« Le Sudin contourna soigneusement les frégates et les torpilleurs avant d’accoster au port de Reykjavik. Quelques instants plus tard, les passagers descendirent du ferry. Titubants, certains étaient très soulagés de retrouver la terre ferme. Pendant qu’ils traversaient le golfe de Faxafloi, le vent avait subitement forci et avait tourné au sud-ouest, il s’était mis à pleuvoir et, après une navigation plutôt calme, le bateau avait beaucoup tangué. La plupart des passagers étaient restés à l’abri dans les cabines exiguës à l’air saturé d’humidité du fait de leurs vêtements mouillés. Quelques-uns, parmi lesquels Eyvindur, avaient souffert du mal de mer sur la dernière partie du trajet. »
Été 1941, Reykjavik est une base des armées britanniques et américaines. Le parti nazi islandais a été dissous mais l’idéologie rampe encore souterrainement, les plus convaincus tentent de démontrer la « pureté aryenne » des habitants de l’île et ont gardé des contacts avec l’Allemagne .
Eyvindur, petit représentant de commerce, est assassiné à son retour de tournée, une balle de Colt en pleine tête et un « SS » de sang dessiné sur le front. Flovent, jeune enquêteur de la police criminelle et ex-stagiaire à Scotland Yard sera épaulé par Thorson, Islandais né au Canada et délégué par la police militaire, parce qu’il est bilingue, pour mener cette enquête.
L’île vit une période nommée « la Situation », terme qui désigne le trouble semé par tous ces soldats auprès des femmes qui alors s’émancipent, et l’Islande est en phase de profond changement.
C’est un roman que j’ai trouvé vraiment passionnant que nous offre Indridason dont le talent n’est plus à démontrer. Fan de la première heure, avec la lecture de « La femme en vert » j’avais découvert cette période de l’histoire en Islande, puisque l’enquête de notre Erlendur faisait remonter le temps de l’enquête jusqu’à cette même époque. Ici nous voici en immersion. Les personnages prennent peu à peu chair et esprit avec une plume qui prend son temps, traçant ces portraits d’abord en montrant les actes, actions, modes de vie, finalement assez peu le physique, puis doucement entrant dans les pensées des hommes et des femmes que nous allons suivre. L’enquête va s’avérer complexe et pleine de rebondissements, mais ce qui m’a le plus intéressée, la grande réussite de ce roman c’est ce que l’auteur parvient à incarner dans ses personnages. J’ai été très admirative par exemple du portrait de Vera. Indridason n’est jamais manichéen, ne caricature jamais et fait toujours preuve d’un retrait qui laisse le lecteur se faire son opinion seul, il n’intervient pas, laissant toute la place aux protagonistes de l’histoire et à nous lecteurs. Je pense donc à Vera en particulier, cette femme qui va donner du fil à retordre aux enquêteurs tant elle est complexe. Le cœur de l’enquête autour de la famille Lunden va s’étendre en ramifications inattendues, et à chaque fois l’auteur en profite pour nous donner à voir ces Islandais d’alors, en ville et à la campagne (comme cette vieille femme qui va raconter ce que fut Vera plus jeune ), et on ne cesse jamais de rencontrer une histoire, un peuple, une culture si étroitement en osmose avec l’île, sa géographie et son climat.
Enfin, l’ombre d’un grand homme se profile pour une éventuelle visite ce qui complique encore les choses. Plusieurs intrigues s’imbriquent, emmenant le lecteur dans un véritable labyrinthe.
Comme toujours malin et quelque peu farceur – malgré son air un peu sévère – l’auteur glisse ici et là quelques bribes qui instillent un doute, une question comme ici parlant de Thorston :
« Il avait cherché une expression pour exprimer son sentiment, mais n’en avait trouvé aucune. Or si quelqu’un jouait double jeu, c’était justement lui.
Mais cela, il n’en souffla pas mot. »
Et c’est tout ! Débrouille-toi avec ça, lecteur ! Il s’agit d’une trilogie, et je m’attends à retrouver Thorson dans le second tome ( parution en Octobre 2017 ) et plus de réponses.
Plus globalement, je ressens chez Indridason une bienveillance pour les femmes de son île ( et pour les femmes en général, je suppose, non ? ) qui il faut bien le dire ont mené à travers les époques des existences très dures ( on les rencontre dans la littérature islandaise travaillant dans les usines de poisson pendant que les maris sont en mer pour des mois, élevant les enfants et accomplissant toutes les tâches nécessaires à la survie de la collectivité, confrontées à l’alcoolisme, aux coups, à la solitude, comme « La femme en vert » ). Je me trompe peut-être, mais je ressens toujours cette empathie de l’auteur avec ces femmes qui si elles ne sont pas exemptes de défaut reçoivent néanmoins un regard indulgent de sa part. Et j’aime ça, bien sûr !
Pour finir, j’attends la suite avec grande impatience tant le suspense est bien mené, soutenu en permanence par une écriture et une construction remarquables et grâce à des personnages auxquels on s’attache, Flovent et Thorston. Sans parler de la fin, comme ça:
« Une jeune femme d’environ vingt ans qui remonte le quartier de Skuggahverfi en pressant le pas apparaît à l’angle de la rue Klapparstigur.[…]La jeune femme s’enhardit et pose un pied sur la chaussée, tenant l’enfant qu’elle a dans les bras de manière à ce qu’il ne perde pas une miette du spectacle et, lorsque le cortège passe devant eux, elle aperçoit dans l’une des voitures un homme imposant au visage lunaire qui, sa casquette sur la tête, se penche en avant sur son siège.Elle fait un grand sourire et le salue d’un signe de la main, il agite la sienne en retour, leurs regards se croisent. Puis le cortège s’éloigne et continue de descendre la rue Laugavegur avant de disparaître. »
Le tome 2 est titré : « La femme de l’ombre ». Si ça ne s’appelle pas « faire languir le lecteur », ça ! Il va sans dire que la traduction est impeccable comme toujours avec Eric Boury et donc pour moi : coup de cœur !
Ici un article sur « La femme en vert », bien documenté sur cette époque de l’histoire islandaise. Tout le site consacré au polar islandais est intéressant, Polar des glaces.
voilà un auteur que j’apprécie beaucoup. Son dernier roman est dans ma Pal et je compte bien m’en delecter, surtout qu’après ta belle chronique l’envie n’en est que plus grande ! 🙂
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Ah, 😊 merci ! Très bon livre et hâte de lire la suite !
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Ce roman est des plus tentants ! Mais je n’oublie que je ne me suis pas encore procuré certains Indridason qui pourtant sont en poche ! 😉
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Oui, réussi une fois de plus. Moi, je n’ai pas lu Le lagon noir et Opération Napoléon, mais ça va venir ( dit-elle en soupirant…) ! 😀
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En projet de lecture si je le trouve à la Médiathèque.
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avec bcp de retard, le prochain sur ma grande liste…. – octobre 2017
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