« Ils avaient découvert le corps sur la tombe de Jon Sigurdsson, le héraut de l’Indépendance, dans le vieux cimetière de la rue Sudurgata. Assise à califourchon sur le jeune homme, c’était elle qui l’avait vu en premier.
Ils avaient remonté Sudurgata en se tenant par la main après avoir quitté l’hôtel Borg. Il l’avait prise dans ses bras et l’avait embrassée. Elle lui avait rendu son baiser, d’abord tendrement, puis en y mettant plus de passion et en se laissant emporter par sa fougue. Ils étaient partis de l’hôtel Borg vers trois heures du matin et avaient traversé la foule qui envahissait le centre. Il faisait beau, c’était peu après le solstice d’été. »
Ce roman a été publié en Islande en 1998, il est en fait le second de la série Erlendur Sveinsson, avant « La cité des jarres » et mon préféré « La femme en vert ». Je ne sais pas trop pourquoi il n’arrive que maintenant chez nous, mais en tous cas, j’ai retrouvé le plaisir de lire les enquêtes de cet Erlendur âgé de 50 ans, plaisir qui s’était un peu émoussé au fil des livres, même si cette série m’a accrochée si bien que je l’ai suivie avec une régularité sans faille.
Celui-ci est encore donc plein de la fraîcheur de l’écriture d’Indridason quasi débutant, les personnages, Elingborg et Sigurdur Oli, en sont encore à leurs débuts. Le seul petit problème, c’est qu’on sait déjà comment leur vie va évoluer; enfin un problème ou un avantage, selon comment on envisage la lecture. On assiste à la rencontre de Sigurdur avec Bergthora et on connait la suite…Alors pour ceux qui n’ont pas lu la série, eh bien je n’en dis rien !
« -Ça vous plaît de faire ça dans les cimetières? demanda Erlendur.
-Et vous, ça vous plaît de poser ce genre de questions? rétorqua Bergthora.
-Nous essayons seulement de comprendre…
-Et je suis censée vous répondre quoi ? Que j’aime baiser au milieu des morts? Que j’aime faire des galipettes dans la nature et qu’après tout, un cimetière, c’est une oasis de verdure? Eh bien voilà ! C’est ça que vous avez envie d’entendre? En tous cas, ça n’a rien à voir avec la présence des tombes et des cadavres. C’est bien compris? Je tiens à ce que ce soit clair !
-Et don Juan a filé quand vous avez découvert le corps? poursuivit Erlendur, impassible. Sa fille lui avait raconté des histoires bien plus glauques que la jolie petite aventure nocturne de ces deux informaticiens.
Donc ce type l’a tringlée dans le cimetière, pensa Sigurdur Oli, imaginant la scène, ce qui lui fit perdre un instant sa concentration. Il était célibataire et il y avait un certain temps qu’il n’avait invité personne à passer la nuit chez lui. »
Une jeune femme est retrouvée morte sur la tombe d’un personnage important de l’histoire de l’Islande, Jon Sigurdsson.
Tandis qu’un couple s’ébat sur l’herbe à côté de la sépulture durant cette une nuit d’été sans fin, la femme entend un bruit et voit la jeune femme morte et la silhouette d’un homme quittant les lieux. Elle appelle la police tandis que son compagnon d’un soir file.
« Aucun ami n’avait signalé à la police la disparition d’une jeune fille brune portant un tatouage sur les fesses. Aucune mère n’était venue dire qu’elle s’inquiétait pour sa fille. Aucun père. Ni frère ni sœur. Il était peut-être trop tôt pour que ses proches se manifestent. Ou peut-être que personne ne se souciait d’elle. »
Erlendur et Sigurdur arrivent. La jeune fille, Birta, n’avait que 22 ans ( la 4ème de couverture indique 16, mais c’est bien 22 ans page 144) , se droguait et était originaire des fjords de l’Ouest, comme l’était Jon Sigurdsson.
Ainsi va commencer une enquête qui pose pas mal de questions. Est-ce par hasard que le corps est déposé sur cette tombe particulière ou cela a-t-il un sens? L’homme qui a été vu quittant le cimetière, qui est-il et a-t-il un rapport avec l’affaire ? Et alors que des immeubles pussent comme des champignons à Reykjavik tandis que les fjords se vident, une question dans la bouche de la jeune femme qu’on a fait taire et que reprend Erlendur :
« […]Qui possède ces gigantesques temples de la consommation ? Qui sont les gens qui vont occuper tous les logements? D’où viennent-ils?
Erlendur marqua une pause.
-La seule chose qui manquait dan stout ça, c’était le paramètre humain, reprit-il. Les projets grandioses des entrepreneurs en bâtiment et des spéculateurs immobiliers ne pouvaient voir le jour que s’il y avait des gens pour emménager dans tous ces logements et faire leurs courses dans ces galeries commerçantes. D’où allaient venir ces personnes ? Qui allait emménager dans tous ces logements ? Voilà les deux questions que se posait une gamine complètement droguée qui passait son temps à errer dans les rues de Reykjavik. Vous ne trouvez pas ça étrange ? »
Eva Lind, la fille toxico du commissaire sera d’un grand secours pour ce qui concerne les milieux de la drogue à Reykjavik, et puis une phrase qui revient sans cesse va intriguer notre obsessionnel Erlendur. Et ça le mènera sur une piste inattendue, commençant ainsi par une pauvre gamine défoncée et morte. Avec un panorama de la pègre islandaise – milieux de la drogue, de la prostitution, de la corruption – et un regard sans concession sur ceux qui utilisent les failles des institutions et des lois pour faire de l’argent, Indridason livre là une enquête impeccable menée de main de maître par l’équipe d’Erlendur. On voit le commissaire et sa vie de famille ratée, on observe Sigurdur qui tombe amoureux, on va faire un tour dans les fjords de l’Ouest en train de se désertifier, et même, Erlendur avoir une aventure d’un soir avec une blonde plantureuse surnommée Gunna-ne-pense-qu’à-ça…! On a ici des passages dans lesquels Ernedur et Sigurdur débattent du monde et de l’Islande en particulier, échangent sur l’histoire, et les deux hommes n’ont pas vraiment la même vision des choses. Ainsi parle Sigurdur:
« Regarde-toi. Tu n’en as que pour les contes populaires, l’amour de l’Histoire de ton pays et des grands hommes disparus, Jon et Hannes Hafsteinn, mon Dieu, comme il était beau, et je ne sais quoi encore, comme disent les bonnes femmes. Et toi, tu t’accroches à ces trucs-là, tu passes ton temps à explorer le passé, à vivre dans un passé qui jamais ne reviendra et jamais ne changera.
Erlendur le regardait, abasourdi.
-Le pire, reprit Sigurdur Oli, c’est que ça te coupe les ailes. Ça contamine ta vie privée. Tu es coincé dans ton passé dont tu ne veux ni ne peux te détacher. Et c’est ça qui te prive de ton énergie. »
Un peu d’humour pince sans rire – que j’aime beaucoup – vient en contre-point à des passages glauques et sinistres. Quelques odieux personnages surgissent comme Herbert et Kalmann.
« La cinquantaine, petit et maigre, le visage long et de grosses lèvres, Herbert était comme monté sur ressorts. Célibataire et sans enfant, il vivait seul dans sa grande maison. il avait la réputation d’être violent. plusieurs personnes avaient porté plainte contre lui pour agression, mais toutes s’étaient rétractées. Erlendur se souvenait qu’il avait été placé en détention provisoire vers 1980 dans le cadre d’une disparition qui n’avait jamais été élucidée. »
Puis on a une histoire d’amour et d’amitié entre Birta et Janus, deux jeunes des fjords de l’Ouest échoués dans la ville de Reykjavik et qui y laisseront leur jeunesse et leur vie, ou encore Dora. Des personnages touchants et un constat sur nos sociétés, pas très reluisant et vraiment triste.
« -Toi, tu t’es occupée de moi.
-Tu me ressemblais. Personne ne t’aimait.
-Mais je n’ai pas sombré dans la drogue. Je ne me suis pas prostitué.
-Ce n’est pas comme ça que ça commence. Je crois que personne n’a envie d’être dépendant. Je ne sais pas exactement comment ça se produit. Peu à peu, on arrête d’y penser. On disparaît dans une sorte de brouillard jusqu’au moment où on sursaute parce qu’on ne trouve plus la veine où planter l’aiguille. Qu’est-ce qui est arrivé ? Combien d’années ont passé ? J’ai fait quoi tout ce temps ? On y pense et on oublie aussitôt.
-Puis on attrape le sida.
-Puis on meurt. »
Il m’a plu de retrouver le ton des premières enquêtes d’Erlendur, une plume plus vive que dans les livres des dernières années, et une grande compassion pour ses jeunes personnages paumés. Bref, une lecture très agréable, en continu car l’histoire est prenante, j’ai beaucoup aimé .
Il faut encore que je le lise ainsi que « La femme en vert ». J’aime tant me plonger dans le monde d’Erlandur!
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je l’ai bien aimé, celui-ci, il fait partie des premiers en fait, édité ici seulement maintenant
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