« Les journaux perdus de May Dodd et de Molly McGill, édités et annotés par Molly Standing Bear – Tome 3 de la trilogie « Mille femmes blanches »
Finalement, je préfère ne pas confier toute l’histoire à Jon W. Dodd. Elle m’appartient, à moi et à ma famille, au peuple cheyenne et plus encore aux Cœurs vaillants. Alors personne ne la racontera mieux que moi. Dois-je rappeler que les Blancs, après nous avoir envahis, avaient chargé leur armée de nous massacrer? Qu’ils nous ont confisqué nos terres, notre mode de vie, notre culture? Pour accélérer les choses, ils ont décimé notre frère le bison, qui était notre moyen d’existence et dont les troupeaux peuplaient jadis nos vastes prairies. Pratiquement exterminés, il n’en reste aujourd’hui que quelques centaines au parc de Yellowstone, contre trente millions au départ. Quant à nous, ceux qui ont survécu aux guerres, nous avons été parqués dans des réserves, avec interdiction d’en sortir. Les Blancs nous ont volé notre langue et nos enfants, qu’ils ont envoyés étudier dans leurs écoles religieuses après leur avoir rasé la tête »
Ainsi commence le dernier volume de cette belle trilogie. Une lecture facile, intelligente et intéressante et même si mon préféré des trois est « La vengeance des mères » – sans doute le plus noir des trois – on retrouve avec un intense plaisir la plume de Jim Fergus et son attachement à l’histoire tragique du peuple natif de son pays.
Sans angélisme, il aura su nous parler tout au long des pages de l’histoire de ces peuples, et en particulier les Cheyennes. Nous dépeindre leur cadre de vie, leur mode de vie, leur culture, leur richesse et leurs faiblesses, leurs défauts, ceux inhérents à l’espèce humaine dans son ensemble, ni plus ni moins. Sans doute il n’est pas facile pour un Blanc de parler ainsi de cette histoire avec autant de subtilité. Pari tenu.
Et puis bien sûr, sur ces trois livres il est question de femmes; et je sais gré à cet auteur d’avoir su si bien parler de ces mille femmes blanches et plus largement nous parler des femmes. Je ne révélerai rien en disant que l’échange des mille femmes blanches contre des chevaux à l’origine du roman est fictif, n’est-ce pas ? Bien que la rencontre entre Little Wolf et le président Grant et la proposition soient réels, l’échange, après avoir exploré plusieurs sources, semble ne pas avoir eu lieu.
Avec cette communauté aux multiples origines et aux tempéraments de toutes sortes, qu’on connait bien à présent et qu’on va quitter à regret, c’est un tendre et admiratif hommage aux femmes que nous offre Jim Fergus. C’est aussi une fresque sur une histoire de liens, d’amours possibles, de compréhension possible, de partage. Mais aussi évidemment l’histoire d’une dépossession totale, d’une extermination voulue, et de résistance.
« -[…] Savais-tu que les trois-quarts des Indiens d’Amérique, l’Alaska y compris, vivent aujourd’hui dans des villes et non dans des réserves? Beaucoup de nos filles sont enlevées en pleine rue et tombent dans les griffes des réseaux de prostitution. Ils s’attaquent à nous puisqu’ils bénéficient d’une totale impunité. Ils profitent du racisme institutionnel de ce pays, du fait que l’État fédéral ne tient pas de base de données à jour des indigènes qui disparaissent chaque année. Portant les chiffres du FBI indiquent qu’elles sont deux fois plus nombreuses que les Blanches dans ce cas, alors que nous sommes un groupe de population moins important. »
On peut aisément dire et écrire pas mal de lieux communs sur le sujet, c’est pourquoi je vais ici mettre le focus sur un point abordé de façon assez brève mais qui me semble important – voire une entrée vers un autre roman ? – , et sur une héroïne dont j’aimerais beaucoup savoir ce qu’il adviendra d’elle : Molly Standing Bear, descendante de ces femmes, celle qui va porter l’histoire des siennes et des siens à la connaissance du plus grand nombre, par le biais des journaux de May Dodd, de Molly McGill et de Margaret Kelly dont elle a en quelque sorte la garde.
Ces carnets que nous lisons depuis 2013 à raison d’un tome tous les 3 ans. Le récit se clôt avec cette nouvelle Molly du XXème siècle, guerrière nomade à sa manière, au caractère qui n’a rien à envier à celui de ses ancêtres, et prête à livrer un combat d’actualité : les disparitions de femmes autochtones non élucidées. Le problème est le même au Canada d’ailleurs, et voici quelques articles qui m’ont semblé intéressants:
Et vous pouvez regarder le film Wind River, que j’avais vu à sa sortie au cinéma.
Où l’on comprend que le peuple blanc n’en a pas fini avec l’humiliation et la spoliation des peuples natifs, ni avec la violence qui leur est faite par un traitement inégalitaire, le mépris et un refus des droits essentiels.
Outre le fait que ce livre nous décrit le courage de ces femmes, blanches ou pas, la nécessaire solidarité qui fera leur force, leur ouverture d’esprit aussi, Jim Fergus dénonce encore, sans grandes envolées mais par des détails toujours choisis et bien placés l’abandon dans lequel elles sont face à la violence des hommes et comment elles survivent à ça, malgré tout. Aucunement manichéen, toujours pesé, dosé, le texte prend alors une vraie crédibilité. Quelques scènes bien « sauvages » avec l’infect Jules Séminole qui pour la énième fois attaque May et son amie Wind:
« -Mon bel amour, en voilà des méchancetés ! Il est donc temps de la refermer ta gueule de putain, a-t-il rétorqué en nouant à nouveau son immonde foulard sur mes lèvres. Pour que Jules et ses amis profitent de toi sans entendre les horreurs que tu profères. Mais voilà qui devrait te mettre du baume au cœur,; quand nous en aurons fini avec toi et que Cuts Women t’aura découpée, c’est Jules qui aura le plaisir de porter ta petite chatte à son poignet, en souvenir de nos ébats… »
Enfin, j’ai lu des pages magnifiques sur les paysages, sur l’amour, sur les jeux et les travaux des jours ordinaires de ces peuples qui ont habité mon enfance et ont sans aucun doute modelé mon imaginaire sur l’Amérique, cette même Amérique où l’on construit des murs et où on continue à tuer. Jim Fergus de sa plume douce amère sait dire tout ça, et nous remplit d’affection pour ces femmes, blanches ou pas. Et nous offre aussi des scènes comme celle-ci:
« Nous avançons de front, Phemie, Pretty Nose et moi, chacune sur notre cheval, moi entre elles deux. Martha nous suit sur son courageux petit âne, Dapple, puis ce sont Astrid, Maria et Carolyn, côte à côte derrière elle. C’est une belle journée d’été. Après une vague de chaleur, la brise nous rafraîchit, l’air est plus doux et le ciel dégagé d’un bleu profond. Nous traversons une prairie vallonnée que les Indiens appellent le pays des herbes courtes, riche en herbe aux bisons, où les jumelles ont sans doute coupé les quelques brins que j’ai trouvés dans leur sac-médecine. Comme il a beaucoup plu en ce début d’été, l’herbe et les fleurs sauvages ont poussé en abondance. Assez hautes, cependant, pour effleurer le ventre des chevaux, elles ondulent sous le vent comme une houle légère en exhalant leur doux parfum. À distance, un troupeau épars de bisons profite paisiblement de ces riches pâtures. »
Je préfère donc avant tout vous proposer quelques extraits choisis. J’ai écouté Jim Fergus il y a quelques années à Brive, à la veille de l’élection de Donald Trump. En l’écoutant, j’ai entendu un homme calme, posé et bienveillant. Il a raconté comment il est arrivé à s’intéresser aux peuples autochtones, quand enfant avec ses parents il partait en promenade en voiture et passait aux portes des réserves. Il regardait, s’interrogeait, puis il a cherché, puis il a compris et enfin devenu adulte et l’écrivain que nous savons, il nous a écrit ces trois merveilleux romans. On ne peut que l’en remercier. Et le lire, bien sûr !
Je termine avec un extrait de la lettre que Molly Standing Bear – son histoire en résumé de la page 160 à la page 170 – laisse à son amoureux Jon, le journaliste chargé de publier les carnets.
« Mon cher Jon, donc, je te laisse mes carnets et tu as la permission de les reproduire par petits bouts dans ton magazine. En revanche, tu n’as pas celle de modifier quoi que ce soit dans les récits de May et de Molly. Que tu approuves ou pas la façon dont je les ai arrangés, je veux qu’ils paraissent exactement tels quels. Si je découvre le moindre changement, je serai forcée d’attacher ton scalp à ma ceinture…et je ne plaisante pas. Cela vaut aussi pour mes commentaires. Comme je parle cru, notamment de sexualité, tu seras sans doute gêné par certains. Tu feras avec, petit Blanc. Tu n’allais pas te cacher derrière ton bureau, déguisé en rédacteur en chef jusqu’à la fin de ta vie. Il faut bien que je te mouille (façon de parler ).
Nous nous sommes bien amusés, hein cow-boy? »
L’échange n’était pas fictif. Mais il n’y a jamais eu les milles femmes livrées, mais une cinquantaine. La base est historique..
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Ah ! Merci de préciser ! Oui, je me suis mal exprimée, j’aurais du dire sur des faits à la base authentiques transformés par l’auteur pour le roman. J’ai lu qu’il y a bien eu une rencontre entre Little Wolf et Grant mais qu’il n’existe aucune trace de leur échange. Dans un article du Point, Jim Fergus dit alors » qu’il chassait alors en territoire Cheyenne lorsqu’on lui a rapporté un épisode historique insolite. À la fin du XIXe siècle, un chef indien aurait proposé une alliance au grand chef blanc (le général Grant). Mille femmes blanches livrées aux « sauvages » contre une paix durable. Aucune suite n’a heureusement été donnée à cette aimable proposition. » Ou cet article https://www.lexpress.fr/informations/indiens-la-piste-des-douleurs_637771.html
( voir les derniers chapitres) qui semble dire qu’il n’y a pas eu d’échange. D’où ma conviction première que c’était juste la rencontre, et la proposition qui furent le départ du roman.
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J’ai lu pas mal de livres sur les femmes blanches enlevées par les indiens, dont une excellente préface dans un d’eux (je dois le retrouver, je ne l’ai pas chroniqué parce que seule cette préface était intéressante. Il y a des tas de femmes dans ce cas, et toute une littérature conservée avec soin dans les archives américaines. « L’envol du moineau » chroniqué il y a qq mois est un récit un peu romancé d’un manuscrit d’une femme de pasteur protestant anglais, arrivé pour « enseigner » le Nouveau monde. Je rajouterai le nom du bouquin et l’auteur de la préface très instructive dès que je mettrai la main dessus.
Par contre j’ai « les Amazones » dans ma PAL mais j’avais tellement aimé Mille Femmes Blanches, lu et relu, et si déçue de « la revanche des mères » que je ne suis pas encore prête à le lire…
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Ah c’est étrange, j’ai préféré le deuxième, à cause du journal de Margaret Kelly je pense, et de son langage. Ah il y a tant à lire…On ne peut ni tout lire, ni tout aimer, ni tout ressentir de la même manière ! En tous cas, merci pour l’échange, j’aime bien !
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Oui mais j’a acheté Mille Femmes Blanches à sa sortie (maintenant tu vois comme je suis vieille) et pendant toutes ces années je l’ai relu au moins deux fois. La parution du deuxième, 20 ans après ou presque, j’avais révé, ou auguré quelque chose d’encore plus beau… et bien sûr, avec cette attente.. je ne voulais pas qu’elles soient mortes..
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t’inquiètes ! on vieillit unanimement, il y a une justice là-dessus !!! Je comprends très bien. On ne veut jamais que nos héroïnes meurent. Je ne sais pas toi, mais j’ai une affection particulière pour Euphémia…Sur ce dernier volet, je me pose réellement la question : Jim Fergus ne va-t-il pas s’emparer de Molly McGill II pour un futur roman sur ce sujet brûlant des femmes autochtones disparues. J’aimerais bien ! Au plaisir, et bonne journée, Mélie !
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Bonne journée !
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ou encore
http://jimharrison.free.fr/ResumeMilleFemmesBlanches.htm
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Merci !
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Il est toujours compliqué de faire la part du vrai et du faux. Et au fond, dans ce cas, reste une trilogie magnifique qui en mêlant réalité et fiction, fait ce que fait à mon avis la bonne littérature : réfléchir, voir, penser, rêver et se mettre en colère ! 🙂 😉
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