« Les mains de Joseph sont posées à plat sur ses cuisses. Elles ont l’air d’avoir une vie propre et sont parcourues de menus tressaillements. Elles sont rondes et courtes, des mains presque jeunes comme d’enfance et cependant sans âge. Les ongles carrés sont coupés au ras de la chair, on voit leur épaisseur, on voit que c’est net, Joseph entretient ses mains, elles lui servent pour son travail, il fait le nécessaire. »
Beaucoup de plaisir avec ce court roman. Après les Cévennes et le plateau de Millevaches de Franck Bouysse, après les tempéraments impétueux et la poésie rageuse de ce formidable auteur, me voici dans le Cantal, avec Joseph et la voix posée de Marie-Hélène Lafon.
Cette écriture au rythme particulier, que j’ai vraiment aimée, nous conte la vie de Joseph, celle du moment, celle du passé. Très bonne idée de commencer par les mains de Joseph, car ce sont ses mains qui toute sa vie ont travaillé…Mais à travers ces mains, c’est un homme et son esprit qui transparaissent. On a du mal à l’imaginer jeune, cet ouvrier agricole au bord de la retraite. Mais il semble « au bord de tout », Joseph. De l’amour, du temps, de la vie en général. Les seules choses dans lesquelles il se soit plongé totalement furent l’alcool et le travail. L’alcool, il en a fini non sans mal et après maintes cures. Quant au travail, c’est toute l’histoire de sa vie; les fermes, les patrons et patronnes, les familles par procuration, et la sienne propre, mère et frère…
Bien plus qu’un quotidien banal, Marie-Hélène Lafon peint un portrait sans faille, dense et précis par les mots choisis d’un monde qui s’achève, portrait aussi d’un de ces si nombreux ouvriers agricoles. Joseph n’est pas mal traité, mais il connait les limites, comme la salle de bains, ça non, il a droit au lavabo du débarras ou de l’étable.
C’est ce personnage, ce Joseph si observateur, qui écoute, regarde et enregistre, qui est une mémoire de ce coin de campagne et de ceux qui y vivent, que j’ai beaucoup apprécié. Il déroule ses réflexions, se souvient de cette Sylvie qui lui fit croire à l’amour, parle du chien Raymond, de la patronne qui fait ses mots croisés, de la télévision, des bals, des travaux et des heures qui passent, aux champs ou à l’étable. Il y a une intelligence dans cet homme, un vrai caractère qui se dévoile peu à peu, tout doucement, au bruit de l’horloge, au rythme de la traite; avant ça, les ivrogneries qui le menaient à l’hôpital, jusqu’à la bonne cure qui le maintient sobre et nous le présente lucide. Joseph repense au père, ivrogne aussi, la mère soulagée quand il meurt, la vie du village, les réussites et les défaites, mais toujours à voix mesurée, en sourdine, sans emportement, jamais. Joseph voit tout, se questionne, cherche des réponses ou pas. Joseph que Marie-Hélène Lafon nous fait aimer et comprendre en 115 pages, et ça, c’est du talent.
Pour avoir connu de ces ouvriers agricoles ( il en existe encore, parfois très mal traités en toute illégalité ), j’ai été touchée par ce beau texte, par l’attention portée à cet homme. Le monde rural tel que les médias nous le montrent est très souvent une image erronée. Soit joliette soit glauque. Soit le paradis des vacanciers, soit un désert à notre porte. Parler comme Bouysse et Lafon, l’un en des œuvres noires et turbulentes, l’autre en un tableau patient et clair, est un défi qu’ils relèvent tous deux avec un grand talent. J’aime.
Eh bien tu sais quoi ? Tu me tentes, et c’est quand même surprenant parce que je suis vraiment pas branchée littérature française et qu’en plus, je pense que je ne serais jamais allée l’ouvrir celui là. .. mais du coup je l’envisage. …
Merci pour cette jolie découverte ?
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Eh bien tu sais quoi ? Comme toi, je ne suis pas très littérature française, et en fait, je crois que les grosses têtes d’affiche nous font oublier qu’il y a de belles plumes ici aussi. Après Franck Bouysse, du rural bien noir, voici du rural qui fait absolument penser à Raymond Depardon et sa série sur les paysans.MH Lafon a une vraie personnalité. Je crois que je lirai « Les derniers indiens », conseillé par une amie. C’est celui que je cherchais et la librairie ne l’avait pas, alors ce fut Joseph que j’ai rencontré. En plus, format court qui me convient très bien en ce moment où d’autres choses m’absorbent. Prochain article, l’Irlande et le super Joseph O’Connor
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Moi il va y avoir du changement sous peu donc ça me prend beaucoup de temps. Vendredi peut être encore un album jeunesse, un joli coup de coeur pour le nouvel André Bouchard et Lundi si tout va bien je lance le tout, version bêta test !
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j’attends ça avec impatience et curiosité !
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Et je n’ai toujours pas terminé mon Indien….
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😉
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Je suis séduite par ton article. Je vais le lire aussi.
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Benjamin le lit, je te le passe après.
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Je ne sais pas si je le lirai, ce que je sais c’est que ton article est délicieux.
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On ne peut pas tout lire, on n’a pas envie de tout, et les moments de nos vies n’appellent pas les mêmes lectures. Je pense lire d’elle « Les derniers indiens »; franchement, j’ai bien aimé parce que pas de commisération, pas de bruit pour rien, des mots très justes.
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Onle sent bien dans ton compte rendu si gourmand!
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Tout comme toi je trouve que le monde rural et ses travailleurs sont soit idéalisés ou ridiculisés. J’ai eu la chance (je ne l’ai pas toujours dit) d’avoir connu de près le monde rural et ceux qui travaillent la terre (famille de mon papa) et ce roman semble diffèrent de ceux qui en effet ne savent pas rendre la complexité de la relation que vivent les agriculteurs et paysans avec la terre. Je me dois de lire celui ci.
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Eh bien, de mon côté, pas d’agriculteurs vraiment sauf le grand-père dont j’ai déjà parlé ailleurs, parce qu’à cette époque tout le monde était un peu paysan, pour soi, la famille et un peu pour quelques ventes( oeufs, volailles, patates…) pour faire quelques sous. Il en existe encore, et ceux-ci, je les aime beaucoup. Marie-Hélène Lafon est native du Cantal et pour y avoir séjourné, je vois très bien ce qu’elle décrit. Il y a peu, là-haut, on entendait encore parler l’occitan ( le coeur de la langue d’oc est parait-il du côté de Saugues, en Haute-Loire voisine ) . Je pense que ça te plairait, ce qu’elle écrit
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Encore un livre qui me tente (comment vais-je faire ?!!).
D’autant que c’est dans cette ruralité sans artifices ni folklore que j’ai plongé mes racines. Mais parfois, on vit mieux en oubliant, ça évite de renier !
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Ah ! Comme c’ets juste ce que tu dis ! Oublier pour ne pas renier…Elle fait court, Lafon, tout le monde ne sait pas faire ça, elle oui.
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Bonjour,
en cherchant les images des couvertures des folios des titres de marie Hélène Lafon, je suis tombé sur votre blog. J’ai découvert cette auteure par ce premier livre, et j’en suis au 4éme ou 5éme. A la fin de « Les pays », il est question de Depardon, sans qu’il soit nommé, et bien entendu qu’il y a une sorte de connivence entre ces deux là !!
Je suis tombé sous le charme de cette écriture, précise sans être descriptive, mais qui plante bien les choses, les gens, avec une ferme douceur.
Bien cordialement.
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Merci de ce riche commentaire. Oui, une belle écriture, claire, précise et douce, même ressenti. Mon prochain titre d’elle sera, je pense « Les derniers indiens ».
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