu de Hollywood veut tourner un biopic sur ce personnage qui fut l’ami du couple Stein, Zeev et Hélène. La famille Stein, brillante socialement, intellectuellement et économiquement est ici le point de départ pour un flash-back sur cette époque où on croyait faire bouger les lignes pacifiquement. Mais Frédéric Couderc, à travers cette famille, montre aussi les espoirs déçus, et des intimités qui vont se révéler. Et au fait, qui est Yonah ?
Yonah est la fille belle et brillante du couple, mais qui peine à trouver sa place derrière des parents si lumineux, si visibles, elle qui travaille au Museum d’Histoire Naturelle – jolie idée, cette fille qui suit des fouilles, belle métaphore ! -. Zeev, le meilleur ami d’Abie, sera le conseiller du réalisateur Eytan pour le tournage du film. Ce sera une immersion dans cet univers bien réel de guerre latente, entre Tel Aviv et Gaza, entre la jet set d’un côté et la misère de l’autre.
Pour ma part, je ne parlerai pas plus ici de ce pan du livre qui est un révélateur pour parler des Stein, ces gens bien, qui veulent bien faire, ce couple si merveilleux que ses enfants s’en sentent un peu écrasés, bien qu’admiratifs. Ils sont comme des dieux au panthéon de leur communauté.
L’image de ce couple qui lors d’une fête somptueuse dans leur tout aussi somptueuse villa Bauhaus, fête ses noces d’émeraude, cette image projetée pour nous au début du roman en met plein la vue, c’est certain. Ce qu’a très bien réussi l’auteur, c’est l’opération « lézardage » de tout ça, car peu à peu les fêlures, les trous, les défauts vont apparaître, et c’est un démontage en règle de ces images éblouissantes, de cette apparente perfection qui se met en route. Le résultat, ce seront des personnages plus humains, plus vrais, et finalement plus attachants.
Je trouve que Frédéric Couderc a su construire le livre d’une très belle façon. On va rencontrer en cours de route l’absent, le fils Rafaël qui s’est enfoui ou enfui dans l’ultra orthodoxie. Chaque pas des personnages trace un chemin dans cette histoire, des noms, des lieux, des défaites et des espoirs. Un de mes personnages préférés est Yussef que je trouve juste, touchant et intelligent. Et puis Yonah, bouleversante Yonah, « colombe » en hébreu. Divorcée, deux enfants, et un mal-être profond. Elle est en errance, comme son pays, comme les terres, indéfinies, vagues, en souffrance.
Pas un moment d’ennui, l’écriture est très vivante, nerveuse et mêle parfois ironie et tendresse avec beaucoup de talent.
Tel Aviv, Gaza sous l’œil de Hollywood, de nombreuses pages font revivre Abie Nathan, et pour moi ce personnage est une découverte, comme certains de ces faits et cette situation dont on sait que si longtemps après elle perdure.
Pour le couple Zeev et Hélène, l’édifice se fendillant de toutes parts, après une traversée du désert le sentiment que ces deux êtres flamboyants pussent être immortels prendra fin. Mais une sorte de paix finira par régner sinon en Israël, au moins dans la famille Stein.
On peut rêver qu’un jour vienne la fin de ce conflit…mais c’est plus que très difficile. En tous cas, je vois ce roman comme un hommage à ceux qui se sont battus pacifiquement pour la paix ( bizarre expression, »se battre pacifiquement « , non? ), des êtres faillibles, comme tout le monde, mais qui ont fait du mieux qu’ils ont pu, et ça, c’est déjà pas mal.
Un roman bien écrit, bien bâti et qui m’a appris pas mal de choses, je vous le conseille !
La voix de la paix !